Chapitre 18

Le temps d'avouer

Maintenant qu'ils avaient récupéré le grimoire tant convoité, le groupe repartait pour Ylvea. Noria feuilletait déjà l'ouvrage en cherchant des informations sur le moyen de défaire sa malédiction, et sur les secrets qu'il renfermait sur sa famille. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi ses armoiries se trouvaient dans les premières pages.

Ozia se tenait à ses côtés, dans le petit salon de la caravane. Elle lisait les grimoires d'alchimie, des étoiles dans les yeux. À chaque page, elle semblait encore plus émerveillée. Noria s'intéressa à ses découvertes de temps à autre, et Ozia lui expliquait qu'elle repérait des potions et des huiles capables de les aider dans leur lutte contre les corrompus. Mais que les mélanges demandaient un énorme savoir-faire, qu'elle ne maitrisait pas encore.

Noria aurait bien aimé lui en demander davantage sur l'alchimie. Sur son passé. Mais Ozia restait évasive dans ses réponses, elle ne voulait pas encore lui raconter son histoire. Noria trouvait ça dommage de la voir se renfermer ainsi et garder ses secrets. Mais qui était-elle pour la juger ? Elle n'était pas mieux. Tôt ou tard, ses amis découvriraient la vérité sur sa malédiction, et là, elle ne savait pas si elle pourrait encore compter sur leur aide.

Au fil du voyage, grâce aux mixtures d'Ozia, le groupe récupéra de ses blessures sans la moindre cicatrice. Ils se réunirent de temps en temps pour discuter de ce qu'ils avaient vu à Iznarum. Personne ne comprenait comment ce monstre pouvait exister. Rien de ce qu'ils avaient appris sur la corruption ne laissait présager des monstres douer d'intelligence. Allen souligna qu'il parlait toujours en des termes comme « nous », comme s'il parlait au nom d'un groupe. Les discussions terminaient sur tant de questions que cela les démoralisait. Heureusement, Hirelda était là pour les divertir en faisant l'imbécile.

Le soir venu, Noria se coucha auprès d'Hirelda. Cette dernière se colla à elle, lui demandant si tout allait bien. Impossible de lui dissimuler ses angoisses. Lui dire ce qu'elle voulait entendre ne suffisait pas. Hirelda la serra contre elle et elles dormirent l'une contre l'autre, sans dire un mot.

Le lendemain, Allen vint la voir à son tour, inquiet. Noria le remercia à plusieurs reprises, mais il ne voulait pas quitter son chevet. Elle faisait la sieste après qu'ils aient mangé dans un coin de la plaine, et il restait là, à surveiller son état. Noria lui prit la main et le gratifia d'un joli sourire. Les joues rouges, Allen le lui rendit. En cet instant de quiétude, Noria lui fit signe de s'approcher et déposa un baiser sur sa joue avant de le remercier encore et de s'endormir.

Le dernier jour, la forêt d'Ylvea était en vue. Après un arrêt à Oktarim pour aller voir Julia, Kain avait décidé de revenir pour découvrir le fin mot de cette histoire, comme s'il s'inquiétait pour Noria. Finalement, il lui montrait bien plus d'affection qu'elle ne l'imaginait.

Heureuse d'être si bien entourée, Noria ne s'imaginait pas se séparer de ce petit groupe. Elle espérait voir tout le monde continuer de l'aider à se défaire de la malédiction, même si elle n'allait bientôt plus pouvoir tenir le secret encore bien longtemps. Le grimoire lui avait révélé, pendant la route, la manière dont se débarrasser de la malédiction, mais cela lui semblait bien plus impossible encore. Elle faisait mine qu'elle n'avait rien trouvé, mais son mensonge ne passait pas inaperçu. Allen et Hirelda savaient qu'elle cachait quelque. Mais personne ne lui en demanda davantage, comme s'ils savaient qu'elle allait devoir tout avouer bientôt.

Ils arrivèrent enfin à Ylvea. Attendus, les Titanomanciens qui gardaient l'entrée du village alertèrent les autres que Noria et ses amis arrivaient. Ozia scruta chacun d'entre eux d'un regard sombre, peur d'être capturée, mais Noria la rassura. Ici, il n'y avait que des amis et personne ne lui voudrait le moindre mal.

