Chapitre 9 : Sur sa trace
La mine de son crayon s'usait contre le papier, sans s'arrêter, et les bruits de frottements de celui-ci paraissaient résonner à cause du grand silence qui régnait dans la maison d'Alan, ces petits bruits d'écriture s'arrêtaient un instant lorsqu'il revenait à la ligne, au bout de quelques secondes. Le chef tentait de s'appliquer le plus possible pour que sa lettre d'excuse soit la plus recevable qui soit, pour que sa sincérité soit ressentie par la destinataire. En effet, la veille, il avait commis une erreur qu'il regrettait amèrement, celle d'avoir avoué ses sentiments pour Nell. Après y avoir mûrement réfléchi, il se rendit compte qu'il n'avait fait que la mettre mal à l'aise et la rendre plus distante vis-à-vis de lui, ce qu'il pouvait comprendre comme ces sentiments n'étaient guère réciproques. Cependant, Alan ne voulait pas perdre une amie aussi chère que Nell, il décida ainsi de lui écrire ses excuses, ce qui lui était plus simple de faire plutôt que de les lui dire de vive voix, en face. L'oncle ne cessait de se remettre en question sur ce qu'il ressentait depuis. Comment savoir concrètement ce qu'était l'amour lorsque l'on n'avait jamais expérimenté ce genre de relation ? Alan était véritablement amoureux, ou s'était juste emporté par les tourments contre lesquels ils luttaient en secret ?
La matinée allait bientôt s'achever, les chants des oiseaux pénétraient par la fenêtre ouverte au bout de la pièce, et cela faisait deux jours qu'il n'avait pas croisé sa nièce, alors qu'ils vivaient sous le même toit. Il ne lui fallait pas être très perspicace pour comprendre que Lysia lui en voulait pour quelque chose, et qu'elle faisait tout son possible pour l'éviter depuis quelques jours. Néanmoins, il souhaitait mettre les choses au clair, car cela avait trop duré selon lui. Ce n'était pas dans l'habitude de la blonde de dormir aussi longtemps le matin, Alan commençait à se poser des questions. Ce fut pourquoi il décida de monter à l'étage pour aller la voir, même si leur échange était susceptible de ne pas être très jovial.
Il posa son crayon et mis en pause son écriture pour aller s'assurer que tout allait bien pour Lysia. Alan se leva de sa chaise et traversa le rez-de-chaussée avec assurance et discrétion, pour ne pas se faire remarquer et comprendre ce que la blonde trafiquait dans son dos. Durant la fête de la veille, il l'avait juste entraperçue en train de danser, mais elle était absente lors du dessert, ce qui était plus qu'intriguant. Loin de lui l'idée de vouloir l'espionner, il restait néanmoins vigilant et très protecteur envers l'Hylienne, c'était plus fort que lui. Arrivé au pied des escaliers grinçants en bois, il se fit davantage silencieux pour tenter de percevoir du son venant de la chambre de la jeune femme, mais rien ne vint interpeller son attention, ce qui le laissait de plus en plus perplexe. Le chef commençait à craindre le pire, il s'efforçait de ne pas y penser mais la situation laissait supposer ce dont il ne voulait pas à avoir affaire.
- Lyly ? finit-il par prononcer à haute voix pour que celle-ci l'entende.
Il n'obtint aucune réponse. Le silence persistait. Alan monta quelques marches de l'escalier en douceur, sans se précipiter. Il savait pertinemment comment monter sans faire le moindre bruit alors que le bois des marches avait la fâcheuse réputation de beaucoup craquer lorsque l'on marchait dessus. Plus les secondes à n'entendre aucun autre son que ceux produits par son corps passaient, et plus l'oncle peinait à croire qu'il était seul dans sa demeure.
- Je peux savoir pourquoi tu me fuis depuis deux jours ? insista-t-il.
Son cœur sauta un battement lorsque toujours personne ne lui répondit. Ses appels déchiraient à chaque fois le silence mortel qui régnait dans la maison. L'Hylien commençait à s'énerver, à penser qu'elle ne l'avait pas écouté et avait fui en secret. Enfin arrivé à l'étage, il n'eut besoin que de quelques secondes pour comprendre qu'il avait vu juste. La chambre était bien vide, sans la moindre présence. Un lit défait, des vêtements sur le sol, une arme disparue. Sa lance qu'elle chérissait tant et que Lysia gardait précieusement dans sa chambre n'était plus là.
- Par toutes les déesses... souffla l'oncle.
Son sang ne fit qu'un tour, il resta figé sur place, face à cette pièce désordonnée dans laquelle il pouvait encore sentir le parfum singulier de sa nièce. Un mélange de colère, de stress et de peur le gagna et l'immobilisa durant quelques instants où il était bien incapable d'agir. Alan s'imaginait déjà les pires scénarios possibles, il voyait Lysia se faire attaquer par une créature alliée à Ganon, le Fléau, il la voyait se perdre dans ce labyrinthe qu'était Hyrule, et faire de mauvaises rencontres humaines ou animales. Ce sentiment qui brûlait en lui réveillait la corruption qui l'habitait, cela crispa ses muscles et sa température corporelle augmenta, lui donnant de la fièvre. Heureusement, il avait appris à contrôler ce feu infernal et maléfique et pouvait désormais l'utiliser en sa faveur, mais malgré tout, ses colères avaient souvent tendance à se transformer en rage très vite, à cause de son impulsivité qui grandissait avec la corruption qui ressortait.
Une fois la nouvelle avalée bien que difficilement, il parvint à se mouvoir de nouveau. Ni une ni deux, Alan redescendit au rez-de-chaussée et tourna en rond autour de la table centrale sur laquelle il écrivait ses excuses à Nell. En pleine réflexion, il ne savait quoi faire, il ne savait ni où Lysia était partie, ni quand elle s'était mise en route. Il lui fallait plus d'informations s'il voulait réagir au plus vite. La simple idée qu'elle soit seule dans la nature lui donnait envie d'hurler. Dans un élan de colère, il attrapa un verre à moitié plein d'eau sur la table et le détruisit sur le sol dans un bruit strident. Les éclats s'étalèrent dans toutes les directions et créèrent un véritable champ de mines tandis que l'eau qu'il restait forma une petite flaque à l'endroit de l'impact.
- Merde !! cria Alan qui avait laissé jaillir violemment sa frustration.
Il avait passé plusieurs heures sans se douter de rien, il avait dormi une nuit entière sans se demander une seule fois si l'absence de Lysia n'était pas suspecte. Son manque d'attention l'agaça, et désormais, il était impuissant face à la situation. Mais s'il y avait une personne qui en savait davantage, c'était Arthur. Celui à qui il lui avait demandé de convaincre Lysia de ne pas partir, mais qui visiblement, l'avait trahi. Sa peau avait rougi, la malice rampait dans ses veines jusqu'au bout de ses doigts et ses poils s'étaient hérissés sur tout son corps. Il ne put s'empêcher de reporter la faute sur le jeune homme qui lui avait explicitement dit qu'il ferait en sorte de retenir son amie à Labulat, chose qui n'avait pas été faite du tout. Alan souhaitait lui dire deux mots dans l'immédiat, même si sa réaction n'avérerait impulsive à cause de ce qu'il venait tout juste d'apprendre.
