Chapitre 12:
Je suis restée amorphe sur mon fauteuil jusqu'à ce qu'Émilie soit entrée tout exitée à l'idée de me préparer. Suis-je restée assise 20 minutes ou plusieurs heures dans cet état second ? Je n'en avais aucune idée.
Une heure plus tard, je suis de nouveau transformée, extérieurement et intérieurement je ne suis plus moi, mais qui suis-je ? Qui étais-je? La meilleure amie du Roi, la fille des ducs du Haut-Rhin, la prétendante d'un prince? Est-ce que j'ai vraiment envie d'être elle? Détestée par la Cour, par la Reine, méprisée, rejetée, désirée? Est-ce vraiment qui je suis? Et si je pouvais juste être Aliénor... qui serais-je? Comment me comporterais-je? Est-ce qu'Aliénor aime, est-ce qu'elle est malade, stressée et perdue? Qui est cette Aliénor qui m'est si inconnue? Que se cache t-il derrière ce visage que je vois dans le miroir?
- Mademoiselle?
La voix de ma femme de chambre me tire de mes réflexions.
- Oui?
- Je ne pourrais pas m'occuper de vous demain, je suis demandée pour aider à organiser la fin des festivités.
- Oui bien sûr, ne t'en fais pas, je vais m'en sortir seule.
- Très bien madame.
- Laisse moi.
La surprise se peint quelques secondes sur son visage mais elle se remet rapidement me fait un sourire en faisant une révérence avant de partir.
Enfin seule je m'avance lentement vers le reflet que je vois dans le miroir. J'effleure sa surface au niveau de mon visage.
- Je n'ai qu'une certitude... j'espère le revoir...
Je me détourne de cette glace si trompeuse, si traître et sors sur le balcon.
J'ai toujours eu le vertige. Devant la porte-fenêtre que je viens d'ouvrir je regarde au loin le ciel qui a commencé à s'assombrir. Je fais un pas, et encore quelques autres pas, lentement et sans savoir pourquoi je m'avance jusqu'à la balustrade de pierre. Je pose mes mains dessus, je ferme les yeux et caresse les callosités de la pierre que je sens sous mes doigts. Je sens le vent qui agresse ma peau nue et balaie les cheveux de ma perruque.
Je rouvre les yeux et me penche. Mon cœur s'affole immédiatement en voyant le sol si loin de moi. Mes mains et mes pieds se figent, ma respiration est douloureuse pourtant je suis incapable de détourner mes yeux du sol ni de m'éloigner du rebord.
Lorsqu'enfin je me retrouve à me tenir fermement à la porte menant au balcon, je me rends compte qu'au moins une chose n'a pas changé en moi.
- Je suis quelqu'un qui a peur du vide, qui avait peur du vide et qui aura toujours peur du vide.
Je ferme les yeux et m'appuie contre le chambranle de la porte. Un sourire s'esquisse sur mes lèvres.
☆
J'arrive dans la salle de bal en même temps que de nombreux autres nobles. Mon visage est dissimulé et je crois que je ne pourrais pas être plus moi-même qu'avec un masque. Pourtant la première chose que je fais et de m'assoir sur un banc le long d'un mur. Le velour sous mes doigts, la musique dans l'air, je me sens portée par un tourbillon. Au milieu des rires, des discussions, des mélodies, des danses et des nobles semblant prient de frénésie je suis simple spectatrice jusqu'à ce que sa silhouette se dessine face à moi.
- Un ange se serait-il perdu ce soir?
- Les anges n'ont ils pas le droit de faire la fête eux-aussi ?
- Une fête en ce monde ne vous mérite pas.
- Vous êtes amusants... mais un peu agaçant, son sourire se dérobe quelques instant. J'aimerais être une simple humaine à vos côtés.
- Très bien. Je peux m'assoir? dit-il en désignant la place à côté de moi.
- Bien sûr.
Je le regarde avec un léger sourire. Je me sens si bien en sa présence.
