Chapitre 26
Caly regardait le bâtiment noir dans les yeux, le souffle coupé.
Elle s'était figée, droite comme i derrière la barrière invisible.
Elle n'avait pas beaucoup réfléchi avant de prendre son élan et d'avancer. Juste un instinct qui l'avait effleuré un instant. Qu'elle avait saisi. Sans réfléchir. La force de son courage et de sa détermination l'avait empêché d'hésiter, malgré tous ses cauchemars.
Lorsqu'elle vit que sa main droite, la première à traverser, avait gardé sa couleur et qu'aucune douleur ne l'avait accompagnée, son corps entier l'avait suivie, confiant envers cette main si téméraire.
Et même si les cendres au sol continuaient de voleter tels des flocons de neige, la mort ne venait pas. Le paysage vide et obscur autour d'elle lui parut soudain moins effrayant, comme s'il l'avait accepté dans ses rangs.
Caly se voyait vivre pour la première fois. Elle sentait son cœur battre avec acharnement. Elle sentait son sang couler dans ses veines. Elle poussa une profonde expiration avant de se retourner doucement, plus belle que la lune, un sourire éclairant son froid visage. La vie émanait de son corps immaculé et le soulagement brillait dans ses yeux humides.
Myra traversa la frontière d'un bond pour se blottir dans les bras de sa sœur. Elle nicha maladroitement sa tête contre son épaule et enlaça ses bras autour d'elle, lui murmurant son amour.
Elicia les regardait avec tendresse, elle allait s'avancer pour les rejoindre lorsqu'Eneko l'interrompit l'attrapant du bout des doigts, avec douceur, la faisant se retourner. Les étoiles dansaient dans ses yeux. Ses cheveux rebelles s'agitaient sous le vent. L'une des nombreuses cicatrices qui le dessinaient dansait jusqu'à son cou, jusqu'à ses lèvres entrouvertes, qui laissaient s'échapper un éphémère nuage de chaleur. Il entrelaça ses doigts avec les siens, les serra avec plus d'audace encore et se pencha au creux de son oreilles où les oiseaux crurent aussi l'entendre murmurer son amour avant de les voir avancer doucement, traversant la frontière.
Et alors qu'ils avançaient, avant qu'Elicia n'eut le temps de lui répondre, de lui serrer elle aussi la main pour que son cœur parle à sa place, elle sentit la puissance au bout de ses doigts céder brusquement. Et Eneko s'effondra.
Son corps commençait à s'allumer. Parsemé de flammes et d'étincelles, il s'embrassait telle une feuille dans la cheminée. Il brûlait d'un feu aux reflets vils et violet, destructeur et radical. Une fumée invisible l'étouffait.
Une explosion silencieuse détona et ses magnifiques yeux chocolat regardèrent une dernière fois Elicia avant de disparaître dans un éclat de poussière. Un millier de particules se détachèrent, s'envolèrent, libres dans la cendre. Eneko n'eut besoin de rendez-vous avec la Mort, franchissant la porte en courant. Aucune prière ne pouvait l'aider. Son sort déjà scellé. Il avait quitté le monde. Plus jamais le tigre ne défendrait, plus jamais son regard ne séduirait. Son rire avait disparu en même temps que les promesses de ses yeux, volées en poussière. Il avait abandonné la partie.
Elicia se précipita près de ce qu'il restait de lui. Son corps n'était plus que cendres et braises. La couleur de son visage avait divergé vers le noir. Elicia fut forcée de s'écarter, une chaleur et une électricité s'emparant de son corps écrasé par la douleur. De chaudes et abondantes larmes coulaient le long de ses joues blanches, ne semblant jamais vouloir s'arrêter. C'était tout ce à quoi elle était réduite : un torrent de larme, infini et faible. Tandis qu'Eneko s'envolait en millier de cristaux de cendre, voltigeant gracieusement vers les cieux qui se couvraient de nuages emplis de tristesse.
Elle sentait le sol se dérober sous ses pieds. Elle était seule, elle était perdue. Elle criait muettement son nom dans la cendre, elle criait le désespoir et l'abandon. Elle jurait, elle pleurait. Elle voulait le toucher, elle voulait le sentir, elle voulait l'embrasser, elle voulait le retenir, l'attraper du bout des doigts pour qu'il se retourne encore une fois mais il avait complètement disparu, comme son parfum, comme son aura. Tout avait disparu. Tout s'était envolé. Elicia, tremblante se releva et prit la main de Caly et murmura avec mal :
- Fais attention à toi.
Elle lui sourit à travers le chagrin et Myra murmura d'une voix brisée par des sanglots invisibles :
- Nous devons avancer. Pour lui.
Elles n'avaient pas le temps, pas le courage de chercher à comprendre et s'écartèrent de la frontière meurtrière le regard vide et humide.
Le paysage pleurait lui aussi de ses millions de cendres. Elles foulaient le sol dur et fissuré où rien ne vivait. Il ne neigeait plus, seule une fine pluie perlait, sanglotant.
L'odeur de crasse les saisissait, compagne de la misère, de la peur qui les prenait à la gorge. Le froid leur glaçait les os, les mordait. Le vent s'était levé. Des rafales, des bourrasques violentes frappaient l'immense façade du bâtiment qui se dressait à présent devant les trois sœurs. Une façade qui ne semblait pas avoir de bout, qui montait jusqu'au ciel, brillant du noir le plus profond avec écrits en lettres parfaites et dorés : Centre de Fabrication de l'Encre royale.
Et même si elles le regrettèrent longtemps, elles étaient enfin arrivées.
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