Prologue

     La tempête s'était calmée depuis une heure. La mer se remettait tout juste du vacarme et de la brutalité dans laquelle elle avait été plongée à la suite de ce rude déchaînement du ciel. Les vagues dévastatrices s'étendaient encore à perte de vue, et le vent salé venait sécher la quille du pauvre bateau, retourné sur lui-même, qui avait tenté de traverser ce carnage. Quelle folie pour un si petit et modeste navire de s'être aventuré sur une eau si brutale... Il était fortement déconseillé d'entamer une traversée de cette mer, d'autant plus qu'elle était inconnue de tous et n'avait l'air d'avoir strictement aucune limite. Autrement dit, elle ne menait à aucune destination. Le monde ne la surnommait pas « les Eaux Mortelles » pour rien.

     La nuit avait été longue, très longue, mais le soleil se levait enfin à l'horizon et venait se refléter sur la surface de l'eau. La douce chaleur matinale qu'il créait vint réveiller le propriétaire du bateau ; un homme, les cheveux bruns attachés derrière son crâne, désormais naufragé, se tenait comme il le pouvait au bois de son embarcation. À moitié plongé dans l'eau froide, toutes ses affaires avaient été perdues dans l'océan lorsque les vagues avaient submergé son modeste petit navire de commerce, en détruisant le mât de ce dernier. Il n'avait guère l'habitude de tels ouragans, les mers de son pays étaient beaucoup plus tranquilles. En relevant la tête, il put contempler le ciel rosé de l'aube, mais très vite, le brun fut pris d'une toux violente du fait de l'eau qui avait pénétré ses poumons et lui avait fait frôler la noyade. À deux doigts de retomber de fatigue suite à la lutte qu'il avait engagée contre les forces de la nature, il se voyait tout de même chanceux d'avoir survécu... Cependant, l'homme était seul, au beau milieu d'un océan encore inconnu à ses yeux, il avait peut-être résisté à la tempête, mais ce serait de la soif qu'il succomberait s'il ne voyait pas le bout de son périple dans quelques heures.

     En effet, la chaleur était atroce le jour, et les nuits glaciales... Il venait de perdre toutes ses provisions et n'avait plus rien sous la main à manger. Il n'y avait rien de pire pour lui que de savoir sa mort venir petit à petit, sans qu'il ne puisse rien y faire. Mais ses fils ainsi que sa femme l'attendaient, il n'avait guère le droit de leur infliger une telle souffrance qu'était de perdre un parent, il se devait de survivre. Si ce n'était pas pour lui-même, c'était pour sa famille qu'il devait se tirer d'affaire. Ce voyage, il était le seul à y croire. Malgré les préventions de tous ses proches et des personnes spécialisées dans le domaine de la marine, l'homme s'était engagé avec orgueil sur cette mer maudite. Le danger était de mise, et il en avait pleinement conscience, mais lorsque l'on était un passionné des mers et de vieilles légendes mêlées, rien n'était en mesure de nous arrêter. Peut-être était-ce de la folie pure, oui, mais le brun sentait qu'il découvrirait quelque chose au bout de son périple. Quelque chose que personne encore n'avait découvert en raison de la réputation que tenait cette mer et qui, de ce fait, repoussait toute personne à vouloir s'y aventurer.

     Ce pressentiment n'avait, de toute évidence, pas réussi à convaincre sa famille de le laisser partir, il dut s'enfuir en pleine nuit, en toute discrétion pour parvenir à ses fins. Et malgré tout, il n'avait même pas culpabilisé d'avoir laissé les êtres qu'il aimait derrière lui sans leur en informer : sa confiance en lui était si grande que périr ici-même, en pleine mer, n'avait même pas été une option. Personne n'était revenu de ce lieu, mais cela ne l'avait pas effrayé... jusqu'au moment où, lui aussi, ne put faire demi-tour, à cause de sa trop grande imprudence. Personne n'est en capacité de rivaliser avec l'océan, lorsque tu penses qu'il te porte vers un horizon nouveau, il finit par te dévorer tout cru. Tels étaient les mots de son grand-père, des mots qu'il trouvait absurdes. Néanmoins, dans la situation actuelle, il aurait été bien heureux d'écouter ces paroles qui, étrangement, prenaient du sens dans son esprit...

