Chapitre 6 : Marquée à jamais

     Il lui avait fallu plus de deux heures pleines pour trouver le sommeil, après une mésaventure pareille. Ce Lithorok à la carrure si grande avait choqué tout le groupe qui mit du temps avant de commencer à s'en remettre ; Lysia entendait encore ses lourds pas dans l'eau résonner à l'intérieur de sa tête. Ce monstre avait manqué de tous les tuer d'un seul coup fatal, elle n'osait pas s'imaginer l'horreur qu'aurait causé une telle destinée pour leurs proches et tout le village de Labulat. Loin de l'avoir résignée à entamer d'autres exploration comme celle-ci en Hyrule, cela lui avait surtout appris en premier lieu à faire attention à qui l'accompagnait dans ce genre de périple, à la durée plus ou loin longue. Il était clair qu'elle préférait retourner dans cette grotte seule avec Arthur plutôt qu'avec Medy. Celle qui à ses yeux était à l'origine de leur mise en danger plus qu'importante. C'était elle et personne d'autre qui avait réveillé cette créature sommeillant paisiblement au milieu de cet étang. Lysia n'avait pas honte de le dire haut et fort.

     Le lendemain de ces événements, vers onze heures, la vie avait repris son cours, comme si de rien n'était. L'Hylienne marchait vers la sortie ouest du village, vers les écuries, dans le but d'aller s'occuper de son cheval et de vérifier s'il était apte à partir pour un long voyage prochain. Elle avait nommé son animal Éclipse, et son poil était entièrement noir, une particularité dont elle était plutôt fière et qui l'avait attirée dès le premier contact visuel avec lui. Lorsque Lysia eut l'âge de posséder une monture adulte et de la monter, son oncle lui avait acheté Éclipse au relais du pont de Tabanta. Il lui avait toujours promis, et il fallait avouer que la jeune femme avait repéré ce cheval depuis un certain temps et qu'elle espérait que personne ne l'adopte avant elle, le jour de son anniversaire. Le caractère d'Éclipse était parfois difficile mais la blonde savait comment le détendre et il s'avérait être un compagnon plus qu'obéissant lorsque l'on avait les bons mots avec lui. Elle pouvait aussi lui parler de tout et n'importe quoi et prenait plaisir à le nourrir et lui faire un box digne de ce nom.

     Presque arrivée à sa destination, Lysia passa devant un puit ainsi que quelques nouvelles habitations, – certaines encore vides attendaient leurs nouveaux propriétaires –, elle pouvait déjà entendre les hennissements des chevaux de l'écurie non loin de là. Cette partie du village était toujours calme et sans personne dehors, seuls les oiseaux chantonnaient pour égayer la rue. Mais ce jour-là, il y avait bien quelqu'un à l'extérieur ; en effet, lorsqu'elle fut tout juste arrivée, un Hylien jaillit d'une ruelle à sa gauche et lui bloqua la route, ce fait la fit changer drastiquement d'expression. Après plusieurs tentatives vaines de contourner ce jeune homme qui ne cessait de se replacer sur son chemin, elle releva la tête pour savoir à qui elle avait affaire et reconnut immédiatement la personne. Il faisait une tête de plus qu'elle et avait l'air de vouloir se confronter à elle. Il s'agissait de Leo, l'air coléreux.

- C'est un sacré numéro que tu nous as fait, hier soir.

     N'ayant nul l'envie de se remémorer ce qui lui était arrivé la veille, elle lui lança un regard noir et se retint de l'insulter de tous les noms, et elle abandonna l'idée de se défendre face à lui. Pas parce qu'elle ne s'en sentait pas capable, au contraire, mais parce que le blond n'en valait pas la peine à ses yeux. De toute manière, il n'était pas en mesure de comprendre la vérité, il valait pour tout le monde qu'il reste ignorant de la situation. Il y eut un moment de flottement, puis Lysia cessa de le dévisager avec aversion, elle continua sa route en l'ignorant. Cependant, Leo la rattrapa brusquement par le bras au moment où elle s'en alla.

- Hé ! s'exclama l'aîné. Tu crois vraiment que je vais te laisser filer alors que t'as failli tous nous tuer ?

     Elle aurait voulu ne pas répondre à ces provocations, mais la blonde ne pouvait pas supporter plus longtemps qu'il la fasse passer pour la fautive alors que celle qui les avait tous mis en danger, c'était Medy et elle seule. Lysia garda son sang-froid malgré tout et se libéra de l'emprise de Leo en tirant son bras vers elle violemment. Le frère de Lucas dut le lâcher mais il n'allait guère se laisser abattre aussi facilement. Sa détermination à faire payer Lysia était sans faille.

- Je n'ai rien à te dire, Leo, lui répondit-elle sèchement.

- Et moi, c'est tout le contraire ! Il y a des tas de choses que je ne comprends pas chez toi et que je voudrais savoir.

     L'Hylienne fut effarée de son audace malmenée. La vie privée d'autrui, pour sûr qu'il ne devait pas connaître. Leo voulait impérativement savoir pourquoi Lysia avait crié au point de devoir tous les mettre en danger de mort, il en restait traumatisé bien qu'il ne l'assumât pas. Mais au lieu de simplement discuter afin de comprendre, comme toute personne de bonne foi aurait au moins envisagé l'éventualité de le faire, il avait d'abord opté pour de la violence dans ses paroles et ses gestes déplacés, ce qui prouvait un manque de maturité pour son âge. Elle le pointa du doigt pour imposer son autorité et enchaîna :

- C'est pas à toi de décider ce que tu dois savoir sur moi, à ce qu'il me semble, si ?

     Leo resta stoïque, il regarda autour de soi pour s'assurer que personne ne contemplait cette scène des plus honteuses pour son égo. Il était l'aîné de plusieurs années de Lysia et malgré cela, son âge, sa posture, ni même sa taille ne l'intimidait. Elle avait même une répartie qui commençait à le faire tourner en ridicule et qui agaçait particulièrement l'Hylien sentant une impuissance l'envahir, ce qu'il n'allait point accepter indéfiniment. La blonde se recula d'un pas, en ayant terminé avec cet imbécile. Néanmoins, elle gardait toujours un regard furieux ancré dans les yeux de Leo, comme le ferait une mère sermonnant son enfant. Surpris par la situation dans laquelle elle était parvenue à le mettre, le concerné ne répondit rien sur l'instant, réfléchissant plutôt à des moyens plus rapides et efficaces de lui faire avouer la vérité pour de bon, qu'importe si cela était personnel ou non.

- Maintenant, fiche-moi la paix, termina-t-elle en reprenant son chemin.

     Fin de l'humiliation. Ce n'était pas une fille petite et frêle comparé à lui qui allait lui dire ce qu'il avait à faire. Leo la rattrapa aussitôt, Lysia n'eut guère le temps de se débattre qu'elle fut amenée brusquement sur un côté de la rue et il la poussa jusqu'à un mur du bâtiment des écuries sur lequel elle se cogna, il resta face à elle en la laissant plaquée contre le bois dans son dos, l'empêchant de s'en aller tout en maintenant une main ferme sur l'épaule gauche de la jeune femme. La tension monta d'un cran et Lysia sentait qu'une certaine colère s'était emparée du jeune homme et prenait le dessus sur sa raison.

- Tu es invitée à une soirée où tu pètes un plomb sans raisons, rappela Leo, et là tu te repointes en prétendant que tu as mal au ventre au moment même où on risque de crever.

- Putain... Lâche-moi ! vociféra Lysia en parvenant à repousser rudement son bras.

