Chapitre 2 : Les inséparables
La première lettre de son prénom était gravée près de la rouelle de sa lance. C'était son arme favorite, celle avec laquelle Lysia ne supportait jamais d'échouer. Cela faisait plusieurs années que son oncle la formait à devenir une lancière hors-pair, prête à défendre son village en toute circonstance. L'idée s'avérait plutôt plaisante à ses yeux, se battre pour les siens était une belle raison de vivre, et l'Hylienne se sentirait utile et reconnue. Mais lorsqu'elle avait appris à Alan qu'elle avait la volonté de privilégier la lance à l'épée, au sabre, ou à l'arc, l'homme fut un peu perplexe. En effet, Lysia devait faire un mètre soixante-dix tout au plus, c'était une taille relativement moyenne et peu efficace pour une arme qui devait faire exactement la même hauteur qu'elle. Il n'était pas rare que durant des mouvements amples, la pointe de la lance ou son talon raclait le sol, stoppant brutalement ses gestes et la déstabilisant dans son combat. C'était un risque que Lysia avait accepté, et à présent, la blonde se faisait de moins en moins avoir.
Derrière la taverne de Labulat, elle s'entraînait ardemment avec son oncle, qui lui était muni d'une épée de soldat. C'était un endroit entièrement consacré au combat et au maniement des armes. Une petite cour cependant assez grande pour avoir la possibilité d'engager des duels corsés. Le bruit du croisement des fers résonnait chaque jour, les gardes du village avaient un entraînement quotidien minutieux à suivre, mis en place par Alan lui-même, bien qu'il ne pût plus se permettre d'assurer les entraînements tous les jours. Lysia rêvait d'intégrer cette troupe prête à tout pour leur communauté, c'était la raison pour laquelle, depuis quatre ans, elle venait ici trois fois par semaine afin de progresser toujours davantage. Ainsi, son oncle, quand il en avait le temps, faisait en sorte de se libérer pour se battre avec elle, et admirer ses progrès.
La jeune femme, en tenue de combat, tenta une offensive sur sa droite, afin d'atteindre le flanc gauche de son adversaire, mais dès l'instant où la pointe de sa lance s'approcha de lui, la lame de son épée la repoussa dans un son métallique. Lysia fit pivoter son arme de sorte que les deux extrémités fussent inversées, afin d'asséner un second coup à son oncle à l'aide du talon pointu que comportait sa lance. Alan esquiva cette attaque et prit le dessus ; de son épée menaçante, il porta un premier coup horizontal au niveau des hanches de sa nièce qui bloqua perpendiculairement ce dernier. L'homme se retira un instant. Il fit pivoter son poignet pour changer la direction de sa lame et tenta à nouveau ce coup, vers le flanc opposé cette fois-ci. La lancière bloqua une seconde fois l'offensive, exactement de la même manière. De son autre main, elle attrapa le manche de sa lance et balaya l'air de haut en bas pour forcer le bras armé de l'épéiste à se diriger vers le sol, ce qui fit basculer Alan en avant.
Le combat était rapide, les coups portés fusaient à une vitesse remarquable. Dans son élan, l'homme faillit trébucher mais se rattrapa. Il éleva de nouveau son épée dans le but de l'abattre à la verticale sur Lysia. Mais celle-ci avait toujours ses deux mains sur sa lance, et elle s'en servit comme bouclier pour stopper son coup puissant avec un léger gémissement de lutte. La lame d'Alan s'incrusta de quelques centimètres dans la poignée de bois de la blonde qui gardait, bras en l'air, son arme dans sa longueur. Tous les deux optèrent pour une démonstration de force en gardant leur matériel de guerre croisé, en contact, afin de voir qui cèderait le premier. Leurs muscles étaient mis à rude épreuve, leurs bras commençaient à trembler tant l'un ne voulait pas l'autre le surpasse de pure force physique dans les bras. L'Hylienne n'avait pas peur pour la solidité de sa pique qu'elle savait plus qu'élevée, mais elle appréhendait sa position de soumission qui pouvait avoir raison d'elle. Alan était plus grand qu'elle et avait plus d'endurance, elle ne pourrait pas tenir plus longtemps que lui ainsi. Lorsque leur regard se croisa, ils purent constater la détermination de l'autre, et celle de la nièce dépassait les attentes de l'oncle.
Après quelques secondes les dents serrées, toujours dans la même position, Lysia prit la sage décision de mettre fin à ce sous-duel qui les fatiguerait plus qu'un simple entraînement basique. Elle fit basculer sa lance sur le côté, emportant avec elle l'épée d'Alan, et profita de cet instant pour s'écarter de quelques mètres de lui afin de reprendre son souffle. L'amie d'Arthur lui tourna le dos et passa une main dans ses cheveux pour les dégager de son visage. Son front transpirant reflétait la lumière du soleil au zénith, Lysia sentait que le combat était rude mais ne souhaitait pas abandonner aussi vite. Sa seule option était la victoire et elle savait qu'elle en était capable. Suite à un juron qu'elle chuchota pour manifester la difficulté qu'elle rencontrait à vaincre Alan, elle ferma les yeux, calmant sa respiration et entendit la voix de son oncle l'interpeller simultanément.
