Chapitre 2
Debout devant la vitrine, sous le ciel pastel du crépuscule d'hiver, Myrabelia, la cadette des soeurs Alba, s'observait avec distraction. Quelques jours s'étaient écoulés depuis la cérémonie où elle et ses soeurs avaient reçu leur pinceau, elles en avaient profité pour parfaire leur entraînement à l'art du dessin. Un immense bal, donné en leur honneur, se déroulait ce soir mais son visage infantile, similaire à celui de sa jumelle, restait d'un blanc glaçant. Elle prenait son temps, admirant dans le miroir ses yeux d'un argenté étrange où des éclats de gris et de blanc étaient logés. Ils semblaient vivant, avides de connaissance, contrastant avec le reste de son portrait, vide d'expression.
Elle faillit trébucher lorsque sa sœur la tira par le coude l'entraînant dans le salon de coiffure devant lequel elle se tenait. Calypso, belle comme l'hiver et le froid, tenait dans ses bras Echo, un élégant renard blanc aux yeux bleu translucide. Tandis que le vent dansait sur ses épaules, elle murmura d'une voix douce comme à chaque fois qu'elle s'adressait à ses sœurs. Le petit animal la regarda étrangement, lui faisant signe de se taire, profondant le lourd silence de la ruelle auquel il était habitué.
- Viens, Elicia nous attend.
Ne jugeant pas nécessaire de répondre, Myra se laissa entraîner à l'intérieur, quittant la petite rue dallée qui peinait à se faire éclairer par les quelques lampadaires jaunâtres. Le luxueux salon était vaste et scintillant, il reflétait la bourse généreuse des propriétaires. Un immense et long miroir était posé contre le mur beige devant lequel quelques grands fauteuils confortables somnolaient paisiblement, assis sur le sol en carreau de ciment princier. Une jeune coiffeuse lui adressa un sourire aimable, quoique la jeune fille cru entrevoir une légère angoisse à son égard passer sur le visage de la jeune coiffeuse au visage éreinté par l'effort. Elle possédait, comme toute bonne citoyenne, une mèche blanche qui tranchait dans ses épais cheveux bruns foncés, symbole de puissance des familles royales. Laissant passer, lasse, la plus jeune des soeurs s'assit sur un des fauteuils entre ses deux sœurs. Elle ferma les yeux pour ne pas affronter son regard d'argent tandis la coiffeuse dénouait délicatement les cheveux, veillant à ne pas lui faire mal. Sans doute avait-elle peur des représailles ?
Une odeur de pain d'épices enveloppait le salon agrémentée grâce à la boulangerie d'en face. Un bonbon au citron aux lèvres, Myra, la cadette des trois soeurs, écoutait vaguement une coiffeuse discuter avec une cliente assise près de la vitrine. Leurs voix rimaient avec le chant des oiseaux. Le froid était resté derrière la porte et la chaleur commençait à reprendre ses droits sur le corps de la jeune fille.
- ...comment cela peut être possible ? Sûrement une fausse rumeur, qu'en pensez-vous Madame Beauneveau ? Bien-sûr, je suis entièrement d'accord avec vous... une fausse rumeur... une augmentation du prix de l'Encre et puis quoi encore... tout bonnement impossible, ils veulent nous tuer ! ...Quoique j'ai entendu dire que les Tribus se débrouillaient avec une autre plus sûr, qu'elles utilisaient autre chose ou... Et j'ai aussi entendu dire que le jeune fils de votre cousine a participé à un concours de dessin ? C'est une bonne nouvelle... J'ai moi aussi une voisine qui a une tante qui y participe... Je me souviens que quand...
- Tais-toi !
La petite voix de cristal mordante de Myra rugit, acérée. Elle avait résonné tel un éclair dont l'écho se répétait dans les esprits. L'ordre avait claqué sec et rien ne pouvait le contrefaire. La porte s'ouvrit sous le coup et laissa entrer le froid ardent qui n'en pouvait plus d'attendre dehors et se précipita à l'intérieur, violentant sauvagement la chaleur qui tentait de fuir faiblement. La coiffeuse se tue immédiatement, honteuse, coupable et désemparée.
- Oui... bien, bien...-sûr mademoiselle Myrabelia Alba, murmura-t-elle maladroitement d'une petite voix faible chutant sur chaque mot.
Ses mains tremblaient en coiffant la dame devant-elle. Son sourire était parti, avalé par le froid. Elle était devenue aussi blanche que les trois jeunes filles qui n'avaient pas bougé d'un cil, indifférentes.
Une fois leurs cheveux ajustés tel qu'elles le souhaitaient grâce à une longue heure et à quelques coups de pinceaux expérimentés, les sœurs quittèrent le salon comme elles étaient venues. Le cœur vide. La nuit arrivait, les étoiles l'accompagnant, veillant sur elle. De leurs doigts délicats, elles faisaient sortir le bleu pâle de la scène, tirant un voile devant le soleil.
Les sœurs appréciaient la nuit et le froid, ils leur apportaient réconfort et sérénité. La montée vers le château était fastidieuse, le salon de coiffure situé au pied de la petite vallée, elles devaient remonter l'ensemble de la ville avant d'arriver chez elles. Aussi, Elicia sortit-elle délicatement son pinceau. Le manche était fait en or et les poils étaient d'une douceur inexplicable. Comme elle le faisait depuis plusieurs jours maintenant, elle lui trempa la tête dans un petit pot remplie d'un liquide transparent et visqueux que sa mère lui avait offert. Réagissant à ses envies et à ses mouvements, le pinceau dansa gracieusement dans l'air gelé. Une calèche resplendissante apparut devant lui. Fière, Elicia le rangea dans sa ceinture.
Encore une fois, la fête n'attendait qu'elles pour commencer. Toutes les familles royales étaient présentes, sur leur trente et un, prêtes à féliciter les sœurs pour la remise de leur précieux instrument. Après un dernier coup de pinceau rapide, Calypso jeta un regard dans le grand miroir de sa chambre. Elle était parfaite. Ses cheveux, où de longues rallonges avaient été dessinées, étaient lissés dans son dos et aucune mèche rebelle ne s'échappait vulgairement, ses grands yeux magnifiques pétillaient, ses lèvres rosées n'attendaient qu'une autre bouche à rencontrer, de longues boucles dessinées pendaient à ses oreilles et ses longues mains fines et douces étaient prêtes à saluer. Elle esquissa un sourire froid avant de sortir calmement, pour ne pas froisser sa longue robe de patineuse blanche, malgré son retard. Son animal la suivait fièrement, trottinant dans ses pas. Elle discerna instinctivement au loin ses deux sœurs qui marchaient rapidement dans le froid du long couloir, elle accéléra pour se retrouver à leur hauteur. Le regard qu'elles lui accordèrent en apercevant son animal lui déplût, et de son air hautain, elle allait poursuivre, les dépassant mais son aînée l'arrêta avec douceur.
- Caly... ils ne vont pas accepter Echo... commença tendrement Elicia, sa voix sonnait juste comme rarement, ce qui lui donnait un somptueux éclat.
- Ils ne diront rien, trancha sa jeune sœur sûre d'elle et décidée à ne pas perdre son temps.
- Je sais cela, ils ne disent jamais rien mais...
- Je... Osaekomu, finit par lâcher Caly dans un souffle excédée.
Et la bête disparue dans un éclat de poussière blanche.
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