     Les images et les sons de ce moment de stress intense dans la grotte repassaient en boucle dans l'esprit de l'Hylien, et il n'arrivait pas à penser à autre chose que la tournure qu'aurait pu prendre cette exploration. Mais son comportement l'avait obligée à hausser le ton, comment pouvait-il avoir autant d'aplomb avec elle alors qu'ils se connaissaient à peine ? C'était comme si tous devaient se plier à ses ordres et ses volontés sans broncher. Ce fut le geste de trop qui détermina Lysia, elle n'avait qu'une envie désormais, et c'était de le faire descendre de son grand piédestal en or massif.

- J'ai vu ma vie défiler devant moi, je demande des explications !

- Tu sais où tu peux te les mettre ces explications ?

     Le regard de Leo se dirigea lentement vers l'abdomen de Lysia, ce qui lui déplaisait beaucoup. Au même moment, elle disposa ses mains dessus comme pour protéger cette partie de son corps qu'il ne fallait surtout pas qu'il voie. De toute évidence, son geste capta l'attention de l'aîné que ne lâchait pas l'affaire. La blonde savait qu'elle ne pourrait pas fuir, – son interlocuteur lui barrait la route à chaque fois qu'elle essayait de se déplacer sur un côté –, mais qu'elle devrait l'affronter pour s'en sortir comme elle le voulait. S'il parvenait à ses fins, Lysia serait rongée par la honte pour une longue durée, le cœur serré et les poings crispés.

- Il a quoi, ton ventre ? lâcha-t-il avec mépris. Quoi, t'es enceinte ?

- J'ai une tête à être enceinte ? C'est quoi ton problème ? T'oses pas t'acharner sur ta chère et tendre Medy qui, je te le rappelle, nous as tous mis en danger ?

- Je veux savoir pourquoi tu as crié comme une fillette alors qu'un monstre nous traquait !

     Elle afficha une expression de choc brutal, la bouche bée.

- Comme une fillette... ? s'indigna-t-elle.

- T'es blessée au ventre, c'est ça ? rajouta Leo.

     Son visage se referma aussitôt lorsqu'elle entendit la vérité sortir de sa bouche. Elle commençait à développer une sérieuse haine pour ce personnage irrespectueux qu'elle n'avait jamais apprécié depuis leur première rencontre. Son absence de réponse lui confirma qu'il avait raison : elle était blessée. Cependant, sur un ton provocateur, il en demanda une preuve, irréfutable, comme s'il cherchait à dédramatiser ce qu'elle avait ressenti la veille. Comment allait-il réagir s'il voyait qu'il ne s'agissait que d'une cicatrice de plusieurs années qui paraissait complètement indolore ? Lysia serait prise pour une menteuse et ne souhaitait pas subir une telle humiliation. De plus, il la prendrait pour une folle si elle lui disait que sa marque au ventre se « réveillait » dans des moments de stress ou de peur intense.

- Eh bien vas-y, montre-moi, que je vois de mes propres yeux cette infâme souffrance que tu avais tant l'air d'endurer dans la grotte !

     Sachant qu'elle ne lui obéirait pas, il prit lui-même l'initiative, et ses doigts frôlèrent le vêtement de Lysia qui cachait jusqu'alors sa cicatrice. Au moment où il avait tenté de le soulever pour découvrir l'imposante blessure, elle l'attrapa par les épaules et usa de toutes ses forces pour le faire pivoter sur le côté et le plaquer contre le mur dont elle venait de se décoller, le cœur battant à tout rompre. Ainsi, ils échangèrent de position en moins d'une seconde, et la blonde prit le dessus au dernier moment, il se retrouva à son tour pris au piège. Leo ne vit pas venir le retournement de situation, il n'avait pu apercevoir qu'une infime partie du secret que cachait la concernée, ce qui le frustra davantage.

- Touche-moi encore une seule fois et je te ferai regretter d'être venu au monde, toi et ton égo surdimensionné de merde, le menaça Lysia.

- J'ai pas l'intention de rester sans rien savoir après ce que j'ai vécu hier.

     Enfin débarrassée de son emprise, elle le lâcha et put s'éloigner en reprenant sa route, tout en le laissant dans l'ignorance. À chaque pas qu'elle faisait, elle accélérait sa marche sans regarder derrière, car elle entendit qu'il s'était mis à la suivre.

- C'est quoi que tu caches ?! grogna le blond dans un écho qui attira l'attention d'Arthur, venant tout juste de sortir, à quelques mètres de là.

     Lysia se retourna une nouvelle fois afin de le faire s'arrêter et ne fit pas attention à la présence de son ami un peu plus loin qui décida d'avancer dans leur direction. Elle sentait que cette confrontation verbale ne s'arrêterait pas qu'aux mots s'il continuait d'insister de cette façon. Non pas qu'elle ne savait guère se tenir, mais Leo touchait un sujet de sa vie très important pour elle, avec lequel elle ne plaisantait jamais. S'il y avait bien une seule chose capable de lui en faire venir aux mains, c'était bien ce dont Leo désirait savoir. L'Hylien se rapprocha pour ne se tenir plus qu'à quelques centimètres d'elle, et grâce à sa taille plus importante que la sienne, il la regarda de haut pour essayer de l'intimider. Mais bien qu'elle eût les dents serrées, la lancière ne montra aucun signe de peur : elle leva la tête et planta ses iris dans les siens afin de lui partager la fureur qui brûlait en eux.

- Je t'interdis de t'approcher, ordonna-t-elle avec énervement.

- Va falloir m'en empêcher, répliqua Leo.

- Je n'y manquerai pas, espèce de connard.

     Il l'attrapa par les manches de la blouse en coton beige qu'elle portait, ces dernières lui arrivant aux coudes. Lysia dut se pencher légèrement en arrière pendant qu'il manifestait sa colère explosive. Le point de non-retour avait été atteint et elle l'avait cherché... La blonde n'avait pas mesuré ses mots, mais il était trop tard. Elle n'était pas en position de se confronter physiquement avec Leo, elle n'en avait d'ailleurs pas la moindre envie, contrairement à lui. Certes, cela n'avait pas été malin de sa part, mais lui dire en face ce qu'elle pensait de lui de manière honnête, lui avait fait, au fond, un bien fou. Raisonner cet Hylien sur la façon dont il agissait envers elle était cause perdue, Lysia ne savait point pour quelles raisons, mais quelque chose la poussait à se dresser contre lui, même si la meilleure des solutions auraient été de fuir pour de bon.

- Tu m'as traité de quoi, là ?

- Tu veux que je le répète ? répondit-elle. Tu es dur d'une oreille, c'est ça ? Tu joues au beau gosse devant l'autre idiote mais en fait tu restes un salaud sans respect. On ne vous a jamais appris à bien aborder les filles dans votre famille, décidément.

     Leo l'insulta et la poussa en arrière si fort que la jeune femme n'eut même pas une seule occasion de se rattraper avant la chute. Lysia gémit et s'écrasa violemment contre le dur gravier, aux pieds de son interlocuteur. Il resta immobile quelques secondes à la regarder se relever avec plainte. Mais à l'instant même où elle se remit debout et releva la tête, l'Hylienne offrit à l'aîné une bruyante gifle au visage du blond qui porta ses deux mains contre sa joue attaquée et qui ne tarderait pas à rougir. Elle tenta ensuite à plusieurs reprises, toutes plus puissantes les unes après les autres, de lui rendre la pareille en le faisant tomber comme il venait de le faire avec elle. Lysia usait de toute sa force sur la poitrine de Leo pour le faire basculer mais le jeune homme encaissait ses coups sans trébucher. Les larmes aux yeux, la blonde s'acharna sur lui ainsi sans jamais parvenir à ses fins, ce qui l'agaçait encore plus. Et lui, alors ? Pourquoi ne bougeait-il pas un sourcil ? Pourquoi la laissait-elle se défouler sur lui sans même se défendre ? Sans aucun doute pour l'humilier, Leo eut justement un rire moqueur qui lui confirma cette idée.