Il se rendit donc sans plus attendre et avec une démarche déterminée à la maison d'Adrien, Suzanne, et Arthur, qui habitaient à quelques pas de chez lui. Claquant la porte derrière lui, il prit la bonne direction avant de se retrouver quelques secondes après devant l'entrée de l'habitation voisine où il frappa brutalement contre le bois de la porte pour qu'on lui ouvre. Pendant les instants où il dut attendre, sa jambe droite bougeait nerveusement avec de petits mouvements rapides du talon. Il était clair que l'oncle était animé par une colère qui lui retirait une grande partie de sa raison. La patience, le calme et la compréhension devenaient des choses inconnues pour lui. Enfin, on vint lui ouvrir, Alan poussa la porte dans son mouvement de pivotement pour l'accélérer et tomba nez à nez avec Suzanne qui fut surprise de la vitesse d'exécution dont faisait preuve le chef.
Ses yeux fusillèrent du regard la pièce dans laquelle il venait de pénétrer. Il s'agissait d'un large lieu rempli d'un grand nombre de meubles et bibelots en tout genre, qui correspondait souvent à des héritages familiaux, ou de vieilles trouvailles. La cuisine se trouvait à droite, et une table ronde était placée à gauche, près d'une cheminée encrassée par la suie. L'atmosphère était tout de même chaleureuse par la lumière qui prenait plutôt bien ses aises à travers les quelques fenêtres carrées. Au fond, le grand espace de la maison semblait continuer de s'étaler mais un mur cachait la suite, formant un couloir derrière lui un peu plus sombre que le reste de la pièce. Mais pour Alan, il n'eut pas besoin de s'avancer davantage pour trouver celui qu'il cherchait, car Arthur était assis autour de la table ronde sur laquelle reposait un chandelier et quelques légumes frais récemment achetés. Il se dirigea droit vers lui avec un regard noir et ne lui laissa pas le temps de se retourner qu'il attrapa le jeune homme encore assis par le col.
- Où est-elle ?! s'enquit-il de savoir à n'importe quel prix.
Arthur, secoué subitement, fut muet quelques instants par le choc que cela lui procura. Il avait un blocage de la gorge qui l'empêchait de parler. La question agressive de l'oncle résonna dans toute la maison et attira l'attention de tous. La première pensée qui vint à l'esprit de Suzanne, assistant à la scène, fut qu'il était ivre et qu'il avait bu un certain nombre de verres. Rares étaient les fois où Alan hurlait ainsi et ce fut perturbant pour tous les membres de la petite famille, jusque-là paisible ce jour-là.
- Réponds ! insista le chef, furieux.
- Alan, je... formula Arthur effrayé.
Ce fut lorsque qu'il vit pleinement la peur panique dans les yeux du jeune homme tremblant qu'il le lâcha et le reposa net sur le sol, se rendant compte qu'il était légèrement brutal. Et cela qui diminua un peu la tension. Essoufflé par l'effroi qu'il venait de ressentir, Arthur fixait Alan sans comprendre ce qu'il lui voulait dans un premier temps. Adrien, son oncle, ne tarda pas à débarquer dans la pièce pour comprendre d'où venaient ces cris de colère bouleversant. Avant que quiconque ne puisse réagir, le chef du village reprit la parole, le ton toujours aussi haut.
- Je t'avais dit de faire en sorte qu'elle ne sorte pas du village !
Le brun comprit enfin ce qui lui était reproché. Il savait que ce moment devrait bien arriver suite au départ de Lysia, mais il ne pensait pas qu'il aurait été si brusque et surprenant. Maintenant qu'il avait conscience de ce qu'il se passait, il chercherait à pouvoir se défendre lui mais surtout son amie, malgré la terreur que lui inspirait ce grand personnage charismatique devant lui, qu'il connaissait malgré tout depuis des années. La tâche serait ardue mais Arthur en avait assez de baisser la tête, de se soumettre naturellement face au pouvoir de cet homme qui ne lui voulait pourtant pas de mal. Mais un traumatisme restait un traumatisme, il ne pouvait pas s'en défaire.
- Ne me regarde pas comme un monstre, Arthur ! lui intima Alan.
- Alors ne me regarde pas comme un monstre le ferait, répondit-il avec répartie.
Cette réponse émise si vite l'énerva, la rébellion d'Arthur ne lui plaisait pas et il sentit de nouveau la colère remonter. Était-il en train implicitement de le qualifier de monstre ? Après des années de vie partagée à une présence de malice en lui, Alan ne parvenait plus à se rendre compte des méfaits toujours présents de cette corruption. C'était comme s'il fusionnait avec elle sur certains aspects, et ce fait le frustrait. Il fit un pas en avant pour s'approcher du vingtenaire qu'il regardait avec des yeux baignés de colère, mais Suzanne intervint au bon moment.
- Alan ! prononça-t-elle avec fermeté.
L'intervention de la tante d'Arthur le calma, elle lui attrapa les avant-bras et le repoussa de son neveu qui ne bougeait pas et restait debout devant lui malgré l'appréhension que cela pouvait lui faire ressentir. Adrien, lui, resta silencieux en arrière, spectateur de la scène.
- Par Hylia mais tu es devenu fou ?! s'alarma Suzanne.
Il se retira de l'emprise de son amie et baissa les yeux au sol, ne souhaitant pas répondre à cette question ni se confronter à elle. Il n'avait pas besoin que l'on lui fasse la morale ni qu'on le fasse passer pour quelqu'un de malade, certainement pas dans ces circonstances. Alan se reconcentra sur la raison de sa venue, il ignora Suzanne et s'adressa une nouvelle fois à Arthur qui évitait de dire le moindre mot de plus.
- Tu l'as laissée partir, dit-il, as-tu au moins conscience du danger qu'elle court dans ce monde ?
Bien sûr qu'il était conscient des risques, Arthur était le premier à s'inquiéter pour Lysia. Ce n'était pas une décision prise à la légère.
- Quand a-t-elle quitté Labulat ?
Le brun se demanda s'il pouvait révéler ces informations à celui qui ferait tout pour retrouver Lysia avant même qu'elle ne puisse parvenir à ses fins. Mais après réflexions, il se dit qu'il valait mieux assumer ce qu'il s'était passé et que le mensonge ne les mènerait nulle part.
- Réponds-moi.
- Hier soir, informa Arthur. Elle est déjà loin à l'heure qu'il est.
Alan grogna tant il savait qu'il ne pourrait pas aller chercher sa nièce, sous peine de devoir payer des conséquences catastrophiques. En effet, ce qui le retenait à Labulat était secret pour tous, personne ne savait pourquoi mais l'oncle ne devait pas s'absenter plus de six heures en dehors de son village, c'était ce qu'il avait seulement dit lors d'une dernière réunion du conseil. Loin d'Arthur l'idée d'importuner son aîné, il sentit tout de même une certaine révolte l'envahir et souhaita défendre Lysia dans l'immédiat, ce fut pourquoi il reprit sans mâcher ses mots.
