Chapitre 8 - Du sang et de la terre

Oscar

Oscar ignorait ce que les faës lui voulaient, et pourquoi ils l'avaient capturé. Quand les troupes faériques étaient entrées dans le village, les paysans et ouvriers s'étaient armés de pioches, de faucilles, de râteaux et de pelles. Quelques-uns possédaient des armes, mais on leur avait toujours dit d'éviter d'en user face aux faës. Ils ne devaient pas paraître menaçants, juste se protéger au cas où. Oscar pensait que les faës ne s'attarderaient pas, mais c'était sans compter sur le grand blond. Le chef. Il cherchait visiblement quelque chose. Quelqu'un.

— C'est toi ! Il est venu pour toi ! avait chuchoté sa mère.

L'entrainant avec elle jusqu'à la grange, elle lui avait dit de rester cacher, ce qu'Oscar avait fait. Au début du moins.

Depuis l'enfance, elle lui répétait que les faës viendraient peut-être un jour. Qu'il devrait alors se cacher et ne pas révéler qui il était. Mais Oscar ignorait qui il était réellement. Il savait seulement que son père était un Seigneur, qu'il ne l'avait pas reconnu à la naissance et qu'il ne devait en parler à personne. Il vivait avec cette moitié de secret depuis toujours. Vivre ici, avec sa mère, dans ce village reculé, proche des montagnes enneigées, était le prix à payer pour sa naissance illégitime. Dix-huit ans étaient passés, il avait grandi là, comme un paysan, un non privilégié. Cela lui convenait, il avait toujours aimé s'occuper des animaux et de la terre. Savoir qu'il était le fils d'un noble ne lui importait guère.

— Reste ici, ne te montre pas, avait chuchoté sa mère.

Quand les faës avaient commencé à attaquer, massacrant les villageois les uns après les autres, il s'était terré dans son trou. Il se répétait que c'était ce que sa mère voulait, qu'il devait rester ici. Mais il entendait les coups. Il entendait les cris de celles et ceux auprès de qui il avait grandi. Des hommes et des femmes qu'il connaissait. Il était resté caché. Un temps, juste un temps. Puis, il avait décidé de sortir et d'aller se battre lui aussi.

Quand il avait jailli de la ferme où il se cachait, il était tombé nez à nez avec un faë. Celui-ci tenait sa mère par les cheveux, prêt à l'égorger, son couteau sur sa gorge. Oscar avait récupéré une pelle avant de frapper fort. Le faë était tombé. Un autre était arrivé. La seule chose dont il se souvenait ensuite, avant de perdre connaissance, c'étaient des cris de sa mère.

— Fuis ! hurlait-elle. Oscar ! Va-t-en.

Une mère dont il ignorait si elle avait survécu.

Quand il avait rouvert les yeux, il était attaché sur un cheval. On l'emmenait il ne savait où, sûrement en territoire faë. Les montagnes se dessinaient au-dessus de lui, sa tête lui faisait mal, ses poignets liés aussi. Les jours s'étaient écoulés, interminables, comme dans un brouillard. Le soir, ils s'arrêtaient, on l'attachait à des arbres pour ne pas qu'il s'enfuie. Le jour, ils allaient à cheval, lui contre un faë aux mèches bleues qui pointait son arme sur ses côtes pour l'empêcher de bouger. Un matin, on l'avait conduit devant le grand faë blond, le chef aux cheveux tressés. Il s'était alors mis à l'interroger.

— Nous savons qui tu es, bâtard ! crachait le faë. Ton père va devoir se plier à nos exigences, maintenant que nous te possédons.

Il lui avait saisi les cheveux, les tirant au passage, avant de faire pleuvoir les coups, son couteau jouant sur sa peau. En se débattant, ses lunettes étaient tombées sur le sol, écrasées par la botte du faë aux mèches bleues. Depuis Oscar évoluait dans un environnement flou.

— Tu seras notre esclave, à présent, avait dit le faë en le frappant.

Depuis l'enfance, on lui avait dit et répété de se méfier des faës. Ils étaient fourbes, menteurs, manipulateurs. Beaux aussi, charismatiques, mais cruels. Pénétrer en territoire faë, c'était prendre le risque de finir esclave. Aussi, Oscar ne s'était jamais trop éloigné du village et n'avait jamais mis les pieds dans la Passe d'Elbrous, pour éviter d'être capturé. Il n'aurait jamais cru que son village serait attaqué, qu'il serait enlevé et qu'il se retrouverait ensuite jeté dans une cellule, au fond d'un château, à la merci d'un faë cruel qui prenait visiblement plaisir à le tourmenter, et le torturer.

