Chapitre 39
— Charmante... susurre t-il à mon oreille.
Je sursaute en ouvrant les yeux. Je vois les draps verts foncés sous mes doigts. Dans mon dos je sens de la transpiration qui me laisse frissonnante.
Je pouvais sentir en grossière image de verre un comte versaillais à mon côté, image coupante et destructrice mais fragiles ; mon réveil suffit à la faire s'envoler. Pourtant, je peux encore deviner ses marques sur mon corps et mon âme. Coupée, transpercée, blessée par une image de verre.
Je me tourne vers l'autre côté du lit et y observe avec désarroi l'absence évidente et inexplicable d'Enzo. Je tâte sa partie du lit comme s'il pouvait être invisible. Mes doigts ne rencontrent évidemment que la douceur du linge de lit.
Où es tu ? Que fais tu ? Pourquoi n'es tu pas là alors que j'ai besoin de toi ? Comment peux tu être ailleurs que dans notre chambre au milieu de la nuit ?
Malgré toute la volonté dont j'essaie de faire preuve je ne peux m'empêcher de penser qu'il doit être avec quelqu'un d'autre ; et cette personne n'est sûrement pas un conseiller ou un ministre avec lequel il aurait voulu s'entretenir, surtout après avoir passer une grande partie de sa journée à préparer le couronnement et à réfléchir à ce qu'il devrait faire une fois roi alors que son père allait annoncer aujourd'hui la déclaration de guerre de l'Italie contre la France.
Je me lève de mon lit de manière mécanique ; je me sens vide ; vide de pensées et de sentiments. Sans pour autant parvenir à interrompre le tremblement de mes membres j'atteins la porte menant au couloir. Après avoir pris une grande inspiration tout aussi tremblotante j'enclenche doucement la poignée et ouvre lentement la porte. De l'autre côté une masse sombre dans la nuit se place face à moi. Je distingue les traits du même garde qui veille sur moi sur ordre d'Enzo depuis mon arrivé dans ce château.
— Que faîtes vous ici ? Vous n'auriez pas du ouvrir cette porte, dit-il à voix basse avec le même ton sévère habituel.
— Pourquoi donc ? Où est mon mari je vous prie ?
— Vous avez pleuré ? demande t-il soudainement en se penchant un peu plus vers moi.
Je porte une main à mes yeux, j'ai dû pleurer en dormant.
— Peut importe, je souffle, où est... Enzo ? fis-je surprise.
En tournant mon visage de par et d'autres du couloir tout en parlant je l'ai aperçue. Il est au bout du couloir sur ma droite. Il n'est pas seule. Une jeune femme se tient face à lui. Aucun des deux ne m'a remarqué, ils parlent comme si de rien n'était, en bougeant leur main au rythme des mots qui s'écoulent de leur bouche. Lorsqu'elle diminue la distance entre eux et le prend dans ses bras, une nausée m'envahit.
Cela peut sembler ridicule, au fond nous ne nous connaissons réellement que depuis peu ; il doit la connaître depuis des années, mais... mais je ne supporte pas cette image. Je ne supporte pas le voir la consoler en caressant son dos et ses cheveux. Je ne supporte pas qu'il se soit levé aux aurores pour une autre femme qui plus est n'est ni sa mère, ni sa sœur, ni sa cousine même s'il n'en a pas à ma connaissance. Cette fois-ci les larmes se mettent franchement à dévaler mes joues, pas quelques larmichettes, non c'était un torrent qui accompagne la douleur sourde dans mon ventre. Je peux sentir le regard du garde sur moi, mais je me fiche de savoir si c'est de la pitié, de la moquerie, ou de la froideur. Une main sur la bouche je me mets à courir jusqu'à la salle de bain. Je claque la porte sans y songer et m'accroupis le plus rapidement possible au dessus de la cuvette.
Quelques secondes à peine après que j'ai commencé à vomir, j'entends une voix m'appeler.
