Chapitre 21 - La cour de l'hiver


Fanélia

Fanélia prit une grande bouffée. L'air s'engouffra dans ses poumons, alors qu'elle émergeait à la surface. L'eau était glacée, elle ne sentait plus les membres de son corps, tant ils étaient gelés. Du regard, elle chercha Isidore. Son ami se trouvait déjà sur la rive, avec Oscar et Inès. La neige les entourait, au pied d'une immense montagne. Le début du printemps n'était pas parvenu à faire fondre les glaces de l'hiver éternel, dans lequel cette Cour était figée. La faë nagea pour les rejoindre, poussant sur ses muscles endoloris et engourdis par le froid.

Quand elle arriva, Inès essorait ses vêtements. Oscar et Isidore, allongés dans la neige, reprenaient leur souffle, tremblant de froid. Fanélia s'empressa de retrouver son ami pour s'assurer qu'il allait bien. Le souvenir de son état de panique flottait encore entre eux. Quand ils étaient arrivés au puits, elle n'avait pas pensé à lui, trop occupée à réfléchir au moyen de fuir.

— Isis ! Est-ce que ça va ? demanda-t-elle.

— Ou.. Oui, répondit-il en grelottant.

Il secoua sa tête, faisant tomber des gouttelettes sur le sol. Fanélia frissonna. L'air était glacé, quelques flocons tombaient du ciel. Autour, le paysage paraissait figé dans le temps, dans un écrin blanc. Isidore fixait ses yeux sur l'immense étendue cristalline, au ton rosé, d'où ils étaient sortis. Le puits les avait conduit à l'orée d'un bois, à flanc de montagne. Une cascade coulait, le son de l'eau heurtant le sol se répercutait autour d'eux. Le prince étouffa un frisson, avant de serrer ses bras autour de lui.

— J'ai nagé, Fanélia. J'ai nagé, lui dit-il.

— Je suis fière de toi.

Elle posa une main sur son épaule et lui sourit. Elle savait l'épreuve que cela avait dû être pour lui, il avait si peur de l'eau et de ce à quoi elle le renvoyait. Quand il était parti en courant, elle avait mis une demi-seconde à comprendre son attitude. Il ne lui avait jamais parlé du puits, mais de nombreux faës aimaient raconter l'histoire d'un faë que l'on jetait au fond d'un trou obscur, rempli d'eau. Léontine lui avait expliqué comment ses frères se comportaient avec Isidore, quand il était jeune. Elle n'avait pas besoin de plus d'explications pour imaginer le traumatisme que son ami avait subi. Sa peur de l'eau se justifiait aisément, autant que ses craintes face à Valère et Arzel. Heureusement qu'Inès était intervenue pour les secourir et que Fox s'était sacrifié pour eux.

Un élan de gratitude la saisit au souvenir du faë. Il avait planté une lame dans son cœur, scellant leur protection par le sang. Donner sa vie pour sauver celui ou celle que l'on protégeait était le plus grand sacrifice d'un garde du corps. Un rituel magique, vieux de plusieurs milliers de siècles. En jurant de servir la Cour du Printemps et de protéger Isidore, Fanélia aussi avait prêté ce serment. Si un jour, elle choisissait de donner sa vie pour Isidore, celui lui conférerait une protection, du moins un temps. C'était exactement cela que Fox avait fait pour Inès. Son suicide était une preuve de dévouement ultime. Valère et les Abeilles ne pourraient pas les suivre par le puits, grâce à cela.

— Pourquoi tu ne m'as rien dit pour Orfeo ? demanda Isidore, la ramenant à l'instant présent.

— Plus tard !

Elle ne voulait pas parler d'Orfeo maintenant, il serait bien vite temps de revenir sur le sujet. Pour l'heure, elle vérifia qu'Isidore n'était pas blessé. Heureusement, il semblait aller bien, si on exceptait ses lèvres violettes et son inquiétude pour Oscar, qu'il ne cessait de regarder d'un air particulier. Fanélia se tourna vers l'être humain. Il grelottait, assis, les bras autour de ses genoux, ses lunettes de travers. De la glace cristallisait ses verres. Il allait vraiment falloir qu'elle soit un peu plus gentille. Même si ce n'était pas dans sa nature d'apprécier un être humain, celui-ci avait tué son cousin. Elle lui devait bien cela.

