Chapitre 13

  Les sœurs n'avaient pas répondu à l'insulte de la dame, trop choquées. Au château si quelqu'un avait osé prononcer une telle injure à l'égard d'un membre des familles royales, il aurait été recalé une corde autour de gorge. Les jeunes filles avaient été ensuite jetées dans une tente misérable où le froid glaçant traversait la petite couverture qui essayait de les protéger piteusement. Même si elles claquaient des dents sur leurs oreillers trop mous, elles s'endormirent rapidement dans une nuit noire, vide de tous rêves, emportées par l'épuisement.

  Elles se réveillèrent de bonne heure dans le campement profondément endormi à cause des grelottements de leur corps. Leurs membres étaient gelés et leurs dents claquaient irrégulièrement. La sensation de chaleur leur semblait si loin, si inconnue. La nuit siégeait encore au ciel. Les étoiles brillaient de mille feux et la lune clair scintillait faiblement tandis qu'elles mettaient leurs oreillers sous la couverture pour les faire passer pour des corps. Ce n'était pas la meilleure stratégie mais le manque de liberté leur mordait la gorge. Il fallait qu'elles partent. Elles devaient garder de vue leur objectif, trouver la Tribu.

  Blanches dans la neige, capuche sur la tête, elles sortirent futilement, passant, aussi discrètes que l'ombre des eaux, devant l'homme endormi qui était censé garder leur tente. A pas de loup, elles se faufilèrent, veillant à ne surtout réveiller personne, principalement Eneko et Juri, leur étrange sauveteur et la femme à la crinière de lion. Ces deux individus si sournois qui semblaient si intéressés à leur cas ne leur donnaient pas envie de croiser leur route de ci-tôt.

  D'un coup de pinceau méticuleux, elles ouvrirent un accès dans l'obscur haie menaçante, s'enfuyant entre les branches habillées de piques sanglants. Une fois dehors dans le froid glaçant, Elicia dessina rapidement la carte du Monde et aidée par leur position visible grâce à la clairière du campement, elles se repérèrent facilement. Leur escapade leur semblait si fausse mais elles avaient à présent l'impression d'être habituées à faire des coups dans le dos à tout le monde. Mais leur poignard se souillait, il rouillait et elles durent le jeter. Elles étaient si lasses, si fatiguées et si morte de froid. Souffrance devenait leur meilleure amie. Autour d'elles, la taïga s'étendait à l'infinie. Elle dormait encore sur son douillet lit de neige. Ses troncs, par milliers, n'offraient aucune sortie et gardaient prisonnier tout ce qui entrait dans leurs entrailles. Il n'y avait aucun sentier, aucune anomalie tel un arbre tombé, rien qui venait rompre la fragilité du paysage si parfait, si identique mais si harmonieux. Les cimes, formées par des millions d'aiguilles revêches, cachaient le visage du ciel et de la nuit. L'obscur clarté des lieux dansait mystérieusement autour des soeurs. Malgré leur crainte de l'eau, elles décidèrent de se diriger vers l'endroit qui lui parut simple d'accès car repérable sur le plan, une longue et fine rivière. Elles prirent la main de Courage et toutes les cinq, Souffrance ne voulait pas les lâcher, elles s'enfoncèrent dans la taïga, seulement guidées par le reflet des étoiles. La Lune, même si n'étant pas entièrement pleine, déversait une douce et faible lumière. Mais elles se rendirent rapidement compte que malgré les astres qui criaient toute leur lumière, les grands et imposants arbres faisaient murs. Leurs intentions étaient gentilles et innocentes mais les trois sœurs ne voyaient absolument rien. Elles avançaient périlleusement dans l'immense taïga, regorgeante de mille et une merveille, à l'aveuglette, essayant de ne pas perdre le cap de l'Est. Elles se tenaient toutes les trois la main pour ne pas se perdre, partageant le peu de chaleur qu'elles avaient. Elles s'enfonçaient de nouveau dans la poudreuse qui leur rappelait de détestables souvenirs. Encore une fois, chaque pas était un cauchemar. Un enfer. Qui prenait leur force à grande cuillère.  Leur tête tournait dans un millier de valses et la fatigue affluait partout. Elles avaient vu que les habitants utilisaient des engins semblables à de longues planches qu'ils glissaient sous leurs pieds pour avancer et elles se maudirent de ne pas en avoir pris. Dessiner les viderait du peu de force qu'elles avaient.

