- Chapitre 15 -

La pluie se transformait en grêlons par moment. Les deux jeunes adultes se protégeaient avec leur veste tandis que leurs chaussures glissaient à plusieurs reprises sur la boue. Une fois rentré, Alexandre secoua ses cheveux blond platine tel un chien sous le regard médusé de sa cousine et le rictus moqueur d'Alina.

— Ta coupe devient de plus en plus désastreuse, remarqua Maé en posant une vieille couverture sur l'agneau.

La couleur revenait au naturel et la moustache avait moins d'effet à cause de la barbe qui repoussait.

— Pour le bal, je me teins en roux en l'honneur d'Hélène. Je suis sûr que ça va aller avec mon bandana rose, promit-il en essuyant ses lunettes rondes avec son t-shirt.

La cheminée allumée dégageait une chaleur apaisante. La citadine trouvait l'ambiance plus chaleureuse et personnelle qu'avant grâce aux affaires éparpillées au sol, à l'animal et à la bonne humeur qu'amenait l'apprenti cuisinier.

— Elle sera ravie de ton attention, ironisa Alina qui observait sans gêne le magnifique sourire de son interlocutrice.

Alexandre avait fini tôt le travail et sa mauvaise journée s'était éclairée à l'annonce du retour d'une des Bailly. Il la prit finalement avec force dans les bras malgré ses grognements de protestations.

— Al' était sympa, mais tu m'as manqué.

Alina enleva son caban noir trempé afin de le déposer sur une chaise en face de la cheminée. Méchoui la fixait à présent avec ses billes noires. Elle s'agenouilla et passa une main dans la laine foncée. Il l'appréciait beaucoup en comparaison à Jean-Grégoire. Les deux autres s'installèrent sur la table recouverte de paperasse.

— Alors qu'est-ce que tu as fait cette fois ? Quand tu m'as quémandé de la nourriture, je n'ai rien pu savoir. Je doute que la montagne ait encore des secrets à te révéler. Il manquerait plus que tu trouves l'église !

Maé était revenue dans la semaine, ce qui expliquait les boules de poils de l'ovin. La chienne de Paul, Akira, sera heureuse de le revoir. Alina eut un pincement au cœur à l'idée que la saint-ambroisienne n'était pas allée lui parler.

— Comme d'habitude, j'ai marché, même si je me suis perdue à un moment et que ce bourriquet est tombé dans un trou.

Ils se tournèrent vers le salon et l'ovin releva la tête. La touriste se demandait comment l'animal avait eu le réflexe d'aller chercher de l'aide pour les emmener vers la bergère. Il ressemblait à celui de la légende, son rôle avait été de guider les habitants vers un endroit où vivre. Le premier jour, Maé avait été totalement surexcitée de cette nouvelle naissance, elle devait bien y croire un tout petit peu. Alina désirait poser ces questions, mais elle risquerait de la froisser.

— De toute manière, tu es revenue à temps, le bal est dans trois jours ! s'écria le jeunot aux sourcils bicolores.

Il récupéra la casserole qui contenait le lait bouilli et se servit une tasse de chocolat chaud.

— Et en quoi cela consiste ? se renseigna Alina qui s'assit à côté du blondinet. Moi je vois soit le bal de Cendrillon soit danser sur de la musette jusqu'à vingt-deux heures.

Alexandre s'étouffa avec une gorgée de sa boisson.

— Jean-Grégoire nous offre certes son morceau d'accordéon, mais la fête des lumières c'est bien plus que ça. On danse sur les années quatre-vingt et nous avons notre événement...

— Ne lui dis rien, elle verra d'elle-même, arrêta sa cousine d'un ton réprobateur.

Paul lui avait fait la même remarque. Qu'est-ce qu'il se produisait lors de cette soirée ? Visiblement, c'était inutile d'exiger des détails.

— Je ne connais pas ce genre de musique, dit-elle simplement.

Le neveu de Jean-Grégoire avala de nouveau de travers.

— Tu vas siffler sur la colline pour trouver Maé grâce à du Joe Dassin, mais tu n'écoutes pas Les démons de minuits, Cette année-là et d'autres chefs-d'œuvre de la variété française. La ville rate quelque chose.

— Et tu as cueilli un bouquet d'églantines ? interrogea la fermière, taquine.

Gênée, Alina dévia le regard vers la tasse de son voisin.

— Tu aurais pu la prévenir, elle était totalement chamboulée. J'avais beau lui dire que tes escapades étaient habituelles, elle n'en démordait pas.

L'ancienne étudiante lui marcha sur le pied, avant de se rendre compte que c'était celui de Maé. Alexandre prenait un malin plaisir à dévoiler ses inquiétudes. Quelqu'un toqua à la porte et Alina le bénit. Malheureusement, l'arrivant était réellement la dernière personne qu'elle voulait voir : Paul. Ses vêtements collaient à sa peau, dévoilant sa fine musculature.

— Fais entrer Akira, le sol est de toute façon sale, invita la propriétaire de la maison.

Quand la chienne aperçut son compagnon de jeu, elle se précipita vers lui en laissant des grosses traces de pattes sur le carrelage blanc. La nièce de Paul le maudit intérieurement, car ce serait elle qui fera le ménage. Le boxer renifla le mouton bruyamment et prit conscience de son état de fatigue. Elle s'allongea auprès de lui et le lécha sans ménagement. Comment avait-elle pu tuer un bélier ?

Cet instant de tendresse se coupa par le grommellement de l'oncle :

— Tu aurais pu me dire plus tôt que tu partais. Bon, heureusement que la parigote a appris à se servir d'une fourche et de ses dix doigts pour nourrir les bêtes.

