Chapitre 38 :
— Vous le savez sûrement déjà tous ; j'avais un cancer. Je ne veux pas que ce cancer justifie toutes mes erreurs de comportement. Je n'ai pas à avoir d'excuses alors que je suis désormais votre princesse. Vous n'avez pas à avoir confiance en moi parce que j'ai été opérée, vous n'avez pas à changer l'image que vous avez de moi simplement parce que je n'ai plus ma tumeur. J'espère bien que l'image que vous avez de moi changera, mais ce sera seulement parce que je vous prouverai mes capacités, parce que je ferais ce que l'on attend d'une princesse et plus tard d'une reine. Vous ne changerez pas la vision que vous avez de moi ; pas tant que je ne vous aurez pas montrez que cette personne que l'on vous a dépeint n'est pas l'épouse de votre prince. J'ai souffert d'un cancer, oui, mais comme plein d'autres personnes alors il ne sera pas mon excuse ; je m'y refuse. J'ai vu. Votre volonté est que la paix perdure ; elle est la mienne également et celle du prince. Battez vous pour votre paix. Nous nous battrons également pour elle. Personne ne mérite la guerre.
C'est ma voix, c'est mon visage, ce sont mes mots et pourtant sur cette vidéo ce n'est pas moi, non, ce n'est pas Aliénor : c'est une future reine qui s'exprime...
☆
Je laisse mon téléphone sur la table de chevet. Je me sens comme un oiseau dont on aurait ouvert la cage mais qui, par crainte, après s'être aventuré au dehors quelques instant serait aussitôt retourné dans la cage. Même si elle lui a ôté sa liberté, cette cage est après tout ce qu'elle a connu depuis bien longtemps et malgré qu'elle l'a brimé elle représente le foyer, le confort et l'accoutumance. L'oiseau veut s'envoler mais à peur de se qu'il peut trouver, mais également de ce qu'il peut perdre.
Commençant à être lasse de tourner en rond et de se faire du mouron, je jette un coup d'œil à l'heure ; déjà près de midi. Je me rends donc à la Salle à Manger. Le repas est teinté d'une ambiance étrange et pesante ; Enzo ne m'accorde aucun regard, ses épaules sont contractées, sa mâchoire dure et ses yeux froids. Lorsque l'on est en dehors des discussions et des dialogues enthousiastes, il est agréable au moins de savoir que si vous étiez seuls quelqu'un vous parlerez avec autant d'enthousiasme que vous l'espérez, mais lorsqu'en plus cette personne fait fi de votre présence la solitude est la seule qui vous tende ses longs bras graciles. Et cela malgré les coups d'œil que je jette à Enzo. Non. Il ne me répond pas par un seul petit regard. Il m'ignore comme si je n'avais aucune espèce d'importance ou même d'existence dans sa vie. Une pensée me faisant frissonner s'implante dans mon esprit comme malgré moi : peut-être ne voulait il que profiter de moi comme le comte Denier. Je tente de repousser et d'effacer cette pensée ridicule, mais il est trop tard, elle s'installe et s'empare de moi, me figeant presque le sang. je croyais qu'il me guérirait, que son amour me protégerait du souvenir de ses mains sur mon cœur, je pensais que quitter Versailles me ferait oublier, mais la douleur, comme la marée, revient quand on pense qu'elle nous a enfin oublié et laissé tomber. Elle est la seule que j'aimerais savoir qu'elle me quitte, mais comme à chaque fois on se laisse avoir. Pour la moindre chose négative le constat est le même ; on ne voit qu'elle quand elle est dans nos vies, on ne célèbre pas de ne plus l'avoir lorsqu'elle s'efface lentement ou que la situation s'améliore, et on regrette de ne pas avoir profiter de ces temps où il n'y avait plus vraiment de négatifs dans nos vies — puisqu'il y en a, mais qu'on ne les remarque pas — lorsqu'ils nous reviennent, telle la marée.
Mon esprit est un peu embrumé lorsque nous quittons finalement la table je ne prends même pas réellement attention à Enzo à mes côtés jusqu'à ce qu'il m'attrape par le bras et m'amène dans un couloir peu emprunté et plus étroit que les principaux. Il me colle au mur. Mon corps se glace et je suis prise de chaire de poule. En le regardant dans les yeux j'y vois la fureur qui s'y anime.
— Que se passe t-il ? ai je le courage de demander.
— Que se passe t-il ? Tu oses me demander : que se passe t-il ! Mais qu'as tu donc à l'esprit ?
— De quoi parles tu ? dis je timidement.
— La vidéo que tu as publiée.
Il est donc déjà au courant.
— Je te l'ai dit ; tu peux cesser de te battre ; pas moi.
Ces mots ont beau sortir de ma bouche, je ne suis plus si sûre de les penser.
— Tu n'es pas reine de France !
— Je le sais !
— Alors oublie la ; elle est perdue.
— Je ne veux pas le croire.
— Il n'est pas question de volonté, mais de devoir.
Je soupire.
— Ce n'est pas aux français que je me suis adressée ! mais aux italiens, dis je en baissant le son de ma voix sur les derniers mots.
— Oui, mais tu n'avais pas à faire ça. Je t'interdis de continuer ton plan. Ne leur promet pas la paix.
— Tu me l'interdis ?
— Oui, je te l'interdis.
