Chapitre 35 :
Je ne sais pas combien de temps j'ai passé dans cette chambre avec pour seule compagnie des médecins et des infirmiers qui viennent vérifier mon état, jusqu'à ce jour où un interne déverrouille les roues de mon lit.
— Où m'emmenez vous ?
— Vous verrez bien.
— Pourquoi ne pas me le dire ?
— La seule chose que vous devez savoir c'est qu'il vous est toujours interdit de vous lever.
— Je le sais très bien, pourquoi ne rien me dire de plus ?
Il ne répond pas à ma question et poursuit son trajet. Dans le couloir, je suis attristée en voyant des gens l'air malheureux, désespéré ou très mal en point. Les sentiments qui se lisent sur leur visage fatigué me fendent le cœur.
— Comment supportez vous toute cette douleur ?
— De quelle douleur parlez vous ?
— Celle qui se reflète dans leurs yeux.
Il met un certain temps à me répondre, comme s'il essayait de s'en souvenir.
— C'est triste à dire mais on s'y habitue.
— Oui. C'est triste.
J'observe tour à tour patients et soignants, tous ont cet air éreinté, tous dégage des ondes négatives. Que se soit de la lassitude, de la tristesse, des regrets ou des remords, dans l'hôpital, l'absence de joie me rappelle à quel point nous aurions dû tous avoir honte à Versailles. Nous nous plaignons de tout et de rien tout le temps affirmant que de toute manière nous étions français et que cela était notre patrimoine. Mais comment avons-nous pu ne pas réussir à être heureux ? Pourtant, c'est bien vrai, et je le sais très bien, personne ne vivait dans le bonheur à Versailles. Au détour d'un nouveau tournant il fait s'estomper mes pensées et renaître ma curiosité en m'annonçant qu'on est arrivé. Il m'arrête, ouvre une porte, puis il pousse mon lit à l'intérieur.
— Enzo ! je m'exclame de surprise et de joie.
— Rallongez vous.
J'obtempère, je ne peux pas risquer que l'on me ramène seule dans ma chambre. Le visage de mon époux se tourne doucement vers moi, il semble encore très fatigué. Il me fait un sourire magnifique, épuisé mais si puissant et honnête, rempli d'espoir, d'amour et de confiance en l'avenir, en nous. Je vais encore le décevoir. On pousse mon lit au côté du sien, suffisamment près pour que je puisse poser ma main sur la sienne.
— Je vous laisse Vos Altesses.
Je ne prête pas garde à l'interne, toute mon attention est tourné vers une paire d'yeux foncés qui me fixent.
— Comment te sens-tu ?
— Bien, et toi ?
— Mieux maintenant.
— J'ai quelque chose à te dire. Je sais tout, tu ne sais rien. Je voulais, je voulais te protéger. Et... et je t'ai fait souffrir. Je suis le pire époux qui puisse exister.
— Non. Non ne dit pas ça s'il te plaît.
— C'est la réalité. J'ai été égoïste de garder le silence sur ta tumeur.
— Une tumeur ?
Il hoche la tête.
— Une tumeur. Et d'après les médecins tu l'avais depuis un moment. En comprimant des aires de ton cerveau, elle t'a fait t'évanouir, agir impulsivement et bien d'autres choses encore. De plus, elle était maligne.
Je ne réponds rien. Il poursuit :
— D'après ton chirurgien ils sont parvenus à tout enlever, et d'après tes résultats post opératoire tu n'as pas de séquelles. Cela n'aurait peut-être pas été le cas si je t'avais fait opérer après le couronnement. Je suis désolé d'avoir été égoïste.
— C'est du passé désormais. Il se passe déjà plein de choses dans le présent. Ne te soucie pas du passé. Je ne t'en veux pas.
— Je suis si fatigué.
— Je sais. Repose toi. Je reste avec toi.
Je lui souris et il me répond par le même geste avant de fermer les yeux. Je laisse ma main sur la sienne, profitant de sa chaleur. Je ferme les yeux à mon tour même si je ne suis pas aussi fatiguée que lui. Mon esprit n'est cependant pas d'accord pour se reposer. Dans ma tête tourbillonnent des dizaines de papillons, sur chacun d'eux une préoccupation ou une idée est inscrites. Que va t-il se passer ? Le Roi et la Reine de France vont ils être tués ? Quel sera le sort des français sous le règne d'Henry Guojènne ? Et celui de la noblesse ? Comment vont se positionner les alliés monarchiques de la France face à ce revirement ? Surtout l'Italie dont la princesse était reine de France, que vont ils faire ? Et moi qui suis fille de la France et bientôt reine d'Italie que dois-je faire ? Quel parti dois-je prendre et défendre ? Qu'est-ce qu'en pense Enzo ? Maintenant que mon jugement devrait être raisonné, maintenant que la tumeur ne parle plus pour moi, mais que mon image est terni auprès de mon futur peuple, comment dois-je me comporter ? Dois-je me montrer discrète m'effacer et me faire oublier ou, au contraire, dois je m'exprimer, prendre parti, défendre ce qui me semble être juste et laisser ma voix être entendue ?
J'ouvre les yeux me demandant pour la première fois si j'ai mon téléphone. Je l'avais avec moi quand je suis arrivée à l'hôpital mais ils l'ont forcément mis quelque part pour m'opérer, comme le reste de mes affaires. Tant pis, je le demanderais au prochain personnel soignant qui viendra nous voir.
N'ayant rien d'autre à faire, et sentant que je n'arriverais pas à me lever pour me détendre les jambes, je referme les yeux, serre plus fort la main d'Enzo, et tente de me reposer, avant que l'on n'en ai plus réellement l'occasion.