     L'homme faillit lâcher ce qu'il restait de son bateau qui flottait où bon les vagues semblaient le faire voguer. Il était impossible d'emprunter une direction désirée, il avait perdu sa voile, si précieuse pour le bon déroulement d'une traversée marine... L'épuisement le gagnant une nouvelle fois, il dut fermer les yeux, éreinté. Bon sang, ce qu'il avait froid... Le bas de son corps submergé, il n'avait plus la force de remonter sur la coque humide du bateau, pour ne serait-ce qu'éviter de faire autant baisser sa température corporelle. Cependant, il tenait avec deux mains fermes son embarcation à la seule force des bras, et il se devait de ne pas la lâcher s'il tenait à la vie.

     Le naufragé ne sut combien de temps s'écoula, mais il rouvrit à moitié les yeux, sa vision floue. Et ce fut lorsqu'il aperçut plusieurs masses blanches voler au-dessus de sa tête qu'il s'évanouit et lâcha son bateau qui partit à la dérive sans lui. Les cris des mouettes résonnaient si fort à travers ses oreilles, tout comme le bruit des vagues qui le tourmentait. La noyade était proche. Cependant, il perdit connaissance trop tôt avant de remarquer qu'il était arrivé, par miracle, vers un littoral. Une grande plage, lisse et propre, qui s'étendait sur une longueur de plusieurs kilomètres. Au loin, derrière la côte, s'élevaient des collines à la végétation dense. Comment avait-il fait pour ne pas remarquer ce sable ? Son cerveau lui jouait-il des tours ? Ou cette plage venait-elle de réellement apparaître devant lui, au sud-ouest, comme par magie ? La réponse ne lui parviendrait sans doute jamais.

     Le soleil était au zénith, et l'homme s'échoua sur le sable encore imbibé d'eau de mer entre les coquillages et les algues, l'écume bordant le sol par endroits. Inconscient, il resta là, allongé. La marée montante le poussant de plus en plus vers les terres ainsi que le sable sec et chaud, jusqu'à ce qu'il ne se retrouve trop loin pour que les vagues ne puissent encore l'atteindre. La température était assez élevée, atteignant presque les trente-cinq degrés, et le corps inconscient de l'homme était en plein soleil, aux heures les plus chaudes de la journée. S'il ne se réveillait pas bientôt, son état s'empirerait jusqu'à peut-être même devenir critique. Mais la fatigue l'avait bien trop gagné pour qu'il ne parvienne à reprendre ses esprits, le naufragé ne tiendrait plus très longtemps.

     Un peu loin sur la plage, deux individus masculins qui marchaient ensemble aperçurent le corps du marin peu prudent. À la vue de ce dernier, le duo sembla se hâter, adoptant une démarche plus rapide entre la marche et la course. Les deux inconnus étaient vêtus exactement de la même manière. Ils portaient des chausses bleu nuit ainsi qu'un pourpoint noir comme le jais. À leur ceinture était sanglée une épée à fine lame pointue et sur la poitrine, un symbole avait été cousu sur leur vêtement. Leur tenue se voyait plutôt élégante et non menaçante pour tout étranger croisant la route de ce binôme, hormis le fait qu'ils étaient armés. L'un des deux épéistes, une trentaine d'années, les cheveux blonds attachés derrière son crâne, fut le premier à s'accroupir afin d'examiner la personne sur qui ils venaient de tomber par hasard. D'où venait ce naufragé plus que mal en point ? Un détail sur la tête de celui-ci étonna le premier homme et le fit détourner le regard avant que son expression faciale ne se referme brusquement. Il fit signe à son accompagnateur de s'approcher davantage.

