Moi + π = 𝛴𝑟𝑟𝜀𝜇𝑟

   
    - Dans dix minutes tu montes, Pensà ! Envoie Lara de l'autre côté de ma loge.

   Pensà est mon nom d'artiste. Papa me nomme ainsi depuis ma plus tendre enfance. C'est le titre de sa chanson préférée, il l'écoute tellement que je la connais par cœur.

   Ce soir, c'est le grand soir ! Mon premier concert à New York et c'est énorme pour une artiste qui est originaire de Milan... Cependant, ce n'est pas la première fois que je mets les pieds dans la ville qui « ne dors jamais ». J'ai fait mes études ici, avant de comprendre que la musique était ce dont je désirais le plus. Alors, me voilà, ici, dans ma loge à New York.

Un public énorme attend que je monte sur scène pour dévoiler mon talent et je suis légèrement nerveuse, car je serais diffusé en direct sur toutes les télévisions de cet arrondissement qu'est Manhattan. J'attrape mon micro à strass - merci Lara pour ta personnalisation - et je vérifie dans le miroir mon maquillage et ma tenue. Apparemment, tout est ok et je remercie intérieurement ma manager qui embauche toujours les meilleurs stylistes et maquilleurs !

   J'inspire, j'expire, je fais un dernier échauffement vocal alors de quitter la pièce pour rejoindre ce que j'appelle « ma maison » : la scène !

    - Prête ? Questionne Lara en réajustant ma jupe.

    - Si je suis prête ? J'ai attendu ce moment toute ma vie !

    - Ok Pensà, New York t'attend ! S'exclame-t-elle.

Je prends une dernière et grande inspiration afin de calmer ma nervosité. Lara fait signe aux musiciens et aux backliners que je monte. Je franchis les escaliers et un technicien me souhaite bon courage d'un signe de la main.

   Mon cœur tambourine quand les projecteurs se pointent sur moi, le public - mon public - s'exclame et hurle mon nom, follement et avec hystérie. Les caméras sont aux bords de la scène, prêt à capturer chaque parole de mes chansons.

   Là, New York me regarde et Milan est fière de la star que je suis devenue !

Le batteur fait résonner ses baguettes en trois coups, le signal de départ... Soudain, piano, guitare et batterie se mettent en rythme avec mon cœur. Ça pulse puis sans réfléchir, ma voix trouve le chemin de mon micro, ensuite tout résonne dans le Madison Square Garden. Le public danse sous mes yeux, les lumières jaillissent et je suis déterminée à donner tout ce que j'ai dans le ventre !

Mon réveil sonne si fort que je m'effraie. Mes oreilles bourdonnent un instant et je me rends compte que ce n'est pas mon réveil, mais un appel de Lara. Mon concert s'est terminé tard et je n'ai presque rien dormi de la nuit tellement l'adrénaline pulsait encore dans mes veines. Je me frotte les yeux avant de décrocher :

    - Allô ?

    - Pensà, t'es où ?

D'un rapide coup d'œil, je regarde l'heure sur mon portable, il est midi passé et j'ai peur de ce que ma manager me veut.

    - Euh, à l'hôtel... dis-je d'une voix encore endormie.

    - Tu viens de te réveiller ? Raille-t-elle.

    - Ouais... Hier soir, c'était... dingue ! Avoué-je en repensant au concert.

    - Tu m'étonnes ! Rejoins-moi au restaurant japonais au bout de la rue, je t'invite, bella mia.

C'est mon estomac qui me fait réagir, il hurle famine alors que je me dirige automatiquement vers la salle de bain et apparemment, Lara ne fait pas les choses à moitié en termes de réserver une chambre d'hôtel...

   Après avoir pris une douche, de m'être habillée, coiffée et maquillée, j'ai attrapé mon sac à main, mes lunettes de soleil et je suis sortie au pas de course de l'hôtel. Évidemment, les regards se sont posés sur moi avec admiration et je ne pouvais m'empêcher de rougir en dévoilant un sourire timide... Rien à voir avec la chanteuse d'hier soir...

   Je pousse la porte de l'hôtel alors qu'il fallait la tirer, le portier glousse tout en se montrant galant. La honte se volatilise quand mon regard se pose sur la ville. Manhattan, c'est grand, vivant et extraordinaire ! Le soleil est au rendez-vous et je décide de m'asseoir sur un banc pour photographier ce paysage. Quand je souhaite prendre une photo, mon téléphone vibre dans ma main.

