La descente des montagnes fut beaucoup plus rapide. La tempête les emportait, tapant avec acharnement dans leur dos. Les sœurs veillaient difficilement à ne pas s'étaler par terre mais le vent ne les aidait pas. Encore plus sanglant, il n'hésitait plus à les lacérer. Le froid rentrait sans pitié dans les couches de vêtements pour venir mordre leur peau bleutée. Elles n'arrivaient plus à se réchauffer. Leurs corps criaient danger et leur température chutait. L'engelure et l'hypothermie se dressaient devant elles. Des feux de froid s'allumaient sous leur peau, créant de profondes brûlures. Leurs doigts et leurs pieds étaient comme anesthésiés. De longues cyanoses fendaient leur corps de glace. Leurs muscles s'engourdissaient et leur cœur ralentissait. Même si elles n'avaient plus rien à gravir, les bourrasques et la neige continuaient de les pourchasser sans fin. Elles descendaient falaises sur plateaux. Plus aucune émotion, plus aucun sourire n'avait osé revenir sur leur visage cynique et insolant.
Elles arrivèrent dans la nuit aux pieds des montagnes. Les géantes de roche les fixaient fièrement alors que les sœurs vivaient avec elles depuis leur naissance. Elles surplombaient leurs trois petits corps meurtris, un sourire aux lèvres. Les jeunes filles les quittèrent sans un regard, sans un adieu. Elles sentaient enfin qu'elles étaient vraiment parties chez elles. Elles savaient qu'elles étaient à présent libres. Elles se sentaient telles un oiseau qu'on libérait de sa cage. Elles savaient qu'elles n'avaient pas fui seulement pour comprendre la pénurie d'Encre. Elles voulaient respirer et battre des ailes.
Elles marchaient, semblables à trois grands cygnes blancs sur la berge sombre et silencieuse. Leurs silhouettes pâles se rapprochèrent d'un immense et imposant fleuve sombre qui coulait le long de la chaîne de montagne. Prenant sa main, il la guidait vers la mer. Ses eaux, d'un bleu impur, étaient agitées, maltraitées par les vents violents de l'hiver. Les troupeaux de moutons s'agitaient de tous les côtés, se ruant sauvagement les uns sur les autres. Les vagues se chevauchaient violemment. La plage, constituée de sable foncé mélangé à des milliers de gravillons, était habitée par un unique et vieil arbre. Un saule pleureur dont les dizaines de longues branches plongeaient dans le fleuve. Très haut, il devait dépasser la vingtaine de mètres. Son feuillage caduc et fin, bruissait étrangement sous le souffle du vent. Ses feuilles étaient d'un vert délavé, usées par le temps et les aléas. Eclairé par une gloire mystérieuse qui jaillissait de la couche de nuage, il paraissait majestueux et semblait se confondre avec une star sur scène.
Elles allèrent rapidement se réfugier sous ses ailes protectrices, protégées du froid et du vent. Elles s'étaient emmitouflées dans leur manteau d'hermine et tremblaient presque autant que les feuilles qui volaient. Myra agita son pinceau et le trempa généreusement dans sa bouteille d'Encre. Un grand brasier apparu, faisant danser de longues et alléchantes flammes mystérieuses. Elle convia aussi dans la réalité une délicieuse pizza chaude devant elle dont l'odeur appétissante se répondait sous l'arbre. La pâte moelleuse était remplie de sauce tomate qui coulait abondamment recouverte par énormément de garniture. Apercevant ses sœurs soupirer de faim, elle lança un petit « bon appétit » timide accompagné un mince sourire.
Leurs regards tout d'abord étonnés la glaça, la rendant encore plus pâle et la faisant trembloter de plus belle tandis que les flammes s'étaient abaissées. Puis, Elicia et Calypso se détendirent doucement et lui murmurent un « toi aussi » d'un ton douteux.
Elles s'étaient endormies dans un silence absent. Incessamment, le vent balançait de terribles bourrasques contre le feuillage qui hurlait à l'agonie. Leurs rêves étaient aussi blancs que leur peau. Ils étaient rythmés par divers éclairs, ils ne duraient pas longtemps et se finissaient perpétuellement par une mort atroce, attirée par les eaux profondes ou dénuée de toute chaleur, brisée par le froid.
Même s'il avait été éperdument perturbé, leur sommeil avait duré de longues heures. Les abritant de la colère du vent, le saule pleureur n'avait cessé de se balancer. Les feuilles tombantes claquaient, secouées. Elles finissaient par éclater en sanglots et leurs larmes venaient compléter le fleuve qui s'étendait sous elles, tel une vulgaire flaque de pleurs. Les feuilles tristes percutaient constamment la surface miroitante de l'eau qui ondulait sous elles, bercée par le vent. Le tronc grinçait étrangement à chaque bourrasque, et l'aube, rayonnante malgré le froid, les attendait. La nuit lui avait cédée sa place, à contrecœur, voulant rester le plus longtemps possible pour poursuivre son règne qui semblait éternel, celui de l'hiver.