- Elle ne peut pas vivre sans ne serait-ce que de tenter de savoir la vérité. Mais ça, tu n'es pas capable de le comprendre, n'est-ce pas ? Tu sais ce que ça fait au moins de vivre dix-huit ans sans savoir à quoi ressemble sa mère, et de perdre son père jeune ? Non, tu ne sais pas. Moi-même, je ne sais pas. Elle a besoin de partir à sa recherche, et c'est une décision réfléchie, qu'elle a prise elle-même, ni toi, ni moi, ne sommes légitimes de lui interdire ce voyage qui ne concerne qu'elle.
Ce discours laissa Alan silencieux, le temps pour que le brun puisse en rajouter davantage. Ses paroles étaient spontanées et venaient du plus profond de lui, leur sincérité se ressentait à travers sa voix. En tentant désespérément de convaincre l'homme, il commença à avoir les larmes aux yeux, car la cause de son amie lui tenait lui aussi à cœur, il ne désirait qu'une chose : le bonheur de Lysia.
- Pourquoi tu n'arrives pas à comprendre qu'elle a besoin de savoir, de donner un sens à tout ça ? voulait-il comprendre. Alors certes, c'est dangereux, mais ça en vaut la peine, rien que pour l'initiative.
Adrien et Suzanne ne comprenaient pas du tout de quoi leur neveu parlait. Ne connaissant pas les intentions de Lysia, ils furent plus qu'inattentifs à ses déplacements lors de la fête du village, la veille. De toute évidence, cela ne les concernait pas, mais Arthur semblait tout de même très impliqué, ce qui restait intriguant à leurs yeux. Ils avaient l'impression de passer à côté de beaucoup de choses qui se produisaient ici, à Labulat. Et ce n'était pas la première fois qu'Alan leur faisait le coup. Ce dernier répondit fermement au brun qui venait de déballer ce qu'il avait sur le cœur, pour lui, il n'avait qu'une seule chose en tête : protéger sa famille à tout prix, valeur honorable mais excessive chez lui.
- Je l'ai élevée depuis ses huit ans, rappela le chef, j'ai soigné sa cicatrice des centaines de fois, j'ai inventé une potion spéciale pour cette blessure, et ce de mes propres mains. Elle est comme ma fille, je suis son deuxième père. Mon rôle est de la protéger des dangers de ce monde perdu. J'ai connu sa mère, son père, et je sais des choses que personne ici n'a envie de savoir. Mais s'il y a une chose que je peux vous dire, c'est que son voyage est vain.
Ne pouvant guère lui laisser dire une telle chose, Arthur se mit en colère et le pointa du doigt en s'approchant de lui. Ce qu'il voyait comme un pessimisme qui ne servait qu'à protéger son égo n'avait que trop duré, comment pouvait-il affirmer que le voyage entamé par sa nièce était vain ? Comment osait-il se mettre autant en travers de sa route ? Personne ni même son oncle ne la soutenait dans ses démarches mis à part le brun, et cela le désolait.
- Je t'interdis d'aller la chercher, ordonna avec peu d'assurance Arthur. Lysia n'est plus la petite fille fragile et brisée par la mort de son père. Elle a grandi, et elle te rejettera si tu oses la rejoindre, mets-toi ça dans le crâne.
- Va te faire voir, lâcha Alan qui ne supportait plus le comportement du jeune homme.
- Ça suffit ! s'exclama Suzanne, lessivée par cette dispute qu'elle voyait partir trop loin.
L'Hylien s'était retrouvé de nouveau apeuré par la personne qu'il avait en face de lui et qui se laissait emporter par ses vives et brutales émotions. Le temps de quelques secondes, Arthur crut voir son feu grand-frère à travers ses yeux qui étaient devenus rougeâtre, cela lui donna des frissons de terreur et une vague d'angoisse l'immobilisa, exactement comme si un fantôme l'avait traversé. Loin de ne pas connaître ces sensations, il en resta tout de même tourmenté quelques instants durant lesquels il fut plus fragile, plus vulnérable. Encore une fois, Alan gagnait par la terreur avec lui.
Suzanne rétablit un peu d'ordre dans sa demeure et remit les choses en place, Alan comprit que s'il restait encore en ces lieux, il ne saurait plus se contrôler. Ainsi, il décida de s'en aller afin de déchaîner sa colère ailleurs. Son arrivée brutale et violente n'avait fait que le faire passer pour un dégénéré incapable de garder son sang-froid, personne ici n'était de son côté. L'oncle, dans un désespoir grandissant, se tourna une ultime fois vers celui qu'il avait pris pour cible et responsable de tout cela, afin de lui délivrer ses derniers mots qui, il l'espérait, lui glacerait le sang.
- Je n'irai pas la chercher, signala le chef. Le village et ses habitants ont besoin de moi. Mais sache une chose, jeune homme.
La pause qu'il fit au milieu de sa phrase alourdit l'atmosphère de la pièce. Alan ancra ses iris dans ceux d'Arthur qui n'attendait que de savoir ce qu'il allait lui dire.
- Si elle ne revient pas, ce sera entièrement ta faute.
Voyant qu'il s'attaquait bien trop à son neveu sans qu'elle n'en sache la raison, Suzanne finit par vouloir le faire sortir elle-même de sa maison. Elle s'approcha de lui de façon décidée et lui attrapa les épaules afin de lui faire faire demi-tour jusqu'à la porte d'entrée. Alan ne montra aucun geste d'opposition et se laissa faire. Depuis cet instant, il déniait le fait que Lysia soit déjà partie, il ne voulait pas y croire, car le simple fait de penser à ce qu'il pouvait lui arriver le dévorait de l'intérieur et l'envahissait d'un stress épouvantable. L'oncle sentit la tristesse succéder à la colère et se sentit de plus en plus impuissant, au point de ne plus être capable de se diriger lui-même.
- Tu devrais aller prendre du repos, lui conseilla vivement Suzanne, tu ne vas pas bien du tout. Rentre chez toi, et laisse-moi prendre les commandes du village pour un temps.
- Je n'en ai plus rien à faire de ce que vous faites, formula-t-il. J'ai perdu une amie, ma nièce, prenez-moi mon village si vous le voulez.
Une fois sur le palier de la porte à l'extérieur, la tante le supplia de rentrer chez lui prendre du repos, puis elle ferma la porte dans la foulée, dans un bruit sourd, afin de se débarrasser au plus vite d'Alan que ni elle, ni Adrien n'avait reconnu. Ce dernier s'était rapproché d'Arthur, encore sous le choc, et avait posé une main contre son épaule pour le rassurer. Le jeune homme était cependant plongé dans ses pensées et réfléchissait encore à ce que le chef lui avait dit. Avait-il raison ? Si Lysia ne revenait pas, était-il le fautif ? C'était ce que son agresseur voulait qu'il pense, en tout cas, mais il ne saurait jamais s'il disait vrai. Arthur se remit de ces brusques événements et put raconter cette histoire à son oncle et sa tante, dans le calme.