    - Oh Lara, dis-je pour moi-même, la patience et elle... 

Je décroche en ramenant le téléphone à mon oreille en me demandant pourquoi son numéro s'affiche et pas son nom :

    - J'arrive, désolée du retard !

    - Même célèbre, tu es en retard ?

J'arrête tout mouvement, même ma respiration se coupe, car quand j'ouvre ma bouche aucun mot ne sort. Une chose est sûre : Ce n'est pas Lara qui est au bout du fil.

    - Je t'ai vu à la télé, hier soir, reprends cette voix masculine.

    - Qu-Qui est-ce ? Bafouillé-je en regardant autour de moi.

Un bruit sec retentit, suivit de trois bips aigus, preuve qu'il venait de raccrocher.
    - Non, mais je rêve ? Soufflé-je.

Ce n'est pas possible ! J'ai déjà entendu cette voix, mais ça ne peut pas être lui, impossible ! Pourquoi m'appellerait-il ?

   Je mets cinq bonnes minutes à me convaincre que c'était un fan voulant me faire une blague. Je reçois dans la foulée un message de Lara :

*Au fond, à droite, c'est notre table !*

   Je réponds que je suis là dans une minute en me levant du banc.

   Cette fois, quand je pousse la porte, il fallait bel et bien la pousser. J'ignore les regards qui se posent sur moi et je rejoins Lara qui remue ses bras avec excitation. Comment ne pas la reconnaître, avec sa queue de cheval façon Ariana Grande ?

    - Je t'ai déjà préparé une assiette ! Annonce-t-elle.

    - Merci, je meurs de faim !

Nous déjeunons -  du moins -, c'est plutôt Lara qui déjeune. Moi, j'enfourne les sushis et les brochettes de poulet une à une dans ma bouche. Non pas seulement parce que j'ai faim, mais car je me retiens de ne pas parler de mon étrange discussion téléphonique de tout à l'heure.

    - Allez, raconte ! Lance Lara, comme si elle entendait mes pensées.

    - Che quoi chu parle ? Demandés-je la bouche pleine.

    - Hé, on me l'a fait pas, à moi, avoue-t-elle en levant son index.

Je vide ma bouche et bois une gorgée d'eau pour faire descendre le riz.

    - N'oublie pas, qu'avant d'être ton incroyable manager, je suis ta meilleure amie ! Je te connais, Pensà...

   Elle n'a pas tort. Elle est moi sommes devenue amie au lycée, à New York, ici même. Après avoir obtenu notre diplôme de dernière année, elle m'a suivie à Milan dans le but de me créer une carrière. Il n'y a pas n'importe quelle personne qui abandonne Manhattan pour emménager à Milan... 

    - J'attends, fit-elle en regardant sa manucure.

    - Ok t'a gagné, annoncé-je, perdante.

Elle se redresse en joignant ses mains sur la table, prête à m'écouter.

    - On m'a appelé, commencè-je, avant de te rejoindre. Au début je pensais que c'était toi qui - comme d'habitude - perdait patience... 

    - Va droit au but, coupe-t-elle.

    - T'a vu, t'es impatiente !

On rit en cœur, puis, je me reprends :

    - C'étais un homme à l'appareil, il m'a dit « même célèbre, tu es en retard ? », parce qu'en décrochant je m'excusais de mon retard...

    - En pensant que c'était moi, oui j'ai saisie, me coupe-t-elle encore, et du coup ?

Je hausse les épaules :

    - Quand j'ai demandé qui s'était, il a raccroché.

    - Ah. Il n'a rien dit d'autre ? Questionne Lara.

    - Il m'a seulement avoué qu'il m'avait vu à la télé, hier soir.

    - Mais tout New York t'a vu... souffle-t-elle.

Je me laisse tomber sur le dossier de ma chaise en soufflant.

    - C'était monsieur Donovan...

Lara me lance un regard interrogateur.

    - Attend... le monsieur Donovan ? 

    - Ouais, je n'en suis pas certaine mais...

    - Mais t'a reconnu sa voix ? Termine-t-elle.

Je hoche la tête et Lara tape dans ses mains avec excitation.

    - C'est lui, c'est certain. Depuis le lycée, tu n'as jamais changé de numéro et tu te pointais toujours en retard à ses cours, ce qui explique sa remarque au téléphone !