  Avec l'heure qui tournait elles avançaient de plus en plus vite, luttant contre vent et neige. Le soleil se levait doucement, les éclairant légèrement. Mais il n'annonçait pas que lumière, les habitants du camp avaient malheureusement l'air d'être matinaux et ne mettraient pas longtemps à se rendre compte de leur absence. Leur manteau volait derrière elles comme le pavillon d'un bateau dans les bourrasques déchaînés des alizés mais la neige tombait plus légèrement. Elles essayaient de maintenir le cap, d'aller tout droit pour ne pas perdre leur direction. Devant elles, l'horizon demeurait identique. Les milliers de troncs s'alignaient, infinis. Le pied dans la neige et la tête dans le ciel, ils s'étendaient perpétuellement sans bout. Le blanc était strié de tache sombre, comme elles. Elles se sentaient dépassées par les évènements qui prenaient une mauvaise tournure. Fuir. Elles fuyaient lâchement. Pour la seconde fois. Et jamais deux sans trois. A quoi bon perdre espoir après tout elles n'avaient pas le choix. Elles défendaient leurs idées, comme les gens bons d'avant, un monde sans dessin n'était pas un monde pour elles. Elles s'accrochaient. Elles préféraient fuir qu'abandonner. Mais leur ventre criait famine et leurs yeux plissés luttaient pour ne pas pleurer à cause du froid. Leurs mains étaient bleues et Courage était partie faire une soi-disante sieste « rapide ». Elles ne voulaient pas prendre la peine de compter le nombres d'heures qui s'était écoulées ni les années, qui continueraient d'avancer sans elle.

  L'astre de feu avait à présent bien entamé sa course contre la montre dans le ciel, se déchainant pour aller le plus rapidement possible afin que les gens du dessous ne voient pas la journée passer. Il allait si vite qu'elles ne l'apercevaient pas bouger. Elles s'étonnèrent. Elles voyaient le ciel. La taïga était moins dense et les arbres plus variés et moins hauts. L'air était plus doux, il ne neigeait plus et les nuages étaient partis. Un agréable bruit d'eau coulait juste à côté, se déversant continuellement. Elles stoppèrent soudain. La peur se lisait malaisément dans leurs yeux écarquillés. Leurs pupilles s'agitaient, dévisageant l'eau qui s'écoulait paisiblement, contrairement au fleuve. Sans vague, sans agitation, elle était tranquille et sage. Malgré le calme et la sérénité, les sœurs restaient distantes et prudentes, comme horrifiées. L'eau ruisselait, sautant joyeusement au-dessus de petits rochers ovales. Une douleur dans leur poitrine naissait doucement, leur donnant une terrible envie de nausée. Une goutte, semblable à celle qui s'écoulait dans la petite rivière, vint caresser la nuque des sœurs. Leur respiration s'accéléra, irrégulière. Leurs souvenirs revinrent. Les os qui voulaient se briser contre les rochers sanguinaires des courants agités et ténébreux. Elle s'accéléra encore et encore et un vertige l'accompagna. Elles prirent appuis les unes sur les autres. Leur bouche était sèche et leur visage blême. Des palpitations dans leur cœur surgirent. Elles tremblotaient et l'impression d'étouffer les assaillit tandis que leur respiration accélérait encore. Elles voulaient partir le plus vite possible mais leurs membres étaient figés, ravagés par les fourmillements. Elles observaient avec effroi les gouttelettes qui éclaboussaient la rive où d'étranges plantes poussaient quiètemment. Immenses, elles semblaient toucher le ciel de leurs fines feuilles vert vif qui ressemblaient à celles des fougères. Elles étaient regroupées sur de délicates branches entourant des fleurs aux pétales blanc pur qui étaient rassemblées en de longues grappes pendantes. Dégageant une douce odeur d'hiver, le calice était en forme de cloche, vert et pelucheux. Le tronc droit et souvent fourchu, était vêtu de longues branches élancées et de rameaux anguleux d'un brun rougeâtre. L'écorce rugueuse grise foncée se crevassait en diagonales sinueuses traversant en enlaçant les arbres de ses doigts creusés. Ils prenaient pied non loin de la rivière et poussaient forme d'arc de cercle protecteur au-dessus du doux cours d'eau.