Alan, quant à lui, ne se rendit guère chez lui comme lui avait demandé Suzanne. Avec une démarche déterminée, il prit la direction d'un endroit légèrement plus éloigné sur la colline de Labulat, et le reste du village fut attiré par l'aura qui se dégageait de son corps. Traversant la place centrale, tout le monde fixait avec grand intérêt ce gaz rosé qui émanait de lui. Puis, il disparut derrière les maisons au sud, jusqu'à se retrouver au bord d'une petite falaise qui donnait sur un bosquet, infesté de corruption grimpante. Celle qui menaçait de surmonter la pierre et arriver jusqu'au village. Mais dès lors de son arrivée, Alan agit comme un bouclier face à l'avancée de ce mal rongeur, il parvint à absorber une partie de la corruption afin de retarder sa course d'un seul geste des bras, et de la malice pénétra son corps à nouveau jusqu'à le faire grogner et s'agenouiller tant cela était douloureux.
C'était un sacrifice qu'il faisait régulièrement, pour garder Labulat en sécurité.
OoO ~ I ~ OoO
C'était dans cette contrée d'Hyrule que d'imposantes ruines se dressaient si haut qu'on pouvait croire qu'elles atteignaient le ciel. Visibles à plusieurs kilomètres à la ronde, elles étaient un point de repère parfait pour tous les voyageurs qui cherchaient à se repérer ou retrouver leur chemin. Cependant, peu s'aventuraient au sein de celles-ci à cause du monstre qui les avait prises comme demeure. Ces ruines étaient circulaires, il s'agissait de celles de l'ancien amphithéâtre du royaume, là où venaient s'affronter en duel les chevaliers, et où avaient lieu de nombreux spectacles divertissant pour le peuple. Malheureusement, dix ans plus tard, cet endroit autrefois dynamique et majestueux s'était transformé en tanière pour créatures maléfiques et de ce fait était devenu plutôt lugubre. Personne n'osait trop s'approcher par peur de tomber face à une des bêtes mortelles et terrifiantes de Ganon, le Fléau.
Le dos parfaitement droit sur son cheval, Lysia prit en cible ces hautes ruines pour ne pas dévier de son chemin initial qu'elle tentait de garder. Voilà maintenant plus de douze heures qu'elle avait quitté son village ; encapuchonnée, elle avait avancé toute la nuit sur le dos de sa monture sans faire une seule pause, et elle comptait enfin dormir un peu, jusqu'à la fin de l'après-midi au moins, au relais de l'orée de la plaine qu'elle avait repéré en amont sur sa carte. Équipée de sa lance et d'un arc, il guettait les potentiels menaces qui pouvaient lui tomber dessus d'un instant à l'autre, bien que depuis son départ, elle n'avait fait que croiser le chemin de quelques passants totalement inoffensifs ainsi que de petits animaux. Qui pourrait croire que la mort était omniprésente, comme le disait si bien son oncle ? Hyrule portait sur elle des traces glaçantes de son passé, mais la nature avait repris le dessus et donnait, selon l'Hylienne, un nouveau charme à ce triste monde.
Sentir le vent frais lui caresser le visage lui procurait une sensation qu'elle n'avait pas ressenti depuis des années ; se retrouver plongée dans des paysages différents de celui de Tabanta était satisfaisant pour elle. La blonde se sentait libre sans plus aucune contrainte, si bien qu'elle en oubliait parfois le danger qui rôdait toujours non loin de sa position. Éclipse, son cheval, dut faire quelques pauses pour boire et manger, Lysia l'avait nourri rapidement et elle prenait soin de santé. Ainsi, son voyage se passait pour le moment très bien, seule une lourde fatigue commençait à lui peser davantage minute après minute, ce pourquoi elle allait s'arrêter bientôt pour reprendre des forces. Écaraille était encore loin, mais une bonne partie du chemin était déjà fait, Lysia espérait arriver à destination dans deux ou trois jours.
- On y est presque Éclipse, tu vas pouvoir te reposer, c'est promis, dit-elle à son cheval épuisé.
Elle appréciait le calme et la sérénité du chemin qu'elle suivait. Les buissons bougeaient de droite à gauche à cause de la petite brise présente, et la population était bien moins nombreuse qu'une décennie en arrière, en raison des centaines de personnes disparues suite au Fléau, et désormais, une rencontre macabre n'était pas rare. Lysia évitait de regarder le sol et fixait plutôt son objectif à l'horizon, fièrement, la tête levée. Elle savait qu'au bout de ce voyage, des réponses se révéleraient à elle. Tout ce qu'elle espérait, c'était qu'elles soient satisfaisantes, elle avait assez attendu dans l'ignorance. Ses vêtements encore mouillés d'une faible pluie qui venait de cesser, elle retira la capuche qui la protégeait de l'eau. Les nuages s'estompaient depuis quelques minutes. Lorsque les rayons du soleil les traversèrent et vinrent l'éblouir en se reflétant sur une paroi en pierre humide, le relais qu'elle attendait de rejoindre se dessina vaguement derrière un bosquet, au loin.
Lysia se rendit compte que son cheval n'avait plus de force, elle l'avait mené à bout. Elle tenta de lui donner un dernier coup d'éperon pour le faire avancer, mais Éclipse renonça à sa demande et opta pour un arrêt de quelques minutes. La blonde lui tapota la crinière afin de le féliciter des efforts qu'il fournissait avant de descendre de son dos pour le soulager. L'animal se dirigea vers une flaque d'eau non loin de là pour s'y hydrater, chose qu'il n'avait pas pu faire depuis de longues heures.
- Excuse-moi, je t'en demande trop.
Elle prit la décision de s'arrêter quelques minutes, une dernière fois avant de rejoindre le relais. Il ne servait à rien de forcer son cheval à avancer si ce n'était que pour l'épuiser encore plus. Profitant de ce moment de pause, l'Hylienne sortit de la sacoche qu'elle portait une des cartes enroulées que lui avait offertes Nell. Elle s'assit à même le sol encore humide sans se soucier de l'effet désagréable que celui lui procurerait sur son coccyx en se relevant. Elle souhaitait jeter un coup d'œil au plan, afin de déterminer son avancée sur le trajet qu'elle avait encore à faire.
Le verdict tomba, elle en avait encore pour plusieurs jours. Ce type de route n'était effectuée que par des personnes habituées et expérimentées dans le domaine. Lysia avait certes déjà beaucoup voyagé à travers Hyrule, partir seule restait angoissant et source de nouveaux dangers soudains. L'ambiance restait morose, les rayons du soleil peinaient à transpercer la couche de nuages en fuite, et le bruit du vent se mêlait parfois au rugissement lointain de Ganon qui crachait sa colère au monde depuis sa prison royale qu'était le château d'Hyrule. Ses gémissements avaient toujours donné froid dans le dos à la blonde qui décidait de l'ignorer pour éviter de se faire gagner par la peur. Courageuse, elle refusait d'abandonner pour si peu et devait poursuivre sa route après sa petite pause.