     Le second inconnu bien vêtu, de vingt années plus âgé que son coéquipier, était chauve et possédait des traits de visage qui démontraient une certaine sévérité. Il s'agenouilla à son tour, et comprit immédiatement à quoi le blond faisait référence. Ce dernier attrapa la mâchoire inférieure du naufragé sans la moindre douceur afin qu'ils puissent tous les deux fixer l'entièreté de son faciès et que la moitié ne soit pas plongée dans le sable. Bien qu'ils eussent le même avis sur l'inconscient, leur réaction différa cependant. L'un ricana d'un rire moqueur tandis que l'autre garda son air médisant envers le brun qui s'était échoué. Il fallait dire qu'ils ne s'attendaient absolument pas à cela... Depuis combien de temps ce n'était pas arrivé ? Plusieurs années, pour sûr. Le premier homme blond lâcha brutalement la tête du marin avant de se relever, tout en continuant à river ses yeux sur lui. Puis, sur un ton cohérent avec son regard condescendant, il s'adressa à son binôme qui était resté à genoux pour continuer à admirer leur « prise ».

- Regarde ce qu'on a là... dit-il avec dédain.

     Son interlocuteur ne répondit pas l'instant qui suivit, trop occupé à ne pas en croire ses yeux. S'il on lui avait dit qu'il tomberait sur une chose pareille en ce début d'après-midi plus que banal, il aurait parié pour une mauvaise plaisanterie. Il finit par se lever lui aussi, puis balaya le sable qu'il restait sur ses rotules. Avec entrain, il plaqua amicalement sa main dans le dos de son associé pour manifester sa fierté. Le blond dut se retenir de perdre l'équilibre après cette forte tape de son aîné.

- C'est pas souvent qu'on tombe sur ce genre de poisson échoué, pas vrai ? s'exclama l'homme chauve.

     Le regard de l'individu hautain se porta sur un tas de bois plus loin en avant sur lequel quelques mouettes s'étaient arrêtées afin de trouver quoi que ce soit de comestible à l'intérieur. Ce devait sûrement être avec cette embarcation que le naufragé avait entamé un voyage en mer.

- Je te le fais pas dire, répondit le blond en haussant les sourcils.

     Après s'être moqué de la tenue médiocre du brun, le binôme transporta le corps jusque derrière les dunes de sable qui cachaient le reste des terres. Durant leur trajet pour quitter la plage, tous deux se plaignirent du poids de l'homme qu'ils portaient ensemble. Autant dire que se déplacer avec un corps d'un homme d'environ la cinquantaine d'années n'était pas très pratique, surtout en marchant dans un sol si mou qu'était le sable. Mais, toutefois, ils arrivèrent à leur destination, qui se trouvait juste au pied d'une dune. Une grande trappe de bois, avec une poignée de fer. Afin de la dissimuler et éviter les intrusions, cette dernière était recouverte de quelques pierres et galets blancs qui rappelaient le sol rocailleux qui s'était installé depuis quelques mètres sur leur chemin. Ils ouvrirent l'entrée carrée qui grinça et pénétrèrent ainsi secrètement dans cet endroit qui donnait sur un long escalier, lui-même donnant sur un souterrain labyrinthique.

     Le lieu était sombre, silencieux, et froid. Seules quelques torches éclairaient les longs couloirs lugubres reliant différentes pièces. Tout semblait mort, dépourvu de chaleur et de vie. Le duo, avec le naufragé dont ils portaient chacun un bras pour le faire tenir entre eux, passa une porte sur leur droite et arrivèrent dans une pièce assez étroite et qui, de par son contenu, faisait penser à une salle de torture. Il y avait une odeur étrange et au centre, une chaise métallique un peu rouillée attendait que le brun trouvé sur la plage soit placé dessus. Son dossier, parfaitement rectangulaire et droit, semblait pouvoir se rabattre en arrière, allongeant ainsi la personne assise au préalable contre lui. Et les quelques traces de sang séché sur ses extrémités en aurait déjà fait fuir plus d'un... Le plus jeune des deux hommes disposa le corps de sorte à ce qu'il ne bascule pas en avant mais repose sur la chaise. Grâce aux cordelettes nouées aux accoudoirs et aux pieds du siège peu confortable, il lui attacha les poignets et les chevilles fermement. La tête du marin inconscient tombait en avant, et son coccyx glissait de quelques centimètres sur la chaise.