Il ne se souvenait plus du moment où on l'avait jeté en prison et de son arrivée ici, mais il se rappelait la douleur. Une souffrance intense, qui le gardait éveillé jour et nuit. Le pire avait été quand le faë lui avait coupé le doigt. Oscar aurait sans doute perdu l'esprit, si l'autre faë - le plus jeune, aux regards dorés, celui que le chef cruel avait forcé à s'agenouiller, pour le regarder se faire torturer - n'était pas entré dans la cellule pour le soigner.

Il avait ressenti un tel apaisement, un tel soulagement après ces jours de torture.

Le temps s'était écoulé depuis. Interminable.

Le gentil était revenu une fois. Puis une autre.

Isidore.

Oscar se murmurait son prénom chaque soir, avant de s'endormir. C'était le seul à lui avoir témoigné de la gentillesse depuis qu'il était ici. La veille, il lui avait même apporté de nouvelles lunettes. Maintenant, il y voyait encore mieux qu'avant, même dans la pénombre. Les verres étaient d'une magnifique qualité, réalisés avec le savoir-faire faë que les humains enviaient. C'était dommage que leurs deux peuples n'aient jamais réussi à s'entendre, pour établir des partenariats commerciaux. Leurs terres regorgeaient de denrées et de merveilles qu'ils auraient pu échanger, s'ils avaient été prompt à établir des accords, au lieu de faire des guerres.

Oscar était en train de gratter le bois à l'aide d'un petit silex, également fourni par Isidore, quand un bruit retentit. Instinctivement, il resserra ses doigts sur sa sculpture, alors qu'une silhouette apparaissait devant les barreaux, suivie d'une autre. Les flammes de la torche sur le mur projetèrent leurs ombres sur le sol. Oscar garda les yeux baissés, le corps tremblant. Il n'avait pas besoin de relever la tête pour comprendre de qui ils s'agissaient, ils les auraient reconnus rien qu'au son de leurs pas.

Valère. Silas. Isidore avait prononcé leurs prénoms, une fois.

— Mon petit frère est passé te voir ? lança le dénommé Valère. Il t'a apporté des cadeaux ?

Oscar ne répondit pas. Qu'aurait-il pu dire ? Il avait du mal à associer Isidore à ce faë, à se dire qu'il était son frère. Ils étaient si différents, le plus jeune était si gentil. Oscar garda les yeux rivés sur le sol, tétanisé. Qu'allait lui faire Valère ? Ou Silas ? Étaient-ils venus pour le torturer ?

— Ton père a répondu à notre missive, reprit Valère. Il ne souhaite pas échanger ses terres contre ta libération.

Le jeune fermier sentit son cœur se serrer. Il ignorait tout de son père. Ce dernier l'avait abandonné. Pourquoi aurait-il voulu le récupérer ? Malgré tout, cette nouvelle lui fit mal. Il aurait aimé que l'homme ait un minimum pitié de lui. Le faë lui avait envoyé son doigt dans un courrier. Oscar avait saigné, était torturé, pour il ne savait quelle obscure raison. Cela ne comptait-il donc pas aux yeux de celui qui l'avait conçu ? Sa mère en parlait pourtant avec beaucoup de douceur dans la voix. Elle semblait être attachée à lui. Elle disait souvent que c'était un homme bien et qu'il n'avait pas eu le choix. Qu'ils étaient dans ce village pour le protéger, lui.

Leur fils.

— En fait, ce n'est pas vraiment cela qu'il a dit, reprit le faë après quelques secondes. Il est prêt à entamer une discussion, mais il a besoin de preuves supplémentaires. Il n'est pas vraiment convaincu que nous t'ayons capturé. Il rechigne même à reconnaître qu'il a eu un bâtard avec une roturière.

A côté de Valère, Silas éclata de rire.

— Pourtant, tout le monde sait que les faës sont incapables de mensonges, ricana-t-il.

— Bien sûr. Et que nous sommes toujours honnêtes et droits. Après tout, nous dominons la nature. N'est-ce pas, l'esclave ?

Oscar sentit ses mains trembler. Il resserra ses doigts autour de sa sculpture. Il comptait l'offrir à Isidore, quand il reviendrait. Il pensait à cela pour s'empêcher d'écouter la conversation de ses deux bourreaux.

— Heureusement, notre magie peut lui offrir les preuves qu'il demande, poursuivit Valère. Il a commandé un portrait.

Le temps se suspendit. Oscar attendit. Silas et Valère échangèrent un regard.