— Et toi, comment vas-tu ? interrogea-t-elle.

— Je ... J'ai froid.

— Je vais te réchauffer.

Isidore se pencha vers Oscar. Ses bras l'enserrèrent, il se rapprocha de lui pour l'étreindre. Fanélia se figea, étonnée de le voir opérer un tel rapprochement, dans un geste qu'il n'avait jamais eu avec personne d'autre qu'elle. Elle arqua un sourcil.

— T'es... t'es... glacé, grelotta Oscar.

— Attends, je vais te réchauffer.

Des petites fleurs recouvrirent le corps du jeune homme. Des boutons d'or, qui fleurirent le long de sa chemise et sur son pantalon mouillé.

— Comme c'est mignon ! entendirent-ils alors. Des fleurs de feu pour réchauffer des amoureux.

Aussitôt, Isidore relâcha Oscar. Les fleurs tombèrent dans la neige. Fanélia se redressa et se plaça devant son ami, par réflexe. Ce dernier se releva aussi. Inès courut vers un faë aux cheveux roses, à la peau de porcelaine et aux grands yeux gris, qui s'avancait vers eux. Le corps recouvert de vêtements de fourrure épais, conçus pour le froid, il gardait ses mains dans ses poches et souriait d'un air espiègle. Si Fanélia n'avait pas déjà rencontré Alistair par le passé, elle aurait pu le confondre avec sa jeune sœur, Auriane, tant ses traits mêlés à la fois le féminin et le masculin, rendaient le genre de cet androgyne indéfinissable. Un aspect de sa personnalité sur lequel il adorait jouer.

Inès poussa un cri de joie. Ils se tombèrent dans les bras, comme deux amis qui se retrouvent après des années de séparation. Leurs peaux aux tons si opposées contrastaient dans ce décor enneigé. Une fois les retrouvailles effectuées, le faë s'écarta, puis se tourna vers eux en souriant.

— Oh ! Mais c'est le jeune Isidore, lança-t-il. Et sa protectrice adorée.

— Bonjour, Alistair, le salua ce dernier.

— Qui est-ce ?

— Oscar, le présenta Isidore.

— J'adore ce prénom. Très humain.

Fanélia étouffa un soupir d'agacement. Alistair était toujours aussi loufoque. Il ne changeait pas avec les années. Isidore alla lui serrer la main.

— Il y a longtemps que nous ne nous étions pas vus, nota-t-il.

— Les années passent, mais les souvenirs restent, chantonna Alistair. Vous êtes toujours aussi beau, prince Isidore. On m'a dit que vos mains dessinaient toujours aussi bien. L'un de vos magnifiques paysages d'hiver est toujours exposé au-dessus de mon lit.

— Vous m'en voyez ravi.

Un sourire étira les lèvres d'Isidore. Au moins, Alistair avait le bon ton de ne pas lui parler de ses portraits. À moins qu'il ne soit tout simplement pas au courant de l'usage que certains faës en faisaient ? Pour un faë capable de lire l'avenir, cela semblait peu probable, mais Isidore serait sûrement prêt à lui accorder le bénéfice du doute. Inès ne lâchait pas Alistair du regard, le regard brillant. Après des années passées sous terre, elle rayonnait, ses yeux ne cessaient d'effectuer des aller-retours autour d'elle, sur le paysage d'un blanc nacré. Ses vêtements mouillés scintillaient dans la lumière réverbérée par la poudreuse. Oscar, toujours assis sur le sol, se releva. Il épousseta ses vêtements, désormais séchés par la magie d'Isidore, et remit convenablement ses lunettes sur son nez, avant de frissonner. Alistair l'observa, d'un air intrigué, avant de déclarer :

— J'ai lu dans l'eau de la cascade un combat opposant des abeilles aux fuyards, des petits renards et des solitaires.