     Plus loin, Arthur s'était mis à courir en voyant la tournure que prenaient les événements. Rares étaient les fois où il avait vu son amie en venir à bout de cette manière, elle faisait pourtant tout, d'habitude, pour éviter ce genre de situation. Le neveu de Suzanne et Adrien pouvait l'entendre crier des injures à son ennemi depuis sa position, il y avait de quoi interpeller les habitants à proximité. Mais cette gifle vengeresse qu'elle lui avait portée n'était pas représentative de sa personne. Quelque chose était différent, le brun le savait. Que Leo avait-il pu bien lui faire pour la mettre dans un tel état ? Ne connaissant pas la nature de cette colère incontrôlable, il fut dans un sens déçu de la voir se réduire à se battre physiquement, elle valait mieux que ça... beaucoup mieux que ça. Il se devait de la raisonner coûte que coûte. Une fois arrivé sur le lieu de la dispute, Arthur s'empressa d'arrêter son amie avant qu'elle ne le blesse vraiment.

- Hé ! s'exclama Arthur. Oh ! Lysia ! Tu fais quoi, là ?!

     Il s'intercala entre les deux Hyliens afin de les écarter et éviter pire. Lysia ne lui avait prêté aucune attention, elle gardait son regard sur Leo comme si plus rien d'autre n'importait autour d'elle que sa victoire contre le blond qui se moqua du nouveau venu dans son dos.

- T'allais pas te battre, quand même ?!

- Laisse-moi lui... marmonna Lysia sans terminer sa phrase, prise d'une fureur indescriptible.

     Elle tendit son bras le plus loin possible pour atteindre son adversaire mais Arthur exerça une force plus grande contre elle qui l'en empêcha, il lui pria ensuite de cesser ces violences inutiles qui ne mèneraient à rien d'autre que blessures et regrets. Leo fit mine de patienter jusqu'à que la blonde parvienne à ne serait-ce que le toucher, dans le but de la provoquer davantage, mais ce fut dans un grognement de la part de la jeune femme que son ami réussit à enfin capter son attention. Il lui attrapa les avant-bras dont il sentait les muscles contractés, et il la regarda dans les yeux.

- Calme-toi, par Hylia ! lui ordonna-t-il sur un ton élevé qu'Arthur n'avait pas l'habitude d'employer.

- Moi ?! Me calmer ?! répondit-elle. Après ce qu'il s'apprêtait à...

     Il constata les chaudes larmes au bord de ses paupières et vit à quel point, en réalité, cette situation la désolait elle aussi. Avec une voix plus douce, il lui murmura, en posant ses paumes contre ses joues rouges, quelques mots qui eurent pour conséquences de la décider à écouter le brun. Lysia contenait ses émotions et cela se sentait, elle savait qu'elle ne les retiendrait pas indéfiniment en elle après ce que Leo avait désiré faire. La blonde allait craquer d'un instant à l'autre, il ne fallait pas que cela se produise devant l'aîné.

- Il n'en vaut pas la peine, tu le sais très bien autant que moi.

     Son rythme respiratoire baissa et Lysia fit preuve de sagesse en renonçant à riposter inutilement contre son adversaire qui lui avait fait beaucoup de mal au niveau moral. Et bien qu'Arthur l'eût raisonnée, elle restait tourmentée.

- Laisse-moi tranquille, lui dit-elle avec désarroi avant de se retirer brusquement des mains de son ami.

     Elle décida de partir s'isoler dans la direction opposée à celle convenue au préalable, en direction d'un petit étang non loin du village au bord duquel elle venait parfois pêcher la journée. Ainsi, la blonde contourna son ami, passa une dernière fois à côté de Leo, et lui dit :

- Ne t'approche plus jamais de moi, tu entends ? lui intima-t-elle avec autorité et frustration.

     Le frère de Lucas resta indifférent suite à cet ordre. Fatigué de voir ces deux Hyliens discuter dans son dos, comme s'il n'était qu'un fantôme, il préféra abandonner pour cette fois et remettre cette mise au clair à plus tard. Sans aucun remords, il rejoignit son habitation bredouille, sans le moindre élément de réponse. Arthur le regarda partir, les yeux emplis d'antipathie envers le jeune homme, si bien que le blond ne soutint pas plus longtemps ce contact visuel en s'éloignant avec une allure décontractée. Le neveu ne savait pas ce qu'il avait fait, mais cet idiot venait de détruire la journée de son amie.

     Le temps de rejoindre le petit point d'eau, Lysia n'avait point eu la force supplémentaire de retenir ses larmes. Elle pleura sur le chemin, blessée par ce qu'il venait de se produire. Lysia baissa la tête et observa son reflet ; avec tristesse, elle releva juste assez sa chemise pour exposer sa cicatrice entière à l'air libre, et ce fut lorsque des gouttes d'eau tombèrent dans l'eau que des ondulations se formèrent dessus. Cette vision lui faisait toujours le même effet, elle lui brisait le cœur. Lysia ne pouvait s'empêcher de penser ce qu'il se serait produit si Leo avait réussi à voir une telle chose, l'Hylienne laissa retomber son vêtement devant son ventre puis tomba à genoux, pleurant de nouveau en pensant au fait que sa vie se voyait gâchée à cause de cette marque indélébile. Elle détestait sangloter de la sorte pour sa blessure, cela lui rappelait à quel point elle était impuissante face à son passé, cela ne servait à rien de continuer à le nier. Et pourtant, Lysia refusait toujours de l'accepter. La lancière s'étala dans l'herbe ; allongée sur le dos, elle contempla le ciel bleu en suppliant les déesses de l'aider à vaincre la douleur omniprésente. Les nuages défilaient à faible vitesse sous ses yeux, le vent soulevait les brins d'herbes qui vinrent caresser ses épaules posées contre la terre. Les bras écartés, elle en attrapait par moment une poignée qu'elle arrachait du sol, sous la frustration ressentie. Les rayons du soleil lui réchauffaient un côté du visage, cet endroit la faisait se sentir bien.

     Derrière elle, quelqu'un écoutait le bruit de ses pleurs et du soulèvement de sa poitrine suite à ses sanglots qui ne s'arrêtaient pas. Arthur ne cacha pas plus longtemps sa présence, il vint s'asseoir en tailleur près de Lysia en fixant la surface de l'eau devant lui. Dans un premier temps, il n'intervint pas et resta silencieux sans savoir trop comment la consoler. Son amie pleurait très rarement, du moins en sa présence, et la voir dans cet état le perturbait assez. Lysia tenta de paraître plus digne lorsqu'elle le vit se poser près d'elle, mais il lui était impossible de stopper ce flux d'émotions qui se libéraient de sa prison corporelle. Contrariée, elle finit par se redresser et se retrouver en position assise, comme son ami qui regardait vers le bas. Lysia essuya maladroitement ses pommettes humidifiées par ses larmes avant de lui poser une question.

- Qu'est-ce que tu veux ? demanda-t-elle entre deux sanglots.

     Il haussa les épaules, ne sachant pas quoi répondre à cette interrogation dont lui-même n'avait pas la réponse. Il n'avait pas réfléchi, sa venue fut naturelle.

- T'aider ? lui dit-il.

- Personne ne peut m'aider pour ça, pas même toi, désolée, désespérait Lysia.