Tout à coup, une brindille céda non loin de sa position et attira son attention, si bien qu'Éclipse releva la tête, surpris lui aussi. Peut-être un simple animal inoffensif, ou alors une créature discrète et espiègle qui les avait pris pour cible, elle et son fidèle destrier... Afin de ne prendre aucun risque, Lysia se releva, rangea rapidement ses cartes et attrapa sa lance avant de se diriger dans la direction par laquelle le bruit avait été perçu. La pointe de son arme était en avant et l'Hylienne avançait pas à pas, en se faisant la plus silencieuse possible. Elle espérait simplement qu'elle ne croiserait la route que d'un simple renard qui vivait dans les parages, mais elle ne pouvait en être certaine. Plus aucun son de suspect ne se faisait entendre et cela augmenta l'étrangeté et le stress du moment. Elle avait beau s'être entraînée à mainte reprises à manier la lance, se retrouver pour la première fois seule face à une potentielle menace était troublant. Son cœur battait plus vite, sa respiration s'était également accélérée. Imaginant les pires scénarios, Lysia ne se reposait pas sur ses capacités de combat bien qu'elles étaient plutôt élevées, elle restait modeste face au danger qu'elle n'arrivait plus à retrouver.
- Pardonnez-moi, mademoiselle ? l'interpella soudainement une voix inconnue.
Celle-ci venait de derrière, dans son dos, et Lysia se retourna brutalement en pointant son arme vers un homme, brun et la peau vieillie d'une trentaine d'années environ. Il caressait le museau d'Éclipse, qui lui était loin d'avoir l'air serein. Il possédait le même équipement de voyageur que la blonde ; elle en conclut que lui aussi, était parti pour un long voyage. Néanmoins, elle restait encore sur ses gardes face aux inconnus, bien que celui-ci n'avait pas l'air très vilain.
- Je suis à la recherche d'un jeune homme, déclara l'homme, j'aurai aimé savoir si vous pouviez m'aider à le retrouver.
L'Hylien n'avait pas l'air de prêter une grande attention à la lance de son interlocutrice. L'arme était comme invisible à ses yeux, seuls les iris de Lysia comptaient pour le brun. Cette dernière finit par baisser sa garde, cet homme ne souhaitait qu'un simple renseignement, rien de plus. Et même s'il avait une attitude étrange, il restait inoffensif, rien ne servait de lui pointer une lance dessus alors qu'il ne faisait que dialoguer. En rangeant son arme, Lysia, les jambes encore fléchies, se redressa complètement avant de répondre à la question qu'on lui avait posé sans même la saluer par une autre interrogation.
- À quoi ressemble cette personne ? demanda-t-elle pour plus de renseignements et de précision.
- C'est un blond aux yeux bleus, un chevalier pour tout vous dire.
Cette description l'étonna plus qu'elle ne lui donnait de détails. En effet, nombreux étaient sûrement les Hyliens blonds aux yeux bleus dans ce monde, mais il n'y avait plus de chevaliers en fonction depuis bien longtemps. Ce portrait que l'homme lui offrait ne pouvait guère être autre que celui du détenteur de la lame purificatrice, mort au combat aux côtés de la princesse Zelda. En devant annoncer la triste nouvelle que pourtant tous connaissaient déjà, Lysia vit son visage de décomposer. Ces faits l'attristaient encore, elle qui autrefois avait pu faire connaissance avec le Héros et admirer son courage ainsi que sa bienveillance envers elle, encore petite.
- Je suis navrée de devoir vous l'annoncer, mais le Héros est mort depuis dix ans maintenant. Comment êtes-vous passé à côté de cette tragique nouvelle ? s'enquit-elle de savoir, intriguée.
Le voyageur leva les yeux au ciel pour faire semblant de se souvenir de ce dont il avait entendu parler. Il avança lentement vers la blonde qui l'écoutait parler avec un ton théâtral qui ne correspondait pas du tout à la situation.
- La rumeur court que son corps se régénère petit à petit, quelque part en Hyrule, informa-t-il. Vous n'auriez pas une idée de la position de l'endroit en question, par hasard ?
Il la fixa droit dans les yeux à quelques centimètres de son visage, comme s'il attendait de bonnes paroles sortir de sa bouche. L'atmosphère qui s'était pourtant détendue changea tout à coup, cet homme commençait à l'effrayer, son comportement singulier la mettait mal à l'aise et il dégagea une aura que Lysia n'appréciait pas du tout. C'était comme s'il était possédé par un démon. De plus, l'Hylienne ne pouvait répondre à sa question en disant la vérité, elle qui avait côtoyé Impa durant toute son adolescence, elle connaissait l'endroit où reposait le Héros. Mais comme la Sheikah lui avait bien dit, cela devait rester entièrement secret, pour garder en sécurité le corps de Link jusqu'à sa régénération totale.
- Je ne connais personne qui est au courant, mentit Lysia pour la bonne cause, et...
- Connaissiez-vous le Héros élu de la lame purificatrice ?
Cette question n'avait rien à faire dans la discussion et fit comprendre à la nièce d'Alan que les intentions de cet inconnu étaient toutes autres que de retrouver le corps du Héros. Pourquoi avait-il besoin de savoir si Lysia l'avait connu ? Perturbée par ce qu'il se produisait, elle répondit sans mensonge, pour se débarrasser au plus vite de cet étrange Hylien.
- Je... J'ai eu l'occasion de le rencontrer, petite, c'est tout.
- Dans quelles circonstances ?
Il s'approchait et était de plus en plus intrusif à chaque réponse de sa part. La jeune femme dut faire un pas en arrière quand soudain, une vive douleur lui prit la totalité de son abdomen, jusqu'à la poitrine. Lysia reconnaissait cette douleur, c'était celle de sa cicatrice qui venait une nouvelle de se raviver pour une raison qui lui était obscure. Grimaçante, elle releva légèrement son haut de tenue pour jeter un œil à la blessure. Tête baissée, elle se mit à paniquer lorsqu'elle vit la rougeur extrême de cette partie de son corps, comme si sa chair était à l'air libre.
- Je dois y aller. Pardonnez-moi... affirma avec effroi la blonde au moment où elle releva les yeux sur l'homme qui n'avait absolument plus la même apparence.
En effet, son corps était sous une combinaison rouge qui lui collait à la peau, ce qui dessinait ses muscles à travers. L'homme était plus grand, plus élancé, il avait drastiquement changé. Son visage était dissimulé derrière un masque blanc, sur lequel se trouvait au centre et en rouge, le symbole des Sheikahs à l'envers. Lysia fut pétrifiée, si bien qu'elle resta immobile plusieurs longues secondes le temps de se rendre compte que le personnage se trouvait bel et bien en face d'elle. C'était un Yiga, un ancien Sheikah membre de ce clan assassin qui avait prêté allégeance au Fléau Ganon. Il tenait dans sa main droite, une serpe à la lame circulaire parfaite et pointue qu'il faisait tourner avec son poignet pour démontrer qu'il savait manier cette arme effrayante.
