Chapitre 34


Le silence.

Le vent.

Le massacre.

Le froid.

Le fleuve.

Les bulles.

J'ai peur.


Des bourrasques dansaient dans les couloirs des cachots sombres. Six longues années s'étaient écoulées. Seulement habitées par le froid et le malheur. Les regrets, l'incomprhénsion. Une désillusion permanente, sans espoir, juste le noir. La prison faisait fuir le bonheur. Les sifflements aigus du vent stridulaient telles des plaintes stridentes et déchirantes. Les sœurs somnolaient, comme elles le faisaient depuis six ans. Elles avaient grandi, mais elles ne savaient pas si elles avaient mûri. Leur esprit saignait encore. Elles n'avaient pas réfléchi, s'étant renfermées dans les désillusions. Elles n'avaient plus de larmes.
Un grand bruit de pas se fit entendre, les surprenant. Durant ces six années d'emprisonnement, elles avaient entendu divers gardes passaient, accompagnés d'hommes et de femmes déchirés de l'intérieur. Certains, rarement, leur jetaient un vague coup d'œil, sans s'attarder sur leur physique meurtri, ravalant leurs larmes de rages. Elles étaient tombées bas. Leurs robes brunes, devenues rouges et blanches comme elles, étaient délavés et sales.

Un homme aux grands yeux bruns s'approcha des barrières de la prison d'Elicia dont le corps était recroquevillé sur la paillasse qui lui servait de lit. Il ouvrit doucement la porte, s'attendait à ce qu'elle lui saute dessus pour s'enfuir, mais la jeune femme se redressa simplement. Sa silhouette frêle et ses yeux argentés étaient abîmés. Elle le fixait intensément jusqu'à ce qu'il se décide par les saisir physiquement pour la conduire vers la sortie.
Calypso gisait au sol, le regard perdu, la faim tiraillait son ventre meurtri. Quand le garde s'avança vers elle, elle crût d'abord à une hallucination et resta allongée inerte contre la roche froide. Il la redressa délicatement. La fraîcheur de sa peau la fit frissonner. Personne ne l'avait touché depuis il lui semblait, des décennies.
Myrabelia étaient adossée, tremblante, aux barreaux glacés qui la séparaient de la liberté dont elle avait arrêté de rêver. Les puissantes barres en semblant de diamant, la renfermait de ses dominants doigts de glace rouillée. Lorsque l'homme ouvrit, elle chuta, tombant dans ses bras tandis que son esprit sanglotait. Elle n'avait plus de larmes, mais elle savait qu'elle voulait pleurer. Elle n'avait plus d'honneur à tenir.

Les trois gardes les remontèrent difficilement, les traînant quasiment. Elles étaient si maigres que leurs jambes ne les tenaient plus. Ils les avaient vu se retrouver du regard, se réunir pour la première fois depuis six ans. Elles avaient essayé de pleurer, mais seuls quelques bruits étranges étaient parvenus de leur corps secoué de spasme. Même si elles n'avaient pas été très éloignées, la séparation semblait avoir été insoutenable, les meurtrissant plus encore que le manque de liberté.

Le château devait être rempli à cette heure-ci, mais les occupants s'étaient tous rendus dans les serres pour ne pas croiser les sœurs. Elles n'avaient pas l'air de remarquer que leur demeure avait changé, elles n'avaient tout simplement pas l'air de réaliser qu'elles étaient sorties. Le temps leur échappait, s'enfuyant par la grande porte que les hommes ouvrirent d'un seul bras.

Le monde a bien changé. La chaleur régnait maintenant en maître dans la ville accueillante. Les toits colorés brillaient sous les éclats rutilants du soleil qui leur adressa un clin d'œil. Le bleu jouissait dans le ciel vide de nuage. Les rues s'agitaient, habitées de bonheur et de sourire. Les troupeaux de personnes aux cheveux de couleurs dissemblables qui s'amassaient au milieu échangeaient un bonjour enthousiaste. Certains habitants semblaient prendre soin d'immenses plantes étranges qui poussaient quiètement le long des trottoirs, abreuvaient par les caniveaux où une eau pure coulait vivement. De leurs fines feuilles vertes, elles semblaient toucher le ciel. De nombreuses fleurs blanches, toutes plus délicates les unes que les autres, poussaient en forme en longues grappes pendantes et odorantes. Le calice en forme en cloche, il semblait s'amuser, entouré de ses amis. Les milliers de troncs droits ou fourchus, portaient d'interminables branches lisses d'un brun rougeâtre. L'écorce, plus foncée, restait immaculée, vide de toute crevasse.
Les sœurs se rappelèrent. Les plantes semblables à des robiniers qui permettaient aux Tribus d'utiliser une Encre plus sûre et plus naturelle. Leur esprit semblait plus rapide et ne sentit pas le besoin d'évoquer plus longuement l'Encre. Elles glissèrent leurs doigts vers leur ceinture, espérant y trouver leur précieux pinceau, mais elles caressèrent le vide qui se faufila pour s'envoler dans la brise.