- Parfait. Vas-y, réveille-le, ordonna l'autre homme qui alla chercher un petit tabouret rangé dans un coin.

     Le blond obéit sans attendre et donna une gifle relativement légère à leur prisonnier. Ce geste le fit bouger. Cependant, n'étant guère suffisant pour provoquer son réveil, l'homme réitéra son action plusieurs fois avec davantage de force, en vain, le brun restait endormi. L'aîné, qui voyait que les tentatives de son binôme n'arrivaient à rien, eut ainsi le temps de placer son petit siège en face de la chaise de métal, prêt à entamer une discussion avec ce paysan venu de nulle part. Perdant patience, il s'assit sur le tabouret en bois et vociféra haut et fort un violent « Debout ! » lorsque le brun sursauta d'un seul coup, la panique dans les yeux. Cette réaction fit rire l'homme aux traits sévères qui se tenait devant lui ; il lui tapota l'épaule d'une façon assez désinvolte qui ne plut guère au naufragé, complètement perdu.

- Salutations, étranger, déclara le fier individu après avoir cessé sa moquerie.

     Enfin éveillé, il regarda tout autour de lui et fut pris d'une violente toux du fait de l'eau encore présente dans ses poumons. L'impuissance dans laquelle le plongeait sa situation l'agaçait profondément, il détestait être à la merci des autres ainsi, c'était pour sûr une question d'égo... Puis, il tenta de se libérer de ces liens qui le retenaient à sa chaise, mais de toute évidence, il n'y parvint point. Le brun serra les dents et grogna en manifestant son mécontentement, cet endroit ne lui disait rien qui vaille ainsi que ces inconnus présents avec lui. Il dévisagea la personne en face de lui qui avait un grand sourire aux lèvres et lui posa une première question sur un ton coléreux.

- Où suis-je ? s'interrogea le père de famille.

     Lorsqu'il déglutit suite à cette parole, il sentit sa gorge sèche et la soif le gagner de nouveau. Sa voix était rocailleuse et légèrement cassée, un fait qui ne lui donnait pas beaucoup de crédibilité et qui, au contraire, faisait ressortir la faiblesse dans laquelle il se trouvait. Les frissons le parcouraient à cause de l'air plus frais qu'à l'extérieur et son vêtement de tissu léger encore mouillé, l'homme en face de lui ne répondit pas à sa question mais la prit tout de même en compte, en faisant semblant de comprendre le trouble qui habitait son prisonnier.

- Je crois que tout cela n'a que peu d'importance pour le moment, le reprit-il. C'est plutôt toi qui vas répondre à nos questions.

     La façon dont il s'adressait à lui commençait à faire ressortir une certaine impulsivité chez le naufragé. Sa colère s'amplifiait et son ignorance le perdait. Le dernier souvenir qu'il avait était une tempête en pleine mer puis son évanouissement brutal. Se retrouver attaché sur une chaise peu confortable dans une pièce inconnue était tout bonnement insensé. Le brun n'arrivait point à réfléchir sur ce qu'il aurait pu se passer durant son temps d'absence. Tout ce qu'il souhaitait, c'était de l'eau, et de la nourriture. Rien que cela. Et il supportait de moins en moins cette privation. Les armes du binôme ne l'intimidaient même pas, et le marin fit un peu trop parler son orgueil démesuré.

- Dites-moi où je me trouve, ordonna-t-il à ses « hôtes ».

     Le blond qui se tenait à l'écart en arrière, posa une première main sur le haut du dossier de la chaise métallique avant de regarder son aîné avec un haussement de sourcils qui signifiait que le manque de coopération du père l'étonnait au plus haut point. S'il savait ce qui l'attendait, il n'aurait jamais osé se dresser ne serait-ce qu'une seconde devant eux, mais soit... L'homme en uniforme à qui s'adressait le prisonnier comprit la résistance que celui-ci souhaitait mener face à lui. Mais cette fois-ci, il n'émit aucun rire, la situation ne l'amusait plus du tout, son expression le démontrait parfaitement. Il resta immobile pendant quelques instants, ce qui le rendait d'autant plus imprévisible et menaçant.