— Aliénor, est-ce que tu vas bien ? Puis-je entrer ?
Incapable de répondre, je reste tremblante et dégoulinante au dessus de la cuvette. Face à mon silence il entre lentement, allume la lumière que je n'ai pas eu le temps d'allumer moi même et s'accroupit près de moi. Alors qu'il s'apprête à me toucher le bras je le repousse violemment.
— Ne... me touche... pas.
— Aliénor...
— Laisse moi tranquille, dis-je sèchement avant de vomir à nouveau.
— Laisse moi prendre soin de toi.
— Jamais... plus jamais.
— Alors laisse moi t'expliquer au lieu de tirer tes propres conclusions.
Sentant que ma nausée est passée je me tourne vers lui et regarde enfin mon mari dans les yeux.
— Pourquoi ? je lui crache. Pourquoi devrais je t'écouter me retourner le cerveau ? Tu mens comme tu respires, je lui balance.
— Moi je mens, s'offusque t-il, puis je savoir depuis quand ?
— Tu m'as caché ma tumeur. Tu as laissé croire à moi et à ton peuple que tu te battrais pour leur paix, je ne t'ai pas vu te battre face à ton père. Tu sous entends au près de tes parents que je ferais une excellente reine, c'est faux.
— Je le pense. Et puis tu n'as plus de tumeur maintenant tu as tout tes esprits.
— Ca ne change rien ; je ne suis pas fait pour cela !
— Tout s'apprend.
— Tu ne pourras pas me changer suffisamment. Et je n'ai pas envie que tu me changes. Pas alors que même lorsque tu me regardais avec des yeux brillants sous un masque, tes yeux me mentais.
— Mes yeux te mentaient ?
— Oui ! Tu te réveilles durant la nuit pour voir une autre femme et tu veux me faire croire que tu m'aimes ?
— Je t'aime ! J'ai défié ma famille pour être avec toi ! Je t'ai épousé alors que tout le monde s'y opposait !
— Ce n'est pas une preuve d'amour ! Plus maintenant. Tu aurais très bien pus faire ça pour t'opposer à ta famille et te convaincre que tu m'aimes. Nous avons grandis enfermées par des règles et un palais, que connaissons nous de l'amour ?
— Personne ne sait réellement ce qu'est réellement l'amour avant de ne plus pouvoir respirer seul, avant de ne plus savoir comment parler en présence de cette personne, avant de ne savoir qu'on ne pourrait pas vivre sans cette personne, avant de vouloir protéger à tous les prix celui qu'on aime, plus qu'on a jamais aimé personne ; même pas quelqu'un de notre famille.
Je soupire, mais reste silencieuse.
— Regarde moi, quand je t'ai vu je t'ai détesté. Tu n'en avais rien à faire de moi ; ça m'a blessé. Je savais que tu aimais Louis, que tu étais prête à tout même à renoncer à la possibilité d'être reine pour rester à Versailles avec lui. Je savais qu'à cause de toi, ma sœur avait pleuré des jours entiers avant notre départ pour la France avant son mariage. Car son fiancé en aimait déjà une autre. J'aurais aimé pouvoir lui dire : non, elle ne l'aime pas, comme toutes les autres elle préfère s'intéresser à moi ; mais ce n'était pas le cas. Je détestais ne pas savoir ce qu'il pouvait avoir de plus que moi pour qu'une jeune femme séduisante et avec la vie devant elle refuse catégoriquement d'envisager de quitter sa prison, préférant le risque d'épouser n'importe qui ; un vieux, un homme violent, quelqu'un d'irrespectueux ou qui la brimerait à la moindre occasion. Je ne comprenais pas. Puis, je t'ai détesté sans savoir que c'était toi que je détestais. Ta douceur, ton attention, ton sourire mais surtout l'éclat dans tes yeux m'ont rendu esclave. J'étais entièrement à toi. J'aurais voulu t'épouser sur le champ et m'enfuir n'importe où avec toi. Me faire passer pour mort si cela me permettait de vivre la vie que ton sourire m'offrait. Tu t'intéressait à qui j'étais réellement sans savoir qui j'étais, mon titre n'avait aucune importance et c'était incroyable. J'ai appris à te connaître sous ton masque et tu m'as fait t'aimer. Ta fragilité m'a donné envie de soulever toutes les barrières et de réunir tous les médecins du monde pour qu'ils ne s'occupent que de toi. Je détestais ne pas pouvoir être avec toi, je détestais imaginer épouser une des prétendantes froides ou aguicheuses que l'on m'avait proposé dont le comportement était accès seulement sur celui que l'on dit que je suis : un prince. Découvrir que tu étais l'une de mes prétendantes fut le plus beau jour de ma vie après celui où je t'ai rencontré lors du premier bal masqué. Je pouvais t'épouser, je pouvais passer ma vie avec celle qui me faisait respirer et qui me rendait enfin vivant. Alors, même si mes parents n'étaient pas d'accord, j'étais prêt à tout pour faire de toi ma reine. Tout ce qui m'importait c'était que tu m'aimes en retour. Sinon, je t'aurais laisser partir et aurait épousé quelqu'un d'autre, elle m'aurait fait un héritier, m'aurait soutenu sur le trône au lieu de s'opposer à moi et me rappeler mon incompétence. Mais tu m'as choisis, après que l'on se soit embrasser pour la première fois tu as rendu mon baiser avec autant d'amour et d'ardeur que j'en ressentais pour toi. Alors, ne me demande pas si je t'aime. Je t'aime. Je t'aime. Et toi ? Me suis je trompé ? M'aimes tu en retour ?
—J'ai tellement besoin de toi que j'en ai peur. Je suis dépendante de ton attention. Me réveiller et voir que tu n'étais pas là ça m'a comme tué. J'avais besoin de toi et tu étais ailleurs, en pleine nuit, pour moi cela voulait dire que tu m'avais rendu esclave de ta présence et que toi tu ne jouais qu'avec moi. Comment réagir après tous ces rois qui nous ont précédé et qui avait tous une maîtresse ? Comment pouvais je penser que je te suffirais ? alors que je ne suis que moi.
— C'est justement parce que tu es toi que tu me suffis amplement, tu es la seule personne que je voudrais, cent femmes ne pourraient te remplacer. Si tu partais je préférerais mille fois rester seul toute ma vie que trouver un substitut qui ne serait qu'à peine capable de substituer qu'un dixième de toi.
— Enzo... ne me fais plus de mal s'il te plaît.
— Je te le promets, tu es ce que j'ai de plus chère.
Je lui souris.
— Peux tu m'aider à me relever ?
— Bien sûr.
Me tenant par la taille, il m'aide à me remettre sur mes jambes et m'accompagne jusqu'au lavabo. Je rince ma bouche y ôtant le goût acide qui s'y était installé. Une fois que j'ai terminé, toujours en me maintenant d'une main il pose le dos de sa seconde sur mon front.
— Tu n'as pas de fièvre.
— Je sais pas pourquoi j'ai la nausée à un tel point juste en te voyant avec une autre femme.
— Je crois savoir.
Je l'interroge du regard en fronçant les sourcils.
— Je te l'ai caché parce que tu avais besoin de repos...
— Tu m'as caché autre chose ? Une autre maladie ?
—Calme toi, il n'y a rien de grave. A l'hôpital on t'a fait des prises de sang...
— Oui, et ?
— Laisse moi finir ! dit-il en souriant d'un air malicieux. Elles ont révélé que tu es enceinte.
— Enceinte ?
— Oui.
— Je suis enceinte ?
— Oui. Sans l'ombre d'un doute.
Je soupire de soulagement avant de réaliser.
— Je suis enceinte ! je m'écrie en sautant dans ses bras.