     À l'horizon, une partie de la grotte qu'ils avaient explorée la veille était visible. Voilà encore une chose qu'Arthur aurait préféré éviter. Les deux jeunes gens comptaient bien apprendre de leurs erreurs et dorénavant, ils couperaient tous liens avec ces trois Hyliens qu'ils avaient rencontrés depuis si peu de temps. Car ils ne leur avaient apporté que des relations toxiques qui leur avaient fait du mal en l'espace de quelques jours seulement. Le brun était catégorique à ce sujet, et en ressentant toute la peine de la jeune femme à côté de lui, il plaça sa main dans son dos pour lui faire part de sa compassion, et Lysia posa sa tête contre l'épaule de son ami.

- Je sais que j'ai fait n'importe quoi, continua Lysia, mais... je ne pouvais pas faire autrement.

- Qu'a-t-il fait pour te mettre autant en colère ?

     Un simple regard vers le bas de sa part lui fit comprendre. C'était à cause de sa cicatrice, c'était toujours à cause d'elle. Toutes les fois où Lysia avait été dans un état aussi furieux, c'était de la faute de cette blessure qu'Arthur n'avait encore jamais vue. En effet, lorsque son oncle dut la soigner pour la toute première fois, alors que son amie n'avait encore que huit ans, elle avait fait une crise de colère et fui à l'extérieur du village de Cocorico, ne souhaitant montrer à quiconque ce qu'elle cachait derrière son vêtement. Le brun se souviendrait toute sa vie de ce jour-là, il avait même l'impression de le revivre. La lancière tentait d'essuyer tant bien que mal ses yeux qui avaient rougi, le soutien du garçon lui permettait de se libérer de ce bouillonnement de colère en elle. Ainsi, Lysia se sentait faible, mais protégée.

- Ta cicatrice ? C'est ça ? songea Arthur.

- Il a voulu que je la lui montre, expliqua la blonde. J'ai refusé, il a forcé.

     Arthur se voyait choqué de ce qu'elle venait de lui dire. Ce garçon l'avait attouchée et il n'avait rien fait pour l'en empêcher en raison de son ignorance de la situation. Le brun s'en voulait un peu de ne pas avoir pu être là plus tôt. Malgré son manque de confiance en lui, il n'aurait pas hésité à s'opposer au blond pour quelque chose de la sorte, surtout lorsque cela concernait son amie.

- Ce qu'il a fait est pour moi impardonnable, maugréa-t-il avec une colère distincte, je ne supporte pas que l'on puisse t'infliger ça, à toi.

     Lysia ne dit rien, et il reprit.

- Et il l'a vue ? s'inquiéta-t-il.

     Elle hocha négativement la tête.

- Pas totalement, mais cet idiot en a déjà trop vu à mon goût.

     La main d'Arthur posée dans le dos de Lysia effectua des mouvements de haut en bas pour la consoler. Leur position, la tête de l'un sur l'épaule de l'autre, lui rappela la fois où la blonde s'était endormie contre lui et avait failli ne plus se réveiller avant le petit matin. Sur le moment, ils avaient trouvé cela plaisant, bien que leurs proches les taquinaient souvent en classant leur relation d'ambiguë, dans ces moments-là. Malgré tout, ils ne se posaient pas de questions et agissaient comme ils l'entendaient, sans penser au type de relation qu'ils nourrissaient.

     L'Hylien posa à son tour sa tête contre la sienne, en regardant la surface de l'étang où quelques poissons venaient se ressourcer en oxygène. Il ferma ensuite les yeux et put humer le parfum des cheveux blonds de son amie, puis, il réfléchit à une formulation de phrase pour ne pas offenser la triste jeune femme.

- Ma question va peut-être paraître un peu osée mais...

- Pourquoi je refuse autant de la montrer ? le devança-t-elle.

     Lysia se redressa pour faire face au jeune homme et le regarder, Arthur sentit que la réponse lui coûtait mais qu'elle désirait tout de même le lui dire. Alors, avec douceur, il lui attrapa ses mains crispées qu'il réchauffa le plus possible, pour l'aider à franchir le pas. Il eut la larme à l'œil en constatant sa détresse par les tremblements de ses paumes, Leo avait eu un comportement si destructeur envers elle que son esprit et son corps ne s'en remettaient toujours pas. Et le brun ne se sentait pas assez puissant pour parvenir à la soulager tant cette dispute l'avait atteinte. Il ne pourrait jamais pardonner une chose pareille à ce prétentieux Hylien. Ce fut cependant de cette manière que la nièce se livra plus intensément à son confident de toujours sur sa cicatrice et ses conséquences, pour la toute première fois de sa vie.

- Parce qu'elle me répugne, avoua Lysia en parlant de sa blessure. Elle me dégoûte et me rappelle toute la souffrance qui se cache derrière sa forme odieuse. Et quand je réfléchis et me dis que je devrais garder cette chose toute ma vie sur mon propre corps, je...

      Il sentit alors de nouvelles larmes atterrir sur ses doigts qui entouraient ceux de la blonde. Dans un triste soupir, il passa une main dans les cheveux de l'Hylienne et la fit s'approcher de lui, jusqu'à une étreinte dans laquelle tous deux se lovèrent avec force. N'ayant pas eu le temps de terminer son explication, Lysia laissa sa réponse en suspens, sans donner plus de détails. Elle n'en avait plus la force et préférait se taire et continuer à pleurer silencieusement dans le cou d'Arthur sans avoir à se justifier. Au moins, dans ses bras, elle savait que c'était un endroit sûr où personne ne viendrait la juger. Le brun jouait le rôle d'un bouclier protecteur contre les mauvaises ondes et les énergies négatives. Elle avait pu se vider de ses émotions et prendre un peu de recul.

- Il faut que j'arrête de pleurer, larmoyait-elle avec une voix étouffée.

- Pourquoi ça ? se questionna son ami.

     Lysia mit fin à leur embrassement, elle sécha ses dernières larmes, et secoua sa tête pour reprendre ses esprits. En constatant que de l'eau coulait aussi le long des joues d'Arthur, elle s'empressa de l'essuyer sans commentaire supplémentaire. La blonde ne supporterait pas de faire pleurer davantage le vingtenaire à cause de ses problèmes personnels, elle s'en voudrait trop. Le contact de ses doigts sur ses joues l'apaisa.

- C'est pas en m'apitoyant sur mon sort que je vais avancer, dit-elle avec certitude après un dernier reniflement.

- Ça peut faire du bien, parfois, lui fit-il remarquer.

     Elle se releva et retira la saleté derrière ses cuisses.

- Peut-être mais je n'ai pas besoin de ça pour l'instant, concéda Lysia. Je dois aller m'occuper d'Éclipse.

     La lancière lui tendit une main pour l'aider à se relever. Arthur l'agrippa, et une fois debout, ils se dévisagèrent un temps, comme plongés dans les yeux de l'autre, sans pouvoir en sortir. Un long silence naquit durant ce moment de flottement, puis une vague d'adrénaline monta en lui lorsqu'il vit les lèvres de Lysia se décoller délicatement l'une de l'autre pour laisser un fin espace entres elles. La distance entre les deux visages était courte, elle semblait même se raccourcir seconde après seconde, si bien que la blonde sentait le souffle de son ami lui caresser le nez.

- Je... débuta le neveu à mi-voix.

