Chapitre 11

Le soleil et le vent glacé avaient fait fuir les nuages et la neige, séchant le sang des sœurs meurtries. Allongées contre le podzol gelé, elles avaient profondément dormi d'un sommeil hanté de noyades. Leur souffle saccagé sifflait dans les bois, faisant s'échapper les animaux sauvages. Revenant à elles lors du début du crépuscule, elles pansèrent leurs blessures, sans prendre le risque de s'approcher de la rive pour les rincer. Elles prenaient soin les unes des autres, trop heureuses d'être de nouveau réunies. La fin leur avait semblait si proche. L'amour qui se dégageait de leurs regards faisait rougir les nuages qui valsaient au-dessus d'elles. Leur amour indéchiffrable, presque surhumain, qui leur permettait de traverser les montagnes, les fleuves, les plaines infinies était semblable à une force incroyable. Lisible dans leurs yeux dont la couleur ressemblait à une cascade de poussière d'étoile, le lien qui les unissait, brillait, comparable aux rayons de soleil. Sans doute assez châtiées par le ciel, leurs blessures profondes semblaient déjà être en bonne voie de cicatrisation. De longues balafres striaient leur peau blanche, cerclées de nuances de noires, de bleues, de rouges et de blancs.

La faim les tenaillait mais elles étaient trop faibles pour dessiner. Après s'être relevées péniblement, elles partirent doucement à la rencontre de racines sauvages et s'empiffrèrent, se brisant les ongles dans la terre glacée. Elles avaient appris à les repérer grâce aux ouvrages secrets de la bibliothèque. Les feuilles rondes et blanches étaient discrètes dans le paysage nacré mais le ventre affamé des sœurs les trouvèrent finalement. Elles ne mangeaient presque jamais de la nourriture véritable mais elles ne gardèrent pas un très bon souvenir des racines au goût amer. Leurs mains tremblaient déjà moins mais leurs esprits restaient terriblement chamboulé. Leur mémoire immense se remémorait chaque pierre prise, chaque seconde de désespoir.

Une fois leur ventre plein et leurs premières forces revenues, elles quittèrent le fleuve d'un regard haineux. Elles avançaient rapidement, une direction en tête. Malgré leur audace et leur objectif, le froid les treillissait, faisant trembler leur corps gelé. Le temps était encore plus couvert qu'habituellement, il neigeait de nouveau des milliers de trombes glaciales. Et le vent criait, dont l'écho résonnait partout.

Leurs yeux clairs entrouverts brillaient d'une ferveur inquiétante, leurs pas lents et fatigués s'enfonçaient dans l'épaisse couche de neige qui tapissait le podzol de la forêt qui s'avérait être enfaite une immense taïga. Les feuilles n'osaient tomber, de peur d'être immédiatement recouvertes par l'épaisse couche de neige indomptable. Les écorces des arbres étaient écaillées d'un brun foncé, semblant particulièrement résistantes. Les immenses conifères traversaient les cimes et venaient piquer les nuages blancs. Ils ressemblaient à des pins sylvestres par la taille gigantesque de leur tronc. Et, paternels, ils tentaient difficilement de protéger les sœurs des trombes de neige qui tombaient sur leurs cimes.

Le paysage identique était comparable à un village de nuages dont les habitants retiendraient leurs enfants de tomber dans le vide mais, innocents et imprudents, ils sautaient dans un millier de cabrioles et rebondissaient, dans un éclat de vent, dans les feuillages des arbres. Les plus jeunes les tapissaient tandis que les plus hardis continuaient leurs cavalcades pour rejoindre la mer. La mère blanche qui les appelaient. Semblable à un cimetière, elle les retenait tous dans ses longs bras. Le vent, héroïque, lançait ses troupes, les bourrasques et les rafales, pour les faire s'envoler à nouveau avant d'être piétinées par le pas des soeurs.

Elles avançaient de plus en plus péniblement sur le sol couvert de poudreuse, ralenties par les aléas, encore une fois. De gros flocons tombaient dans une cascade de roulade du ciel et mouchetaient leurs cheveux blancs. Il faisait si froid qu'elles ne sentaient plus leurs pieds et leurs mains. Elles avaient l'impression de devenir des statues de glace. La taïga s'étendait à perte de vue, les perdant. Le paysage restait, qu'importe où elles allaient, le même. Les troncs se répétaient par milliers. La neige brouillait leur vue.