  La quiétude et la tendresse qui s'échappaient des fleurs calmèrent doucement les sœurs. Le pouls reprit un cours plus normal et leur respiration ralentit jusqu'à devenir silence. Caly ferma les yeux, Myra étira ses doigts moites et Elicia s'approcha, charmée par les plantes étranges et délicates. Elle tendit innocemment sa main vers une grappe de fleurs. Elle s'apprêtait à la cueillir lorsqu'un éclair foudroyant l'atteignit au bras, faisant gicler un flot de sang.

  Elle se courba sous la douleur avant d'hurler de rage en se retournant, tel un chat fou de rage. Ses pupilles se dilatèrent et ses iris prirent des teintes rougeâtres. De son bras valide, elle saisit son pinceau, elle ne prit à peine le temps de l'imbiber d'Encre, et dessina un jet de flamme flamboyant vers son agresseur qui l'esquivât gracieusement d'un bon parfaitement calculé.

  Son manteau de fourrure recouvrait son visage et rendait son identité secrète mais un incendie de colère était visible, brillant maléfiquement dans son regard acharné qui scintillait dans les pénombres de son visage. Myra le vit humidifier son pinceau dans une petite bouteille et en profita pour le balayer d'une rafale de bourrasques de vent pendant que sa sœur se laissait tomber à genoux. Caly sortit elle aussi son pinceau, prête à tout. Les oiseaux s'envolèrent dans un piaillement strident. La personne ne put qu'encaisser la terrible attaque de Myra et se fit projeter en arrière d'au moins quelques pas, pliée en deux, pour laisser sa place à la majestueuse Juri, la femme du camp aux cheveux bouclés. La lionne féroce arriva sur la scène impavide, prête à tout. Ses iris étincelaient de rage et de colère, ne reflétant aucune trace de peur. Ses airs reflétaient ses intentions meurtrières. Elle ne portait qu'une simple tunique et comme les sœurs son manteau avait chuté de ses épaules dès le premier instant. Rapide, elle fit apparaître d'un coup de pinceau un puissant bouclier semblable à une vitre devant elle avant de se jeter en avant, tel un aigle qui fond sur sa proie. Une liane onduleuse et piquante balaya de plein fouet la jeune sœur qui se retrouva brutalement jetée au sol, dans un élan de poussière.

  Caly, la mâchoire serrée et les pommettes rouges sentit ses membres se crisper, sa poitrine se serrer, elle se raidit et sentit sa respiration s'arrêter. Animée d'une fureur sans nom, elle dessina deux longues épées qui se logèrent dans ses mains hardies. Leur éclat éblouissait et leurs lames brillaient dans la lumière du matin, parfaitement aiguisées. Leur poignée d'argent était ornée d'or qui serpentait entre ses doigts fins. Caly haletait, en position de combat, sous le regard saisi de vengeance de ses deux ennemis qui, sans lui laisser le temps de se reprendre, s'élancèrent sur elle. Leurs dessins s'entrechoquaient sauvagement, tandis qu'ils criaient sous les dernières étoiles. Des hurlements, des blessures fusaient, évitant les épées de Caly qui foudroyaient l'air, essayant avec peine de faire reculer les deux assaillants. Elle avait du mal à éviter les coups qui allaient de plus en plus vite, déchirant les airs. Son corps se faisait déchirer de pique, de tranchant, de puissance. Une flaque de sang gisait à ses pieds tandis qu'elle reculait péniblement. Elle n'était aucune question, aucun bruit, restant silencieuse au contraire des agresseurs féroces, tandis que son corps hurlait détresse. Elle ne pouvait pas les blesser. Aucune faille dans leur attaque n'était visible. Ils se relayaient consciencieusement, enchaînant les coups d'une grâce semblable à celle d'un félin, à corps perdu. Tous les espoirs s'envolaient.

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