Fanélia arqua un sourcil. Pourquoi fallait-il toujours qu'il parle d'une façon aussi énigmatique ? aussi métaphorique ?

— Vous devez être épuisés après un tel périple, poursuivit-il. Laissez-moi vous inviter dans ma Cour, pour vous reposer et vous restaurer.

Isidore hocha la tête, mais avant qu'il ait pu effectuer le moindre mouvement, Fanélia se posta devant lui, les mains sur la garde de son poignard. Heureusement, le puits ne l'avait pas privé de ses armes, à la différence d'Isidore. Ses pinceaux se trouvaient sûrement toujours à la Cour de l'Automne, ou quelque part au fond du puits. Elle devrait lui en trouver d'autres avant qu'il ne panique – ce qui ne tarderait pas d'arriver, vu toutes les émotions qu'il venait de vivre.

Inès fronça les sourcils, les yeux rivés sur l'arme de Fanélia.

— Que faites-vous, Fanélia ? interrogea-t-elle.

— Je m'assure que le Seigneur de Montgivre ne nous conduit pas dans un piège, répliqua la protectrice. Dois-je vous rappeler que votre sœur nous a trahi ? Qu'est-ce qui me prouve que vous ne ferez pas de même, Alistair ?

— Vous avez ma parole.

— Réputée pour sa non-fiabilité.

— Je n'ai aucune raison de vous trahir, mademoiselle Fanélia. Encore moins Isidore, dont j'admire l'audace et le courage.

Ses yeux se rivèrent sur le prince, puis glissèrent vers Oscar. Leur condisciple humain continuait de grelotter, l'air frais soulevait ses cheveux devenus trop longs, à cause de ses semaines de captivité.

— Un faë qui s'enfuit pour aider un humain, c'est peu courant, continua Alistair. J'ai envie d'entendre ce récit.

— Vous pouvez faire confiance à Alistair, ajouta Inès.

— Votre sœur nous a trahi, rappela encore une fois Fanélia.

— Je ne suis pas ma sœur ! Je vous ai mené jusqu'ici et fait sortir du terrier. Fox s'est sacrifié pour nous, vous croyez que je le trahirai après cela ?

Que Fanélia envisage le contraire semblait profondément choquer Inès. La garde du corps retira la main de son poignard, elle s'en voulait désormais d'avoir eu cette pensée. Fox ne se serait pas sacrifié sans raison, elle connaissait le code d'honneur des gardes et le lien de confiance qui les unissait à celui ou celle qu'il protégeait. Si elle avait dû donner sa vie pour Isidore, cela n'aurait pas été pour une trahison. Elle n'en doutait pas. Fanélia et Isidore échangèrent un regard, en même temps qu'Alistair et Inès. La cadette de Montfeuille n'avait aucune raison de les trahir. Elle aussi était en fuite, désormais. Sa mère et sa sœur chercheraient forcément à la retrouver.

— Je laisse Isidore trancher, déclara Fanélia.

— Bien, qu'en dites-vous, prince Isidore ? demanda Alistair. Suis-je fiable ?

Il passa une main dans ses cheveux roses, puis leur fit un clin d'œil. Isidore semblait avoir éveillé la curiosité du faë de l'Hiver. Du reste, ils étaient seuls, au milieu d'une forêt, à flanc de montagne, dans un air froid et un paysage enneigé. Même Fanélia reconnaissait qu'un endroit chaud et un repas leur ferait du bien.

— C'est d'accord, annonça Isidore.

— Merveilleux ! s'exclama Alistair. J'ai demandé que l'on prépare un repas, pour fêter votre arrivée. Rassurez-vous, cela se fera en petit comité, nous ne souhaitons pas ébruiter votre présence, ni celle d'Inès. Vous pourrez vous reposer avant le dîner. Nous n'avons jamais reçu d'humain de compagnie à un dîner.

— Oscar n'est pas un humain de compagnie, c'est un ... ami, termina Isidore, en rougissant.

— Un prisonnier en fuite, plutôt, rectifia Fanélia.

