Chapitre 22

Siana, l'alchimiste vaillante


Après une bonne nuit de sommeil, le groupe se lança à la recherche de la bile de Krokaren. Dowen leur avait gentiment proposé de se rendre dans une boutique spécialisée dans les ingrédients les plus rares. Depuis, les Titanomanciens arpentaient la cité avec le plan de Dowen en tête.

Cette fois, les bars n'appâtaient plus autant d'étudiants que la veille au soir. L'effervescence se situait désormais aux abords de la grande Académie. Là, les élèves étudiaient dans l'herbe, alors que d'autres se précipitaient pour ne pas être en retard. Dans le brouhaha ambiant, Noria arrivait à dénicher des informations sur sa propre famille. Des Alchimistes trouvaient honteux de ne plus recevoir les subventions des Orwyn alors qu'ils avaient tant fait pour eux. Une honte la submergea. Elle ne pensait pas recevoir les retours des mauvais agissements de sa famille.

– On devrait manger là ! cria Hirelda.

Alors qu'ils se trouvaient dans un petit quartier bondé de restaurant, Hirelda scruta l'ardoise du menu. Même s'il n'était que le matin, les serveurs préparaient les terrasses pour permettre aux étudiants de se détendre pendant un bon repas. Ils arrivèrent ensuite dans la ruelle que tout Alchimiste se devait de connaître, celle qui proposait de nombreuses boutiques d'ingrédients en tout genre. Impossible pour les étudiants de ne pas se rendre dans cette avenue pour y faire les courses.

Obligés de se faufiler à travers la foule, les Titanomanciens se serrèrent pour slalomer entre les passants. Noria ne trouvait pas l'idée très intelligente. Réunir autant de magasins importants faisait de la rue un enfer pour les autres. Elle se faisait bousculer, même si Allen jouait des coudes pour la protéger.

Ils dénichèrent enfin le magasin conseillé par Dowen et effectivement, il ne payait pas de mine vue de l'extérieur. Contrairement aux autres, aucune pancarte au jeu de mot parfaitement trouvé pour décrire ce qu'ils vendaient ne les attendaient, et sa construction bancale laissait entendre qu'elle allait s'écrouler. La vitrine faisait peine à voir avec ses quelques bibelots sans valeur laissés à la poussière. Pourtant, d'après l'ami d'Ozia, il s'agissait de la plus grande variété d'objets rares. Malgré leur air dubitatif, les Titanomanciens entrèrent d'un pas décidé.

À l'intérieur, ils se retrouvèrent nez à nez face à une belle jeune femme d'une vingtaine d'années, avec une belle chevelure rose mi-longue. Ses yeux vairons bleus et verts se posèrent sur le groupe et un large sourire fendit son visage.

– Tiens ! Des collègues !

La Titanomancienne était vêtue d'un corset bien serré à la taille qui se terminait par une jupe asymétrique, plus courte sur le devant, et mettait en valeur sa poitrine généreuse. Elle dévoilait ainsi de hauts bas montants élégamment jusqu'aux cuisses. De longues mitaines recouvraient une partie de bras qu'elle croisa devant elle. Ses vêtements utilisaient des nuances de jaunes pour la rendre élégante de la tête aux pieds.

– Vous êtes de passage vous aussi ? demanda-t-elle.

Noria lui fit face, tandis que ses amis explorèrent la boutique après l'avoir salué rapidement. Elle sentait qu'elle n'était pas qu'une simple Titanomancienne, même si le symbole de la lumière, une étoile à huit branches, était tatoué à la base de son cou.

– Oui, nous cherchons un ingrédient spécifique. Mais, qui êtes-vous ?

– Izeris Veldra, je suis une Sage.

L'annonce arrêta tout le monde dans leur recherche. Leur regard bascula sur la jeune femme qui devait avoir une vingtaine d'années. Bouche bée, ils la fixèrent avec intérêt, alors qu'elle mit un sac sur son épaule.

– Et vous ? demanda-t-elle.

– Je m'appelle Noria. Nous venons acheter de quoi faire une potion, répondit-elle en restant vague.