Il leur semblait qu'elles avaient marché de longues années dans ce paysage perpétuellement identique. Chaque pas achevait leur force. Chaque battement de cils les faisait trembloter. Elles avaient essayé de se repérer grâce à la carte dessinée mais impossible de trouver le Nord ou ne serait-ce qu'un repère. Les pauses qu'elles faisaient, étalant leur corps transis dans la neige, semblaient les transformer en glace. Les étendues de troncs annonçaient, d'un air impassible, qu'elles étaient perdues. Leurs traces se faisaient recouvrir directement. Sans doute tournaient-elles en rond ? Leur peau plus blanche que la porcelaine commençait à prendre des teintes de couleurs. Une once de bleue s'invitait çà et là, dans le salon de leur visage, prenant un thé glacé.

Elles cherchaient à présent un abri pour dormir, prétextant que la nuit tombait. Mais pas un buisson, pas un rocher ne leur convenaient. Il n'y avait rien hormis le même paysage perpétuellement identique. Le sol était aussi lisse que le ciel, seulement percé par les milliers de troncs qui semblaient plus symétriques que jamais. Rien ne leur permettait de se repérer. Elles ne savaient plus où elles étaient. Leur tête se brouillait. Les troncs se mélangeaient devant elles. Ils semblaient faire la ronde, ils semblaient rires. Elles sentaient leurs forces les quitter à chaque pas. Leurs pensées étaient glacées, leur corps givré. Même si elles étaient dans ce qu'elles pensaient être leur milieu, le froid les emportait. Il les avait trahies depuis longtemps.

Congelée, Myra fut la première à chuter. Entendant faiblement le bruit que fit son corps tombé dans la poudreuse, elle fut rapidement rejointe par ses deux sœurs. Elles ne réussissaient pas à se reprendre malgré le vent qui leur hurlait dessus. Leurs blessures voulaient, rongées par le froid. Elles ne les sentaient même plus, elles ne les entendaient plus crier. Elles étaient en pleine conversation avec leur amie. Leur amie terrible. Leur amie la Mort. Aussi noire qu'elles étaient blanches, elle leur souriait effrayamment. Elle semblait encore plus fausse que les trois sœurs intimidées. Calme, elle leur expliquait que ça ne faisait pas mal, que comme elle était très, très gentille, elle les achèverait rapidement pour qu'elles ne souffrent pas. Elle disait aussi qu'elle était très peinée de ne pas avoir pu assister à leur traversée du fleuve et qu'elle les aurait bien évidemment aidées si elles n'étaient pas allées aussi vite. Elle leur parlait de sa vie parfaite pendant que les sœurs essayaient de faire cesser les tremblements de leur corps. Assise sur un sofa d'un rouge sang, la femme se tenait très droite, ses immenses jambes occupaient toute la petite pièce effrayante où les sœurs, qui à force de reculer, semblaient rentrer dans le mur sur lequel était accrochée, tel un trophée de guerre, une longue et luisante faux noire. Le maquillage sombre de la Mort, aux allures éternels, faisait ressortir ses yeux sans pupille. Son visage sombre brillait d'une ferveur démoniaque et une aura maléfique s'échappait d'elle pour happer les espoirs. Derrière, une grande porte attendait patiemment qu'on vienne l'ouvrir. Un brouillard noir s'échappait du seuil, féroce et destructeur, happant la lumière et la vie.

Soudainement, le terrifiant visage de la femme fut traversé par un éclair de surprise. Extrêmement agacée, elle se redressa d'un bond. Fixant toujours les sœurs d'un regard manipulateur, elle soupira avant de sortir de la pièce, leur promettant de revenir très bientôt si elles continuaient de la fuir comme ça.

Légèrement rassurées, les sœurs se regardèrent timidement, sans pour autant être soulagées et réchauffées. Et soudain, le monde sembla être happé par une puissante spirale. Une tempête entra dans la pièce et le vent fit décoller et s'envoler tous les meubles. La pièce se retourna dans tous les sens, une migraine détestable secoua les trois jeunes soeurs, perdues tandis que leurs blessures hurlaient. Et puis le noir. Seul dans leur champ de vision limité. Le calme revint. L'usage de leurs membres réapparut accompagné par le froid qui les mordit de ses crocs sanguinants.

Tendant l'oreille, elles entendirent des pas énergiques. Semblant tout droit sortir de l'espoir, un jeune homme à l'allure de bête se dressa devant elle, une lueur ardente de vengeance dans les yeux.

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