— Tout cela est fichtrement divertissant ! s'exclama Alistair en se frottant les mains. J'apprécie le folklore et l'excentrisme, prince Isidore. Il n'y a pas à dire, vous êtes décidement un être à part. Un ami humain ! Fascinant. Vraiment fascinant. Aucun faë n'y avait pensé avant vous. Nous devons absolument discuter. Vous aussi, Omar.

— Il s'appelle Oscar, le corrigea Isidore, les sourcils froncés.

— Oui oui, c'est cela. Je suis prêt à ouvrir ma communauté aux humains, s'ils sont aussi mignons que celui-ci. Nous en rediscuterons.

Sa remarque ne sembla pas rassurer Oscar, qui se figea. Fanélia vit discrètement la main d'Isidore caresser son poignet, puis se lier à ses doigts, avant de les refermer sur ceux-ci, comme un instinct de protection. Oscar ne retira pas sa main, ils restèrent à côté l'un et l'autre, sous l'œil perçant de la garde du corps, qui commençait à se poser de sérieuses questions. Avait-elle manqué quelque chose, pendant leurs quelques jours de fuite ? L'intérêt d'Isidore pour l'humain allait-il au-delà de sa simple fascination pour les mortels ? Cela faisait cent ans qu'elle vivait à ses côtés, elle ne lui avait jamais connu beaucoup de relation, encore moins intime. Aucune même, dans ses souvenirs. D'un autre côté, Fanélia ne l'avait jamais interrogé sur ce sujet, étant donné qu'elle ne comprenait pas l'attrait que les uns et les autres semblaient éprouver pour l'amour.

Tout à son questionnement, elle ne vit pas Alistair et Inès s'éloigner et réalisa qu'ils marchaient seulement quand ils s'enfoncèrent dans les bois. Isidore lui fit signe, elle leur emboîta le bas, s'enfonçant sous la cime des arbres aux branches éprouvées par le poids de la neige. Leurs pieds collaient dans la poudreuse, leurs bottes encore mouillées n'étant pas faites pour ce type de sol. En sortant du puits, le décor avait changé en quelques minutes à peine, passant d'un jaune orangé à un blanc brillant. Autour, la forêt dormait, enfermée dans un écrin. Alistair et Inès bavardaient à l'avant, tandis que le faë se dirigeait vers la montagne, s'éloignant du lac et de la cascade. Le palais de la gardienne de l'Hiver se trouvait à quelques kilomètres, incrusté dans la montagne elle-même, à quelques encablures de la Passe d'Elbourz, reliant le royaume d'Ephysia à celui des humains. Les faës de l'Hiver gardaient la frontière depuis plus de mille ans.

— Pourquoi es-tu parti en courant tout à l'heure ? demandait Oscar à Isidore, en chuchotant, juste devant elle.

— J'ai ... peur de l'eau, éluda Isidore, les yeux rivés vers le ciel. Oh ! Tu as vu ? Il y a une mésange sur cette branche.

Il pointait son doigt vers un arbre. Fanélia sourit. Isidore manquait de tact et de finesse, quand il s'agissait de changer de sujet, pour éviter de parler de certaines choses. Il faisait pareil avec elle, au début de leur relation. Il bavardait sur les abeilles et les plantes, au lieu de faire face à ses angoisses. Comme un renard, elle avait mis des jours et des jours à l'apprivoiser, l'inverse étant également vraie.

— J'adore les oiseaux, pépiait Isidore, surtout les tout petits, ils sont presque aussi attachants que les abeilles. Si on fait attention, on devrait pouvoir apercevoir des chardonnerets, ils sont très présents en Hiver.

— Ils ressemblent à quoi ?

— Ils ont le bec rouge, des ailes noirs à bande jaune vif et ils récupèrent les graines dans le sol, ou dans les arbres. Enfin, s'ils peuvent. À cause de la neige, c'est beaucoup plus difficile. Si nous étions à Apidae, je pourrais leur donner des graines. Ou du pollen. Quoi que, je ne sais pas si les oiseaux peuvent manger la même nourriture que les insectes.

— Nous sommes au printemps, non ? demanda Oscar. Pourquoi l'hiver dure-t-il toujours ici ?