Une fois la caravane disposée avec les autres, des Titanomanciens se chargèrent de récupérer tout le matériel du coffre pour le ranger dans un entrepôt. Ils prirent soin des Karabas, que Noria et ses amis remercièrent pour tout ce qu'ils avaient fait. Lorsqu'ils prirent le chemin de la maison du Sage Gavion, des professionnels se mirent au travail pour réparer et prendre soin de la caravane. Rapidement, des bruits de marteaux battant le bois et le fer résonnaient à l'entrée du village. Noria passa un instant chez elle pour se changer. Impossible de continuer d'arpenter les rues avec des vêtements en lambeaux. Elle récupéra une jupe, un maillot et une veste mi-longue, comme elle aimait en porter, puis se dirigea jusqu'à la maison du Sage.

Peu de temps après, le groupe se retrouva dans le salon du Sage. Gavion, toujours de son sourire jovial, les invita à prendre un thé. Il récupéra les grimoires et les étala sur la petite table en bois qui lui faisait face. Noria lui montra le chapitre qui parlait de sa malédiction et Gavion le lut en buvant son breuvage encore bien chaud. Les Titanomanciens se détendaient après leur voyage en profitant du calme et de la sérénité de cette pièce.

Le Sage posa sa tasse et posa ses yeux azurs sur Noria. Il fit la grimace et soupira.

– Tu as lu tout l'article ? demanda-t-il d'un ton plus grave que d'habitude.

Noria opina du chef.

– Tu sais ce qu'il te reste à faire ?

Noria détourna le regard, perdue dans ses pensées. Ses amis l'observèrent avec surprise. Mais Allen, bien qu'il ne connaissait pas la raison de ses angoisses, enroula son bras autour de ses épaules. Elle ne put s'empêcher de sourire face à cet ange tombé du ciel.

– Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Kain, perplexe.

Gavion croisa les bras et s'enfonça dans son fauteuil.

– Pour se débarrasser de cette malédiction, il faut pas mal d'ingrédients, annonça Gavion. Pour commencer, il faut des racines et des herbes faciles à trouver à Unvalia, la cité des Alchimistes, donc ça ira. Par contre... Le dernier ingrédient va être compliqué à avoir.

Un silence se posa après sa phrase.

– Aller, arrêtez votre suspens et dites-nous ce qu'il lui faut ! soupira Ozia.

Gavion les fit attendre quelques secondes avant de le révéler.

– Il faut le sang de la personne qui l'a maudite.

Hirelda tapa du poing dans sa paume.

– Facile !

Mais elle se rendit compte qu'elle ne connaissait pas le coupable. Elle fronça les sourcils et se tourna vers son amie.

– Dis-moi qui t'a fait ça et je vais lui coller mon poing dans la figure ! On le videra de son sang s'il le faut !

Noria aurait bien voulu rire de son intervention, mais sachant l'identité de cette personne, elle ne pouvait que sombrer dans le doute. Cette nouvelle quête risquait de réveiller de vieux démons qu'elle préférait laisser tapis au fond de son esprit.

– Noria ? appela Hirelda.

Tout le monde la fixait avec insistance. Elle ne pouvait plus reculer. Il était l'heure de passer aux aveux. Noria se frotta les mains et sentit son esprit s'embrumer. Prise d'une boufée de chaleur, elle se sentit subitement nauséeuse. Allen posa sa main sur les siennes et son sourire lui donna le courage de tout leur avouer.

– C'est mon père qui m'a maudite.

L'annonce eut l'effet d'une brique tombant sur la tête de chacun de ses amis. Un silence pesant s'installa dans la pièce. Tout le monde gardait les yeux rivés au sol, accusant le coup. Contrairement à ce qu'elle pensait, personne ne se mit en colère pour avoir caché une telle vérité, au contraire, elle sentait toute la tristesse de ses compagnons.

– Pourquoi ? demanda Allen d'une voix fébrile. Pourquoi ton propre père aurait-il fait ça ?

Noria hocha les épaules.

– De ce que je sais, il ne voulait pas que je rejoigne les Titanomanciens. Il refusait que j'utilise la magie des Titans.

Allen fronça les sourcils.

– Mais en quoi est-ce un problème ?

Ne pas savoir répondre la rendait en colère. Elle se rembrunit et détourna le regard. Son père avait forcément demandé à cet ancien Titanomage de ténèbres de lui concocter cette malédiction, mais elle n'en connaissait toujours pas la raison.

– Qu'importe la raison, au final. Commença Ozia. Il nous faut le sang de son père, il faut donc retourner chez elle.

L'entendre parler au nom de tout le groupe surpris Noria. Ozia semblait déterminée à lui venir en aide. Les yeux rivés sur elle, Noria re retint de pleurer, tellement heureuse de voir que tout le monde désirait continuer l'aventure.

– Alors qu'est-ce qu'on attend ? demanda Hirelda. On y va, on lui fout une raclée et on prend son sang !