   Je blêmis face à son intelligence, ou à sa forte imagination...

    - Pourquoi il m'appelle, alors ? Demandé-je comme si mon amie avait réponse à tout.

    - Aucune idée...

    - Laisse tomber, je...

    - Mais on va bientôt le savoir, s'exclame-t-elle en attirant quelques regards, puisque tu vas te rendre bien gentiment là où il t'a laissé il y a cinq ans ! 

Mon cœur loupe un battement et je n'arrive pas à stopper mes souvenirs qui défilent seconde par seconde.

Cinq ans plus tôt

    - N'oubliez pas le contrôle de lundi sur les probabilités, annonce monsieur Donovan en même temps que la sonnerie.

    - Quelle est la probabilité qu'Aria se mariera avec James Donovan ? Minaude faussement Lara en refermant sa trousse.

    - Tais-toi, il va t'entendre, râlé-je en la poussant à l'épaule.

    - Impossible, nous sommes au fond de l'amphi, avoue-t-elle entre deux rires.

Je lève les yeux aux ciels avant de ranger mes affaires à mon tour. Les élèves quittent la salle de classe comme s'il y avait le feu...

    - Bon, j'y vais ! Bon week-end, madame Donovan, se moque Lara en quittant l'amphi.

   Je m'assure qu'il n'a pas entendu, d'un coup d'œil, et m'empresse de quitter la salle à mon tour, car - comme d'habitude : je suis la dernière élève.

   Quand je m'apprête à quitter la salle de classe une bonne fois pour toutes avant de partir en week-end, monsieur Donovan m'interpellent.

    - Aria, tu peux venir un instant ?

    - Euh, o-oui, bien sûr, bafouillés-je en me dirigeant vers son bureau.

Ce professeur m'intimide. Pourquoi ? Parce qu'il est beau comme un dieu, qu'il n'a seulement trois ans de plus que moi et que, quand il passe sa main dans ses cheveux, j'ai soudain envie de faire la même chose !

    - Tu as eu trois à ton dernier devoir, informe-t-il, serein.

Je blêmis et rougis en même temps.

    - Et quatre au précédent, dont un deux à ton devoir maison, dit-il en plongeant son regard noisette dans les miens.

Je triture mes mains en affichant une mine désolé.

    - Une explication peut-être ?

Je ne réponds pas, je n'ai pas envie de bégayer devant lui.

    - Aria ? Je te parle.

    - Parce que... les maths, c'est dur ? Avoués-je en présentant un sourire crispé.

Il souffle en lâchant mon devoir sur son bureau.

    - Qu'y a-t-il, à la fin de l'année ? Demande-t-il.

    - La remise de diplôme...

    - Et ce diplôme, il fait partit de tes objectifs ?

J'aurais aimé lui répondre que non, que mon objectif principal est de faire carrière dans la musique, malheureusement, je ne dois pas rêver trop grand. Alors oui, ce diplôme est ma roue de secours !

    - Oui, évidemment... soufflés-je en baissant la tête. 

    - Bien, donc tu vas me faire plaisir de te pointer ici tous les jours, de dix-sept heures à dix-neuf heures !

Je relève la tête pour m'assurer que j'ai bien entendu ce qu'il venait de dire. Ses yeux noisette s'ancrent au plus profond de mon âme, mais j'arrive à articuler :

    - Cours particulier ?

Il affirme d'un hochement de tête et j'ai l'impression que mon cœur va finir par exploser, tellement il frappe dans ma poitrine.

    - P-Pourquoi ? Je veux dire, vous n'êtes pas payé et...

    - Si, je suis payé, me coupe-t-il. J'ai un salaire à chaque fin de mois et je ne supporte pas gagner de l'argent alors qu'une de mes élèves foire sa scolarité !

    - Oh, parviens-je à dire, sans voix.

Si je n'étais pas aussi idiote, j'aurais cru que monsieur Donovan venait de me faire une déclaration... Cependant, il accomplit son devoir de professeur, seulement et uniquement pour avoir la conscience tranquille.

    - Est-ce que c'est clair ? Articule-t-il en me faisant frissonner.

Mon Dieu, Aria, ressaisis-toi !

    - Oui, comme de l'eau de roche ! Dis-je bêtement.

Monsieur Donovan souris pendant que mes joues s'empourpre. Ses fossettes apparaissent et je me rends compte à quel point j'adore son sourire.