— Les Cours suivent le cycle des saisons, répondit Fanélia à la place de son ami. Elles sont toutes figées dans leur saison, même s'il y a parfois quelques influences, au contact des faës. Regarde à tes pieds, Isidore sème des perce-neiges.

Sur le sol, de minuscules fleurs à clochettes blanches, maculées de vert, fleurissaient au milieu de la poudreuse. Isidore se pencha pour en cueillir une, qu'il glissa derrière son oreille, avant de se mettre à chantonner. Fanélia poussa un soupir, Oscar sourit, visiblement attendri. Il allait falloir qu'elle le mette en garde contre l'habitude d'Isidore à mettre des fleurs partout.

Ils marchèrent une bonne demi-heure avant de déboucher sur une vaste étendue de neige, s'ouvrant sur l'immense montagne. Les plus hauts pics culminaient à plusieurs kilomètres d'altitude. Les yeux d'Oscar se perdirent sur les sommets, tandis qu'Alistair et Inès continuaient leur marche vers une faille entre la roche.

— J'habite juste derrière, murmura Oscar. Mon village fait face à la montagne.

— Tu seras bientôt chez toi, je te le promets, murmura Isidore.

Fanélia hocha la tête. Plus les jours passaient, plus ils se rapprochaient de leur objectif premier : ramener Oscar chez lui. Après, ils iraient trouver le roi Bartheon à Castelroche. Mais après ? Jamais ils ne pourraient rentrer à Apidae. Franchir la frontière et proposer leur aide aux êtres humains signeraient leur éviction – et leur trahison - d'Ephysia. Isidore en avait-il conscience ? Et elle, voulait-elle vraiment devenir une paria ? Fanélia n'avait jamais imaginé sa vie autre part que dans ce royaume qui l'avait vu naître. Encore moins chez les humains. Mais elle n'imaginait pas non plus se séparer d'Isidore.

— Vous venez ! appela Alistair.

Ils accélérèrent le pas et se glissèrent dans la faille entre la montagne. Après un étroit passage, celle-ci débouchait sur une vaste carrière de pierre, ouverte sur un palais incrusté dans le flanc même de la montagne, tout en verre et en cristal coloré de touches pastel. Au-dessus, les nuages, d'un blanc nacré, flottaient tels des coussins de plume. Le soleil perçait à travers, laissant filtrer un voile lumineux sur l'immense dôme qui recouvrait la tour principale du palais scintillant. Fanélia plissa les yeux, éblouie. Elle s'était déjà rendu ici, à plusieurs reprises, pour accompagner Isidore lors des fêtes de l'Hiver, et même plus jeune, avec son père. Elle avait à peine cent ans la première fois, ils avaient rencontré l'Ordre de la Grotte. Les faës arborant un tigre à dent de sabre sur leurs poitrails s'entraînaient pieds nus dans la neige. Cela l'avait fascinée.

Parmi les quatre Ordres protecteurs, celui de la Grotte était réputé pour être le plus résistant. Ses guerriers et guerrières faës, recrutés parmi les meilleurs de la Cour de l'Hiver, et parfois même des autres Cours, formaient également les membres les plus hauts gradés de l'armée d'Ephysia. Chaque Cour envoyait ses soldats parfaire leur maîtrise des armes ici. Fanélia avait passé plusieurs semaines entre ses murs, à admirer leurs techniques. Elle enviait leur façon de se mouvoir et de résister au froid durant des heures.

— C'est magnifique, murmura Oscar.

Fanélia releva la tête vers les hautes tours du palais. Le cristal, aux notes à la fois blanches, roses et violettes, réverbérait la lumière du soleil sur le sol. La neige s'éclairait de touches colorées, qui projetaient leurs rayons sur la montagne. Oscar paraissait ébloui, Fanélia pouvait le comprendre. Alistair souriait, visiblement ravi que le palais de ses ancêtres produise cet effet. Si Apidae était réputée pour ses jardins, Hiverlis l'était assurément pour son palais. Quatre tours encadraient le château, surmontées chacune d'une coupole.