Même s'il s'agissait d'une Sage, elle préférait garder sa vie secrète. Elle ne voulait pas que tout le monde sache qu'une Orwyn se baladait dans la ville des Alchimistes, de peur que tout le monde lui saute dessus pour se venger de son père.

– Je suis venue ici pour faire quelques emplettes, avoua la Sage. C'est la meilleure boutique pour acheter des ingrédients rares. Bon, je vous laisse, j'ai à faire. À plus !

Elle fit un clin d'œil à Noria, puis quitta les lieux en sifflotant. Une légère odeur florale se répandit dans l'air lorsqu'elle la croisa. Noria se demandait ce que venait faire une personne aussi puissante ici, mais pour le moment, seule la bile de Krokaren l'intéressait. De retour dans l'exploration des étagères biscornues, seules des parties d'animaux en tout genre reposaient, soit en bocaux, soit à l'air libre. Des yeux, des langues, des organes, de la fourrure, tout y passait...

– Noria, il y a beaucoup de bile différente ici, lui dit Kain en lui faisant signe de venir.

Elle se hâta de le rejoindre et scruta chaque bocal. Malheureusement, les étiquettes indicaient un tas de bête différente, mais jamais de Krokaren. Noria soupira, une mine déçue. Elle ne pouvait pas se retrouver face à un cul-de-sac maintenant, pas si près du but. Allen grimaçait de dégout en découvrant des dents de plusieurs mammifères, pendant qu'Ozia feuilletait des livres avec Hirelda grisée à l'idée de retourner le magasin tout entier.

Des pas frappèrent le parquet de bois derrière le comptoir. Noria fit volte-face et vit une jeune femme de son âge les rejoindre. Sa coiffure rouge l'inquiétait de prime abord, se demandant s'il s'agissait d'un être corrompu, mais l'absence du tatouage de la corruption, trois cercles les uns dans les autres, calmèrent sa première impression.

Elle remit de l'ordre dans sa frange qui venait de prendre un coup de vent, puis sourit face à la Titanomage.

– Bonjour ! Je suis Siana Ymer, en quoi puis-je vous aider ? demanda-t-elle en joignant les mains devant elle.

Noria n'avait jamais vu ça, mais cette personne portait un petit anneau noir dans le nez, une pratique peu courante dans la région.

– Oui, nous recherchons de la bile de Krokaren, vous n'auriez pas ça en stock ? demanda Noria.

Siana plaça le poing devant sa bouche et réfléchit quelques instants. Hirelda arriva à son tour, les yeux rivés sur la vendeuse. Avec envie ? C'était néanmoins l'impression qu'elle donnait, et cela fit sourire Noria. En regardant de plus près, Noria la trouvait élégante. Vêtu d'un beau manteau violet avec un haut col, elle portait une longue chemise grise avec un corset de cuir bien lacé. De hautes bottes remontaient gracieusement sur ses jambes, par-dessus un pantalon à carreau. La ceinture, qui serrait le tout à sa taille, abritait de petites sacoches débordant d'ingrédients. De beaux yeux marrons brillait à traverses ses lunettes, et Hirelda ne semblait pas en décoller.

– Ça va ? chuchota Noria à Hirelda.

Elle sursauta et se racla la gorge.

– Bien sûr ! Pourquoi ça n'irait pas ? Bonjour, je m'appelle Hirelda Aspal, dit-elle en voulant lui serrer la main.

Siana, surprise par le geste, hésita un instant avant de lui rendre sa poignée de main. Elle remit en place une mèche rebelle, dévoilant de belles boucles d'oreille en forme de papillon.

– Je crois qu'il m'en reste dans l'arrière-boutique. Ne bougez pas, j'arrive !

Elle disparut derrière une porte en quatrième vitesse. Le groupe se dispersa, croisant les doigts pour qu'elle retrouve ce dont ils avaient besoin. Pendant ce temps, d'autres clients arrivèrent. Cette fois, c'était trois femmes de dernier niveau qui gloussaient entre elles.

Lorsque Siana réapparut, elles se mirent sur son chemin pour la dévisager d'un air mauvais.

– Tiens ! Voilà Siana, la troisième niveau depuis... pfiou, trois ans au moins ? nargua une première.