    - File et repose-toi ce week-end, parce que lundi tu vas regretter de m'avoir comme prof !

Ah, ça, jamais ! Pensais-je intérieurement avant de me sauver de cette salle de classe qui occupe la plupart de mes pensées.

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Cinq semaines. Cinq semaines que monsieur Donovan me donne des cours particuliers pendant deux heures tous les soirs. Cinq semaines que ce béguin prend de l'ampleur, de la place dans mon esprit et dans mon cœur. Quand il est là, assis à côté de moi, je frissonne.

J'ai beau être concentré sur son cours, il n'y a que sa voix que je retiens. C'est quoi, le théorème de Thalès, déjà ? Aucune idée, sa voix me déconnecte, il me déconcentre sans s'en apercevoir.

    - Aria, je peux savoir à quoi tu penses ? Questionne-t-il.

Il est dix-huit heures passées, le lycée est vide et savoir que je suis seule, ici, avec lui, me déconcentre au plus au point. Nous entamons la sixième semaine de révision et je n'arrive toujours pas à me concentrer sur les chiffres que m'explique monsieur Donovan. 

    - R-Rien.

    - Calcule la quatrième proportionnelle qui nous est inconnue, ici, ordonne-t-il en indiquant un coin vierge de mon cahier.

   Tremblante, le souffle court, les joues roses, j'attrape mon crayon et commence ce qu'il m'a demandé de faire. Je fais un produit en croix, comme il me l'a expliqué une bonne dizaine de fois.

    - Bien, maintenant tu multiplies « d » et tu divises « b ».

Je lâche mon crayon pour attraper la calculatrice, mais la main de monsieur Donovan se pose sur la mienne pour me stopper et un frisson glisse le long de mon échine. Douce et chaude, j'ai l'impression - pendant une micro seconde - qu'il exerce une arabesque sur la mienne. Il retire sa main et ancre son regard dans le mien tandis que j'abandonne la calculette.

    - Je t'ai appris à poser une multiplication, mademoiselle ! Reprend-il.

Son souffle frais frôle mon visage, mes lèvres le réclame, mais mon professeur tourne la tête pour se concentrer sur notre problème.
Mon problème, c'est lui, pas ce que je dois résoudre depuis une heure sur mon cahier.

   Je souffle et commence mon calcul, une fois après avoir trouvé le résultat de ma multiplication, j'attaque automatiquement ma division.

    - Tu vois, que tu comprends, annonce fièrement mon professeur.

    - Parfois, ouais, ça arrive, raillés-je les yeux rivés sur mes chiffres.

   Toute seule et dans un silence pesant, j'ai su résoudre le problème. Je ne dois pas oublier que si je suis ici, chaque soir, c'est uniquement, car je suis en échec dans la matière des mathématiques. Heureusement que mon prof est beau à en tomber, sinon j'aurais refusé sa proposition. Même si c'était plus un ordre qu'une proposition... A-t-il le droit, d'ailleurs, de donner des cours à son élève, seul, dans une salle de classe ?

Je me pose souvent cette question, mais je n'ose jamais en parler avec monsieur Donovan. Je n'ai pas envie qu'il croit que j'ai peur de lui, ou que je suis mal à l'aise en sa présence. Au contraire, tout est pour me plaire...

Mon Dieu, je suis folle !

    - Aller, rentre chez toi Aria, dit monsieur Donovan après avoir vérifié mes calculs.

    - Mais, il n'est pas encore dix-neuf heures ?

    - T'a bien travaillé ce soir, je te libère plus tôt, avoue-t-il en se levant.

Je fais ce qu'il fait comme si nous étions aimantés, je me lève en refermant mon sac.

    - Ah, d'accord, soufflés-je.

De toute façon, je devrais attendre dix-neuf heures que ma mère de famille d'accueil viennent me récupérer.

    - Hé bien ! Cache ta joie, raille mon professeur en découvrant ma mine dégoutée.

    - Non, ce n'est pas ça, rassurés-je. C'est juste que je dois patienter dix-neuf heures qu'on vienne me récupérer.

    - Qui doit venir te chercher ? Demande-t-il.

    - La mère de ma famille d'accueil.

    - Et, elle ne peut pas venir plus tôt ?

Je hoche la tête négativement.

    - Elle travaille, avoués-je.

    - Alors, prend un bus ? Propose-t-il.

Je lui présente une grimace avant de répondre, gênée.