— De quel droit m'interdis tu quelque chose ? je demande désormais légèrement énervée à mon tour.
— Je ne suis pas que ton mari ; je suis le roi.
— Pas encore.
— Ce n'est qu'une question de jour.
— Ces quelques jours sont largement suffisant. Tu n'es pas roi.
— Ne me désobéis pas s'il te plaît, dit-il d'une voix plus douce, presque suppliante.
Son timbre dérisoirement honnête m'afflige ; nous sommes tout deux bien incapable de nous tenir tête plus de quelques minutes, nous sommes trop impliqué affectivement l'un envers l'autre pour se confronter, et confronter nos idées, et cela, bien que s'en n'ai pas vraiment l'air, est un défaut dans ce que devrais être la relation entre un roi et une reine. Après tout, comment trouver la meilleure solution, la meilleure manière d'agir, si l'on ne confronte pas différentes possibilités ?
— Alors que dois je faire ? Il me semble t'avoir dit que je n'étais et ne serais jamais une potiche à ton bras. Ton peuple a une piètre image de moi ; je ne peux pas ne rien faire.
— Ils apprendront à t'apprécier, tu avais une tumeur, ils peuvent bien le comprendre.
Je soupire une nouvelle fois.
— Très bien.
Il passe sa main sur ma joue, je m'y appuie.
— Merci.
Nous restons là un moment, dans un couloir drapé de tapisseries et de broderies, dans les bras l'un de l'autre. Sa chaleur m'entoure et m'englobe comme une couverture. Contre lui, je peux me détendre et me sens rassurer. Son souffle s'échoue dans mes cheveux. J'aimerais rester dans ses bras pour toujours ; en sécurité, protégée. Il remet son visage face au mien pour me regarder. J'espère ne pas me perdre un jour dans le noir de ses yeux qui semble m'appeler à les suivre jusqu'au bout des nuits et des jours.
— Je ne suis pas un homme parfait. Je ne pourrais pas changer le monde, même pour toi, et même avec toute la volonté du monde nous ne pourrions pas avoir assez de poids, et d'influence pour empêcher la mort du roi de France et de son royaume. Je suis navré pour Louis, tu auras beau dire tout ce que tu veux, je sais qu'il comptait pour toi. Je comprends, je ne te fais pas de reproches. Tu t'es comportée avec lui comme le ferait une grande sœur qui protège son frère, et ceux depuis l'enfance... alors, oui, c'est normal ; ce que tu ressens est normal.
— Merci, je lui chuchote, tu es un ange.
— Non, il sourit, charmeur, n'oublie pas que c'est toi l'ange.
Je souris à mon tour et me replonge dans ses bras. La tête contre son torse, j'écoute tranquillement les battements de son cœur.
— Si j'avais le choix entre le trône et toi, c'est toi que je choisirais. Je n'ai pas besoin du poids de la couronne, mais j'ai besoin de toi.
— Et l'Italie a besoin de toi. Elle a besoin d'un roi ; un roi bon et généreux.
L'une de ses mains quitte mon dos et se pose derrière ma tête. Je le sens trembler. Je caresse doucement son dos. Après un long silence, il finit par me dire :
— Je ne sais pas si je serais à la hauteur ; je ne sais pas si je veux l'être.
Nous sommes deux a avoir ce genre d'inquiétudes mon amour.
— Ne t'inquiète pas, tu n'es qu'un être humain, comme chacun d'entre nous. Tu n'as pas a être parfait. Faire de son mieux pour son peuple, c'est tout ce qu'un roi a à faire.
Alors pourquoi ne suis-je pas capable de penser la même chose pour moi ?
— Si seulement, tu avais raison.
Sur ces mots il plonge son visage au creux de mon épaule. Je le laisse me serrer aussi longtemps qu'il en a besoin avant de retourner affronter un monde de politiques. Lui comme moi, je pense que nous en avons besoin. Et puis, tout le monde a le droit d'avoir un havre de paix et de tranquillité dans lequel se réfugier. Tout le monde a le droit de se protéger du chaos de sa journée... au moins quelques minutes.
— Allez, j'éloigne mon visage pour pouvoir regarder le sien, vas-y. Nous ne pouvons pas rester ici toute la journée.
Il soupire.
— Tu as raison. Je vais aller voir mon père et mettre au point les détails du couronnement.
Je lui souris. Il reste un moment à me regarder, comme s'il n'a pas réellement envie d'y aller. Finalement, face à mon regard insistant, il finit par partir travailler.
Après avoir pris l'air à ma fenêtre, yeux fermés et cœur et poumons grands ouverts je trouve le courage de prendre en main mon téléphone. Pleins de commentaires m'y attendent déjà. Ils sont partagés ; comme sur n'importe quelle publication. J'essaie d'oublier les commentaires désobligeants, sans les effacer pour autant — je ne voudrais pas qu'ils croient que j'essaie de limiter leur liberté d'expression — et me concentre sur le positif. Des messages de soutien, et d'encouragements fleurissent sous mes yeux. On me félicite pour mon courage et ma force face à la maladie. Je ne me sens ni courageuse ni forte. On porte ses espoirs sur moi, j'ai l'impression qu'ils espèrent que je serais l'image de la paix. Ils espèrent que je serais leur étendard, leur voix au palais. J'ai déjà échoué.
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