Les deux autres ricanèrent devant la moquerie de leur camarade. Noria fronça les sourcils et jeta un coup d'œil Hirelda. Pas de doute possible, Siana lui avait tapé dans l'œil. Les poings serrés, elle se retenait de ne pas leur casser la figure en plein dans le magasin, et Noria savait comme c'était difficile pour elle de se retenir.

– La pauvre, elle ne réussira jamais son examen ! Surtout après trois tentatives infructueuses, pouffa une seconde.

Voyant que Siana rougissait, honteuse, mais ne souhaitait pas répondre à ces provocations, Hirelda enragea davantage. L'Alchimiste ramena un pot de bile de Krokaren et la donna à Noria sans rien dire. Elle n'osait même pas lui demander de l'argent pour payer le bien, seul un profond soupire s'échappa de ses lèvres, les yeux embués de larmes.

– Aller Siana, dépêche-toi de les servir quoi, rétorqua la dernière. On a besoin d'ingrédients ! Tu es bonne qu'à ça, non ? Vendre !

L'hilarité provoquée par cette ultime moquerie déclencha la fureur d'Hirelda. Cette dernière s'avança à la hâte vers les trois filles et posa les mains sur les hanches.

– Vous n'avez que ça à faire ? demanda-t-elle.

Les trois garces se regardèrent, surprises. Elles se mirent à rire de plus belle face à la Titanomancienne. Hirelda tapa du poing dans sa paume, prête à en coller une.

– Déguerpissez, et plus vite que ça ! grond-t-elle.

Siana, témoin de la scène, observa la jeune femme avec stupéfaction. Elle hésitait entre intervenir pour éviter de voir des clients mis dehors, et laisser faire.

– Toi, déguerpis ! On ne t'a pas sonné ! menaça l'une de filles.

Un large sourire s'étira sur le visage mauvais d'Hirelda. Elle lui décocha une droite qui la cloua au sol. Les deux autres, prises au dépourvues, scrutaient Hirelda en tremblant. Mais celle-ci ne leur donna pas le temps de réagir. Elle leur attrapa chacune leur longue chevelure châtaine, et les tira à l'extérieur pour les jeter dans la rue. Pour la troisième, Hirelda la traina par la jambe avant de faire de même, puis se craqua les phalanges alors que des curieux s'agglutinaient autour d'elle.

Noria se précipita à la fenêtre pour voir le grabuge dehors, pendant que Kain s'empressa de sortir pour calmer les nerfs de son amie. Mais Hirelda donnait une bonne leçon à ces trois harpies. Après quelques coups et un peu de sang sur leur robe toute blanche, elles partirent en pleurant comme des gamines surprises à faire une bêtise. Kain insista pour qu'elle rentre avec lui, mais Hirelda continuait de vociférer des insultes en pleine rue.

Une fois de retour à l'intérieur, Hirelda rejoignit Siana.

– Pourquoi ne te défends-tu pas ? demanda-t-elle, les bras croisés.

Siana rougit et détourna le regard sans répondre.

– Tu ne peux pas laisser ce genre de personne te parler de cette manière. Tu as vu ? Il suffit de quelques coups et ça chiale comme des bébés !

Siana sourit, amusée par sa réplique.

– Merci... murmura-t-elle.

– Pourquoi font-elles ça ? demanda Hirelda.

Siana se mura dans le silence.

– Bon, laisse là tranquille et rentrons, proposa Kain. Nous avons notre bile, nous devrions nous remettre en route. En plus, il faut retrouver Gavion.

Mais la proposition de Kain ne poussa pas Hirelda à le suivre. Elle restait face à Siana, cherchant à lui faire avouer par tous les moyens. Noria ne comprenait pas pourquoi elle voulait tant que ça l'aider, à part qu'elle la trouvait suffisamment jolie pour lui plaire.

– J'ai subi la même chose plus jeune, avoua Hirelda. Et ce n'est pas en se murant dans le silence que ça va arranger les choses.

L'annonce fut un choc pour tout le monde. Noria ne connaissait pas ce passé d'Hirelda, et savoir qu'elle avait été le fruit de moquerie la surprenait. Bien que cela pouvait expliquer son comportement parfois violent. Siana releva la tête vers Hirelda.

