Chapitre 2 - La convocation
Fanélia
Fanélia attendait Isidore en faisant les cent pas. Dans ce long couloir où résidaient les membres de la famille royale, la porte qui menait chez Isidore se distinguait entre toutes. D'un bois clair, marqué par des fleurs moulées et des touches végétales gravées, elle reflétait le caractère artistique de celui qu'elle avait juré de protéger et qui était devenu son ami. La jeune faë jeta un regard sur la grande horloge en fer forgé qui habillait l'une des fenêtres du couloir, et qui laissait entrer l'air dans le palais. Le tic-tac martelait le temps, lui rappelant qu'elle en avait peu pour ramener son ami auprès de son frère. Elle aurait dû le presser, car Arzel ne tolérait aucun retard, mais elle connaissait Isidore et l'anxiété qu'une rencontre avec les membres de sa famille lui causait. Elle devait lui laisser ce temps de latence pour se préparer.
Après plusieurs minutes à fixer l'horloge, dont l'une des flèches se terminait par une minuscule abeille, elle vit la porte s'ouvrir sur Isidore. Les yeux fuyants, il étira pourtant ses lèvres dans un fin sourire, avant de refermer dans un claquement sec, faisant disparaître la pièce en arrière-plan, et ses nombreuses toiles en chantier. Chaque semaine, le prince recevait des commandes de nobles et de seigneurs, d'un bout à l'autre du royaume. Si ses aînés se moquaient de sa passion pour le dessin, de nombreux faës louaient la finesse de son art, dont ils raffolaient les esquisses, croquis et toiles, qu'ils achetaient pour décorer leurs châteaux.
— Ta chemise est de travers.
Isidore baissa les yeux sur celle-ci et voulut la reboutonner. De la peinture imprégnait ses ongles, cela ferait sûrement rager Arzel. Ses boutons s'agençaient d'une manière désordonnée et un pan de sa chemise dépassait de son pantalon cintré sur les chevilles. En soupirant, Fanélia s'occupa de le rhabiller, lui reprochant à demi-mot – et pour la millième fois – de ne pas laisser les domestiques s'en occuper à sa place. Cela lui aurait facilité la vie et évité bien des tracas.
— Si tu acceptais l'aide d'un valet, tu aurais moins l'air débraillé.
— Je n'ai pas envie qu'un valet me touche, répliqua-t-il de sa voix claire et enfantine.
— Un esclave alors ?
— Non ! s'exclama-t-il.
Sa voix monta dans les aigus. Trois cents ans, et le prince en paraissait toujours quinze quand il s'exprimait. Fanélia leva les yeux au ciel. Il aurait dû gagner en maturité avec les siècles, mais il lui donnait toujours l'impression d'être un enfant récalcitrant. Parfois, son attitude lui rappelait Swann, son petit frère, qu'elle n'avait pas vu depuis bien longtemps.
Le prince repoussa sa main, puis fit un pas sur le côté, avant de se mettre en mouvement. Fanélia le suivit. Tout en marchant, sa main vint caresser le poignard, vissé à sa ceinture, qui ne la quittait jamais. Une vieille habitude qui la rassurait. Ce poignard avait été son sauve-conduit dans le passé, et c'était toujours son arme la plus précieuse.
— Où Arzel m'attend-t-il ? demanda Isidore alors qu'ils tournaient dans un couloir.
— Dans son bureau.
Il hocha la tête dans un infime mouvement, puis rejoignit un grand escalier. Le palais regorgeait de corridors et couloirs, certains donnant sur l'extérieur, d'autres rejoignant des salles du palais. La première fois que Fanélia était arrivée ici, elle avait cru s'y perdre. Le château était immense, un vrai labyrinthe. Ils parvinrent dans un corridor, surmonté par de grandes arcades, garnies de lierres, servant aussi bien de tapisseries que de protection végétale. Lorsqu'elle avait découvert le palais des De Montlierre, Fanélia – qui n'était pourtant pas d'une grande sensibilité – en avait été subjuguée. On l'avait pourtant habitué à la beauté, dans la Cour de l'Automne. Là-bas, les grandes forêts se paraient toujours de couleurs jaune orangé en fin de journée et le château de la Dame De Montfeuille prenait des allures féeriques suivant les jours de l'année. Ici, tout était toujours bourdonnant, chatoyant d'une lumière verte, baignée de lueurs pastelles. Le lierre s'ancrait dans la pierre, de nouvelles fleurs apparaissaient à chaque saison et offraient au palais un nouveau décorum. C'était tous les jours un nouveau paysage que Fanélia se plaisait à contempler.