- À quoi pensez-vous ?
- J'aimerais quitter Versailles si c'était avec vous.
Son regard change et se remplit d'une douceur infinie mais aussi d'une douleur sourde.
- Je sais c'est ridicule, dis-je en retournant mes yeux vers les danseurs.
Après un instant de silence entre nous il se tourne vers moi et m'affirme:
- Non ce n'est pas ridicule, j'aimerais le rendre possible.
J'esquisse un sourire de dépit.
- C'est trop compliqué, ma vie est trop compliquée je ne crois pas que l'on puisse espérer une telle utopie.
- Ce n'est pas une utopie et ça peut devenir réel.
- Comment peux-tu en être aussi sûr?
Il ne me répond pas. Je laisse échapper un léger soupir.
Nous observons de nouveau les danseurs en silence. Soudain je vois quelqu'un s'écrouler, un noble habillé comme un ancien roi. Alors que je regarde le corps d'où s'écoule une substance rouge, je n'ai aucune réaction. L'homme assit à côté de moi se lève et m'attrape par le bras. Il m'entraîne jusqu'aux longues tables abritant le banquet et me fait m'agenouiller sous les tables tandis que j'entends une voix d'homme hurler:
- À mort les aristos! À mort les monarchies!
Il me tient dans ses bras m'empêchant de bouger. La nappe me cacher la vue, je ne suis pas certaine que j'aurais voulu voir ce qu'il se passait.
Cependant j'entendais. J'entendais la cohue, les cries, la frénésie et, au milieu de tous ça, la musique continuer de tourner nous rappelant d'une manière assez effrayante que le monde ne s'arrêtait pas de tourner même si nous cessions de suivre son mouvement.
Deux mains chaudes caressaient mes bras tremblants.
- Calme-toi. Tout ira bien. Écoute, on n'entend déjà plus le fou.
Effectivement, les cris s'étaient calmés.
- Vos Majestés et leurs invités nous avons maîtriser le rebelle. Il était seul. Mais la garde vous conseille de cesser le bal. Vous pouvez tous retourner dans vos appartements, nous indique une voix grave diffusé dans des enceintes.
- Je ne veux pas bouger, je chuchote.
- Alors nous resterons là, dit-il avec bienveillance.
J'appuie mon dos contre son torse et me laisse aller, ses bras entourant mon corps, sa tête s'échouant contre mon épaule.
- J'ai peur.
- Pourquoi? dit-il sans une seule pointe de mépris ou d'agacement.
- J'ai peur en permanence. Depuis des années maintenant je m'en rends compte, même si c'est pire depuis quelques temps. Et plus mon état s'empire plus j'ai peur, et plus je perds de nouveau le contrôle.
- Tu perds le contrôle?
- J'ai des absences, des trous, des oublies.
- Tu...
Je me retourne attendant qu'il poursuit sa phrase mais il ne fait que m'offrir un petit sourire désolé en me disant:
- Tu es forte je suis sûr que ça va s'arranger.
Je fronce les sourcils, une étrange impression de déjà vu m'assaillant. Mais non, ce n'est pas possible, il ne peux pas être Enzo. Ce prince italien est insupportable et méprisant. Ils ne peuvent pas être la même personne. Mais... c'est vrai qu'il s'est montré attentionné ce matin. Je pose ma main contre ma tempe, mes réflexions me faisant tourner la tête.
- Allons-y, dis-je plus froidement que je ne l'aurais voulu.
Il m'aide à sortir de sous les tables. La salle est vide ormis les gardes. Il n'y a plus de sang par terre. Il ne me vient même pas à l'esprit de me demander qui a été ou est blessé. Je continue de le regarder sans savoir ce que je veux lui dire. Je finis par reculer d'un pas. Nos yeux toujours ancrés dans ceux de l'autre.
- Passez une bonne nuit, chuchote t-il dans la nuit me laissant partir.
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