    - Je n'ai pas de monnaie sur moi et de toute façon je n'aime pas les transports en commun...

Il souffle et semble réfléchir un instant.

    - Bon, dans ce cas, on révise encore une demi-heure !

    - Ah, ça non ! M'exclamais-je.

    - Pourquoi ça ?

    - Vous m'avez libéré plus tôt, vous ne pouvez plus faire marche arrière, c'est injuste !

Il pouffe de rire, ce son résonne en moi et fait vibrer mon cœur.

    - J'attendrais dehors, ça ne me dérange pas, dis-je en rougissant. 

J'attrape mon sac et m'apprête à sortir de la classe quand une main m'attrape le bras.

    - Hé, on est à Manhattan, je te rappelle ! Il est tard et tu ne vas certainement pas errer dehors toute seule, s'énerve-t-il.

   Son visage est à cinq centimètres du mien, à tout casser. Son souffle ainsi que le mien se mélange et mon cœur palpite si fort que je l'entends dans mes oreilles. Sa main se resserre autour de mon avant-bras comme si j'allais m'envoler tel un oiseau.

    - Et alors, articulés-je, vous avez une solution à ce problème ?

Son sourire s'étire, il retire sa main et recule d'un pas en laissant ma respiration reprendre un rythme normal.

    - Tu devrais savoir qu'un prof de maths à toujours des solutions aux problèmes...

Je replace une mèche derrière mon oreille en lui lançant un regard interrogateur. Il ne me répond pas, se dirige vers son bureau, enfile sa veste et attrape ses clés et son sac. 

    - Je vais te ramener, annonce-t-il platement en se dirigeant vers la sortie.

   Tout s'embrouille, mes mains font n'importe quoi et je me surprends à essayer de prendre mes affaires convenablement. Je ne pensais pas qu'il allait dire cela et apparemment je n'étais pas prête à l'entendre. Je marche à pas de course pour le rejoindre, il marche tellement vite et c'est limite si je trottinais à ses côtés. Il lance un regard dans ma direction pour s'assurer que je suis bel et bien en train de le suivre.

    - Mon Dieu, m'essoufflè-je, pourquoi vous marchez si vite ? 

Un rire rauque s'échappe de ses lèvres et il ralentit la cadence.

    - C'était pour te faire courir, rit-il.
À mon tour, je ris en marchant normalement à ses côtés dans les couloirs sombres du lycée.

    - N'importe quoi, vous n'avez que ça à faire ? Soufflés-je.

    - Te faire courir pour te fatiguer ? Évidemment, après tout, tu puises très bien dans mon énergie deux heures par jour !

    - Oh, ris-je, dans ce cas...

Il me lance un regard pour m'inciter à continuer, mais je me contente de lui sourire et de courir comme une gamine jusqu'au parking des profs. Il veut jouer ? Ok...

    - Le dernier paye un café à l'autre ! M'exclamais-je.

Aussitôt, monsieur Donovan se met à courir aussi. Un rire s'échappe et je m'essouffle plus vite que prévu. Mes poumons me brûlent, mais je ne m'arrête pas pour autant. À la fin du couloir, je tourne à gauche et m'aperçois que mon professeur est à deux mètres de moi. Il court beaucoup trop vite !

   Je pousse la porte et j'arrive sur le parking arrière, j'arrête de courir net en réalisant que je suis tombée dans mon propre piège : je ne sais pas quelle est sa voiture ! Monsieur Donovan se dirige vers la voiture qui est face à moi et annonce tout sourire :

    - Sérieux, tu hésitais avec la voiture du concierge ? Rit-il avec une respiration désordonnée.
Je pouffe de rire à mon tour, quelle idiote ! Puis, je me dirige vers sa voiture.

    - Ça va, tu n'es pas mauvaise perdante, annonce monsieur Donovan, rassuré.

   Je confirme et nous nous engouffrons dans la voiture. Il met le contacte tandis que j'attache ma ceinture avec une sensation étrange. Aussitôt, monsieur Donovan démarre et nous roulons dans la ville qui ne dort jamais.

    - Met ton adresse sur le GPS, dit-il en indiquant l'écran de sa voiture.

   Je me penche légèrement et met en route le GPS. Involontairement je jette un œil dans sa direction et me permets de le contempler un instant. Ses yeux noisette sont rivés sur la route, ses mains glisse sur le volant comme de la soie et ses traits sont détendus et son nez aquilin fait tout son charme.