     Elle lui offrit un sourire ainsi qu'un clin d'œil, puis elle souffla du nez, ce qui témoignait de son amusement et quelques restes de tristesse, avant de reculer de manière soudaine et partir en direction des écuries du village, à reculons. Le brun avait reconnu là son fidèle air espiègle, ce malicieux regard complice qu'elle lui faisait lorsqu'elle plaisantait en prenant le rôle de la fille inaccessible avec lui. Tous deux savaient intérieurement ce qu'il se passait. Mais elle jouait avec lui, Lysia cachait sa timidité derrière ces taquineries, et cela fit esquisser aussi un sourire du côté du neveu de Suzanne et Adrien qui avait les pommettes rosées.

- Merci pour le câlin, petit ourson, termina-t-elle en partant, je vais déjà mieux.

     Il lui fit à son tour un clin d'œil avant qu'elle ne se retourne pour de bon. Au lieu de la suivre, le brun finit par se rasseoir au sol, au bord de l'étang dans lequel il tenta un ricocher avec une pierre qui traînait non loin de là.

- Évite de casser la gueule à Leo si tu le croises, ajouta Arthur sur un ton humoristique.

- Ce sera à lui de faire en sorte de ne pas me croiser, plutôt, répliqua Lysia, fière de sa répartie.

     Leur discussion terminée avec une certaine drague et des plaisanteries, Arthur restait tout de même perturbé par tout le reste. Que ce serait-il produit s'il n'était pas intervenu entre Lysia et Leo ? Il remercia les déesses de l'avoir mis sur leur chemin au bon moment avant qu'il ne soit trop tard. Marquée par le passé, son amie aurait très bien pu voir sa cicatrice se réanimer sous la panique produite par Leo, et ainsi, et lui aurait infligé des douleurs insoutenables, comme à l'intérieur de la grotte du Lithorok. Non, ce genre d'événements ne devait plus se reproduire, pour le bien de tous. Sachant que la blonde ne le ferait pas, Arthur n'hésiterait pas à en parler à Alan, ce personnage devant lequel il n'était jamais très à l'aise, si cela devait malheureusement se reproduire. Car en effet, Leo était imprévisible, son caractère bien trop orgueilleux, et son respect d'autrui inexistant.

OoO ~ I ~ OoO

     Cela faisait presque une semaine que Nell attendait l'intervention du chef du village dans sa nouvelle maison, récemment bâtie. En effet, celle-ci présentait quelques risques que sa propriétaire ne voulait pas négliger plus longtemps : une partie du bois qui composait le plafond de la petite demeure grinçait de manière inquiétante et certains endroits paraissaient très fragiles. Un seul faux pas effectué au mauvais endroit à l'étage et Nell craignait de passer à travers. Néanmoins, elle fut patiente et très compréhensive, elle n'avait pas relancé davantage Alan pour sa venue, la voyageuse était persuadée qu'il était bien trop occupé en parallèle, c'était normal, cela se voyait même sur son visage épuisé. Nell s'était faite plutôt silencieuse durant sa toute première semaine au village de Labulat, elle commençait à peine à parler avec ses nouveaux voisins et passait le plus clair de son temps seule, à étudier les cartes d'Hyrule, ne comptant plus le nombre d'heures qu'elle dédiait à cette activité. Loin d'être une solitaire, elle appréciait malgré tout ces moments sans la moindre compagnie, cela la rendait plus sereine et lui permettait de se concentrer davantage sur ses travaux.

     En arrière, elle attendait le verdict d'Alan qui examinait la partie fragile du plafond. L'homme se tenait debout sur une chaise pour atteindre la taille nécessaire qui lui permettait d'avoir accès au plafond sans trop de difficultés. Délicatement, il effectuait une pression vers le haut avec le plat de sa main afin de jauger le degré de fragilité de chaque planche qu'il touchait. La nouvelle maison de Nell ne comportait qu'une seule pièce carrée au rez-de-chaussée au milieu de laquelle était disposée une table recouverte de cartes en tout genre, certaines plus abîmées que d'autres. Un petit escalier menait à un étage qui devait faire la moitié de la largeur totale. En somme, l'amie d'Alan vivait dans un endroit restreint d'environ vingt mètres carrés en tout, mais cet espace lui était suffisant et le côté convivial que procurait la modestie de la maison lui plaisait plutôt bien. De plus, sa position dans le village était agréable, elle n'était ni trop proche de la place centrale, ni trop éloignée, ce qui offrait un certain calme environnant sans se sentir trop exclue de la communauté.

     Alan en eut fini avec ses observations minutieuses. Lors de la fondation du village, il avait eu l'occasion de travailler avec les personnes qu'il avait recrutées pour bâtir ces petites demeures, et il connaissait bien de ce fait leur structure, ainsi que la manière dont elles avaient été construites, un atout qui lui donnait la capacité de comprendre d'où venait la fragilité du bois et les menaces potentielles que cela créait. Il descendit donc de la chaise sur laquelle il tenait debout et se frotta les mains pour évacuer les poussières de bois qui les salissaient. Il prit une grande inspiration en ayant constaté un problème de plus à régler dans de brefs délais. Puis il pointa du doigt les planches fragilisées pour expliquer la situation à l'Hylienne dans un long soupir.

- Ces planches-là sont très fragiles en effet, déclara Alan. J'ai comme l'impression qu'il y a des termites. Ça ne doit pas être le seul endroit infesté. Tu as bien fait de me prévenir.

- Est-ce qu'on pourra les changer ? s'inquiéta Nell.

     Le chef la rassura en lui assurant que ce problème allait être réglé d'ici quelques jours. Il procéderait même à un examen de chaque habitation construite avec le même bois pour vérifier si d'autres lieux se voyaient attaqués par les termites.

- Bien sûr, confirma-t-il, je ne peux pas te laisser avec un plafond qui menace de s'effondrer.

     Nell lui tendit la tasse de thé posée sur la table qu'elle lui avait servi à son arrivée, il l'accepta volontiers et en but une gorgée. La luminosité de la pièce était plutôt basse bien qu'il fît un grand soleil à l'extérieur. L'exposition et l'unique fenêtre n'aidaient pas, l'oncle le constata et prit note dans son esprit que cet agencement d'habitation ne favorisait pas l'éclairage diurne. Il aurait voulu offrir plus de confort à son amie, pas des luxueux appartements royaux de château, mais un peu plus de gaieté pour sa nouvelle vie. Il se sentait déjà coupable de l'avoir installée dans une maison au plafond pouvant s'écrouler sans prévenir, et il fallait avouer que l'ambiance de cette dernière était plutôt morose ; cependant, Nell semblait ne pas en tenir compte et se voyait très heureuse.

- Je vais en parler avec le menuisier, ajouta Alan en reposant sa tasse de thé. Si des planches sont rongées par les termites, il faut impérativement lui en faire part.

     Elle acquiesça avec un grand sourire lorsqu'il s'approcha de la table et y observa toutes les cartes et parchemins dessus. Dissimulées derrière ses semblables, un large papier encore vierge à certains endroits pouvait presque faire office de nappe. Alan comprit que Nell était de toute évidence en train de concevoir une carte beaucoup plus imposante et précise du nouveau royaume d'Hyrule, celui dans lequel il ne restait plus que des ruines en souvenir de sa prospérité passée. Une initiative qu'il trouvait très utile et passionnante. Il n'imaginait pas le temps que cela lui prendrait pour mener à bout ce projet ambitieux. Efflorant de ses phalanges ce plan géographique, le chef du village voyait son attention captée par l'extrême sud-est de celui-ci. Là où se tenait le petit village d'Écaraille, qui avait résisté à la Calamité étant donné son grand isolement du reste du monde. Alan ne put s'empêcher de penser à tout ce qui découlait de ce lieu et les mystères autour, au sujet de Madeline.

- Merci d'être passé en tout cas, ajouta Nell qui le sortit de ses divagations, je sais que tes journées sont plutôt chargées alors c'est gentil d'avoir pris un peu de ton temps.