- Tu as la chance de pouvoir garder une grande distance avec ton adversaire, utilise cet atout ! déclara l'homme en arrière.
À ce moment précis, ses paupières se relevèrent et dévoilèrent deux iris verts emplis de persévérance. Elle resserra son poing plus intensément autour du manche de sa lance, et avec une démarche d'assurance, elle refit face à Alan qui attendait sa venue sans la provoquer. Pas après pas dans sa direction, sa vitesse accélérait davantage. Lysia se mit ainsi à courir vers lui, réengageant le combat avec une vivacité plus importante tout en restant silencieuse. Elle débuta par un coup d'estoc afin de suivre le précieux conseil d'Alan, la pointe vint menacer l'abdomen du chef du village qui, d'un mouvement très vif, attrapa la poignée de bois juste sous sa pointe métallique et aiguisée pour cesser les petits gestes rapides de va-et-vient que portait Lysia. Sa lance fut prise au piège, Alan tira un grand coup dessus dans sa direction et la jeune femme fut dans l'obligation de se jeter vers lui, déséquilibrée. Ainsi, les deux combattants changèrent leur place. Mais Lysia était subjuguée en se rendant compte que l'homme ne lui avait donné le conseil d'attaquer à distance uniquement pour tenter de prendre l'avantage. En réalité, le véritable conseil, c'était de ne jamais se fier à son ennemi, quoi qu'il arrive. La blonde ne ferait plus jamais preuve d'autant de naïveté en combat.
La lancière changea donc de méthode, si son ennemi savait la déstabiliser même à distance, il ne servait à rien de s'écarter de lui. Lysia fit glisser ses deux mains le long du manche de sa lance à une position qui lui donnait la possibilité de l'utiliser comme une épée. En colère contre elle-même après s'être faite avoir aussi facilement, la sculptrice de bois déchargea sa frustration d'un coup violent en diagonale sur son oncle qui croisa sa lame avec le bois de son adversaire une première fois. Lysia enchaîna sans attendre dans l'autre diagonale, Alan devait faire preuve d'une grande réactivité s'il ne voulait pas se faire avoir. La nièce ne s'arrêta pas là et fit pivoter d'un tour complet son javelot afin de récupérer une emprise correcte sur lui et tenta de planter dans le flanc droit de l'homme qui vit le fer l'éviter de justesse. Par la suite, le talon de la lance balaya l'air latéralement avant de s'abattre dans la même direction, sur son épaule droite qui fut touchée. Cependant, l'oncle ne lui fit pas remarquer l'appréhension qui venait de le gagner quelques secondes.
- Plus vite que ça ! On dirait une limace ! s'exclama-t-il alors qu'il était en position de faiblesse.
Cette réflexion, Lysia allait pour sûr lui faire payer. Suite au blocage d'énièmes coups de la part de l'épéiste, elle fit ensuite passer sa lance entre la hanche et l'avant-bras de son oncle et remonta jusqu'à son omoplate. Il eut ainsi comme réflexe d'attraper la poignée de bois de Lysia pour s'en défaire. Mais celle-ci s'approcha rapidement de lui, récupéra le haut de son arme par-dessus l'épaule de l'homme, et Lysia la tira brusquement vers elle. La flèche de métal passa au-dessus de l'épaule d'Alan, suivant une trajectoire circulaire qui la fit ainsi pointer vers le bas l'instant suivant. Cela entraîna le bras d'Alan dans le même temps et le fit chuter avec un gémissement plaintif en avant. Ainsi, la lance pointa bel et bien le sol, vers l'homme complètement désarmé.
- Et c'est qui la limace maintenant ? signala Lysia avec fierté sur le visage, tout en laissant son arme en joue.
Les mains à plat dans l'herbe, Alan fixa le bout de la lance qui pointait à quelques centimètres vers lui avant de relever les yeux vers sa propriétaire et lui montrer un sourire dans un coin de ses lèvres. C'était la première fois que sa nièce le mettait à terre durant un combat, autant dire qu'il fut impressionné par sa maîtrise. Sa poitrine se soulevait encore à une fréquence élevée en raison de l'effort physique qu'il avait réalisé, il tendit ensuite une main à la victorieuse pour qu'elle puisse l'aider à le relever, ce qu'elle fit sans attendre. Lysia grimaça lorsqu'elle dut soulever en partie le poids de l'homme en s'abstenant cependant de toute remarque verbale.
- Ah ! Bien joué ma Lyly ! félicita Alan. Tu te bats comme une vraie guerrière avec ta lance.
- Il me manque encore quelques techniques au tir à l'arc, je ne sais pas si tu peux me qualifier de guerrière, bien que ça me plaise plutôt bien.