   Pour briser le silence, j'allume la radio et « cool for the summer » de Demi Lovato pénètre dans l'habitacle. Passionnée de musique, je ne peux pas m'empêcher de fredonner les paroles en faisant danser mes épaules de haut en bas.

    - We cool for the summer ! Lâchés-je en rythme.

   Monsieur Donovan se moque et je rougis soudain. J'avais complètement oublié sa présence. Pourtant, il augmente le volume et sa paume claque en rythme sur le volant, je reprends là où je me suis arrêté :

    - Tell me if I won. If I did what's my prize ? I just wanna play with you, too. Even if they judge, Fuck it !

    - Hé ! Reprend-il ironiquement.

Je glousse et il baisse à nouveau le volume de la musique,

    - Tu chantes vachement bien !
Le rouge me monte aux joues.

    - Il faut bien que je sois douée quelque part...

    - On a tous nos points faibles, ne t'inquiète pas. 

Je m'apprête à remonter le volume pour faire disparaître ce moment gênant, mais il me donne une petite tape sur la main.

    - Arrête tu me déconcentre !

    - Pour une fois que c'est moi qui vous déconcentre, lâchés-je à mon insu.

    - Pardon ?

Il coupe la radio et me lance un regard sérieux en se garant. Moi, j'ai envie de disparaître six pieds sous-terre. 

    - Vous êtes arrivé à destination, résonne la voix robotique du GPS.

    - Aria, qu'est-ce que tu viens de dire ?

   Je ne dis rien. Je pince mes lèvres et regarde droit devant moi pour ne pas avoir affaire à sa mine surprise. Il a très bien compris mon lapsus révélateur et je n'ose pas dévoilé mes sentiments. Pas maintenant, pas ce soir, pas cette année si les suivantes à venir. C'est impossible, une élève et son professeur ? Jamais.

    - Aria, reprend-il en actionnant le frein à main, qu'as-tu dit ?

    - Vous avez très bien compris, monsieur, risqués-je en le regardant.

Lui non plus n'ose pas me regarder, il regarde droit devant lui en contractant sa mâchoire.

    - Monsieur... Dites quelque chose, suppliés-je, la boule au ventre.

    - Il va falloir que tu quittes ma voiture, annonce-t-il sèchement.

La boule, autrefois dans mon ventre, monte dans ma gorge en menaçant mes larmes de ruisseler. En vain, je n'y arrive pas. Pourquoi est-ce si brutal ? Si douloureux ? Je suis passée du rire aux larmes sans avoir eu le temps de gérer la situation.

    - S'il vous plaît, je...

... suis désolée d'avoir le béguin pour vous.

Les mots ne sortent pas, les mains de monsieur Donovan se crispent sur le volant, il ne semble pas partager mon point de vue.

    - Descend de la voiture, Aria, répète-t-il.

   Il l'a dit en murmurant, mais dans mon esprit, il l'a hurlé. Mon cœur bat si fort, mais plus pour la même raison. Je croise son regard noisette tandis que lui découvre mes larmes suspendues au bout de mes cils, ruisselant ensuite sur mes joues. Je déglutis, attrape mon sac, ouvre la portière et quitte l'habitacle dont l'air est devenu glacial...

    - Au revoir, Aria, murmure-t-il en croisant mes iris une dernière fois.

En colère contre moi-même, je n'arrive pas à le remercier de m'avoir déposé, je n'arrive pas à m'excuser, alors je claque la portière et part en courant vers ma maison, laissant mon cœur s'imprégner de ce chagrin.

   Je monte dans ma chambre, me jette sur mon lit pour étouffer mes cris dans l'oreiller.

Aujourd'hui, mon cœur ne vibre plus. Mon sourire ne s'anime plus sur mon visage et j'ai l'impression d'avoir un creux là où il y avait, autrefois, de l'espérance.

Debout, devant la salle de classe de monsieur Donovan, il y a un mot sur la porte close. Il restait deux mois avant la remise des diplômes, mais il a fait une demande afin d'être transféré dans un autre lycée. Jamais je n'aurais l'occasion de le remercier et de m'excuser, car - quand il reviendra en septembre -, je ne serais plus là. Le lycée avait pourtant bien commencée... et voilà qu'il se termine dans de mauvaises conditions, uniquement à cause d'une parole perdue...

Les rencontres sont facultatives, les adieux déchirants, alors, qu'en sera des retrouvailles ?

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