- Ne me remercie pas, je me dois d'assurer le bien-être des habitants de Labulat.

     L'homme jeta un œil aux alentours afin de vérifier s'il ne lui manquait rien. Il savait qu'elle ne lui dirait pas si quelque chose la dérangeait ou lui était désagréable, elle était trop humble pour ça, alors il tentait de trouver les problèmes lui-même.

- À ce propos, tu es bien installée ? s'interrogea Alan. Tu n'as besoin de rien d'autre ?

- Tout est parfait, je commence petit à petit à prendre mes marques.

     Cette réponse ne l'étonna pas. Elle dut certainement être dépaysée les premiers jours, mais Nell commençait déjà à prendre de nouvelles habitudes et elle sut s'adapter rapidement aux changements radicaux qui dominaient son quotidien. Encore un peu timide pour sortir chaque jour discuter avec les nouvelles personnes qui faisaient son entourage, elle sentait la population bienveillante et solidaire, des principes qui faisaient le charme de Labulat et que l'oncle désirait mettre en avant dès la naissance de la petite communauté. Ici, tout le monde se connaissait et personne n'était laissé de côté.

- Fantastique, se réjouit son ami, je ne vais pas te déranger plus longtemps.

- Oh, mais tu ne me déranges pas, lui assura-t-elle.

     Ils se regardèrent dans le blanc des yeux quelques instants. Les deux n'avaient pas eu beaucoup d'occasions de se parler depuis l'arrivée de la voyageuse, le seul dîner qu'ils avaient partagé avec le reste de leurs amis avait été très dynamique et plus animé de rires que de débats et nouvelles. Nell pensait qu'ils auraient spontanément plus de choses à se dire... Ne sachant pas comment relancer la discussion, elle lui demanda bêtement :

- Tout se passe bien au conseil ?

     Alan déglutit en entendant ce mot, les derniers souvenirs qu'il avait du conseil du village n'étaient point très réjouissants. Leurs réflexions n'étaient pas très fructueuses et des conflits voyaient le jour à cause de l'indécision du chef. Mais comment lui avouer tous les dangers imminents qui menaçaient le village, alors qu'elle venait à peine de s'installer parmi eux ? Il aurait dû l'avertir dès le début, la prévenir dès qu'elle eut mis un pied sur cette colline, mais à présent, pour lui, il était trop tard. Il ne savait comment, mais l'oncle se devait de régler d'urgence ces problèmes majeurs dont tout le monde commençait à entendre parler à la forme de rumeurs.

- À merveilles, mentit-il à contrecœur.

     Il se dirigea vers la porte d'entrée de l'autre côté de la pièce sans un mot, ses pas sur le sol résonnèrent dans un silence qui attrista l'Hylienne, pensant pouvoir avoir une nouvelle fois une conversation interminable avec son ami, comme ils parvenaient tant à le faire lorsqu'ils vivaient encore au village de Cocorico. Au moment où Alan attrapa la poignée de porte, il se figea et se retourna une ultime fois vers Nell qui s'était appuyée sur le bord de la table, en le regardant partir sans broncher.

- Au fait, je me demandais si tu accepterais de venir dîner à la taverne, ce soir ? proposa son aîné.

- Ce soir ? dit-elle immédiatement ensuite.

     Son visage parut s'éclaircir d'un seul coup, comme si un nouvel espoir était venu l'envahir. Elle ne souhaitait pas lui faire perdre de temps dans son travail, mais au fond, c'était tout ce qu'elle attendait : retrouver son vieil ami et sauveur de sa famille autour d'un bon repas qu'ils partageraient jusque tard dans la soirée.

- Nous avons une très bonne salade, unique en son genre en plus, utilisa-t-il comme faux argument.

     Il prit un air fier exagéré en prononçant ces mots, sûr de la convaincre, même si la vraie raison de cette proposition était tout autre. Il voulait passer du temps avec elle, lui montrer qu'il ne l'avait pas oubliée malgré toutes ses responsabilités. Heureusement que Lysia lui avait ouvert les yeux à ce sujet, cela lui permit de prendre la décision de ce repas.

- Je ne t'ai même pas rendu visite pendant ta première semaine passée parmi nous, expliqua Alan, je voulais m'en excuser et te proposer de venir manger avec moi. On aurait l'occasion de discuter un peu plus facilement.

     Cela serait l'occasion pour elle de visiter pour la première fois la taverne du village et y croiser d'autres habitants. L'Hylienne serait d'ailleurs plus à l'aise si elle était accompagnée, car elle était beaucoup plus sur la réserve qu'autrefois, un trait de sa personnalité timide qui était apparu durant de tristes années qu'elle avait passées à broyer du noir, enfermée chez elle. Il était clair qu'elle n'était plus la même personne depuis une décennie et l'amie fut touchée par l'attention qu'il lui portait malgré deux années sans s'être vus.

- Dans ce cas, oui, pourquoi pas ! accepta Nell avec joie.

- Génial.

- Vingt heures ? proposa-t-elle l'instant suivant.

     Alan acquiesça.

- Vingt heures, entendu.

     L'oncle lui sourit puis quitta la petite demeure, laissant son amie dans une euphorie canalisée derrière un visage égayé. Elle aurait pu sauter de joie, c'en valait la peine à ses yeux, mais la femme garda son calme pour éviter d'attirer l'attention du chef qui ne devait pas être encore très loin dehors, et ce par pudeur. Il était de seize ans son aîné, mais cette différence générationnelle ne leur avait pas empêché de forger leur amitié. La voyageuse avait eu peur que la distance et le temps les éloigneraient l'un de l'autre petit à petit, mais maintenant qu'ils avaient prévu de dîner ensemble, Nell fut plutôt rassurée de voir que ce n'était guère le cas. En attendant le coucher du soleil, elle se replongea dans ses travaux qu'elle avait laissé en suspens, avec une excitation telle qu'elle faillit renverser la tasse de thé encore à moitié pleine d'Alan sur ses précieuses cartes.

     L'heure du dîner enfin arrivée, le duo se retrouva comme convenu à la taverne de Labulat, peu fréquentée ce soir-là. Nell apprécia tout de suite l'ambiance dégagée par le lieu, une atmosphère chaleureuse et rustique qui était semblable à celle d'un relais, la nuit, mais en plus grand et plus dynamique. Toutes les tables étaient en bois et d'une épaisseur remarquable, quelques personnes y mangeaient ici et là, mais l'endroit était loin d'être bondé, ce qui était beaucoup mieux ainsi. Le chef du village salua tout habitant dont il croisait le regard, et ces derniers firent de même en retour, Alan montra le chemin à la voyageuse en pointant du doigt une table ronde au fond de la salle pour deux personnes, sur laquelle seul un petit chandelier de trois bougies brillait. C'était la table la plus éloignée, située dans un coin de la pièce, collée au mur. Il lui assura que c'étaient les places les mieux positionnées pour profiter de la soirée. Nell le crut sur parole et le suivit sans hésiter, les deux amis s'attablèrent, l'un en face de l'autre. Au bar, les deux gérants discutaient de tout et de rien en servant une boisson à un Hylien qui demandait à s'hydrater, tandis que Lucas, près d'une table, servait à manger à une famille de quatre. Les minimes bavardages discrets des autres personnes donnaient un aspect reposant à la taverne. Avant d'y être entrée, ce mot résonnait d'ailleurs de manière assez négative dans l'esprit de Nell ; elle y voyait une taverne, là où seuls des ivrognes y venaient boire, là où les bagarres étaient habituelles, mais c'était en réalité tout l'inverse. Il n'y avait encore presque jamais eu d'excès en ces lieux, ce restaurant provincial jouissait d'une réputation à tenir et chacun y contribuait.