Devant elle, Isidore marchait d'un pas déterminé qu'elle savait faux. Ses yeux ne cessaient d'aller et venir sur les murs, ses mains glissaient parfois sur le lierre, où une nouvelle fleur s'épanouissait. Il usait de son don comme il respirait, la nature printanière en écho à ses émotions fluctuantes. Fanélia pouvait presque sentir son cœur battre dans sa poitrine, tant les craintes du prince transparaissaient dans sa démarche, qu'il tentait de rendre assurée.
Ils étaient presque arrivés devant la porte du bureau de l'héritier, quand la jeune faë l'attrapa par le poignet. Personne d'autre n'aurait pu toucher le prince ainsi, pas plus qu'elle n'aurait laissé un autre l'effleurer. Le lien qu'elle entretenait avec Isidore, cette amitié vieille de plusieurs décennies, les liait bien plus que sa fonction de garde. Elle ne pouvait pas le laisser franchir cette porte sans s'assurer qu'il tiendrait le coup face à son frère.
— Isis, l'arrêta-t-elle. Ça va aller.
— Je sais.
Les humains se persuadaient que les faës ne pouvaient pas mentir. Il n'y avait rien de plus faux. En cet instant, les yeux dorés d'Isidore, si fuyants, lui prouvaient tout le contraire.
— Je ne le laisserai pas te faire du mal.
— Je sais.
Elle ne le sentait toujours pas convaincu, mais un sourire étira ses lèvres, dans une maigre tentative pour s'en convaincre lui-même, et la rassurer. Elle glissa sa main le long de son poignet, jusqu'à ses doigts, pour les lui serrer. Ils restèrent ainsi quelques minutes, écoutant le bruit des insectes butinant les fleurs qui naissaient sur le lierre, et les oiseaux qui chantaient depuis les arbres, dans les jardins. Enfin, Isidore relâcha ses doigts et frappa deux coups discrets à la porte. Cette dernière s'ouvrit sur un homme aux cheveux gris. Le regard bas, il gardait la main appuyée sur la poignée.
— Le prince Isidore et sa garde du corps, Votre Altesse, annonça-t-il d'une voix nasillarde, en se retournant.
À aucun moment, ses yeux ne quittèrent ses bottes. À son poignet droit, on pouvait distinguer le même tatouage d'abeille que la garde du corps arborait au sien, exception faite que celui-ci s'associait d'une cordelette noire, attachée au cou de l'insecte. En miroir, l'esclave portait le même collier autour de son cou, marquant son appartenance à l'héritier du trône. Quand un humain franchissait la montagne ou qu'il était capturé, suite à une prise de guerre, il devenait esclave et la propriété d'Ephysia. Les différents seigneurs se les départageaient par quota.
Fanélia et Isidore entrèrent dans le bureau, alors que la porte se refermait derrière eux dans un claquement. À ses côtés, elle sentit le corps de son ami se tendre. L'humain, les yeux toujours rivés sur ses chausses, esquissa un pas avant de s'incliner devant le faë assis à son bureau. De longs cheveux blonds, brillant dans la lueur du soleil, recouverts de dizaines de minuscules petites tresses, un nez droit, une peau sans imperfection, des yeux si bleus qu'ils en paraissaient blancs, presque transparents, l'héritier de la Cour du Printemps, le prince Arzel, dirigeant de l'armée d'Ephysia, releva la tête du parchemin sur lequel il était en train d'écrire. Ses yeux parcoururent la pièce, puis se posèrent sur eux.
— Sors, ordonna-t-il à l'esclave, sans lui accorder un seul regard.
L'homme ne se le fit pas dire deux fois. Il s'inclina bien bas, son nez touchant presque le sol, puis disparut. Fanélia et Isidore restèrent seuls avec Arzel, dont les yeux transparents les dévisageaient d'un air froid.
— Tu m'as fait appeler, murmura Isidore.
— En effet. Pourquoi as-tu pris tant de temps pour venir ? lui reprocha Arzel.
— Je...
