Chapitre 8
Un pas... devant l'autre... s'efforçait de penser Myra, la tête dissimulée sous sa capuche blanche. Elle affrontait le froid, fièrement, comme toujours. Même s'il l'obligeait, elle ne baissait pas la tête et regardait devant elle, les yeux plissés. L'air glacial de la nuit transformait chacune de ses respirations en un nuage de fumée éphémère qui se faisait balayer par les bourrasques sans pitié du vent. Ses joues avaient légèrement rougi contrairement à ses sœurs impassibles qui luttaient sans bruit tandis que Myra, elle, hurlait intérieurement. Elle criait au désespoir. Elle voulait rejoindre les étoiles et quitter ce corps meurtri. L'envie de tout laisser tomber voulait la submerger tel un château assiégé que le courage essayait difficilement de défendre. Elle ouvrait à son âme toute la souffrance dont elle débordait. Elle voulait vivre une vraie vie. Elle voulait se retrouver dans une chaumière près d'une cheminée. Elle voulait sentir la douce chaleur d'un repas dans son ventre. Pour la première fois, quelque chose d'humide coula doucement, s'échappant de son œil d'argent. Une larme blanche, semblable aux bulles qu'elles avaient créées. Elle coulait sur sa joue gelée, affrontant la fierté et l'impassibilité. Elle coulait vers la neige qui l'appelait. Elle quittait ses semblables qui restaient peureusement cachées sous ses paupières. Elle coulait vers l'aventure et le danger. Vers la peur et le désir. Luttant pour ne pas geler, elle dévalait les formes de sa joue comme un flocon qui quittait ses parents. Si le père de la jeune fille était là, s'il l'avait vu pleurer, il l'aurait sermonnée impitoyablement. Lui rappelant que c'était indigne d'une fille de roi, lui rappelant qu'elle avait des obligations à tenir. Mais qu'une larme pouvais se transformer en l'arme. Elle l'essuya valeureusement, continuant d'avancer dans le froid glaçant. Un pas. Devant l'autre. Toujours plus loin. Gravissant la montagne, elle risqua un regard vers le ciel sombre. Vers là-haut.
Le sommet semblait n'être plus qu'à une cinquantaine de pas des sœurs. Il se rapprochait avec anxiété. Leur ombre se mouvait près d'elles, les encourageant silencieusement. Quelques oiseaux au plumage blanc qui s'étaient fait chasser du château voletaient en lançant de faibles cris de détresse dans le vent glaçant. Les arbres disparaissaient, les laissant seules près du ciel et des étoiles. Les nuages étaient encore plus bas qu'auparavant. Ils se rapprochaient périlleusement d'elles, comme cherchant à les avaler. Le sommet avait disparu derrière leur lourd voile. Elles ne ralentirent pas pour autant et après un vague regard, pénétrèrent à l'intérieur. Le toit leur tombait sur la tête. Elles ne fléchirent pas, entrant sans toquer. Tandis qu'Elicia tendait la main vers ses deux sœurs, elles se rapprochèrent familièrement. Elles n'arrivaient plus à se tenir debout, malmenées par des éclats de vent. L'humidité les submergeait et leur vision se brouillait. Trempées, les yeux fermés, elles se retenaient les unes aux autres pour ne pas chuter de la paroi devenue raide, avançant péniblement. Le vent griffait leur courage, le froid mordait leur peau blanche. La neige tourbillonnante s'acharnait sur elles, brûlant leurs dernières défenses.
Et seules, abandonnant leur air hautain, elles arrivèrent après de longues secondes à vaincre la couche de brouillard épais, se dressant au-dessus. Au-dessus de tout. La neige luisait comme si des milliers de brillants s'y étaient blotties. Elles avaient l'impression d'être au sommet du monde. A leurs pieds, semblables à une mer de coton, les nuages dormaient paisiblement serrés les uns contre les autres. Non loin au-dessus, le soleil veillait tendrement sur elles. Le ciel azur, qui avait l'air encore plus bleu que les abysses des océans, était irradié d'une douce lumière. Les arbres avaient disparu sous le lit de coton. Elles étaient seules avec l'immensité. Les pics des montagnes voisines pointaient vers les cieux comme s'ils voulaient de leurs doigts délicats, décrocher le soleil qui resplendissait. Rayonnante d'une joie inconnue et soudaine, Elicia tendit le bout de ses fines mains vers cet océan de bonheur tandis que les jumelles attrapaient leur pinceau. Après les avoir légèrement trempés dans leur fiole d'Encre, elles se mirent à dessiner. Dessiner de la joie et des sourires qui perlaient du bout des touffes de leur instrument. Elles semblaient plus concentrées que jamais, leurs paupières renfermant les milliers de songes et leur imagination débordante. Elles agitaient en cœur leur poignet qui dansait, fendant les airs gracieux. Elles imaginaient. Elles brûlaient de désirs puissants. Et soudain, des milliers d'amas de bulles colorés s'envolèrent, surplombant les sœurs et le monde. Une douce brise leur tenait la main, les guidant dans le nouveau monde. Les centaines de couleurs qui s'épanouissaient firent apparaître une nouvelle larme dans le creux de l'œil de Myra. Chaude et grosse, elle reflétait les bulles colorées. Elle ne prit pas la peine de l'essuyer que déjà d'autres la suivirent timidement, formant un petit torrent d'argent sur ses joues blanches. Elle entrouvrit les lèvres pour dire quelque chose mais sa voix se ravisa pour ne pas briser le silence angélique.
Un nouveau faisceau de bulle multicolore rattrapa les autres soudainement, accompagné d'un timide sourire qu'Elicia leur adressa, empli de bonté. Elles semblaient transportées dans le monde des rêves, respiraient le bonheur. Les bulles scintillaient de mille feux sous les rayons accablants du soleil qui leur donnait une couleur encore plus intense et profonde que lors de leur cérémonie. La chaleur soutenue faisait luire leur front où dansaient leurs mèches rebelles.
Surplombant le vide et les nuages, les bulles allaient toujours plus haut. Certaines étaient devenus invisibles à leurs yeux, maintenant trop éloignées. Assises, sur leur manteau en hermine, elles plissaient les yeux pour apercevoir leur dessin s'envoler. Le soleil éblouissait les neiges infinies et arrosait les pics des monts vaillants.
Après s'être relevées ensemble, quelques instants plus tard, n'osant pas laisser leurs dessin disparaître naturellement, elles murmurèrent à l'unisson d'une faible voix.
- Osaekomu...
Les bulles volèrent en éclats, en mille poussières argentées, tel un verre qui se brise.
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