– Si tu veux en parler, tu n'as qu'à me rejoindre ce soir sur la place des restaurants, là-bas, proposa la Titanomage. À plus.

Hirelda tourna les talons et se dirigea vers la porte, ses amis derrière elle.

– J'y serai ! cria Siana alors que ses clients sortaient.

Les Titanomanciens prirent le chemin du retour vers l'appartement de l'ami d'Ozia. Noria se colla à Hirelda et s'écarta momentanément du groupe.

– C'est quoi cette histoire ? demanda-t-elle.

Prise de mélancolie, Hirelda gardait les yeux fixés sur le sol.

– Ça n'a pas toujours été aussi rose, tu sais ? murmura-t-elle.

Noria leva les sourcils, peinée pour son amie.

– Comment ça ?

– Eh bien, moi aussi j'ai été persécuté de la même manière. Mes pouvoirs ne venaient pas assez vite dans le village où j'ai été recueilli, et j'ai été violemment bizuté. Comme toi, c'est Gavion qui m'a récupéré et emmené à Ylvea. Ça me fait juste mal de voir quelqu'un d'autre subir la même chose que moi.

Depuis le temps qu'elles se connaissaient, Noria ne savait qu'une partie de l'histoire. Elle se souvenait que Gavion l'avait ramené à Ylvea, mais pas les raisons qui l'avait poussé à le faire. Noria aurait aimé le savoir, mais elle ne pouvait pas lui en vouloir de garder le secret, après tout, elle en avait fait de même avec l'histoire de son père. Pourtant, une information la fit tiquer dans ce qu'elle venait de lui raconter. Hirelda avait été recueilli par un autre village, mais pourquoi ?

– Je comprends mieux, avoua Noria.

– Désolée, je ne te l'ai jamais dit...

Noria haussa les épaules.

– Ce n'est pas grave. On a chacun nos secrets. Je ne t'ai jamais avoué que c'était mon père qui m'avait maudite par le passé.

Hirelda eut un rictus.

– On devrait tout se dire, en tant que meilleure amie. Non ?

La proposition d'Hirelda semblait pleine de sincérité. Il suffisait à Noria de la regarder droit dans les yeux pour voir ce désir devenir réalité. Noria hocha la tête en souriant.

– Avec plaisir, répondit-elle. Tu me diras à quel point elle te plait, cette fille.

Hirelda voulait rétorquer, mais elles furent interrompues par Kain, venu prendre des nouvelles. Noria en profita pour s'écarter et se rapprocher d'Allen. Finalement, même s'ils se disputaient régulièrement, Kain et Hirelda s'entendaient bien.

Maintenant en possession de leur ingrédient, les Titanomanciens mangèrent un morceau dans un restaurant bondé d'étudiants. Hirelda scrutait les alentours à la recherche des trois harpies, désireuse de les cogner davantage.

– Tu t'es suffisamment fait remarquer, railla Kain.

Hirelda lui tira la langue.

– Elles l'ont mérité !

Ils commandèrent leur repas, et une fois servit, une succulente odeur de légumes grillés vint titiller leur narine. L'estomac grondant, Noria attaqua le repas, alors qu'Ozia expliquait ce qu'il leur fallait pour leur potion.

– Maintenant qu'on a la bile, il va falloir encore quelque chose de compliqué à se procurer, expliqua-t-elle.

– Quoi donc ? demanda Allen.

– De l'essence de vie...

Les Titanomanciens s'arrêtèrent de manger face à cette révélation. En plus des essences des différents éléments que les titans laissaient derrière eux, il en existait deux autres. La vie et la mort. Le premier naissait quand tous les éléments se réunissaient en un point, sauf celui des ténèbres. Pour la mort, c'est la lumière qui faisait exception.

– Et on trouve ça où ? demanda Noria. Je ne crois pas connaître de puits d'essence de vie dans cette région.

Les Titanomanciens appelaient les endroits bondés d'essence, des puits. Pour ceux de la vie et de la mort, il existait une carte les répertoriant afin de faciliter leur extraction. Mais les atteindre relevait quand même du miracle., les environnements où ils se trouvaient étaient très difficile d'accès.

– Il y a un marchand d'essence dans la ville, précisa Ozia. Il en aura peut-être.