     On vint d'abord leur servir un « élixir des bois », alcool très doux que les habitants de la région avaient l'habitude de boire. Ce fut cependant la toute première fois que Nell en dégusta, et elle n'en fut pas déçue, le goût qu'il laissait dans la bouche après déglutition faisait penser à la framboise. L'Hylien qui avait fini au bar se dirigea vers la sortie en salua son chef, en l'appelant par son prénom, comme tout le monde au village le faisait. Alan lui fit un geste de la main de loin, son amie rit en constatant la notoriété qu'elle n'était pas habituée de voir chez son aîné, même si cela n'avait pas l'air de satisfaire l'homme. Tous ces gens auprès desquels il avait l'allure d'un chef sûr de lui et bienveillant envers chacun, il leur cachait la vérité... Personne n'était dupe, le problème de la corruption qui rongeait les cultures menaçait davantage le village chaque jour, mais il n'avait pris encore aucune décision... Et toute cette population n'avait pas l'air de vraiment s'inquiéter, tout simplement car ils comptaient tous sur lui et n'avaient aucun doute que l'oncle saurait les sortir de là. Lucas débarqua de manière soudaine avec deux assiettes pleines d'une omelette aux champignons, il servit Nell en premier lieu, puis Alan qu'il regarda avec une certaine crainte dans les yeux. Témoin des pouvoirs de corruption de ce dernier depuis la veille, le jeune homme s'empressa de leur souhaiter un bon appétit avant de fuir.

     Voilà pourquoi il souhaitait dissimuler ses capacités, on le prenait pour un danger public. Qui accepterait de vivre dans une communauté dirigée par un monstre ? Alan aurait voulu rassurer Lucas mais il était trop tard, le blond était déjà reparti à l'autre bout de la salle. Son attention fut aussitôt captée par l'odeur que dégageait l'assiette présentée devant lui, le plat qu'elle contenait n'était pas un plat comme les autres, Nell n'eut besoin que de quelques secondes pour le remarquer.

- C'est le premier plat que je t'ai offert, et que tu n'as même pas mangé, se remémora-t-elle. Tu t'en souviens ?

     Cela remontait à dix ans en arrière, mais ces souvenirs étaient néanmoins restés ancrés dans sa tête. Comment oublier une telle journée ? C'était ce même jour où tout avait basculé pour lui, ce jour où il avait rencontré Nell, mais où on l'avait aussi fait devenir quelqu'un d'autre à cause des pouvoirs qu'il avait reçus.

- Tu n'arrêtais pas de parler, plaisanta Alan, je me souviens surtout de ça.

     Elle rit en guise de réponse mais restait tout de même embarrassée par ce fait. Mains posées à plat sur la table, elle fixait son plat qui fumait encore en se rappelant les moments particulièrement éreintants de paroles continues qu'elle lui avait fait subir ce soir-là. Ce caractère ne lui ressemblait plus du tout aujourd'hui, et elle en était plutôt satisfaite.

- Quand je repense à comment j'étais, je me trouve insupportable.

- C'était ce qui faisait ta personnalité. On t'aimait comme tu étais.

     Nell ne semblait pas très convaincue, mais son ami espérait tout de même que ces mots l'empêchent d'être trop dure avec elle-même. Depuis cette période, elle avait certes perdu son caractère d'hyperactive peut-être trop prononcé, mais Alan remarquait aussi que son ancienne joie de vivre si singulière avait disparu. Il fallait dire que la catastrophe d'Hyrule l'avait marquée et depuis, elle ne voyait plus le monde comme avant. Alan vit son appétit grimper, il s'empara de sa fourchette et entama son plat en souhaitant une bonne dégustation à la géographe.

- J'ai beaucoup changé depuis cette époque-là, expliqua la voyageuse qui fit de même. L'état désespérant dans lequel je baignais chaque jour a laissé des séquelles. J'imagine que... ça se voit.

     Elle tira aussitôt sur les manches de son vêtement bordeaux pour y cacher ses poignets avant de récupérer ses couverts.

- Et je regrette, bien sûr... ajouta Nell.

     Peu de personnes étaient au courant des choses qu'elle s'était faite subir. Elle n'en avait parlé qu'à Alan et quelques amis sheikahs. Nell n'en avait pas fait part à Lysia ni Arthur, car elle ne désirait pas leur parler d'actes si sombres et inutiles, même si malheureusement, quelques traces sur son corps étaient encore visibles et les deux jeunes gens avaient grandi, ils mirent donc peu de temps avant de les remarquer et comprendre de quoi il s'agissait.

- Je t'admire beaucoup pour le courage dont tu as fait preuve ces dernières années, affirma le chef. Ce n'est pas tout le monde qui arriverait à surmonter ce genre de difficultés.

     Ce n'était pas dans les habitudes de l'oncle de faire autant l'éloge de son amie, elle en fut quelque peu embarrassée. Si bien qu'elle se réfugia derrière son verre qu'elle porta à ses lèvres et fit fuir son regard vers le mur du fond décoré de petites peintures carrées représentant des paysages de Tabanta. Se sentant bien trop au centre de la discussion, elle décida de changer la donne et de passer le flambeau à Alan, qui leva le bras et fit un pouce en l'air aux personnes du bar qui attendaient avec impatience de savoir si le plat était à leur goût. C'était une fierté pour eux de servir un délicieux repas à leur chef.

- Et toi ? relança donc Nell.

     Il figea sa mâchoire lorsqu'elle s'intéressa à son cas, en reposant son verre. Alan termina sa bouchée avant de lui parler de son quotidien.

- Je te sens différent, toi aussi, continua la voyageuse. Tu as l'air plus...

- Fatigué ? supposa-t-il.

     C'était de toute évidence le mot qu'elle cherchait, les cernes sous ses yeux ne mentaient pas. Elle émit un hoquet de rire lorsqu'il termina sa phrase à sa place, le chef savait qu'il n'avait pas un rythme de vie correct. Même si la fatigue était l'un des facteurs de l'air éreinté qui animait souvent son faciès, elle n'était pas le seul. Alan prenait aussi de l'âge, et de nouvelles rides, bien que minimes, apparaissaient sur son visage, il venait de passer la cinquantaine, il ne revenait toujours pas comment le temps passait aussi vite... Loin de bientôt devenir un vieillard aigri, la fougue et le dynamisme de la jeunesse commençaient à ne plus être d'actualité. Son travail étant exigeant, il avait parfois du mal à l'accepter et forçait sur sa santé, même si cette manière de faire ne pourrait durer toute une éternité.

- Depuis que nous avons bâti ce village, je ne compte plus le nombre de responsabilités qui me tombent dessus tous les jours, raconta Alan. C'était un projet ambitieux que je suis fier d'avoir mis en œuvre. Ça fait cinq ans que je ne réalise pas la chance que j'ai de pouvoir offrir à tous ces gens une nouvelle vie dans ce monde perdu. J'ai voulu nous relever malgré la menace qui pèse constamment sur nous. Et sans me plaindre, c'est vrai qu'avec tout ce que je dois gérer, je ne dors plus la nuit, ta petite chasseuse des bois peut en témoigner...

- « Petite », je crois que ce n'est plus le bon terme... s'amusa Nell.

- Oui, c'est vrai, lui concéda son ami.