- Commence pas comme ça, mon grand, parce que je vais pas supporter ton comportement très longtemps, le prévint l'inconnu chauve.

     Il joignit les mains d'une manière presque théâtrale et les posa sur ses genoux, en se penchant en avant, vers son interlocuteur retenu sur son siège. Le naufragé se mordit l'intérieur de sa lèvre inférieure tant son envie de frapper cet étranger qui l'humiliait était grande. Il baissa finalement la tête en se soumettant à son regard et bougea sa tête d'un hochement négatif dans le même temps, jusqu'à ne plus pouvoir l'abaisser. Il ferma également les yeux, en pensant qu'il ne faisait qu'halluciner. Peut-être était-il même mort ? Qui pouvait lui prouver le contraire ? Dans tous les cas, son action dévoila toute sa nuque à l'autre homme debout derrière lui, qui y observa une large cicatrice. La position qu'il avait adoptée plut au binôme qui pensait qu'il était enfin prêt à lui obéir.

- Alors, que dirais-tu de nous dire qui tu es, toi ? Ce serait un bon début, non ? proposa l'individu assis en face du brun.

     Qui était-il ? Cette question, même lui ne saurait y répondre. Était-il un supposé marin perdu en mer, incapable de tenir une carte en main ? Ou plutôt un homme brutal et prétentieux qui avait abandonné sa famille pour tenter de gagner une potentielle renommée d'explorateur hors-pair dans son pays ? Quel égoïsme, tout de même... Le naufragé en avait parfaitement conscience, il vivait et vivrait toujours pour cette soif de pouvoir et de reconnaissance des autres qu'il n'avait pas à ce jour. Et si cela gênait ses proches ainsi que toute ses interactions sociales, c'était qu'ils ne le connaissaient pas vraiment dans son entièreté, et s'étaient trompés sur son compte depuis le début ! Car en effet, malgré tous ses agissements, il n'avait aucun remord.

     Cela lui paraissait si absurde qu'en gardant la tête baissée, il se mit à glousser en riant de cet interrogatoire stupide. Ces hommes cherchaient véritablement à en savoir plus sur lui ? Intéressant... Pourtant, ils n'apprendraient rien de spécial sur sa personne, mis à part son nom, que lui-même détestait, à la rigueur. Lorsqu'il termina son ricanement beaucoup trop exagéré, il releva la tête vers son interlocuteur plus que subjugué et prit un air rembruni avant de réitérer sa question à laquelle il n'avait pas eu de réponse. Jamais de sa vie il ne se soumettrait à de parfaits inconnus qui n'avaient pour menace que des épées dont ils ne se serviraient même pas. Il en était sûr, leur petit jeu n'était que stupide ruse.

- Qui êtes-vous, putain ?! insista-t-il avec une haine dans la voix.

     L'homme chauve soupira longuement et accepta que les choses se déroulent plus vite que prévu, bien qu'il aurait préféré en apprendre davantage sur leur invité si particulier et rare, ces temps-ci. Il fut comme désolé, et déçu de la rapidité dont lui et le blond devraient faire preuve. Après tout, le marin ne pourrait s'en prendre qu'à lui-même, on l'avait pourtant averti. Assis sur son petit tabouret, il finit par se relever et le pousser sur le côté. Les mains sur les hanches, il fixa ses cheveux, son nez, et ses oreilles en se penchant de chaque côté, comme si le prisonnier était un véritable animal qu'il ajouterait dans sa collection. Puis, d'un haussement d'épaules, il s'adressa à son coéquipier.

- On m'avait pas dit qu'ils étaient de vrais emmerdeurs...

     Le prisonnier commença à s'agiter dans tous les sens suite à l'agacement qu'il ne pouvait manifester autrement, ces secousses firent grincer la chaise contre le sol. Rien à faire, ses poignets restaient cloués aux accoudoirs glaciaux sur lesquels ils étaient attachés. Il adopta une respiration plus rapide et forte qui témoignait de l'incapacité du brun à rester calme.