☆
A mon réveil, je crois momentanément halluciner, devant moi, je vois assise sur un fauteuil, le visage bronzé de la princesse Lucia à moins que ce ne soit sa jumelle Carla, je n'en suis d'abord pas tout à fait certaine. Je referme les yeux et les rouvre, la princesse est toujours devant moi, de l'autre côté de la couche d'Enzo. Elle me regarde avec un mince sourire, une robe noir aux douces volutes dorée s'étale comme une fleur éclose autour d'elle. Je me rends compte que ma main est toujours dans celle de mon époux mais lorsque je tente de l'en retirer, il la serre plus fort. Je me retourne donc en maintenant ma main dans sa paume douce et chaude. Une fois allongée sur le dos, je peux voir que toutes les princesses qui était à Versailles pour le couronnement de Louis sont là autour de moi.
— Vous avez quitté le palais par les temps qui courent pour venir me voir ?
— Bien évidemment, me dit Hannah avec sa bienveillance habituelle.
Sous le soleil d'Italie ses tâches de rousseur se sont accentué, on voit désormais plus la jeune fille qu'elle est que la princesse d'un puissant royaume dans son visage aux joues arrondies.
— Tu es l'une d'entre nous, me rappelle Carla vêtue d'une robe vert forêt dans lequel se distinguait des motifs plus claires, c'est donc bien sa sœur que j'ai vue sur le fauteuil.
— Nous avons appris pour ta tumeur, c'est terrible.
Je ris sourdement.
— Il y a donc bien tout le monde qui savait ce que j'avais sauf moi.
— Oh, non. Nous avons appris par les médecins en arrivant. Ils ont bien été obligés de nous révéler ce que tu avais pour nous expliquer pourquoi tu es toi aussi en convalescence.
Je hoche la tête même si ce mouvement me faisait sentir mon crâne encore plus étrangement. Un peu comme s'il sortait de l'eau.
— Nous ne sommes malheureusement pas venues seulement pour cela. Nous estimions important de t'informer... des dernières nouvelles.
— Je sens que ça ne va pas me plaire.
— Louis XIX... est enfermé.
— Oh... qu'elles charges sont retenues contre lui ?
— Usurpation du pouvoir...
Je coupe sans même y prendre garde la princesse autrichienne.
— Celle là c'est la meilleure. Quelle bonne blague.
— Je sais c'est totalement ridicule, rajoute l'anglaise.
— Il n'empêche qu'il risque la peine de mort.
— La.. ma voix se coupe, incapable de continuer.
— Il est accusé d'incompétence, de maltraitance envers son peuple, de détournement des fonds publiques et bien d'autres choses... murmure timidement Lucia comme si elle craint ma réaction.
— Comment peut-on l'accuser de tout cela, il n'est roi que depuis plusieurs semaines, jamais il n'aurait eu le temps de faire tout cela c'est totalement ridicule. De plus, la peine de mort a été abolie en France depuis 1981. Cette date fait partie de celle que l'on m'a fait apprendre par cœur durant mon enfance avec celle de l'abolition de l'esclavage et du droit des votes des femmes, toutes des avancées majeures dans l'histoire de notre pays. Comment peut-il réinstaurer la peine de mort ?
— Je crois qu'il a dit : à situation exceptionnelle solution exceptionnelle.
— Avec ce genre de remarque on évite les lois et la Constitution, c'est dangereux et interdit. Comment personne en France ne peut se rendre des véritables intentions de cet Henry ? Ce n'est certainement pas pour le peuple qu'il veut devenir roi, mais pour lui.
— Cela nous le savons toutes très bien. Mais ne t'inquiète pas Louis aura un procès et en France le pouvoir judiciaire n'est plus dans les mains du dirigeant depuis bien longtemps.
— Cela ne me rassure pas pour autant. Il a réussi à se mettre le peuple dans la poche. La voix du peuple sera pour lui une excuse pour contourner toutes les lois qu'il désire.
Après mes mots, elles ne disent plus rien, elles me regardent comme si j'étais une pauvre chose. Je sais qu'elles ne veulent pas me vexer, je suis vraiment une pauvre chose. Pauvre chose qui avait une tumeur, pauvre chose dont le mari s'est fait tiré dessus à sa place et pauvre chose dont le pays part en ruine. Cependant, je n'ai pas envie que l'on se rende compte que je ne suis plus qu'une pauvre chose.
— Que pensez-vous que je doive faire ?
Elles se jettent des coups d'œil furtifs, finalement après quelques secondes de gênes et de silence, Mary, la plus jeune d'entre nous, du haut de ses 14 ans, me dit :
— Cette décision ne peut appartenir qu'à toi. Fais ce qui te semble être sage et juste. Au fond de toi, tu sais ce que tu dois faire, tu dois juste en prendre conscience. Les décisions les plus difficiles sont celles que prennent les grands dirigeants.
— Ne doute plus. Tu as mérité ton titre. Si Enzo estime qu'il t'appartient alors ce rôle t'appartient, c'est toi la princesse de son royaume.
Je souris :
— Merci.
— Alors de quoi voulez vous qu'on discute pour se changer les idées et occuper notre convalescente ?
Sa jumelle rit :
— De ta relation avec Joseph !
Nous rions toutes ensemble.
— Il n'y a rien à dire, proteste Lucia.
— Allez donne des détails ! Fait nous vivre le conte de fée !
Jusqu'à ce que les visites soient terminées elles restent avec moi, nous parlons de sujet plus léger et trivial. Nous rions mais rien de ce que nous pouvions dire n'a réveillé Enzo. Elles ont mangé avec moi après avoir récupérées quelque chose à la cafétéria. Je me sentais intégrée à un groupe, en confiance, à l'aise. Durant une journée, de mon réveil au moment où elles ont été obligées de repartir, je n'ai pas été seule une seule fois, et étonnament, cela fait du bien.
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