Lysia sentit la douleur s'accentuer sur son ventre, la peur lui dévorait les tripes et son cœur n'avait jamais battu aussi vite. Au vu du passé commun qu'elle possédait avec le gang des Yigas, sa réaction fut plus que justifiée. De plus, elle n'avait pas croisé la route d'un de ces assassins depuis des années, et elle avait toujours refusé d'en entendre parler, sous peine que ses souvenirs ne reviennent la hanter. Désormais, elle se tenait devant l'incarnation de son plus grand des traumatismes, celui responsable de sa cicatrice brûlante et incessamment douloureuse.
- Je t'ai retrouvée, fille de l'assassin de notre feue dirigeante...
Elle se maudit pour avoir été aussi imprudente, si bien qu'elle regretterait presque d'être partie de son village. Ni une ni deux, Lysia s'empara de sa lance qu'elle avait raccroché dans son dos et porta ses jambes à son cou dans la direction qu'elle était supposée prendre avec son cheval. Seulement, elle le fit en courant, laissant Éclipse seul dans la nature pour déguerpir le plus loin possible de ce Yiga qui la faisait cauchemarder. Plus elle fuyait, et plus son ventre la tordait de douleur, elle ne parviendrait pas à faire beaucoup de mètres ainsi alors que son ennemi, agile, allait déjà à une vitesse supérieure à la sienne.
Dans le silence des arbres et de la nature, Lysia dévalait la petite pente qui succédait le chemin, elle faillit tomber mais se rattrapa de justesse en gémissant. Son souffle était coupé, elle ne parvenait pas à récupérer de son grand effort physique soudain. En jetant un œil derrière elle, le Yiga avait disparu, la blonde avait-elle réussi à le semer ? Qu'importe était la réponse, elle devait s'arrêter, la douleur était trop puissante. Derrière un tronc d'arbre, elle s'assit au sol, les larmes coulant le long de ses joues. Elle sortit de son sac de voyage un flacon détenant du Vitalium, le liquide que son oncle avait concocté pour sa blessure, afin de se soigner le plus vite possible. Malheureusement, ce soin demandant une précision et une rigueur élevée, Lysia avait du mal à se concentrer pleinement. Ses mains tremblaient, et en soulevant sa tenue, elle renversa la moitié du contenu du flacon sur son abdomen, ce qui la fit souffrir davantage. L'Hylienne poussa un cri strident mêlée à des pleurs. Jamais elle n'avait ressenti de nouveau une telle torture que ce jour où on lui avait fait cette cicatrice.
Un bruit se fit entendre sur sa droite. Lysia dut surmonter sa douleur et reprit sa lance en main, tout en s'appuyant contre le tronc d'arbre pour se relever vaillamment. Elle n'avait pas fait tout ce chemin pour mourir ici, encore moins de la main des êtres qu'elle détestait le plus en ces terres. Une main contre son ventre et l'autre tenant fermement son arme, elle suivit le bruit qu'elle venait d'entendre afin de mettre la main sur le Yiga. Lysia prit un air déterminé et colérique, elle essuya ses larmes et fit face au danger. Ce dernier ricanait d'elle, ses moqueries retentissaient à travers les buissons, dans les feuilles des arbres, avec le vent... Il était impossible de le localiser. Des murmures prirent la relève et parvinrent jusqu'aux oreilles de l'Hylienne, courageuse bien qu'effrayée. Mais comme le répétait souvent son père : « sans peur, il n'y a pas de courage ».
- Ton père t'a-t-il raconté comment il a ôté la vie à notre grande Katlyn ? chuchotait le Yiga. T'a-t-il raconté la manière dont il lui a tranché la gorge, comme nous le faisons chaque jour, nous Yigas ?
Lysia fit un demi-tour brutal sur elle-même et fendit l'air avec sa lance, si bien que sa pointe vint racler l'écorce de l'arbre contre lequel elle s'était adossée. Le Yiga qui était bel et bien derrière elle eut juste le temps de s'accroupir pour esquiver son coup. En le voyant, la jeune femme fut prise d'une rage sans précédent. C'était comme si, pour la première fois, elle ressentait l'envie, la force, et le besoin de tuer cet homme. Par vengeance ? Elle-même ne le savait point, tout ce qui était sûr, c'était son désir mordant de lui ôter la vie. La blonde poussa un cri de colère avant d'asséner un nouveau coup de lance en diagonale vers le bas, pour toucher sa cible qui bloqua son attaque d'un seul bras avec sa serpe coupe-gorge. Dans la foulée, le Yiga se releva, attrapa la tête de la lance de Lysia et tira d'un coup sec pour la forcer à se rapprocher de lui. Ainsi, il la frappa au visage et d'un coup de pied puissant dans l'abdomen, la mit au sol un mètre plus loin. Lysia sentit à nouveau la souffrance l'envahir et tomba sur le dos, faible, et incapable de se relever pour faire face à son adversaire redoutable.
Par terre, presque assommée, elle vit l'assassin marcher de façon paisible jusqu'à elle. Il la chevaucha par-dessus et s'assit contre son ventre, en plaçant sa lame contre sa gorge. La peur la gagna de nouveau, elle ne pouvait plus rien faire à part le supplier de l'épargner en pleurant, ce qu'elle fit sans réfléchir. Elle songea à toutes les personnes qu'elle laisserait derrière elle si elle mourait ici même. Alan avait raison, le danger était partout et elle n'était pas prête à y faire face... La jeune femme n'avait rien voulu entendre, et voilà que cela lui coûterait la vie.
- Désormais tu vas payer pour ton père, articula le Yiga, fier de la vengeance qu'il offrirait à son peuple. Je vais te trancher la gorge comme il l'a fait à notre cheffe.
Mais lorsqu'un carreau d'arbalète vint lui transpercer l'épaule gauche, le Yiga ne put terminer sa tâche qu'il fut poussé vers l'arrière par la force du tir. Puis, quelques secondes plus tard, un second carreau d'arbalète vint se planter dans sa poitrine. Il tomba à son tour sur le sol, les yeux exorbités derrière son masque, ne comprenant pas ce qu'il venait de se passer. Ces deux tirs ne lui avaient pas été fatals mais pouvaient être responsable d'une hémorragie mortelle si on venait à lui retirer ne serait-ce qu'une flèche plantée dans son corps.
Le sauveur de Lysia sortit d'un buisson, son arbalète à la main. Cette dernière ne le connaissait pas et restait encore allongée dans l'herbe, choquée. L'homme à la carrure forte vêtue d'une manière très modeste exagéra un soupir de soulagement avant de se diriger vers l'assassin au sol qu'il venait de toucher. Il s'agissait du gérant du relais de l'orée de la plaine parti à la chasse et qui traînait justement dans les parages au bon moment. Lysia se mit en position assise encore tremblante et observa le nouvel arrivant éloigner la serpe de l'assassin qui était encore trop près de lui à son goût, puis regarder sa victime de haut en lui écrasant le thorax à l'aide de son pied droit.
- Vous... Vous l'avez tué ? s'étonna-t-elle.
- Non, il respire encore, répondit l'Hylien.
Il prépara un troisième carreau sur son arbalète et le planta dans le crâne du Yiga qui cessa d'agoniser sous sa chaussure.
- Là, il est mort.
