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2 avril 2017, à 13h32

La journée est très ensoleillée pour un début avril. Les feuilles des arbres ont déjà poussé, dévoilant une couleur verte naturelle et énergétique. Les brouillards se sont dissipés très tôt le matin, pour permettre à la bonne humeur de s'installer. Marchant tranquillement dans la rue, les couples s'enlacent, s'embrassent, se tiennent par la main, comme le font les parents à leurs enfants. Même les véhicules semblent avoir avalé leur dose de tranquillisant. Aucun bruit de moteur, pas d'odeur de pollution dans l'air. C'est une belle journée qui s'annonce.

Au loin, une jeune fille, pas plus de dix-huit ans, paraît angoissée, préoccupée. Comment le savoir ? Elle a les sourcils froncés quand on s'approche de plus près. Ses lèvres sont souvent mordues, elle est tendue. Ce n'est pas étonnant lorsque l'on apprend la cause de son attitude. Par un si beau temps, détail dont elle se fiche royalement, elle s'apprête à retourner à ses racines, là où elle a grandi.

Ça y est, elle est arrivée.

Le portail devant lequel elle s'est arrêtée, est noir, haut de trois mètres cinquante. La petite sonne à l'interphone, on l'ouvre. La voilà devant une route qui la conduit devant le bâtiment où s'enferment tous ses cauchemars.

- Havel, appelle Madame Deschamps, je suis contente de te revoir, tu as beaucoup grandi dis donc !

- En dix ans, ce n'est pas étonnant, réplique ladite Havel.

- Oui, je te l'accorde. Bon, que puis-je pour toi, ma grande ?

Face à la dame d'une cinquantaine d'années, la jeune fille lui explique la raison de sa venue. Elle souhaiterait connaître ses origines. Qui sont ses parents ? Pourquoi s'est-elle retrouvée à l'orphelinat, alors qu'elle n'était qu'un nouveau-né ? Imperturbable, par habitude sûrement, la responsable du lieu lui relate les quelques informations qu'elle connaît à son sujet, c'est-à-dire pas grand chose. Havel a été abandonnée. On l'a retrouvée dans un panier dans lequel reposait un coussin, sans oublier la couverture miniature assortie. Les employées de l'époque, soit d'il y a dix-huit ans, jours pour jours, l'ont emmenée à l'intérieur, après avoir entendu ses pleurs. Ses cris étaient déchirants, qui font, à chaque retentissement, mal au cœur. Madame Deschamps, bien qu'ayant travaillé toute sa vie ici, ne supporte toujours pas qu'on puisse faire ça à son propre enfant, à son sang, à son bébé tout court. Les géniteurs peuvent avoir leurs problèmes, financiers pour la plupart, mais leur comportement n'en reste pas moins impardonnable. Elle se sent impuissante.

- Je suis désolée, mais je ne peux rien t'apprendre de plus. Il n'y avait rien de personnel, pas d'objet pouvant nous éclairer sur ton identité, sur celle de tes parents. Les employées qui t'ont accueillie, ont attendu longtemps avant de décider de te prendre en charge pour de bon. Sais-tu pourquoi ? Parce qu'elles ne comprenaient pas comment les gens pouvaient abandonner un bébé comme ça. Du jour au lendemain. Tu étais toute petite, toute innocente, et vraiment très mignonne. Tu souriais constamment, pas du tout le genre de Cédric, qui pleurait tout le temps. En vérité, tu étais la bébé la plus sage et la plus facile à élever. Suffisait qu'on te donne ton ours à peluche pour que tu restes tranquille. Bon, je m'éloigne du sujet, désolée. Si tu veux, tu peux jeter un coup d'œil à ton dossier, peut-être que tu trouveras des choses intéressantes ?

Havel acquiesce, suivant Deschamps jusque dans le bâtiment. Directement, on peut apercevoir un escalier en bois, circulaire. Elles le prennent, pour arriver devant un long couloir, étroit et sombre. Au bout, le bureau de la directrice.

Un bureau installé juste devant une fenêtre - un mètre trente de long sur un mètre de large - qui donne vue sur la cours, sur lequel est entreposé toute sorte de paperasse. Madame Deschamps se dirige vers une bibliothèque et en sort des pochettes en carton.

- On a tellement d'enfants, de documents d'adoption, de... Ah voilà ! J'ai trouvé. Je peux t'en faire des photocopies mais les originaux doivent rester là.

- Pas de problème, répond-elle d'un ton anormalement calme.

- Dans ce cas, attends-moi un instant, tu peux t'asseoir en attendant.

Deschamps désigne une chaise du menton, face à son bureau et sort de la pièce. L'attente a été longue, les personnes âgées n'étant pas forcément douées pour la technologie. Pour s'occuper, Havel se lève, parcourt les tableaux accrochés au mur du regard, qui sont formés par de multiples dessins réalisés par des enfants. Elle en repère un, sous un tas d'autres, celui d'une personne lui étant chère. Sur celui-ci, on distingue une maison avec cheminée en arrière-plan, et des personnages censés représenter la famille d'Émilie.