- Détachez-moi ! hurla-t-il dans l'affolement.

     L'épéiste dégaina sa lame étincelante et la pointa en direction de l'homme à bout de nerfs. La pointe de l'arme vint toucher le dessous de son menton pour l'obliger à redresser la tête, ce qu'il dut faire bien que ce fût contre sa volonté. Il sentit un léger picotement dans sa barbe rasée de près, à l'endroit qui touchait le fer tranchant. Cette infime douleur le calma néanmoins pour quelques secondes, le naufragé garda son regard noir ancré dans les yeux de l'homme debout devant lui. Une tension supplémentaire vint ensuite s'installer dans l'atmosphère, ainsi qu'un lourd silence que le marin ne brisa point. L'épée fut enfin retirée de son menton mais le brun n'eut cependant pas de répit.

- Bon, je crois qu'on va pas attendre plus longtemps, déclara l'homme qui rengaina sa lame.

     En entendant cette affirmation, le plus jeune homme, discret jusque-là, alla chercher une lourde caisse de bois rectangulaire posée sur une table, au fond de la pièce. Son contenu était plus que répugnant, le blond lui-même qui la portait évitait de regarder à l'intérieur, et l'odeur y était si nauséabonde qu'il retint un instant sa respiration pour ne pas la sentir. Il posa cela derrière la chaise de métal centrale et toucha à quelques mécanismes intégrés derrière le dossier de cette dernière, provoquant ainsi l'incompréhension de son propriétaire actuel. Cette pièce comportait du matériel dont celui-ci n'aurait jamais envisagé l'existence, beaucoup d'objets lui étaient inconnus et possédaient une utilité que le brun ignorait. Et cet accoutrement qui vêtait les deux mystérieux soldats, d'où venait-il ? Il n'avait encore jamais vu une tenue de ce genre.

- Retirons cette allure de bouffon de sa tête, tu veux bien ? suggéra l'aîné à son complice.

     Soudain, deux nouveaux pieds de chaise se déplièrent au niveau du haut du dossier. Avec délicatesse, l'homme qui préparait la suite des événements fit basculer ce dossier en arrière et les pieds métalliques prirent contact avec le sol, le transformant en table. Le naufragé fut poussé en arrière par l'inconnu chauve et dut suivre le mouvement, il eut ainsi le plafond de la salle en face dans sa vision. En quelques instants, ce siège plus que banal s'était transformé en une sorte de table relativement basse sur laquelle le naufragé se voyait allongé, ses bras étaient un peu tirés vers l'avant en raison de ses liens qui le retenaient toujours aux accoudoirs horizontaux. Mais ce problème fut réglé peu après lorsque ces mêmes accoudoirs se déplacèrent dans un mouvement translatif pour se rapprocher du haut du corps de la victime. L'arrière de son crâne put se déposer sur le froid métal du dossier rabattu, et lorsque l'homme tourna la tête sur ce dernier, et il constata qu'il était coloré d'un rouge pourpre peu rassurant sur les côtés.

     La caisse de bois se retrouva donc sous cette table. Puis, les deux individus en uniforme s'approchèrent du brun paniqué après que l'un des deux se fut emparé d'un étrange couteau. Il était effrayant, sa lame devait être large de presque dix centimètres, et sa forme était courbée. Le blond, qui ne possédait pas ce semblant d'ustensile de torture, plaqua violemment la tête du marin qui n'avait plus la force de se redresser sur le dossier et garda un bras contre son torse pour qu'il ne puisse plus bouger. Le binôme était prêt à passer à l'action, l'homme chauve choisit un côté et attrapa tout d'abord l'oreille droite du marin orgueilleux. Ce dernier se débattait mais cela ne changeait rien, ses forces s'avéraient bien trop faibles. Dans un décompte, l'individu éleva en l'air son couteau tranchant, et la suite ne fut que terrifiante pour la victime qui, dans un hurlement atroce de souffrance, vit son propre sang couler sur la table jusqu'à s'égoutter, et se retrouver à joncher le sol.

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