Calypso s'était assise près de l'eau, sous l'arbre. Pieds nus malgré le rude temps, elle trempait le bout de ses orteils dans le fleuve qui s'agitait devant elle. Ses cheveux tout ébouriffés, retombaient, rebelles, dans son dos. Elle avait déposé ses coudes contre la berge humide, les salissant de terre et de vase. Elle voulait lancer des cailloux pour qu'ils rebondissent à la surface du fleuve comme elle avait vu dans les livres mais les flots semblaient bien trop agités et aucune pierre n'osait se mettre sous sa vue. Seuls la boue, la neige et le sale. Le ciel était gris, comme ses yeux clairs. L'azur lui manquait. Le calme et la chaleur lui manquaient. Echo lui manquait. La présence de son ami dessiné lui coûtait. Auparavant, elle le créait en permanence, s'amusant à le rendre différent à chaque fois. Si ses sœurs l'avaient laissé faire, elle aurait voulu lui donner une forme de dauphin ailé. Caly aimait beaucoup les ailes et Echo en payait le prix, elles lui faisaient penser à des illustrations qu'elle avait vu dans des contes pour enfants. A des visages blancs qui ressemblaient au sien, au corps parfait, aux paroles ornées de messages divins. La jeune fille avait déjà essayé de créer des ailes sur elle-même, oubliant l'interdiction de dessiner sur un être humain. Elle gardait encore deux longues cicatrices sur son dos blanc qui la faisait sourire intérieurement.
Elle sortit son pinceau délicatement. Ses yeux d'argent jusqu'alors si arrogants et orgueilleux changèrent mystérieusement et son regard devint maternel. La hampe en or du précieux rayonnait. Sa touffe de poils brune et souple portait la même odeur que sa maîtresse. Elle était maintenue grâce à une plume ligaturée par du fil en laiton, ou simplement dit monté sur plume. Caly avait lu que les pinceaux de dessinateur ressemblant aux anciens pinceaux de calligraphie. Elle commença à tracer le symbole de l'infini dans les airs. Elle le leva ensuite pour le redescendre d'un trait. Elle continua ensuite en faisant de petits ronds qui semblaient devenir de plus en plus grands. Malgré les milliers de choses qu'elle imaginait, rien ne se produisit. L'air continuait de filer au-dessus du fleuve agité, l'ignorant. Le manque d'Encre. Elle s'étala brutalement contre le sol, son dos se cogna dans un bruit mat et ses cheveux s'éparpillèrent autour d'elle comme un soleil des neiges qui avait cessé de briller. Elle ferma les yeux et se rendormit, portée par l'aurore.
Myra venait de terminer le dessin d'un tas de pancakes fumants. Elle n'oubliait pas le sirop d'érable et l'odeur appétissante. Elle ne négligeait aucun détail et c'était sans doute pour ça que ses plats étaient aussi bons. Tandis qu'une douce émanation s'élevait de son plat, son propre parfum se répandait affrontait son rival. La jeune fille avait renié, au contraire de ses sœurs, la senteur familiale de lys. Elle avait opté pour l'osmanthus, plus délicat et plus doux.
Tandis que les odeurs livraient un combat sans merci, elle s'activait, faisait léviter les assiettes en évitant qu'elles s'entrechoquent comme le faisait de temps à autres des cuisinières maladroites. Elicia la regardait préparer le repas, lasse. Ses yeux gris perle reflétaient sa fatigue immense. Son visage semblait plus creusé, par la fatigue, la faim et peut-être aussi par le doute et la peur.
Après avoir grignoté un morceau, elles s'étaient rendues auprès de Calypso qui était restée près de l'eau agitée. Elles lui tendirent quelques pancakes qu'elle mangea doucement tandis qu'Elicia et Myra, après avoir retiré leurs chaussures, trempaient leurs bouts de leurs pieds dans l'eau glacée. Malgré le froid, le bleu de leur peau restait derrière la porte, l'immense cérémonie blanche ne l'invitait pas.
Le soleil, dissimulé derrière son manteau de flocons annonçait presque midi. Elles s'étaient prélassées toute la matinée, récupérant de leur escalade et de leur mauvaise nuit. Et même si elles le taisaient, elles avaient peur de traverser le fleuve déchaîné. Le vent ne s'était pas tut contrairement à la neige qui leur avait laissé une petite journée de répit. Avec l'hiver, le froid restait omniprésent, s'engouffrant dans les manches, dans la nuque et dans les chevilles des gens innocents. La rare végétation était toujours recouverte de son manteau de neige. Le paysage n'était plus qu'une immense tache blanche. Les traces des animaux avaient disparu à cause du vent. Le ciel, habillé de nuages, restait immaculé. Seuls, le fleuve et les sœurs se démarquaient, tels deux adversaires.
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