Les hommes leur firent faire demi-tour, les conduisant dans un silence agréable vers une vaste pièce. Elles ne se souvenaient pas que c'était ici qu'elles avaient dansé lors de leur soirée organisée pour la remise de leur pinceau, le décor ne les encourageait pas. Tout d'abord, tout semblait véritable et principalement, l'endroit était très attrayant. Sur la grande table ronde, étaient déposés des centaines de bouquet de fleurs colorées. Des hommes et des femmes assis autour discutaient avec intérêt. Leur sourire et leur sympathie effrayèrent antérieurement les sœurs n'y étant pas habituées. Elles essayèrent de paraître agréables, mais leur caractère avait très peu changé. L'air semi-hautaines, elles entrèrent à la suite des gardes qui les conduisirent au centre.
Tous les yeux étaient rivés sur elles et si habituellement ces personnes vérifiaient dans leur emploi du temps ce qu'elles avaient dans le moment, personne ne bougea. Tout le monde attendait ce jour, le redoutant avec effroi.
Les sœurs furent conduites sur une esplanade d'où elles pouvaient capter tous les regards. Un petit homme assez âgé se leva prudemment de sa chaise. Il s'éclaircit la voix fortement avant de déclarer d'un ton solennel, comme si c'était une corvée pour lui de s'exécuter.
-Je me nomme Jun Aki Senza, responsable général. 26 juin de l'an 447, 14h00, salle des Friselis, la peine minimale d'Elicia Andromeda Alba, de Calypso Alya Alba et de Myrabelia Mérope Alba est achevée.
Il s'éclaircit de nouveau la voix, Caly aperçut la petite pencarte qui était déposé devant lui et y lut "Jun Senza – responsable général" à sa gauche, une autre inscription était déposée sur le bureau, faisant frissonner la jeune femme "Anastasia Pessey - responsable second". Sa mère avait récupéré son nom de jeune fille et que faisait-elle dans ce nouveau monde qui n'était pas le leur ?
-Vous êtes accusées de nombreuses choses, les plus horribles les unes que les autres, mais nous ne sommes pas tous réunis ici pour compter vos égards.
Ses paroles se perdirent dans le silence que les autres personnes avaient laissé.
-Nous voulons vous informer de la situation avant que vous ne retourniez purger vos peines dans de nombreux travaux d'intérêt général. Ils ne seront pas simples rassurez-vous, mais Mademoiselle Pessey a demandé de vous épargner une vie de prison. Elle pense que vous avez assez réfléchi et que vous avez sûrement rebondi. Après un vote serré, nous avons décidé de vous mettre dans l'information.
Il se rassit, rassuré et une nouvelle personne se leva. C'était un homme à l'allure de géant et aux airs très sérieux, des lunettes étaient déposées sur son nez de grosses lunettes rondes qui cachaient ses petits yeux bridés.
-Je me nomme Medoh Electre, responsable de l'affaire des sœurs Alba. Après six ans de prison ferme, nous vous accordons une liberté partielle. Vous aurez le droit à un vrai procès, avec un avocat. Bien-sûr vous serez sans arrêt surveillées, mais ne tentez pas de fuir à nouveau, grâce à des systèmes que nous avons mis en place, vous n'aurez plus l'occasion de sortir du Pays du Nord. Je suis chargé de vous expliquer tout ce dont vous aurez besoin de savoir, mais pour l'instant retenez ceci : nous vous offrons une nouvelle vie.


Les sœurs n'avaient pas cillé. Le regard rivé sur le nom de leur mère. Les paroles de l'homme ne les atteignaient pas, comme si une vitre de verre s'était dressée entre elles et le monde. Elles ne répondirent pas au gentil sourire qu'ils leur accordèrent et se laissèrent conduire par d'autres hommes vers la sortie accompagnée d'Electre. Les gens attablés les fixer comme s'ils semblaient attendre qu'elles se rebellent. Ils voulaient qu'elles disent quelque chose, comme merci ou pardon. Mais les mots auraient été, tout de manière, trop légers pour toutes leurs fautes.