– Il n'y en avait pas dans le magasin de Siana ? demanda Hirelda.

Ozia secoua la tête.

– Je n'en ai pas vu... Mais sans ça, je ne pourrais pas reproduire la recette. Et même avec, ça va me prendre du temps.

– Alors, après manger, on file à cette boutique ! déclara Kain.

Ils finirent de manger et s'élancèrent à travers les rues d'Unvalia. Comme les cours venaient de reprendre, les allées devinrent beaucoup plus calmes. Noria pouvait discuter avec Allen sans pour autant être perturbée par le nombre de passants qui tentaient de les bousculer.

Une fois dans la boutique, les Titanomanciens trouvèrent un petit étalage d'essences divers et variés, mais aucune de vie ni de mort. Ils soupirèrent, puis continuèrent de faire les magasins les uns après les autres, mais impossible de mettre la main sur ce qu'il voulait. Noria pesta alors que le soleil disparaissait derrière les hauts bâtiments de la cité.

Sans une autre idée, Ozia proposa de demander conseil à son amie. Ils retournèrent donc dans son pavillon. Noria en profita pour s'assoir avec un livre, histoire d'oublier leur recherche infructueuse. La nuit tomba et Dowen rentra après avoir passé la journée à donner des cours. Les Titanomanciens lui expliquèrent le problème, mais malheureusement, il ne connaissait pas de boutique susceptible de les dépanner. Il promit d'en parler avec d'autres professeurs le lendemain, dans l'espoir que l'un d'eux en ait un peu pour ses recherches.

Noria profita du feu de cheminée qui crépitait dans un coin. Non loin d'elle, Allen transmit par écrit toute leur aventure. Elle l'observa en train de faire des croquis de la ville, décrivant leur rencontre avec Siana. Noria se remémora le baiser d'Hirelda. Elle brulait d'envie de faire la même chose avec Allen, mais comment provoquer ce moment ? Et devait-elle le faire ? Ces deux contradictions la taraudaient. Elle se plongea de nouveau dans l'histoire qu'elle avait dans les mains, essayant de chasser ces idées de son esprit.

Hirelda profita du calme pour s'éclipser en douce.

– Tu me raconteras ton rencard de ce soir ! railla Noria.

Hirelda se retourna brusquement, affolée.

– Je ne vois pas de quoi tu veux parler ! s'offusqua-t-elle avant de sortir pendant que ses amis pouffèrent.

***

Hirelda ne s'attendait pas à ce que Siana soit là ce soir. Elle avait beau lui avoir répondu positivement, elles ne se connaissaient pas. Pourquoi viendrait-elle ? Hirelda soupira, se demandant ce qui lui prenait de traverser la ville en pleine nuit pour rencontrer quelqu'un. Elle observait du coin de l'œil les étudiants qui se rendaient dans l'allée où s'étalaient les bars et les restaurants. De la musique se déversait dans les rues pour faire danser quelques passants. Les odeurs de nourriture se mêlaient à celle de l'alcool, alors que le froid s'installait.

Sur la grande place, une estrade de bois fut montée pour offrir de la musique à toutes les personnes qui mangeaient en terrasse. Pour éviter de trembler de froid sous cette nuit étoilée, des braseros aux belles flammes déversaient leur chaleur aux alentours. Et au milieu, Hirelda reconnut alors la belle jeune femme à la chevelure rouge qui l'attendait. Le cœur battant la chamade, elle s'élança à la hâte jusqu'à elle, qui la reconnut.

Face à face, tout sourire, elles se saluèrent à nouveau. Pour la première fois, Hirelda n'arrivait même pas articuler quoi que ce soit. Ce n'était pas évident de se retrouver face à quelqu'un qui nous plaisait. Il fallait trouver les bons mots pour ce premier rendard. Pour commencer, Hirelda lui proposa de manger ensemble, qu'elle accepta avec plaisir.

Elles choisirent parmi les menus affichés dans la rue, et s'installèrent dans un restaurant aux saveurs lointaines, dont la cuisine jouait avec du poisson cru. Après avoir commandé chacun leur tour, un silence gênant envahit leur table. Hirelda, rouge comme une tomate, n'osait pas commencer la conversation. Elle ne se reconnaissait pas elle-même. D'habitude, elle était toujours la grande gueule de l'équipe. Alors pourquoi ne parvenait-elle pas à articuler quelque chose ? Elle devait paraître tellement ridicule, surtout après son tour de force du matin.