Le voir tuer son ennemi de sang-froid devant elle la tourmenta. Non pas que Lysia n'avait jamais vu cela, mais elle comprit que c'était ce dont elle s'était apprêtée à faire elle-même quelques minutes en amont, tuer ce Yiga de pure colère. Elle ? Une assassine ? Ce qui la différenciait de ces Yigas, était que si elle l'avait tué, cela n'aurait guère été par plaisir, voilà la nuance qui faisait toute la différence. Le calme reprit peu à peu le dessus, cet homme venait de la sauver des griffes de ces monstres dont elle rêvait tous les soirs, mais il était difficile pour elle de se sentir pleinement en sécurité après un tel évènement. Désormais, elle apprendrait à se méfier davantage des apparences.
- Ne me regarde pas comme ça, déclara le gérant du relais, il n'y a pas de pitié pour ces enflures.
Il se rapprocha de Lysia encore assise au sol, les mains à plat dans l'herbe vers l'arrière pour la tenir dans cette position. Elle fixa l'Hylien avec des yeux toujours apeurés et celui-ci lui tendit une main pour lui venir en aide.
- Allez relève-toi petite, tu as besoin d'un peu repos, suis-moi.
Elle déglutit, peu sereine, mais finit par accorder sa confiance en cet individu qui était bien moins étrange que celui qui l'avait abordée. De plus, il avait tué un Yiga devant elle, cela lui suffisait à bien vouloir le suivre. Lysia attrapa la main du quarantenaire qui la tira vers le haut jusqu'à ce qu'elle tienne sur ses jambes frêles. La sueur de son front brillait telle une étoile dans le noir du ciel nocturne, l'homme avait pitié de cette jeune femme seule, qui avait manqué de se faire trancher macabrement la gorge. Une fois debout, Lysia lui offrit un « merci » plus que sincère entre deux essoufflements. Voilà bien une chose qu'elle ne devrait certainement pas dire à son oncle en rentrant... Si Alan apprenait ce qu'il venait de se produire, elle se voyait prisonnière de sa propre chambre pendant une éternité, comme une enfant innocente et imprudente. Après un tapotement amical dans le dos de la part de son sauveur, elle l'accompagna chercher sa monture avant de gagner le relais, lieu où nourriture, lit, et chaleur régnaient.
OoO ~ I ~ OoO
La bourse de rubis s'écrasa contre le bois de la table en faisant un bruit distinctif aigu, et l'odeur alléchante du plat qu'on lui avait offert déambulait dans la pièce du relais. Il était justement l'heure de déjeuner, et son estomac ne demandait pas mieux. Elle n'avait emporté que de simples fruits pour la route, et elle comptait chasser toute seule pour se nourrir de viande sur son chemin. Lysia, dont la vive douleur venait de se calmer depuis quelques minutes seulement, s'apprêta à manger l'assiette qu'on venait de lui préparer après l'avoir payée en même temps que l'hébergement, grâce à la somme de rubis qu'elle venait de présenter à son sauveur, assis en face d'elle autour d'une table ronde au centre de la pièce.
- Reprends ça, petite, dit-il d'une voix grave, tu en as assez vu aujourd'hui, je t'offre mes services gratuitement.
Gênée par tant de gratitude, elle reprit sa bourse d'argent timidement en la rangeant dans sa sacoche de voyage.
- C'est gentil, merci beaucoup, le remercia-t-elle.
Le moment était venu d'enfin reprendre des forces et se reposer, Éclipse dormait dans un box qu'on lui avait loué au relais, l'endroit étant plutôt calme et chaleureux, l'animal n'avait pas eu de mal à s'adapter à sa couche temporaire. L'homme à l'arbalète, toujours inconnu pour Lysia se servit une boisson devant elle dont un récipient posé sur la table était rempli. Ici, ils l'appelaient l'élixir, un mélange bien trop fort selon la blonde. L'heure de la journée n'était certes pas très cohérente pour boire, il n'y prêtait pas attention. Le liquide coula dans un bruit d'eau qui devenait de plus en plus aigu plus le verre se remplissait. Une fois celui-ci presque plein à ras bord, il entama la discussion pendant que son invitée mangeait sans profiter du goût des aliments qui composaient son assiette de curry de volaille.
- Alors dis-moi, démarra l'Hylien, qu'est-ce qu'une jeune femme comme toi fait toute seule dans ce monde hostile ?
La mâchoire aux mouvements de va-et-vient incessants, elle dévorait sa nourriture aussi vite qu'un lézalfos affamé. En ces temps sombres, la population d'Hyrule survivait plus qu'elle ne vivait, et tous avaient perdu l'habitude de voyager loin, sur plusieurs longs kilomètres comme tant de gens pouvaient encore le faire autrefois, dix ans en arrière en période de paix et de prospérité. Ainsi, elle savait que sa réponse l'étonnerait. Les destinations lointaines et isolées du royaume comme l'était la mer de Firone se faisaient presque parfois oublier, ainsi que les personnes qui y vivaient.
- Je vais au village d'Écaraille, répondit Lysia la bouche pleine.
Le gérant du relais haussa les sourcils tandis qu'il buvait en même temps. Si elle ne lui avait pas fait part de ce village, l'esprit de l'homme l'aurait certainement oublié. Écaraille était le plus petit des villages d'Hyrule avec un nombre de pêcheurs qui y vivaient très faible, loin des terres bien plus peuplées du royaume. De plus, la forêt de Firone par laquelle il fallait passer pour s'y rendre n'était guère de tout repos, entre les sentiers sinueux et les bêtes sauvages qui y rôdaient, quiconque osait s'y aventurer avait le devoir de garder un œil bien ouvert autour de lui. Néanmoins, Firone offrait également des paysages somptueux telles que ses cascades immenses et ses vues imprenables sur l'océan.
- Alors ça si c'est pas du courage... expira le chasseur. Si t'es aussi téméraire que ça, je t'aurai bien laissée te débrouiller face à ce Yiga, mais t'étais vachement dans ce qu'on appelle...
Il finit sa forte boisson cul-sec avant de poser rudement le verre sur la table.
- La merde, termina-t-il sans politesse.
Lysia était bien consciente qu'elle devait être la seule personne à vouloir se rendre à ce village perdu, mais cette idée ne lui faisait pas peur, sa détermination à se mettre sur la trace de sa mère était bien plus forte que ses doutes et ses inquiétudes. L'homme aperçut de nouveaux arrivants au relais débarquer, à leur allure, il en conclut qu'il s'agissait d'une famille modeste qui cherchait un nouveau logement. L'Hylien ne fut pas étonné, nombreux étaient les personnes qui voyaient leur maison brûlée par une troupe de Bokoblins dans le coin. Il appela un autre Hylien, celui-ci assis derrière un comptoir, d'un signe de la main. Le concerné s'approcha et il lui demanda d'accueillir ces personnes comme il se devait à sa place, le temps qu'il discutait.
- J'ai mes raisons de vouloir aller si loin, expliqua la jeune femme à mi-voix, pour retourner à leur sujet de conversation.
- Et je te crois. Mais tu as besoin d'une bonne pause, et ton cheval aussi. Il doit t'être sacrément fidèle pour t'accompagner dans un si long voyage !