— La tour d'observation, la tour du savoir, la tour des gardes et la tour des plaisirs, cita Alistair, la main tendue. Ma mère passe son temps dans la première, moi dans la dernière – même si c'est un peu lugubre, ces temps-ci -, je vous expliquerai. Ma sœur a une préférence pour la seconde, c'est une grande érudite. Nous abritons ici les savants du royaume, ils étudient auprès des grands maîtres, puis partent servir les seigneurs des autres Cours. Il y a une grande bibliothèque, vous pourrez y aller, si vous le souhaitez, ou bien me retrouver dans ma tour préférée pour faire la fête.

Alistair ajouta un clin d'œil, à destination d'Inès. Son sous-entendu montrait clairement ce qu'il pensait en disant cela. On le disait volage, et Fanélia se souvenait très bien d'une soirée où il s'était éclipsé avec deux personnes, de genre opposé, à son bras.

— Tu voudras visiter ? chuchota Isidore à Oscar. La bibliothèque est incroyable.

— Je ne sais pas lire.

Les joues de l'humain rougirent. Le choc s'inscrivit sur les traits d'Isidore, à l'inverse de Fanélia. Les humains n'étaient pas réputés pour leur intelligence et celui-ci semblait avoir grandi dans une ferme. Pourquoi aurait-il bénéficier d'une formation intellectuelle ? Oscar baissa les yeux, visiblement honteux de ne pas être capable ni de lire, ni d'écrire. Isidore se plongea dans ses pensées un instant, alors qu'Alistair se remettait en marche, vers les portes ouvertes du palais. Puis, il releva la tête.

— Je t'apprendrai, assura-t-il.

— C'est vrai ?

— Oui.

Ils échangèrent un sourire. Fanélia se détourna. Elle commençait à les trouver beaucoup trop guimauve tous les deux. S'ils continuaient à se regarder ainsi, elle leur jetterait de la neige sur la tête.

— À quoi sert la tour d'observation ? demanda Oscar.

Décidement, il était bien bavard ce matin, il voulait en savoir un peu plus sur leur royaume et leur façon de vivre.

— Les faës de l'Hiver gardent la Passe d'Elbourz, répondit Fanélia. Ils s'assurent que les humains ne la franchissent pas pour nous attaquer.

— C'est vous qui attaquez, la plupart du temps, rappela Oscar. Les faës qui sont venus dans mon village et m'ont enlevé sont passés sûrement par ici et personne ne les a arrêtés.

— La gardienne ne peut pas empêcher Valère de passer, expliqua Isidore. Surtout si l'ordre émane d'Arzel, mon frère aîné, et qu'il est signé par mon père.

— Donc, elle ne garde pas vraiment le passage, conclut Oscar.

Un éclat de colère vibra dans le ton de sa voix. Oscar n'avait pas tort, tout cela était injuste, d'autant que les humains n'attaquaient jamais Ephysia, ou alors très rarement. Parfois, certains d'entre eux se risquaient dans la Passe, cherchant un moyen d'accéder aux terres fertiles, mais ils étaient toujours interceptés, puis soumis en esclavage, en vertu du traité. Un traité qui ne fonctionnait qu'à sens unique, plusieurs fois bafoué par les siens. Fanélia en prenait conscience. Jusqu'à présent, elle ne s'était jamais interrogée sur leur situation, partant du principe que les mortels étant inférieurs par nature, ils devaient accepter les choses comme elles étaient. Mais où était la justice, quand les deux parties n'opéraient pas à part égale ?

La faë fronça les sourcils, l'esprit plongé dans ses pensées, alors qu'ils entraient dans la grande coupole du palais, donnant sur le hall principal. Elle en voulait à Isidore et Oscar d'avoir ouvert son cœur à la cause des humains. Maintenant, elle ne pouvait plus s'empêcher de songer à eux, avec empathie, et cela la dérangeait fortement. 

*

En bonus  ! Voici le fanart qu'a réalisé Solène (Plume.obsidienne sur Instagram) qui représente le prince Alistair, faë de l'hiver.


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