– La journée s'est mieux passée ? demanda finalement Hirelda.

Ce n'était pas le meilleur moyen de commencer cette discussion, mais Siana appréciait qu'elle lui demande.

– Oui, grâce à vous.

Hirelda eut un rictus.

– Oh non, tutoie-moi s'il te plait.

– D'accord !

Un silence. On leur apporta les plats et elles dégustèrent les saveurs épicées de ce poisson cru. Plongée dans la sauce soja, il n'en fallait pas plus pour émerveiller les papilles d'Hirelda.

– Pourquoi m'as-tu aidé tout à l'heure ?

La question était enfin posée. Hirelda observa Siana, qui la fixait d'un air perdu. Hirelda avala sa bouchée.

– C'est... En fait, j'ai déjà subi le même bizutage que toi par le passé. Et franchement, j'en ai pâti. Je n'aime simplement pas voir quelqu'un souffrir de la même manière.

Siana se radoucit.

– Merci...

– Tu ne m'as toujours pas expliqué la raison qui les pousse à te traiter de cette manière.

Siana ne voulait pas trop en dire, mais le regard doux que posait Hirelda sur elle l'aida à lui faire confiance.

– Vous savez comment fonctionnent les études d'Alchimistes ? questionna Siana.

Hirelda opina du chef. Les explications de Dowen et Ozia toujours dans un coin de sa tête.

– Eh bien, ça fait plusieurs années que je n'arrive pas à passer les examens de troisième niveau. Je rate de peu... Je pense que je vais abandonner et me concentrer sur la boutique de mon mentor.

Hirelda fronça les sourcils. En plus de vouloir abandonner, elle voulait rester à la botte de quelqu'un d'autre ?

– C'est vraiment ce que tu veux ?

Siana soupira puis but quelques gouttes de son cocktail.

– Non, mais est-ce que j'ai le choix ?

Alors, Hirelda lui raconta toutes les difficultés qu'elle avait subis pour arriver à son niveau. Tous les entrainements quotidiens difficiles de la part de Gavion. Siana parut surprise à plusieurs moments, n'arrivant pas à croire que l'on pouvait faire endurer ça à quelqu'un pour devenir plus fort.

– Tout ça pour te dire, conclut Hirelda, qu'il faut que tu t'accroches. Qu'importe si tu mets du temps pour passer un niveau, le but c'est de l'atteindre, non ?

Siana acquiesça, sans être persuadée. Hirelda ne pouvait pas faire grand-chose d'autre pour l'aider, hormis l'encourager le temps de leurs affaires en ville. Le repas continua sous une belle musique, alors que le brasero extérieur leur offrait chaleur et réconfort.

– Pourquoi m'as-tu invité ce soir ? demanda Siana pendant le dessert.

Hirelda se raidit. Lui avouer qu'elle l'intéressait ? Absolument pas.

– Pour te connaître davantage, éluda-t-elle. Tu m'as l'air quelqu'un de très sympa !

Siana lui sourit.

– Toi aussi ! Ça fait longtemps que je n'avais eu d'amis.

Le mot transperça le cœur d'Hirelda. Elle aurait peut-être aimé qu'il y ait davantage, mais elle se trouvait bête de penser ça après une seule soirée passée ensemble. Elles finirent de manger, puis elles se séparèrent après un au revoir. Siana semblait vouloir repasser à la boutique avant de rentrer chez elle. Hirelda lui confia qu'elle dormait chez Dowen, que la jeune femme connaissait comme client régulier.

Heureuse de cette soirée, Hirelda espéra la revoir rapidement. Elle retourna dans le pavillon, où elle découvrit tous ses amis encore debout, angoissés.

– Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-elle alors que Noria la rejoignit à la hâte.

Noria lui prit les mains.

– Tout va bien ?

– Bah... Oui. Mais quoi ?

– Varid a disparu. Dowen a retrouvé son sac près de la boutique de Siana.


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