Chapitre 28
Les sœurs avaient enfin trouvé la sortie : un long couloir souterrain qui menait discrètement jusqu'à loin derrière la limite où était resté Eneko. Respirer l'air pur leur avait fait un bien fou, mais elles restaient torturées de l'intérieur, ne comprenant pas la source du massacre. Elles ne voulaient pas comprendre. Elles avaient l'impression de mourir de l'intérieur.
Leurs pas indécis étaient fébriles, errants., totalement perdus.
Le vide dans leur tête, leur incompréhension. Elles se mentaient à elles-mêmes, fuyant lâchement la réalité. Elles se sentaient si faibles, si frêles. Elles ne se battaient pas pour défendre leurs espoirs, réduits à néant, elles étaient des grains de sable dans une tempête.
Elles marchaient.
Le plus loin possible. Elles voulaient fuir ce cauchemar qui les tourmentait, ne lâchant pas ses proies. Elles étaient perdues. Elles ne savaient pas où aller. Vers l'avant ? Même aller vers l'arrière n'était plus possible en réalité. Alors dire qu'elles n'avaient rien vu ? se condamnant ainsi au silence et à l'obsession éternelle. Leur vie avait été shootée, un coup de fusil qui résonnait, encore et encore. Elles semblaient juste réduites à marcher. Marcher pour s'éloigner. Marcher pour ne pas y repenser.
Un massacre.
Elles flânaient faiblement évitant un petit cours d'eau. Leurs joues se creusaient, leurs cernes s'agrandissaient, leur marche devenait impure de leur rang. Les oiseaux paraissaient les éviter. Leur corps émettait une aigreur glaciale. Leurs jambes blessées tremblotaient péniblement.
Elles essayaient de faire le vide, de ne penser à rien mais un mot revenait en permanence tel un écho dans leur tête.
Un massacre.
Des milliers de vies envolées. Aucun espoir au bout de leur tunnel noir. Simplement des hommes en qui ils avaient confiance, des hommes et des femmes des familles royales en tenue de scientifique.
Les nuages noirs s'agitaient au-dessus d'elles, dans la nuit. Elles marchaient dans une sorte de chaparral. Une fine pluie tombait doucement. Mais elles ne la voyaient pas. Leurs habits et leur manteau étaient en lambeaux. Le ciel leur criait que c'était leur faute, les achevant de goutte à présent torrentielles. Elles étaient épuisées, l'eau les anéantissait. Elles continuèrent encore quelques heures, avançant difficilement avant d'apercevoir une petite chaumière en briques rouges. S'y rendant tremblotante, elles s'écroulèrent sur le seuil, sans un bruit.
L'aube avait chassé la pluie et quelques faibles rayons de soleil éclairaient les nuages qui filaient emportés par de puissantes bourrasques. Les oiseaux chantaient gaiement dans le chaparral. Le maquis, formé par des buissons et des broussailles, était le terrain de chasse de l'homme qui enfilait son manteau dans sa petite maison. Il passa sa main sur son menton, caressant sa barbe naissante. Il attrapa son fusil de chasse, après avoir déposé sa tasse de café. Un bon gros fusil à pompe P12 gros gibier d'un noir profond. Chargé au maximum, il était très lourd à porter d'une main. Faisant glisser sa capuche sur son crâne presque chauve, il sortit.
C'était une habitude de se lever tous les matins et de partir récupérer à manger. Une simple routine.
Il faillit se retrouver à embrasser le sol lorsqu'il se cogna contre les trois corps blancs qui semblaient dormir devant sa porte. Il poussa un juron avant d'apercevoir la couleur de leurs cheveux, de rentrer de nouveau, refermant violemment la porte, le souffle coupé. Son fusil tomba de ses mains dans un grand bruit mat. Alors qu'il essayait de reprendre ses esprits, on toqua à la porte. Se plaquant sur celle-ci pour bloquer l'accès, il vit sa petite femme qui descendait les escaliers qui menaient à leurs chambres. Son épaisse tignasse brune recouvrait son visage endormi. Fatiguée, elle refermait sa longue robe de chambre couleur lie de lin. Elle dégagea une mèche brune, laissant distinguer de longs cernes violacés. Son air inquiet et angoissé se lisait sur sa peau abricot. Elle se précipita vers son mari dont le cœur battait à tout rompre. Elle le savait courageux et effronté, seule une chose pouvait à ce point le mettre à mal. Lui caressant de ses douces mains la joue, elle se dressa sur la pointe de ses pieds nus pour apercevoir à travers l'œilleton de la porte trois têtes argentées. Reculant précipitamment, elle heurta la table où était posée la tasse de café qui chuta, se brisant en mille éclats.
« Nous avons faim... » réussit péniblement à articuler Elicia qui avait l'air de ne plus savoir parler.
Le couple se regardait, totalement apeuré.
« Leo... on devrait...
-Les aider ? Tu les as très bien reconnus aussi. Je le sais. Et tu as très bien conscience de tout ce dont elles sont coupables. » L'homme fixait à présent sa femme avec beaucoup de reproches. Il avait deviné ce qu'elle voulait.
« Regarde leur état, regarde juste leur état. Elles sont pitoyables... la voix de sa femme était cassante presque suppliante.
- Ce sont des montres. Ce sont des monstres, arrête cet instinct maternel, c'est le diable qui se déguise...
- Leo. On va leur ouvrir. Ce sont les trois filles royales Alba, c'est que des enfants. Elles ne savent peut-être rien... Ce n'est qu'à partir de l'âge adulte...
- Elles le savent. Tu le vois comme moi. Regarde, le massacre dans leurs yeux. Elles sont venues de si loin à cause de la pénurie. C'est une chose claire, elles veulent continuer les massacres... »
Sa femme ne l'écoutait plus. Elle savait tout cela. C'était si clair, mais elle ne voulait plus l'entendre. Elle ouvrit la porte dans un élan de colère, la faisant claquer sur le mur.
Les sœurs meurtries, étaient surprises. Elles ne savaient pas comment réagir, où se mettre. La femme la jugea d'un regard avant de s'écarter pour les laisser entrer.
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