Droit comme un « i », Isidore tâchait d'éviter le regard de son frère en fixant le sien sur la fenêtre ouverte, derrière laquelle il apercevait les terres de sa famille. Fanélia suivit le même mouvement, profitant du filet d'air frais qui s'infiltrait à travers la vitre, jusqu'à ce qu'Arzel fasse glisser ses ongles sur le bureau, pour ramener leur attention. Ce dernier, assis d'une façon quasi militaire, frisant la rigidité, s'opposait en tout point au plus jeune des de Montlierre. Isidore se bornait à répéter que son bazar était organisé, mais Fanélia en doutait parfois, quand elle le voyait chercher des heures ses carnets de croquis.
— Je cherchais une autre chemise, souffla Isidore.
Arzel ne l'écoutait pas, il fixait son regard sur la garde du corps de son frère.
— Fanélia, ne t'avais-je pas expressément demandé de le faire venir sur le champ ?
— Si, mon Seigneur. Nous avons fait au plus vite.
La garde du corps serra les mâchoires, se contraignant à l'immobilité, calquant sa respiration sur celle de son meilleur ami dont le regard fuyait toujours son aîné. Arzel aimait rappeler sa position et son autorité. Il en prenait un malin plaisir. Chaque jour, avant l'aurore, il se rendait sur le terrain d'entraînement militaire où se trouvait la garde du palais, et les membres de l'Ordre de la Ruche. Il s'entretenait avec Valère, son frère, leur commandant, puis observait leurs mouvements, s'amusant à les reprendre à la moindre incartade. L'Ordre se devait d'être irréprochable, Fanélia le savait. La moindre bavure pouvait leur coûter des heures de sommeil, remplacées par des tâches ingrates à effectuer dans le quartier des domestiques, ou celui, encore plus vils, des esclaves.
L'Ordre de la Ruche – au même titre que ceux des quatre cours faës– possédait une supériorité sur les simples soldats des armées. Mais, dans la cour du château, face à leur commandant, ou au prince héritier, ils n'étaient rien d'autres que des sous-fifres obéissants. Malgré cela, Fanélia n'avait jamais regretté son engagement envers le Printemps. Même si Valère et Arzel pouvaient se montrer cruels, comme bien des faës, la solidarité qu'elle trouvait au sein de la Ruche, et les relations qu'elle avait tissées avec certains, et surtout avec Isidore, valaient toutes les brimades et humiliations. Elle préférait mille fois être ici que se retrouver à la Cour de l'Automne, où elle était née. Si les princes du Printemps se croyaient cruels, c'est qu'ils n'avaient sans doute jamais assisté aux démonstrations de l'Automne. La brûlure du feu était la pire des tortures.
— Pourquoi avoir pris votre temps ? insista l'héritier en continuant de tapoter son bureau de ses doigts.
— La faute est mienne, répondit Isidore, je n'étais pas ... présentable.
Instinctivement, il passa sa main dans ses cheveux blonds, dont les reflets d'or s'accommodaient à la perfection avec ses iris dorés. Il n'avait pas pris le temps de se peigner, si bien que quelques pétales et autres restes d'herbes séchés, tombèrent de ses mèches folles. Le regard inquisiteur d'Arzel jaugea la tenue de son benjamin. Il se leva, fit le tour de son bureau, puis se posta devant lui, pour observer son accoutrement. Isidore était mieux habillé que lorsque Fanélia était venue le chercher, mais moins bien que son aîné, qui ne portait pourtant qu'un simple pourpoint brodé de l'abeille de la Cour du Printemps. Pour les faës, les apparences comptaient énormément.
La main d'Arzel balaya l'air d'un mouvement et il plissa le nez de dégoût.
— Ce n'est pas parce qu'on te dit artiste et qu'on loue ton art dans tout Ephysia que tu dois prendre l'aspect d'un bouffon, lui reprocha-t-il. A moins que tu n'aies envie de tenir lieu de spectacle au banquet, ce soir ?
Isidore glissa ses mains l'une dans l'autre. Fanélia aurait voulu lui prendre l'une d'elle et la serrer pour le calmer. La colère enflait dans sa poitrine. Pourtant, elle se borna à fixer le mur et à respirer par le ventre, pour éviter de bouillir.
— Alors, continua Arzel, tu veux servir de bouffon ?
— Non, souffla Isidore.
— Non, qui ?
— Non, Votre Altesse.
Seul le roi et son héritier pouvaient être gratifiés de ce titre. Les autres se désignaient selon la hiérarchie nobiliaire, ou par leur prénom, s'il ne possédait aucun titre.