- Éclipse est ma monture depuis toujours, aucun autre cheval n'est plus fidèle que lui, affirma-t-elle avec une fierté assurée.
Cela le fit sourire, expert en matière des chevaux, il savait qu'il n'y avait pas de bonne ou de moins bonne fidélité entre un cheval et son dresseur, tout était dans la maîtrise, la patience, et la compréhension. Chacun pouvait améliorer son lien avec son animal avec le temps, tout dépendait du farouchement de la bête. Au vu de ce qu'il avait pu analyser entre Lysia et Éclipse, il ne doutait pas une seconde que la monture irait jusqu'au bout du voyage sans broncher. C'était un cheval vaillant.
- Quelle est ta prochaine étape ? enchaîna l'homme, curieux de connaître les plans de celle qu'il venait de sauver.
Lysia posa ses couverts pour mettre la main sur sa sacoche de voyage qu'elle avait posé au pied de la table. Telle une véritable voyageuse, elle avait bien sûr organisé son trajet sous différentes étapes plus ou moins longues selon le chemin. Cette préparation était importante pour repérer les points de ravitaillements ainsi que pour structure son avancée et ne pas se perdre. Comme lui avait enseigné Nell, une étape devait correspondre à un endroit clé de la carte, une ville, un monument imposant repérable à plusieurs kilomètres de distance, ou encore une frontière entre deux régions. Lysia venait de passer l'étape de l'amphithéâtre, elle fouilla dans sa sacoche pour retrouver sa carte et se souvenir de la prochaine. Cependant, elle ne parvenait pas à mettre la main sur le plan en question.
- Si j'en crois ma carte, je... marmonna-t-elle en la cherchant désespérément.
Rien à faire, l'Hylienne ne trouvait pas sa carte, tandis que l'homme en face d'elle plissa les yeux, intrigué. Elle finit par se fouiller les poches et l'arrière de sa tenue sans grande attente, Lysia dut se rendre à l'évidence. Sa carte avait dû tomber de son sac durant sa fuite du Yiga, l'élément le plus important de ses affaires avait disparu, et il n'était pas raisonnable de faire demi-tour, chaque mètre était précieux dans un voyage comme celui qu'elle avait entrepris. Bien entendu, il lui restait d'autres cartes avec elle mais celles-ci n'étaient pas dédiées au royaume entier. Toutes ses annotations, rappels et autres s'étaient envolés...
- J'ai perdu ma carte... s'alarma Lysia.
- Par Hylia, s'exclama le gérant, ça c'est qu'on appelle être dans la grosse...
- Tant pis, je devrais faire sans, le coupa-t-elle.
Cette réaction surprit son interlocuteur qui n'avait jamais vu de jeune Hylienne aussi déterminée avec cette capacité à s'adapter à toutes situations. À sa place et à son jeune âge, il aurait tout simplement abandonné ! Il était bien curieux de savoir comment elle s'en sortirait sans carte principale. Après tout, il ne la connaissait pas, ce n'était pas ses affaires si elle se perdait, mais cela restait très étonnant à ses yeux. Lysia accepta son destin et abandonna l'idée de retrouver son précieux plan détaillé, elle se reconcentra sur son assiette et la termina les derniers morceaux de volaille qu'il restait pour de bon.
- Ma prochaine étape est le pont d'Hylia, ajouta-t-elle pour répondre à la question de l'homme.
Ce nom résonna comme une injure dans son esprit, ils ne comptaient plus le nombre de personnes ayant perdu la vie près du lac Hylia et de son monument que le chevauchait. Personnellement, il appelait ce pont, le « pont maudit ».
- C'est une route très dangereuse ça, tu es sûre de ne pas vouloir faire un détour ?
- Je dois me rendre là-bas, dit-elle, pour rendre hommage à quelqu'un.
Sa réponse fut catégorique, elle ne pouvait pas faire le moindre détour. Lysia avait conscience du danger, encore plus suite à l'attaque qu'elle venait de subir, mais elle fit tout de même un signe négatif de la tête et s'expliqua. Le regard de son aîné insistait pour qu'elle en dise davantage, nul besoin de lui demander pour lui faire comprendre, tout se lisait dans ses yeux. Cet homme, bien curieux de tout, ne voulait cependant pas la mettre mal à l'aise pour autant. En effet, Lysia sentit que certaines phrases de certains sujets compliqués avaient des difficultés à sortir de sa bouche, mais elle fit un effort. Il y avait quelques années en arrière, elle n'aurait même pas eu la force d'en parler aussi facilement, bien que cela lui serrait toujours le cœur et l'animait d'une grande tristesse.
- C'est sur ce pont que mon père est mort. Un monstre a croisé sa route durant la résurrection du Fléau et il est tombé. Il s'est noyé dans le lac après sa rude chute.
Le souvenir du jour où Alan lui avait expliqué la façon dont son père avait disparu lui revint à l'esprit. Elle était encore petite, à peine neuf ans de vécus dans ce royaume, et la dure réalité de la vie la forgeait déjà. Elle se souvenait très bien de ce choc et cette tristesse qui l'avait envahie, de cette sensation lourde monter dans son corps des pieds jusqu'au cœur. Lysia, tête baissée, avait une expression accablée en reparlant de tout cela.
- Je suis navrée, petite...
- Je m'appelle Lysia, l'informa-t-elle pour éviter de réentendre ce mot qu'elle n'appréciait guère.
Un silence s'installa, reparler de ce sujet sensible alourdit l'atmosphère pourtant très chaleureusement et sympathique jusque-là. Les relais étaient réputés pour être accueillant et agréable à vivre. La blonde, son repas terminé, se releva de sa chaise qui racla contre le sol.
- Laissez-moi vous payer, insista-t-elle, je ne veux pas être privilégiée ainsi.
- C'est toi qui vois, affirma le gérant.
Elle lui redéposa sa bourse de rubis sur la table, elle en contenait une quarantaine, juste assez pour payer un lit, repas, et box pour Éclipse. User de ses économies n'était pas dans ses habitudes, mais quand on parlait d'avoir l'opportunité de retrouver sa mère, l'Hylienne était prête à tout.
- Je repars tard ce soir, merci pour le repas et l'hébergement.
Ses paupières commençaient sérieusement à s'alourdir, sept bonnes heures de sommeil allaient lui faire le plus grand des biens. Elle n'aurait pas refusé de se laver, mais ce relais ne disposait malheureusement pas de ce service. Au fond de la pièce circulaire, elle aperçut son lit qui l'attendait derrière des rideaux servant à garder son intimité. Elle salua son sauveur qui s'occupa de débarrasser son assiette pour la laisser aller se reposer. Par chance, l'orée de la plaine n'était pas très fréquentée ces temps-ci et le relais n'était donc pas bondé, elle y dormirait tranquillement sans problème. Lysia ne tarda point plus longtemps debout, elle partit se coucher avec joie et soulagement. Dans quelques heures, lors de son réveil, elle devrait reprendre la route avec son cheval, jusqu'au pont d'Hylia où elle ferait une halte, pour celui qu'on appelait autrefois le grand voleur Lambda, son père.
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