— Oui ! rit il.
— On va avoir un petit bébé ! C'est merveilleux !
Je ris avec lui. La joie a chassé toute la douleur que je ressentais quelques minutes plus tôt.
Il me bascule dans ses bras pour me porter en princesse. D'un coup de pied il ouvre la porte de la salle de bain et nous en fait sortir. Il me porte jusqu'au lit où il m'allonge délicatement avant de s'accroupir au dessus de moi.
— Qu'est-ce que tu fais ? je demande toujours en riant.
— On célèbre la nouvelle.
Je ris alors qu'il se met à embrasser la courbure de ma mâchoire.
— On est en pleine nuit ! je proteste.
Il se redresse et me regarde dans les yeux avec l'air le plus sérieux du monde me faisant cesser de rire immédiatement.
— Si tu ne veux pas, dis le moi. Dis le moi toujours.
Ces paroles me surprennent tellement que j'en reste muette et immobile. Interprétant à tord mon silence comme un aveu que je ne le voudrais pas, il commence à se relever. J'attrape sa chemise mal boutonnée qu'il a du enfiler en vitesse avant de sortir de la chambre et le tire vers moi pour qu'il revienne près de moi.
— Tu es adorable. Tu es sûr de ne pas vouloir que je me brosse les dents avant ?
— Non, tu es parfaite comme tu es et tu t'es déjà rincé la bouche une dizaine de fois, dit-il sur le ton de la moquerie.
Je coupe son sourire espiègle en l'embrassant à pleine bouche, ma main empoignant toujours sa chemise je tire sur elle pour me tenir à demi relevée. Enzo passe son bras autour de moi pour me rallonger doucement tout en continuant de nous embrasser. Alors que nous nous séparons de quelques millimètre un instant pour reprendre notre souffle, il caresse la courbe de mon visage du bout des doigts en disant :
— Tu es la plus belle personne que je n'ai jamais rencontré et je ne parle pas que de ton physique plutôt avantageux, me dit-il en me narguant, tu es magnifique à l'intérieur. Tu es gentille, soucieuse du bien être des autres et tu uses de ton intelligence pour le bien d'autrui ; on pourrait croire que tu agis parfois de manière spontanée mais en réalité tu sais toujours ce que tu fais, comme sur la route de l'opéra...
— Quand je me suis adressée aux français, je complète.
— Oui, il sourit sincèrement, tu étais éblouissante et rayonnante, tu avais l'air royale.
— Ah oui ? je hausse un sourcil interrogateur.
— Oui, confirme t-il sans laisser paraître le moindre doute sur son visage.
Je songe un instant à sa mère et ses cours pour me donner un air royal, je n'ai plus besoin d'elle, la seule chose dont j'ai besoin c'est retrouver la confiance qui m'animait avant que ma tumeur la fasse s'égrener et remplacer par le doute. Me recentrant sur mon époux et amant fasse à moi, je laisse tout de côté, laisse mon cerveau de côté et offre les rênes de mon corps à mon cœur et mes sentiments. Mes mains débutent le déboutonnage de la chemise d'Enzo tandis que je pose de léger baiser du bout des lèvres le long de sa gorge et de plus en plus bas sur son torse jusqu'à ce que j'ai terminé de lui ôter le bout de tissus. Lorsque je replonge mon regard dans celui du brun ses yeux semblent encore plus noirs qu'à l'ordinaire. Il rompt notre contact visuel et m'embrasse tout en douceur. Tous ses mouvements sont emplis de douceur : ses mains qui me caressent, ses lèvres qui m'effleurent, son torse qui se soulèvent au rythme de sa lente respiration. Il me fait perdre la tête autant que je semble lui faire perdre la sienne, nous finissons par nous endormir l'un contre l'autre. Ma tête sur son épaule ma main autour de lui. Sa tête repose contre la mienne son bras autour de moi. Peau contre peau, souffle contre souffle cœur contre cœur.
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