À présent


Il fut impossible à Täck de retrouver le sommeil cette nuit-là.

Les pensées défilaient dans son esprit avec tant d'insistance et d'incrédulité qu'il en avait mal. 

« Comment est-ce possible ? »

Telle était la sentence qui marquait le rythme de ses réflexions.

Il revivait, en silence, cette impossible rencontre entre la Vie et la Mort, qui venait de se passer, devant lui, avec lui, pour lui.

Le rire cristallin de Solveig envahît à nouveau son esprit, et il se redressa, le sang lui battant aux tempes.

« Je ne comprends pas. »

Difficile constatation pour un homme ayant toujours posé sa vie sur la raison et la logique. Ce qu'il venait de voir brisait tous ses principes et ses valeurs.

Alors, pour éviter de voir la vérité en face, il fit ce qui caractérise si bien l'espèce humaine. Il se débarrassa de ce dont il avait peur et ne comprenait pas.

« Ce devait être une hallucination... Il faisait si froid... Un rêve, un simple rêve...»

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Le lendemain, 00h00.

Täck se réveilla en sursaut. 

Il l'entendait.

Encore. 

La voix délicate de son aimée, qui semblait venir de loin, si loin...

La voix qui bravait la raison pour lui parler.

La voix qui bravait la mort pour lui parler.

Il lui était impossible de se voiler la face.

Une deuxième fois ?

Non, ça ne pouvait pas être un rêve. Définitivement pas.

Il sortit dans la nuit glacée, seulement vêtu d'une veste de fourrure par-dessus son habit de nuit, et de chaudes bottes. 

Alors que l'épais taillis de la forêt s'espaçait sur son chemin, il la vit.

Enveloppée d'un rayon de Lune, comme la veille, elle se mouvait avec agilité sur l'étendue blanche et bleue du lac de Mirakel, fredonnant à mi-voix sa chanson.

« Snurra, liten snöflinga, snurra upp mot himlen,
Snurra, lilla snöflinga, snurra tills den eviga snön,
Snurra till de eviga snön, men glöm aldrig,
At till tidens ände kommer jag att älska dig... »

— Solveig... murmura Täck, bouleversé.

Il avança de quelques pas encore, jusqu'à se retrouver au bord de l'étendue du lac, et bravant son appréhension, l'appela doucement : 

— Solveig... Solveig, je suis ici...

  La jeune femme se retourna brusquement. Ses yeux bleu cobalt furent voilés par un mélange indéfinissable d'émotions.

— Te voilà de nouveau, constata-t-elle simplement.

— Oui.

— Pourquoi es-tu parti, hier ?

— Je... je suis désolé... Je... J'ai eu peur.

— De moi ? 

— De... de toi, de moi, de... de mes souvenirs. 

— Je vois.

— Que fais-tu ici ? Je veux dire... Solveig, ma Solveig, comment est-ce possible ?

Sa jeune fiancée eut un rire triste. 

— Il faut croire que notre amour était trop fort pour que la mort puisse me retenir complètement...

— Que veux-tu dire ?

— Je veux dire que depuis deux ans, je n'ai pas trouvé le repos. Parce que tu ne t'es jamais pardonné notre erreur. 

— Mon erreur.

— Notre erreur, Täck. Notre erreur. Moi aussi, j'ai ma part de responsabilités. J'aurais dû savoir...

— Je t'ai obligée.

— Pas du tout. J'ai accepté, de mon plein gré. Tu n'y étais pour rien. Personne n'aurait pu prévoir que cela se terminerait ainsi...

Il y eut un silence. Puis : 

— Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? Qu'est-ce que je peux faire ? 

Solveig eut un petit sourire.

— Tu ne peux rien faire. Mais... 

— Mais ?

— Tu veux bien qu'on finisse notre danse ? Que ce moment sous les étoiles, il y a deux ans, n'aie pas été insignifiant ?

Täck en eut la gorge nouée. La voix chevrotante, il murmura tout simplement :  

— Bien sûr.

Solveig eut un sourire, un vrai sourire, rassurant, qui illumina son visage, et lui tendit sa main fantomatique.  

— Alors, c'est parti ! 

La voix avait retrouvé de sa gaieté passée et Täck sourit. 

En tremblant, il saisît la main quasi-effacée de sa fiancée, et la rejoignit sur la glace.

C'était comme toucher un nuage. Il sentait bien un contact, mais léger, si léger... 

Une brise.

Täck se sentait danser avec une brise.

Enchâssement des pas, glissades, boucles, coupé, double pas de bourrée... 

Deux corps qui dansaient au même rythme.

Deux souffles de glace qui se mélangeaient en un seul.

Deux regards, qui se noyaient l'un dans l'autre.

Un cœur, battant pour deux.

Minuscules entités de lumière dans le monde sombre qui les entouraient, les deux amants dansaient, avec autant de passion que deux ans auparavant. 

Ils bougeaient ensemble.

Souriaient ensemble.

Respiraient ensemble.

Ils faisaient tout ensemble, tels un reflet dans un miroir.  

Peut-on mourir de bonheur ?

Ce fut cette question que se posa Täck, lorsqu'au cours d'une pirouette, le parfum d'orchidée sauvage de Solveig lui parvint, lorsqu'il croisa une nouvelle fois son regard bleu pâle, son sourire enchanteur, ses traits délicats.

 — Est-ce que tout cela est réel ? murmura-t-il doucement, craignant d'entendre la réponse.

Mais son aimée eut un tendre sourire.

— Bien plus réel que tout ce que tu peux imaginer. Je suis là, et je n'ai pas l'intention de te quitter une seconde fois. Je te le promets.

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