Elles furent tout d'abord conduites vers un interminable et sombre escalier qui descendait en colimaçon dans les abîmes du château et de la terre. Des lanternes diffusaient une lumière argentée sur les murs abîmés par le temps. De longues fissures le striaient, créant de longues cicatrices sur ses joues balafrées. Après avoir marché ce qui leur sembla de longues minutes, ils arrivèrent dans une vaste salle circulaire mal éclairée. Des ombres se faufilaient autour d'eux, dansant aussi gracieusement qu'effrayamment. Le toit en voûte protégeait la terre obscure qui évoluait à ses dessous sur laquelle évoluaient une cinquantaine de magnifiques statues de pierre. Formant maints oiseaux ailés pour aller jusqu'au ciel, les tombes étaient réparties imparfaitement dans la terre sombre. Les formes en pierre étaient toutes différentes et menaçantes. Malgré tout, elles s'élevaient toutes vers les cieux, ayant l'air de vouloir traverser les dizaines de mètres qui les séparaient de la lumière. Leurs silhouettes agiles et gracieuses semblaient se mouvoir délicatement à cause des milliers d'ombres qui se répandaient menaçantes.
-Il est dit que ce cimetière est hanté, que les âmes des membres des familles royales qui sont enterrées ici errent encore dans cette pièce. Il est dit que leurs esprits cruels veulent emmener les plus purs dans les entrailles de la terre. Des milliers de choses sont dites ici, ce sont peut-être toutes ses légendes qui rendent cet endroit si effrayant. Mais c'est surtout toute votre famille qui dort là.
Les sœurs ne lui adressèrent pas un regard et commencèrent à vagabonder entre les stèles arpentant du bout des yeux les noms inscrits. « Eléa Sakurairo », « Kazu Mizuiro », « Liliana Alba », « Juko Siyah », « Ugh Alba », « Eléonore Sakurairo », « Apollon Alba ». Elles s'arrêtèrent devant la tombe de leur père. Pour la première fois, elles le surplombaient. Elles le dépassaient, lui qui les avait toujours ramenés au plus bas. Elles esquissèrent une parole d'adieu, signe d'évolution dans leur sentiment avant de revenir au côté d'Electre. Elles voulaient le plus vite possible quitter cet endroit maléfique, aux ondes démoniaques. Le jeune homme voulu leur sourire pour les soutenir, mais seule la tristesse et la fatigue se dégageaient du reflet de ses yeux dans ses lunettes. Il les guida vers la sortie après avoir veillé à bien refermer la porte derrière.

