Chapitre 11:
Le lendemain du ballet, dès le réveil et même durant toute la nuit, l'histoire de Giselle m'a tracassé.
Vais-je y passer comme Giselle? Vais-je devenir folle? Ou bien peut-être que je le suis déjà?
Respire. Respire. Respire.
Souffle. Marche la tête haute. Voilà tu t'en sors bien. Fais la discussion maintenant.
Les voix sont un peu flous, je les vois parler mais je ne comprends pas. Les sons m'arrivent comme à travers une couche de cotons.
Ne t'inquiète pas ça va aller. Respire.
Mais pourquoi j'entends pas?
Calme toi je t'en pris. Tu es à table avec tout le monde, tu portes une jolie robe mauve et tu vas très bien.
Je suis pas sûre.
Mange un peu. Souris.
Je vais faire ça. Je souris.
Mince il me regarde.
Surtout ne panique pas.
Mais j'entends pas ce qu'il me dit!
Je panique. J'ai peur. Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive.
Il fronce les sourcils. Il dit de nouveau quelque chose. Je fixe mes yeux dans les siens, il faut que je me raccroche à quelque chose.
J'ai l'impression d'être dans un tourbillon. Les prétendantes aussi me regarde à présent.
Une main se pose sur mes épaules.
- ... avec moi... repos...
Je ne comprends pas bien.
Reste calme.
Il prend mon bras et m'emmène avec lui.
Le bruit de mes talons sur le carrelage est étrangement étouffé.
Il m'emmène dans un salon, le bruit des flammes qui crépitent dans la cheminée ne semble pas m'atteindre. Je flotte très loin alors qu'il m'aide à m'assoir sur un fauteuil.
Il s'assied devant moi, il parle mais je n'arrive pas à comprendre ce qu'il dit.
Mon angoisse grandit encore, mon cœur palpite à 100 à l'heure.
Pour lui faire comprendre la situation je pose mes mains sur mes oreilles et secoue la tête d'incompréhension.
Une lueur de surprise s'allume dans ses yeux, il se lève et vient s'accroupir près de moi. Il dit des mots qui s'étouffent également et se dérobe à mon ouïe. Il me fait signe de fermer les yeux. Peu sereine je le fais tout de même. Je sens ses mains agripper les miennes.
Je reconnais sa voix; douce et grave; je ne comprends rien à ce qu'il dit mais étrangement son timbre commence à m'apaiser. Sa voix me ramène à ce soir, elle me rappelle celle de l'homme masqué mais je dois me tromper. Je me laisse aller à écouter sa voix comme on écoute une musique dans une autre langue. Elle agit sur ton âme, se rythme avec elle, s'aligne sans que tu es besoin d'en comprendre ses paroles. Mes battements de cœur s'apaisent alors que je sens ma tête devenir plus lourde.
☆
Je rouvre les yeux allongée sur l'un des divans de ma suite. Mon esprit est embrumé et embrouillé j'ai du mal à me souvenir ce que je fais là. Heureusement le lieu familier me rassure, je referme les yeux. Je me laisse aller, mes muscles sont totalement détendus, lourds et enfoncés dans les oreillers. Je passe ma main sur l'oreiller sur lequel ma tête repose, il n'a rien à faire là. Il est trop gros et trop moelleux pour être ceux du divan. Étrangement avoir remarqué cela ne me fait pas paniquer; je n'en ai pas la force et je me sens beaucoup trop bien ici. Je me laisse m'enfoncer physiquement et mentalement de plus en plus profondément. Pour une fois que je me laisse aller, que je me décroche de tout cela, de cette douleur incompréhensible que me procure cette impression de perte totale de contrôle sur moi-même.
Je rouvre les yeux, il n'y a personne dans la pièce. Je remarque une mélodie douce, légère, faible et délicate. Qui a bien pu allumer la musique? Je me redresse savourant encore cette impression de calme. Je me lève et me dirige vers la fenêtre le soleil brille abondément, nous sommes en milieu de journée.
Je sursaute en entendant la porte s'ouvrir en grinçant. Je me retourne et vois avec une stupéfaction non dissimulée le prince Enzo entrer dans mes appartements.
- En Italie on ne toque pas à la porte? dis-je immédiatement
- Si mais je craignais de vous réveiller alors j'ai préféré entrer directement, dit-il
- Dommage que la porte grince.
- En effet.
Il me fait un petit sourire contrit, je remarque alors qu'il est encore au seuil de la porte.
- Vous pouvez entrer, venez asseyons-nous.
Je lui fais un signe en direction de deux fauteuils face à la cheminée. Je m'assied et il en fait de même.
- Je suis heureux de te voir réveillé.
- Hum, oui... mais j'ai l'impression que j'ai oublié quelque chose...
- Tu t'es endormie. Tu... tu n'allais pas bien... tu n'entendais pas.
Je cligne des yeux en le regardant, cette terreur que j'avais ressenti me reviens.
- Je ne sais pas ce qui m'arrive, dis-je en murmurant.
- Ce n'est pas la première fois que tu décroches non?
- Je...
Les mots me restent en travers de la gorge.
- Ne t'inquiète pas. Tu es quelqu'un de solide... ça se voit.
- Je n'en suis plus si sûre.
- Pour te changer les idées, je t'ai apporté quelque chose, c'est en partie pour ça que je suis venu.
Il s'avance au bord du fauteuil et me tend un objet rectangulaire qu'il sort de sa poche.
Je l'attrape avec curioité. Je le tiens précautionneusement, je n'avais jamais rien vu de tel.
- C'est mon téléphone.
- Ton téléphone?
- Oui c'est un portable.
- Je n'avais jamais vu cela, dis-je en l'observant attentivement
- C'est le genre de choses dont les personnes en dehors de la Cour ne peuvent se passer. La technologie vous est interdit, je crois comprendre pourquoi mais je ne m'imaginerais pas cette situation à la Cour d'Italie.
- Et quelle est son utilité?
- Avec un téléphone portable on peut surtout communiquer, mais on peut aussi jouer à diverses jeux, prendre des photos, des vidéos, écouter de la musique et pleins d'autres choses.
- C'est très polivalent, mais comment ça fonctionne?
- Vous voyez ce bouton? dit-il en me le désignant. Appuyez dessus.
Après avoir fait ce qu'il m'a dit, l'écran du curieux appareil que je tiens s'allume. Je le regarde avec émerveillement.
- Attendez il est verrouillé.
Il le reprend quelques instants avant de me le redonner. Il passe du temps à m'expliquer son fonctionnement et à me décrire toutes les autres merveilles de technologie qui existent.
- Mais comment peut-on être à l'écart de tout ça ? Comment peut-on être aussi ignorant et croire que la technologie n'est pas digne de la noblesse?
- C'est sûrement l'adiction que peut procurer la technologie qui a mené à cette interdiction.
- Je ne suis pas sûre de comprendre, cette histoire de technologie m'intrigue.
Je ramène une main à mon front, soupire et me cale dans le fauteuil.
- Désolé de ne pas suivre l'étiquette...
- Que se passe t-il ?
- Ma tête tourne un peu, mais ne vous en faîtes pas... ça va passer.
- D'accord... alors je vais vous laisser vous reposer.
Alors qu'il se lève et commence à partir, je lui dis:
- Merci de m'avoir fait découvrir tout cela.
Il sourit:
- J'étais persuadé que cela vous plairait.
Cette fois-ci je le laisse partir, il ferme délicatement la porte me laissant seul avec mes angoisses. Après tout... elles reviennent toujours.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top