— Bien ! Tu te trouves présentable maintenant ?
Isidore secoua la tête de droite à gauche.
— Tu n'es pas plus présentable maintenant que si tu t'étais rendu devant moi sur le champ, comme je l'avais expressément demandé. Tu me fais honte.
Isidore ne dit rien, encaissant les reproches de son frère comme il en avait l'habitude. L'orage allait passer. Sa leçon moralisatrice et son humiliation terminée, Arzel cesserait son petit jeu et de le tourmenter pour se recentrer sur l'objet de leur venue. Ils attendirent donc qu'il ait fini ses réprimandes et qu'il se rassoie. L'héritier posa ses coudes sur le bureau, croisa les mains, puis les observa de son regard glaçant. Il allait reprendre la parole quand des coups résonnèrent.
La porte s'ouvrit sur Valère de Montlierre et Silas, son garde du corps. Les traits similaires à ceux de ses frères, il portait ses cheveux derrière sa nuque, en une longue natte qui finissait sa course sur ses reins. Ses yeux, dorés comme ceux d'Isidore, dans lesquels se reflétaient des notes vermeilles, lui donnaient un aspect presque angélique, qui contrebalançait avec sa cruauté. Si Arzel était réputé froid et dur, Valère n'était pas surnommée Le bourreau pour rien. Dans le royaume d'Ephysia, tout le monde connaissait l'affection que le cadet des de Montlierre portait à la torture d'êtres humains, dont il avait fait sa marque de fabrique.
Valère inclina son menton dans un geste rapide, puis s'avança vers le bureau, avant de chuchoter quelques mots à l'oreille de l'héritier. Son garde du corps resta près de la porte, accolé contre celle-ci. Fanélia sentit sentir son regard dans son dos, elle détestait ce faë avec lequel elle partageait pourtant son dortoir.
Valère avisa son regard sur Fanélia, qui sentit un infime picotement sur sa tempe. Elle abaissa ses barrières mentales, pour lui permettre l'accès. Elle aurait pu les garder érigées, mais son commandant les aurait brisées en une minute à peine.
— J'espère que mon petit frère a bien dormi cette nuit.
— Cela vous inquiète ?
— Je veux juste m'assurer qu'il a eu suffisamment de sommeil, car il risque de le perdre après ça.
— Ça quoi ? répondit-elle dans son esprit.
Un rictus mauvais étira les lèvres de Valère, alors que l'héritier reprenait la parole.
— Nous avons capturé un humain, commença-t-il.
— Ce n'est pas la première fois, répliqua Fanélia.
— Silence ! lança Valère dans son esprit.
Le mot sonna comme un ordre et s'imprégna, tel un pansement que l'on aurait placardé de force sur une plaie béante. Fanélia sentit ses lèvres se fermer d'elles-mêmes. Les Seigneurs de chaque cours, ainsi que leurs descendants, possédaient tous un pouvoir de télépathie. Ils l'exerçaient avec plus ou moins de force sur les membres de leur Ordre protecteur. Quand Valère donnait un ordre, il l'assénait comme un couperet et l'ancrait violemment dans les esprits. Il était alors difficile de s'y soustraire.
— Je disais donc, reprit Arzel, qui avait suivi l'échange silencieux, que nos faës ont opéré une incursion dans les montagnes, la semaine dernière. Ils ont capturé un humain.
— Un seul humain ? souffla Isidore.
Ses poings, serrés, trahissaient son appréhension, mais surtout son interrogation. Si les faës n'avaient fait qu'un seul prisonnier, cela devait signifier que tous les autres étaient morts. Fanélia connaissait la répugnance que la violence inspirait à Isidore. Contrairement à la majorité des faës, dénués de la moindre empathie, son ami en possédait beaucoup trop, surtout vis-à-vis de la race inférieure. Elle-même ne comprenait pas toujours ses réactions et son attrait pour l'humanité.
— Qu'avez-vous fait des autres humains ? interrogea-t-il.
— Ils sont morts, répondit Valère, son rictus toujours figé sur ses lèvres en un sourire malsain. Ce n'était que des paysans, armés de faucilles et de fourches.
— Pourquoi les avoir attaqués ?
— C'est eux qui nous ont attaqué, répliqua Valère. Nous ne faisions que passer.
— De l'autre côté de la frontière ?