Ils se rendirent ensuite dans un jardin individuel, fermé grâce aux traînes des arbres et aux parterres de fleurs bleutées. L'après-midi avait bien entamé sa course et commençait doucement à redescendre de son piédestal. Les sœurs, blanches comme neige, s'étaient assises sur un banc en face de l'homme qui tenait son pinceau du bout des doigts. Elles auraient pu se jeter sur lui pour le lui prendre, elles auraient pu s'échapper pour profiter de la liberté, mais elles avaient cessé de vouloir se comporter comme des idiotes. Electre semblait les défier du regard, lorgnant leurs yeux pâles. Il se leva ensuite se dressant devant elles de façon à les dominer de plusieurs têtes puis il se baissa prudemment et agita son pinceau vers leur cheville. Un filet d'or s'envolait de sa touffe de poils, scellant pour toujours leurs chevilles.
- Ce sont les ordres. Je n'y peux rien.
Il observait le lien qu'il avait créé avec beaucoup de pitié, comme s'il était profondément désolé de son acte. Le filet doré enroulait, tel un serpent, leurs fines chevilles amaigries et disparaissait dans les entrailles de la terre, les retenant éternellement.
-Ils sont disparaîtront seulement quand vous mourez.
Il se releva sous le regard fatigué des sœurs qui hochèrent la tête. Il ne comprenait pas pourquoi on disait toutes ces choses sur elles. Elles avaient l'air si innocentes. Il s'assit près d'elle et poursuivit d'une voix claire, comme s'il parlait à la lune.
-Bien, tout d'abord, comme vous l'avez peut-être remarqué, le monde a beaucoup changé. Les familles royales ne sont plus. La plupart de leurs membres ont entamé de longues années de prison puis, comme vous, ils ont été délivrés pour servir le nouveau monde. Ils vont aussi faire des travaux d'intérêt général et rester ici jusqu'à leur mort puis leurs cendres seront éparpillées dans les montagnes. Sans cérémonie. Ne me demandez pas pourquoi nous faisons cela. Nous ne sommes pas comme vous. Si nous vous avions tué délibérément, nous serions revenus à votre niveau. Nous voulons être plus forts que ça. J'aime beaucoup le monde d'aujourd'hui. Il y a la liberté d'expression, une presse, des élections... La censure et le mensonge ont été bannis.
Pour l'Encre... Je sais que vous ne saviez pas au départ, mais comprenez que c'était effroyable... Utilisez le sang d'humain pour la fabriquer...
Ses pupilles dont la couleur était l'enfant du brun et du vert s'étaient assombries, regardant à présent le vague. Ses mains, qui avaient accompagné ses paroles, s'étaient reposées auprès de ses cuisses. Ces souvenirs horribles le terrifiaient. Il respira un grand coup avant de reprendre devant les sœurs attentives qui n'avaient rien à dire, il répondait en avance à toutes leurs questions.
- À présent, nous avons évolué. Nous utilisons l'Encre des Tribus fabriquée à partir de la plante que vous voyez pousser dans toutes les rues. Elles sont très sacrées pour nous et nous les avons reproduits par milliers. Elles représentent notre symbole. C'est le début d'une nouvelle ère.
Les sœurs impassibles et blanches comme neige, étaient éclairées par les derniers rayons de soleil. L'homme, lui, était agité. Son visage se plaît sous les émotions qu'il essayait de retenir pour faire bonne figure. Il avait un rôle à tenir.
- La guerre. Il y a aussi eu la fin de la guerre entre les familles royales et les Cités Libres. Ah... Cette guerre...
Il laissa sa phrase en suspension, se leva et sortit d'où on ne sait où, trois livres qui parurent étranges aux sœurs. Elicia en attrapa doucement et commença à observer prudemment la couverture où un dessin de fiole d'Encre noire était renversé, déversant une immense tache sombre et d'où trois traînées de traces de pas s'éloignaient vers l'arrière-plan, lui évoquant tant de chose. Ses pensées s'agitèrent. Ses émotions jouaient d'elle. Elle eut le temps d'apercevoir marqué "première année" avant de le rendre brutalement à l'homme surpris, bientôt imitée par ses sœurs. Il soupira avant de se reprendre en s'asseyant.
-Bien. Comme vous l'avez sûrement vu, il s'agit d'un manuel scolaire pour les élèves de première année. Il relate ces sept dernières années donc aussi la fameuse guerre. Elle a été très meurtrière, à cause, des stratégies et des armes utilisées alors qu'elle n'a pas duré longtemps. Mademoiselle Pessey, anciennement Alba, comme vous le savez, n'est pas née de sang royal ni de famille noble. Elle était une simple citoyenne douée d'une grande beauté et d'un grand don pour l'art du pinceau. Elle a été repérée après un concours de dessin qu'elle a remporté. Votre père était à cette époque un jeune prince destiné à être roi qui cherchait encore une prétendante. Il a repéré votre mère par sa beauté et son talent et l'a épousé rapidement malgré le fait qu'ils ne venaient absolument pas de la même classe sociale. Lorsqu'elle est partie vivre au château après s'être fait teindre les cheveux, une part de son cœur est restée ici, avec nous, dans les rues où elle a grandi. Mais nous ne le savions pas, nous pensions tous avoir perdu à jamais une honnête habitante dans le froid glacial. On se trompait. Lorsque vous vous êtes enfuis du château, en janvier 441, elle a envoyé des hommes à votre recherche, elle n'est elle-même pas partie immédiatement. Elle est restée tout d'abord pour comprendre. Elle a trouvé, seule, la raison de la Pénurie d'Encre. Votre père savait qu'elle n'était pas devenue véritablement un membre des familles royales et n'a pas tenu à la mettre au courant de la fabrication de l'Encre. Mais elle tout compris lorsqu'il était à la guerre. Elle s'est tout d'abord rendu discrètement aux Cités Libres et a pris le parti de leur chef, Jun Senza qui était là tout à l'heure. Il a aujourd'hui été élu responsable général tandis que Mademoiselle Pessey est sa seconde. Elle a réussi grâce aux habitants des villes et à la vérité à faire gagner les Cités Libres. Puis, elle s'est directement lancée à votre recherche. Il n'y pas été bien dur pour elle de vous retrouver. Elle s'est rendue à la Tribu de la Sylve qui, reconnaissant et amis, lui ont indiqué votre direction. Elle a trouvé la maison des Borée... De Leonardo et de... Elle a rencontré ce Leonardo Borée qui lui tout raconté. Elle s'est alors faite accompagnée de dessinateur surpuissant, capable de créer des cyclones. Puis, elle vous a trouvé. Tout ceci est raconté dans ce livre, si vous voulez...
Les sœurs s'étaient figées en statues de glace. La lune brillait, mais semblait les éviter, comme si elle les avait reniés. Elles avaient le poids d'une vie sur les épaules. Leur conscience était brisée. Electre crut bon de s'arrêter et les conduisit vers leur petite chambre où elles s'endormirent telles des princesses tandis que le courage revenait de sa sieste accompagnée d'un sourire.

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