– Je suis d'accord, avoua Ozia. On devrait se préparer et y aller.

Alors que ses amis élaboraient le plan du voyage, la gorge de Noria se serra. C'était une chance de posséder un groupe d'amis prêt à l'aider. Avec eux, rien ne pouvait l'empêcher de mettre fin à sa malédiction, et un brin d'espoir envahit son cœur. Un silence s'abattit subitement sur le groupe, alors que tout le monde la dévisageait.

– Tu habites où d'ailleurs ? demanda Kain, perplexe.

Noria ricana.

– Vous savez, vous n'êtes pas obligé de venir. Je veux dire, Kain, Julia attend que tu rentres et tu as largement fait ce dont pour quoi nous t'avons payé. Et Ozia... Tu ne me dois rien...

Ozia haussa les épaules et s'enferma dans son mutisme habituel, alors que Kain but son thé d'un trait puis s'affala dans le canapé.

– T'as fini ? demanda-t-il. J'ai été voir Julia lorsque nous étions à Oktarim et je l'ai prévenu que je voulais continuer de t'aider. Surtout en voyant les orphelins aussi heureux et hors de danger. Depuis que Nowo n'est plus là, la ville a changé, même si elle a toujours son lot de problème. De plus, j'aimerais bien savoir ce qu'est ce monstre que nous avons combattu ! Il n'est pas si loin d'Oktarim...

Gavion interrompit leur conversation.

– Pour ça, je vais envoyer un message à Elekya pour établir une enquête. Un tel monstre ne doit pas rester si près de la ville.

Le visage de Kain s'illumina.

– Merci ! Au moins, les orphelins ne risquent pas de se faire attaquer par cette chose. Mais, vous avez une idée de ce que c'est ?

Gavion se redressa et scruta les Titanomanciens un à un.

– Ce que vous avez affronté est une première. Je n'avais jamais entendu parler de démon corrompu de la sorte. Il va falloir établir une enquête sérieuse.

Tout le monde émit son hypothèse. La plus probable sortit de la bouche d'Ozia, qui pensait qu'il provenait du Titan lui-même. Mais comme il était encore endormi, impossible de savoir comment il avait pu générer une telle créature. Finalement, la discussion tournait en rond et bientôt, Noria s'enferma dans ses pensées. S'imaginer confronter son père en retournant dans son domaine la terrorisait. Comment sa famille allait voir son retour après avoir fui à l'aide de sa servante ? Elle ne savait d'ailleurs pas ce qu'il était advenu d'elle.

– On s'éloigne du sujet ! déclara Allen. De plus, on n'avance pas. Maintenant, il faut savoir comment rejoindre la maison de Noria.

L'intervention la ramena à la réalité. Pour leur révéler le lieu de son domaine, elle récupéra la carte de la région et l'étala sur la table.

– Nous sommes ici, pointa-t-elle du doigt. Mon domaine est ici.

Il s'agissait du même continent, mais pour s'y rendre, il fallait soit traverser par la mer ou faire le tour par le sud, au travers d'une montagne.

– Donc il vaut mieux prendre un bateau, décréta Hirelda. Ce sera plus rapide, je suppose ?

– Il est impossible de passer par le sud, déclara Gavion.

L'attention du groupe se focalisa sur le Sage.

– Ici, le Titan Tarkakagorth y est endormi. Comme vous le savez, il s'agit d'un arbre vivant d'une taille colossale. Ces montagnes et les forêts alentour sont envahies d'essence de Terre en si grande quantité que même les masques à essence ne peuvent l'empêcher d'empoisonner les humains. Donc pas le choix, nous prendrons un bateau au port d'Orthado, et nous irons jusqu'à celui de Klank.

Noria leva la tête, les sourcils froncés.

– Attendez... Vous venez aussi ? s'étonna-t-elle.

Gavion lui sourit.

– Bien sûr ! J'ai des choses à vous apprendre en chemin.

Tout le monde resta ébahi devant la décision du Sage. Noria se sentit si soulagé d'avoir une personne aussi puissante à leur côté. Plus rien ne pouvait l'empêcher de mettre fin à sa malédiction. Elle était sûre d'y arriver désormais.

Gavion tapa dans ses mains.

– Bon, maintenant que l'itinéraire est réglé, nous allons préparer nos affaires. Et vous en changez, vous êtes en piteux états ! Allons-y !

Alors que beaucoup de questions sans réponses subsistaient, Noria et ses amis suivirent le Sage avec une détermination à toute épreuve. Même si, au fond d'elle, elle craignait de retourner dans son domaine et de se battre contre son père.

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