— Tu t'entends bien avec mon petit frère, non ? reprit le faë.

Le jeune homme releva les yeux. Que devait-il répondre ? Il ne savait pas s'il s'entendait avec Isidore. Il appréciait sa présence, le jeune prince ne le battait pas, il le distrayait et il était gentil. Oscar hocha doucement la tête, craintif. Que se passait-il dans l'esprit de Valère ? Quel plan machiavélique était-il en train de manigancer ?

— Mon frère est un excellent peintre ! Enfin, c'est ce qu'on dit. J'avoue ne pas être sensible à son art. Ce ne sont que des traits et des couleurs indignes d'intérêts ! Mais, il manie la magie du Printemps et le crayon d'une main de maître. Il pourra sûrement te tirer le portrait, afin que nous l'envoyions à ton cher père, qu'en dis-tu ?

Les yeux du faë se perdirent sur lui. Oscar déglutit avec difficulté.

— Euh... oui, balbutia-t-il.

— C'est parfait dans ce cas. Des gardes viendront te récupérer bientôt pour t'emmener auprès d'Isidore. Je doute qu'il y ait assez de lumière ici.

Oscar ouvrit de grands yeux. Il allait sortir de la cellule ? Vraiment ? Revoir le soleil ? Il avait l'impression qu'une éternité s'était écoulée depuis qu'il avait vu la lumière pour la dernière fois. Un sourire étira ses lèvres, aussitôt effacé par le regard mauvais du faë. Aussi rapidement qu'il était venu, celui-ci s'enfuit, suivi par son chien fidèle. Oscar glissa sur ses genoux, jusqu'aux barreaux qu'il agrippa de ses doigts. Les deux faës chuchotaient entre eux, tout en s'éloignant dans les couloirs.

— Cet humain est stupide, confiait Valère.

— Pourquoi ne pas vous amuser encore un peu avec lui ?

— Parce que ce qui l'attend sera bien pire que toutes les tortures que je pourrai lui faire subir.

Les doigts d'Oscar resserrèrent les barreaux. Son cœur battait fort dans sa poitrine, il ne savait pas quoi penser. Il leva les yeux au plafond, adressant une prière silencieuse à son Dieu. Les faës s'étaient arrêtés. Penchés l'un vers l'autre, ils échangeaient des paroles sans tenir compte de lui, comme s'il ne les entendait pas. Ils ne prenaient même pas la peine de chuchoter.

— ... pourquoi Isidore ? demandait le second faë.

— Parce qu'il aime les êtres humains, même si cela me dégoûte. Cette race d'esclave soulève son intérêt.

Oscar frissonna. Ce faë n'aurait aucun scrupule à l'assassiner dans son sommeil, s'il le pouvait.

— Votre frère est faible..., poursuivit l'autre faë.

— ... ce qui le rend manipulable, répondit Valère. De plus, il semble s'être attaché à cet esclave. Exactement ce qu'Arzel avait prévu. Il se laissera faire sans rien dire maintenant.

— Fanélia se méfie de vous, elle soupçonne un piège et protégera votre frère.

— Fanélia m'obéira, comme toutes les abeilles de la Ruche. J'ai toujours cru que le don d'Isidore était faible, je m'étais trompé. Il n'est pas bon qu'à planter des fleurs et dessiner, je comprends mieux pourquoi mon père le gardait ici, à l'abri des convoitises. Peut-être parviendrons-nous à faire quelque chose de lui, finalement.

— Que voulez-vous dire ?

— Adonis s'est présenté au palais il y a quelques semaines. Ce qu'il nous a appris sur Isidore dépasse toutes nos espérances...

Le reste de la conversation se perdit dans le noir. Les faës disparurent dans l'obscurité.

Oscar resta seul à se répéter les derniers mots entendus. Que voulaient dire Valère et son garde ? Quel pouvoir possédait le prince Isidore ? Était-ce lié à sa faculté de guérir, comme il l'avait fait de ses blessures et de son doigt ? Ou était-ce quelque chose de plus secret encore ?

De dangereux.

L'instant d'avant, Oscar aurait tout donné pour rejoindre le soleil et quitter cette cellule, il se demandait maintenant si c'était une bonne idée. N'était-il pas plus en sécurité ici, loin du prince faë qui lui apportait des biscuits et du bois à sculpter ?

« Il faut se méfier des faës. Ce sont des menteurs, des manipulateurs », répétait sa mère.

Isidore était gentil. En apparence.

Un monstre se cachait-il sous ses traits ?

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