Cette dernière était sa meilleure amie, avant son adoption. Émilie était, dans son souvenir, une fillette magnifique, attachante et mignonne. De belles boucles blondes lui entouraient le visage, des yeux noisettes expliquaient sa popularité auprès de jeunes mariés. Elle ressemblait à Boucle d'Or. Malheureusement, la vie de princesse qu'elle menait s'écroula le jour de décès de ses parents. On lui retira tout, sa maison, ses vêtements, ses poupées offertes à l'occasion de son septième anniversaire. Quand elle fut arrivée à l'orphelinat, elle était dévastée. Les deux jeunes petites filles se sont vite liées d'amitié et ont su se consoler mutuellement. Pour Havel, ça n'était pas bien compliqué, elle n'avait jamais connu ses parents. Elle ne connaissait pas ce qu'était l'amour, le bonheur vécu en famille, les disputes, les réconciliations. Elle n'avait jamais possédé, alors la perte ne signifiait rien pour elle. Par contre, Émilie avait eu beaucoup plus de mal à s'en détacher complètement. Après quelques mois, jugés nécessaires pour qu'elle pansât ses blessures, on lui avait annoncée son adoption. Il y avait un couple qui l'aimait - et l'aime sûrement encore aujourd'hui. La femme était tombée sous le charme d'Émilie et ne rêvait que d'une seule chose : pouvoir s'occuper d'elle. C'est pourquoi, elle revenait chaque semaine, avec son mari, pour lui rendre visite et se familiariser avec elle par la même occasion. Cinq mois plus tard, on emmena Émilie. Havel ressentit alors sa première grosse perte.

Elle ferme ses yeux. Elle ne doit pas se laisser aller. Elle ne doit pas pleurer.

Havel s'approche de la fenêtre et revoit son coin.

Pendant que des enfants s'amusaient, la fillette préférait se terrer dans un coin. Après le départ d'Émilie, elle n'avait plus la même perception du monde tel qu'elle le voyait avant son arrivée. Émilie avait tout chamboulé. Son caractère avait également été affecté. La jeune Havel, auparavant pleine de joie de vivre, s'était forgée une carapace. Personne ne pouvait l'approcher à plus de cinq mètres.

Havel remarque la disparition de la végétation. Elle en déduit que l'orphelinat commence à dépérir, qu'il manque de fonds et doit à tout prix limiter le nombre de personnels. Les jardiniers ne sont plus les bienvenus. Cela dit, les orphelins pouvaient très bien en prendre soin. Ils n'avaient qu'à arroser des plantes et des fleurs. Ça aurait été une activité intéressante qui les aurait changés les idées.

- Je crois que c'est OK, dit la vieille dame en lui tendant les photocopies encore chaudes, tu as tout ce qu'on possède te concernant. Autant te prévenir, tu ne trouveras pas le nom de tes parents, ni d'un membre de ta famille. Personne n'est venu te réclamer. Ne sois pas surprise, ni déçue, d'accord ?

- Oui, merci.

C'est ainsi que Havel quitte l'enceinte d'un pas rapide, aussi vite qu'elle est arrivée. Si elle n'avait pas eu la brillante idée d'appeler avant de venir, elle aurait passé tout son après-midi, enfermée, comme quand elle vivait ici. La brune ne voulait et ne veut pas s'attarder. Elle n'a eu que de mauvais souvenirs, avec de rares moments de bonheur, qui ne duraient jamais. Impossible de vivre dans un endroit qui n'est pas son chez-soi.

L'orphelinat est assez reculé de la population. Havel doit marcher une quinzaine de minutes avant d'atteindre un abris bus. Le moyen de transport lui permet d'arriver à une bouche de métro qu'elle prendra. Enfin, elle montera dans un train qui l'emmènera dans la ville où elle habite. Havel a voulu s'éloigner le plus possible d'ici. Elle a voulu tout changer, tout recommencer, et ce, par ses propres moyens. C'était rude au départ, quasi insupportable pour une jeune fille de quinze ans. Mais pas pour Havel.

Le trajet a duré plus de trois heures. Elle s'est sentie toute poisseuse, suant, transpirant à grosses gouttes. La chaleur s'est jointe à la fête.

Malgré le fait qu'elle s'est élue domicile à Lyon, son appartement se situe dans un quartier populaire. Cependant, elle a réussi à dénicher une proposition qui ne se refuse pas. Bien que les alentours sont dans de piteux état, son immeuble reste plus qu'acceptable. Le meilleur dans le coin. Avec un loyer relativement bas pour compenser le côté dangereux. De plus, elle partage la charge avec deux colocataires, des personnes aimables et connaissances de longue date.

Le bâtiment a été rénové récemment, il y a quatre ans, ce qui lui permet d'avoir accès à un ascenseur. Elle ne se voyait de toute façon, pas à monter les marches jusqu'au sixième étage, le dernier, avec un toit en supplément, leur appartenant.

Havel enfonce ses clés dans la serrure et pousse la porte faite de métaux. La lumière du salon est allumée, un garçon est sans doute resté à l'appartement.

- André ? Nathan ? Les gars, je suis de retour. Quoi rien ?

L'un des deux a dû oublier d'éteindre les néons. Il va falloir qu'elle ait sérieusement une discussion sur le gaspillage excessif de l'électricité avec eux.

Elle fait un tour dans sa chambre, balançant au passage les documents donnés sur son lit, avant de revenir dans le salon. S'installant confortablement sur le canapé, elle laisse les bruits émis par la télévision lui bercer jusqu'à trouver un profond sommeil.

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