La concernée se sentait terriblement mal à l'aise. Les récentes révélations remettaient en perspective la vision qu'elle possédait de lui.

— C'est une amatrice de grasse matinée et avant, elle n'était pas fichue de discerner de la farine des granulés, railla-t-il en se débarrassant de ses chaussures de sécurité.

— Ah bon ? s'étonna Maé qui la dévisagea.

Il prit place à côté de sa protégée, se situant donc en diagonale d'Alina.

— Elle a eu le droit à la totale : les orties et le fil électrique.

Les souvenirs de la veille remontèrent et la déception lui donna un arrière-goût amer. La photographie d'Ambre au cimetière lui revint en mémoire. Le collier ! Désormais, son alibi pour vouloir dérober le collier était tout trouvé.

— Al' ? On te parle, appela Alexandre.

Elle sursauta et des yeux bleu électrique croisèrent ses iris noires. Le frère de Louis ne comprenait pas la raison de son soudain mutisme.

— Je disais, recommença Maé, que tu pourrais traire plus souvent avec moi.

Alina lui sourit timidement en guise de réponse. Son retour la rassurait et en vue de ce changement de comportement vis à vis d'elle, leur relation ne pouvait que s'améliorer. Pourtant, son cerveau ne réussissait pas à lui sortir du crâne les propos de Jean-Grégoire. Elle devait lui poser la question sur l'église, sur Paul, sur pourquoi le mouton était ici. Si le maraîcher manipulait Maé, elle le verrait en fonction des réactions de la solitaire.

— Sortons le tarot ! proposa le cadet d'un ton joyeux.

— Ma mère se retournerait dans sa tombe si j'avec des morveux, plaisanta le cadet en s'extirpant de la chaise.

L'évocation de la grand-mère mettait mal à l'aise sa petite-fille et cette dernière voulait en savoir plus sur son aïeule. À quoi ressemblait-elle ? Jouaient-ils au tarot ensemble ? Cela expliquerait pourquoi il refusait de faire une partie sans elle.

— Désolée, mais j'aimerais dormir avant la traite, annonça Maé en baillant sans retenue.

Afin d'éviter de descendre avec les autres, Alina prétexta une envie pressante et se précipita aux toilettes. À son retour, elle vit le mouton être chouchouté par sa bergère. Le sang avait taché la couverture à carreaux.

— Il n'aura aucun mal à s'en remettre, informa Maé qui tondait une partie de la laine afin d'y déposer un bandage.

Elle avait remis son écarteur en forme de serpent et son treillis se recouvrait d'une longue chemise blanche. Alina ne l'apercevait que maintenant.

— Je vais te laisser te reposer, à bientôt, salua-t-elle en faisant ses lacets après avoir saisi son caban.

Une fois la porte ouverte, le vent s'engouffra dans la demeure. Les deux hommes n'étaient que des points noirs dans la tempête.

— Tu m'as manqué, on se revoit demain après-midi ? suggéra Maé dans un murmure.

Une vive chaleur se propagea dans le bas du ventre d'Alina. Ce n'était pas le froid qui la fit frissonner.

***

Le tas de linges sales avait triplé de volume ces derniers jours. La touriste avait proposé de faire son ménage elle-même dans sa petite chambre. La poussière formait une couche sur la commode et des moutons sous le lit. Les premiers rayons du soleil perçaient les nuages blancs et cette journée promettait d'être ensoleillée. Dans un élan de courage, elle entreprit de ranger ses affaires. Son livre de science-fiction fini, un autre de ses congénères était ouvert sur le parquet. C'était son unique divertissement avec la radio dans la salle principale et le journal régional. L'auberge ne possédait même pas une télévision.

Les vêtements propres eurent une place dans la petite commode et ceux sales finirent dans un sac en attendant d'être lavés. Une part d'elle espérait découvrir le pendentif en croix entre deux chaussettes ou coincé entre les lattes du parquet. Au lieu de cela, elle reprit les fameuses lettres. L'intervention de Méchoui l'avait coupée dans son élan.

« Je crois que je vais pas bien Louis. Je culpabilise tu sais, Alexandre a eu vingt ans en janvier. Et même après autant d'années, je pense encore à elle. Elle me manque, vraiment. Je sais que toi aussi. Je raconte des sottises... »

Chaque fois qu'elle les relisait, ces lignes devenaient plus claires.

« Je me dis que ça n'a pas trop changé depuis que t'es parti. Les anciens jouent toujours au tarot, Paul continue de râler et on n'a pas retrouvé la vierge Marie. M'enfin, j'sais pas pourquoi je baragouine ça. »

Son géniteur ne paraissait pas être au courant des manigances de son frère, sinon la haine du restaurateur aurait été plus visible à l'égard du responsable de la mort d'Ambre. Elle déposa les précieux papiers sur la table de nuit et entreprit de défaire les draps. La house blanche valsa à l'autre bout de la pièce et Alina aperçut le carnet de Maé, celui qu'elle devait ramener.

— Je t'avais oublié toi, chuchota-t-elle en l'ouvrant.

Le dessin d'elle qui bravait la tempête lui arracha un ricanement. Avant de le fourrer dans sa poche, la texture ondulée de la couverture lui rappela le discours de sa conscrite sur le sens du toucher. À bien y observer, des traces de stylo noir — à peine visible à cause de leur couleur identique, formaient un dessin. À l'aide de ses doigts, elle retraça le symbole de Saint-Ambre.

Ses lèvres charnues s'étirèrent, Alina lui dirait tout.


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