La question se suspendit entre eux. Fanélia observait la conversation des trois frères, tentant de l'analyser. La montagne servait de frontière entre le royaume d'Ephysia, au Sud, et celui d'Envarïs, au Nord, où vivaient les humains. Immortels et mortels n'étaient pas censés se côtoyer, en principe, sauf lors d'affrontements, d'échanges diplomatiques ou commerciaux. Quelque fois, des êtres humains, trop stupides ou trop téméraires, se risquaient sur les terres des faës. Certains espéraient trouver de quoi survivre sur ces terres fertiles, plutôt que celles arides et froides du Nord. D'autres croyaient y trouver l'amour, comme si humains et faës pouvaient s'aimer. En vertu des traités signés entre leurs deux peuples, les faës étaient autorisés à capturer les humains sur leurs terres et en faire des esclaves, sans que le roi d'Envarïs les réclame.
Fanélia n'avait pas une grande affection pour la race inférieure, mais elle possédait un grand sens du devoir. Or, de ce qu'elle entendait, les faës qui s'étaient aventurés dans ce village pour tuer ces paysans se trouvaient de l'autre côté de la montagne, sur les terres humaines. Ils n'avaient juridiquement pas le droit de s'en prendre à ces êtres humains.
— Pourquoi étiez-vous à Envarïs ? insista Isidore.
— Tu poses trop de questions, le coupa Arzel, notre présence sur les terres du Nord ne te concerne pas.
— Nous étions en mission spéciale, ajouta Valère.
Il appuya fort sur le dernier mot. Même quand ils s'exprimaient, Arzel et Valère prenaient toujours un malin plaisir à rappeler à leur jeune frère qu'il s'était lui-même exclu des affaires de la cour, en refusant de devenir aussi cruel qu'eux.
— Pourquoi avoir capturé un seul humain ? demanda Isidore.
— Il ne s'agit pas de n'importe quel humain, répondit Arzel, celui-ci est plus précieux qu'un autre – si tant est qu'un humain puisse être précieux – c'est le bâtard du roi d'Envarïs. Le vieux roi Bartheon n'a rien trouvé de mieux à faire qu'enfanter hors mariage, avant d'épouser sa reine, il y a des années de cela.
— Et vous l'avez enlevé ? s'alarme Isidore. En tuant tous les autres... Mais... Pourquoi... ?
Sa voix vacillait sur la fin de ses phrases. Valère leva les yeux au ciel, puis souffla, comme si l'attitude de son frère était risible.
— Nous avons tenté de négocier avec ces sauvages et ils ont sorti leurs fourches. On aurait dit de piètres animaux avec des griffes. C'était risible. Nous n'en avons fait qu'une bouchée. Tu aurais dû voir tout ce sang...
Le sourire de Valère s'agrandit. Arzel avança ses poings sur la table, puis posa sa main sur le bras de son frère, pour contenir son euphorie. Une pointe d'amusement et de plaisir brillait dans les iris du chef de l'Ordre. Fanélia sentait jusqu'ici les effluves de phéromones qu'il dégageait, il prenait presque autant de plaisir à traquer, tuer et torturer que lorsqu'il couchait avec ses conquêtes d'un soir.
— Qu'attendez-vous de moi ? reprit Isidore.
— Rien, nous voulons juste que tu rencontres ce prisonnier, répondit Arzel en souriant. Valère va te conduire jusqu'à lui pour que vous fassiez connaissance, le temps que nous envoyions un message au vieux roi.
— Qu'allez-vous lui écrire ?
— Tu le sauras bien assez tôt.
Arzel leva sa main, pour leur signaler que la conversation venait de prendre fin. Il n'aimait pas s'encombrer d'adieu. Valère se redressa, puis leur fit signe de passer devant, pendant que Silas ouvrait la porte et se dirigeait déjà dans le couloir, vers les cachots. Valère glissa son regard sur Fanélia. Dans sa tête, elle sentit le verrou du silence se libérer. La jeune faë ramena ses mains le long de son corps, puis glissa ses doigts sur son poignard, pour étouffer sa colère. Isidore passa devant elle, les jambes tremblantes. Elle aurait voulu lui prendre la main pour le rassurer, mais un seul mouvement de compassion, effectué devant ses frères, pouvaient leur valoir une réprimande. Elle ne souhaitait pas qu'ils fassent plus de mal à son ami que ce qu'ils s'apprêtaient à faire.
Aussi, elle ne dit rien, et lui emboîta le pas.
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