     Le surnom de « petite chasseuse des bois » faisait référence aux après-midis que la femme avait passé à chasser le gibier avec Lysia, dans les bois de Necluda, dès l'aube de son adolescence. En proie à la dépression, ces journées étaient les seules que Nell parvenait à passer en-dehors de chez elle, car l'unique vision du château d'Hyrule pris d'assaut par Ganon la mettait dans un état de panique. Au moins, dans les bois, il n'y avait aucun paysage de ce genre, et la voyageuse le faisait pour l'adolescente et non pour sa personne, cela lui faisait plaisir. C'était avec ce genre d'activités que la blonde avait appris à tenir correctement un arc et viser avec précision, tout en imitant la discrétion bien connue des Sheikahs. De toute évidence, elle eut de grandes difficultés à tenir l'arc bandé plusieurs longues secondes les premières fois, mais avec de l'apprentissage, Lysia avait acquis une force plus grande et avait réussi à surmonter cet obstacle, et ce grâce à Nell qui était ravie de transmettre son savoir à plus jeune qu'elle. La nouvelle arrivante à Labulat n'oublierait jamais le sourire sur les lèvres de l'Hylienne lorsqu'elle apporta son tout premier sanglier au village de Cocorico, ce fut une très belle expérience.

- En parlant d'elle, j'aurais voulu être là, pour ses dix-sept ans... et ceux d'Arthur aussi.

     Ce genre d'événement n'était pas à manquer selon elle, pourtant, elle n'était pas présente ces jours-là, les remords ne tardèrent pas à reprendre le dessus.

- Dis-moi, leur cérémonie était digne d'eux, au moins ? s'enquit-elle de savoir.

- Les cérémonies de l'Âge Sage des jeunes ont été les plus gros événements organisés jusqu'à ce jour à Labulat, la rassura Alan. Même le plus grand mariage organisé ici, celui d'un jeune couple, se tient juste derrière.

- Heureuse pour eux, dans ce cas.

     Son langage non-verbal ne supposait pas cette même émotion. Nell souriait, mais il voyait bien qu'elle était en réalité triste et toujours rongée par le passé. Ce n'était pas facile de s'installer à l'autre coin du royaume et quitter son entourage, pour se revoir confrontée à de nombreux éléments de sa vie qui lui ramenaient à des moments plus sombres de celle-ci. Constamment partagée entre nostalgie, joie, et tristesse, l'amie d'Alan avait du mal à accepter le temps révolu. Il tendit son bras et recouvra sa main qui jouait avec le chandelier de la sienne. Ce geste réchauffa le cœur de l'Hylienne qui savait au combien ces attentions venant du chef étaient rares à cause de sa grande pudeur.

- Je m'en veux de ne pas être venue pour leur passage à l'âge adulte... avoua Nell.

     Il l'arrêta instantanément.

- Voyons, tu étais malade, tu ne pouvais pas sortir de chez toi sans faire une crise de panique, ce n'était pas ta faute.

     Elle savait qu'il disait vrai. Nell ne voulut pas gâcher le dîner avec ses histoires déprimantes, elle se redressa et retira sa main de la paume d'Alan qui fut privé de la douceur de sa peau. Depuis quand s'attardait-il sur ce genre de détails ? Ce fait l'étonna lui-même. Des rires et esclaffements retentirent en arrière-plan, ce qui l'aida à retrouver une bonne humeur et se changer d'état d'esprit.

- L'important c'est qu'aujourd'hui, tu as réussi, ton village est prospère ! se réjouit-elle. Je suis fière de toi !

- Je... Merci...

     Il eut honte de recevoir ces compliments tant il savait que Labulat était menacé chaque jour en plus qui passait, et qu'il ne lui disait rien. Combien pourrait-il encore tenir en lui mentant lâchement ainsi ? C'était malhonnête, et irrespectueux. Mais d'un autre côté, il voulait la tenir à l'écart de tous problèmes et conflits pour qu'elle puisse s'épanouir au mieux... Malgré les avertissements de Suzanne, ce sujet s'était transformé en débat interminable qu'il menait avec lui-même, et comme à l'accoutumée, il restait immobile, dans l'indécision totale. Nell fut perturbée par l'air que le chef avait pris.

- Quoi ? Ce n'est pas vrai ? se demanda-t-elle.

- Si, si tu as raison... dit-il avec une petite voix.

     Après quelques bouchées de son omelette aux champignons, elle se rappela quelque chose qui l'intriguait toujours autant.

- Dis-moi, tu as toujours ce pouvoir en toi ?

     Sous ses yeux, son verre se mit tout à coup à léviter grâce à une force invisible effectuée par un filet de corruption flottant dans l'air, au-dessus de la table. Celui-ci naissait de la paume de main de l'homme et enroulait le pied du verre. Le moment ne dura que cinq petites secondes pour éviter qu'Alan n'attire l'attention des autres personnes présentes dans la salle, mais son amie fut tout de même subjuguée par cette étrange magie. Elle était la seule, derrière l'aspect monstrueux et destructeur de ces capacités, à y voir un véritable potentiel, un don offert par la déesse Hylia en rendant sa lucidité à Alan qui, dorénavant, ne pouvait plus être sous le contrôle du Fléau par ces pouvoirs. Mais tant que Ganon était présent sur le royaume entier, même des années plus tard, il devait garder cette chose en lui, car elle était intimement liée à la Calamité.

- Ce pouvoir ? sourit l'oncle en répondant à la question de l'Hylienne.

     Nell fut satisfaite de cette démonstration.

- Et dire que tu voulais tout faire pour le cacher.

- Depuis hier, c'est un peu mal parti, on va dire...

     Dans la foulée, l'homme ne put s'empêcher de poser une question dont il attendait curieusement d'avoir la réponse.

- Et sinon, depuis le temps, est-ce que tu as de nouveaux projets avec quelqu'un ?

- Pas vraiment, pour tout t'avouer. Après Faras, je ne me suis plus vraiment focalisée là-dessus. Je suis guérie depuis quelques mois seulement, donc...

- Je vois.

     Loin d'en souffrir, elle préféra lui préciser qu'elle vivait cette situation parfaitement bien et que cette solitude amoureuse lui permettait de reprendre goût à la vie. En effet, depuis que Nell avait pris la décision de mettre fin à sa relation avec Faras, à la suite de sa guérison, elle se rendait compte que tout autour d'elle, des choses merveilleuses dont elle passait outre auparavant étaient omniprésentes. C'était comme si on lui avait retiré un filtre des yeux.

- Ça ne me rend pas triste, rassure-toi, assura-t-elle.

     Alan en fut ravi et supprima immédiatement le sentiment qu'il vint de sentir l'envahir. Il s'empara de la bouteille d'élixir des bois qu'on leur avait laissé et proposa d'en verser de nouveau dans le verre de Nell.

- Encore un peu de notre spécialité ?

- Volontiers.

     Il s'exécuta en faisant preuve d'une grande distinction exagérée en tenant la bouteille, ce qui amusa la voyageuse. Leur dîner dura jusque presque minuit, leurs conversations furent variées et passionnantes pour tous les deux, cela faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas retrouvés, vraiment. Ils auraient pu rester toute la nuit à parler de tout et de rien, mais lorsqu'ils remarquèrent qu'ils étaient les derniers à être encore attablés et que le personnel de la taverne commençait à nettoyer les tables et le sol, ils décidèrent de s'en aller et de ne pas trop tarder. La soirée était passée à une vitesse remarquable, si bien qu'ils se promirent de se reprogrammer des repas ensemble dans les jours qui suivraient. Alan avait réussi à oublier ses tracas le temps de quelques heures et Nell avait pu se confier à son ami. Leurs discussions leur firent perdre la notion du temps, et ils garderaient de très bons souvenirs de ce dîner. Car une chose était sûre : l'élixir des bois était un délicieux.

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