Il reconnaissait bien là l'humilité qui caractérisait tant la jeune femme. Et même si pour lui, elle avait de quoi se vanter, l'oncle ne l'avait jamais entendue se targuer de ses mérites. La blonde avait soif de progrès constamment et n'était jamais satisfaite de son niveau. Son objectif était peut-être un peu trop élevé, mais il la poussait à aller toujours plus loin. C'était une façon de penser à double-tranchant, elle en avait parfaitement conscience.
- Sois pas si modeste, lui assura l'Hylien. Tu es devenue redoutable, peu de gens savent manier une arme aussi imposante.
- Je prends ça pour un compliment ! dit-elle en reprenant encore son souffle.
En riant, il passa un bras derrière son épaule pour lui faire part de sa fierté. Lysia continuait à récupérer et ne lui adressait que de simples regards rapides avant de révéler un petit rictus et quelques ravitaillements qu'ils avaient apporté de chez eux. L'air était d'une lourde chaleur d'été et se défouler en plein soleil n'aidait pas à maintenir le corps dans une température raisonnable. Ce fut pourquoi ils avaient pris avec eux un peu d'eau et un tissu pour éponger leur visage. L'entraînement avait été intensif et reprenait le mieux possible les conditions réelles d'un combat sans pitié, selon Alan, cela forgeait l'esprit à la réalité brutale du monde.
Il s'appuya en arrière contre la barrière sur laquelle était posée leur serviette et observa le paysage qui se présentait devant lui. D'ici, juste derrière la taverne, la colline de Labulat offrait un point de vue sublime sur le sud-ouest d'Hyrule. Une vue qui rendait nostalgique les voyageurs du royaume ayant traversé nombreuses de ses contrées. Lysia fit donc de même, elle s'adossa contre la clôture délimitant la zone de duel et contempla l'agréable panorama. Puis, elle voulut profiter de ce moment de silence pour poser une question à son oncle, une question qu'elle n'avait jamais osé formuler auparavant.
- Pourquoi est-ce que tu ne me fais pas intégrer la défense du village ? l'interrogea-t-elle.
L'homme prit une grande inspiration et détourna davantage le regard. Cette défense servait avant tout à éliminer les monstres qui, chaque semaine, tentait de pénétrer au sein de la commune, rien de plus. Cela pouvait paraître banal lorsque l'on savait manier une arme, mais il s'agissait d'un élément primordial à la sécurité du village. La défense de Labulat n'était pas bien développée : une composition d'une dizaine d'hommes tous entraînés depuis leur installation à Labulat. Ils étaient âgés de vingt-cinq à quarante-cinq ans, ce qui ferait de Lysia, – si son souhait lui était accordé –, la première fille mais également la plus jeune recrue de cette petite garde qu'avait formé Alan trois ans en arrière. Ce dernier bégaya en cherchant une réponse à la demande de sa nièce. Il savait qu'elle lui demanderait une telle chose un jour ou l'autre, après tout, c'était un souhait honorable.
- Eh bien, c'est que... commença Alan. Je n'ai pas vraiment eu le temps d'y réfléchir mais... tu es sûre que c'est ce que tu...
- C'est parce que je suis une fille ? le coupa Lysia.
Il se tourna brusquement vers elle, étonné qu'elle puisse penser qu'il hésitait pour une raison si injuste. En hochant la tête, il lui assura que cela n'avait strictement rien à voir.
- Quoi ? Non, pas du tout. C'est juste que...
Il s'arrêta de nouveau, ne trouvant pas les bons termes pour s'exprimer. Plus elle grandissait, et plus l'homme qui avait assumé le rôle de père pour elle durant toutes ces années rencontrait des difficultés à lui parler. Ils avaient tous les deux un grand caractère, et de ce fait, des disputes se créaient plus souvent sur différents sujets. D'un côté, Alan voyait toujours l'Hylienne petite et fragile comme le premier jour où le duo s'était vraiment retrouvé. Ces adjectifs ne correspondaient bien sûr plus à la jeune femme que Lysia était devenue, il en avait conscience, sa victoire contre lui aujourd'hui le prouvait encore ! Mais une partie de lui n'arrivait pas encore à l'accepter complètement. Une partie de lui se devait de la garder en sécurité, encore et toujours.
- Écoute, reprit l'oncle, je sais que parfois, on se prend la tête pour des conneries. Je sais que j'oublie parfois que tu es devenue une adulte et que je ne devrais plus te faire « passer pour une gamine », comme tu dis. Mais... regarde encore hier soir...
- De quoi tu parles ?
Des traits d'incompréhension se formèrent entre ses deux sourcils. Pour sûr, leur relation pouvait s'avérer un peu compliquée parfois, Lysia sentait souvent un certain décalage dans leurs idées et leur façon de voir les choses, mais s'il y avait une chose qui l'agaçait dans leurs conversations, c'était lorsqu'il parlait de quelque chose dont elle ne comprenait absolument pas le sens de manière évidente.
- Je ne suis pas dupe, Lysia... continua Alan.
Elle le regarda avec deux grands ronds fixes dans leur orbite. Cette phrase ne l'avançait pas plus et la blonde ne savait pas de quoi elle était supposément accusée. Doucement, l'homme laissa glisser son corps le long de la barrière pour finir en position assise au pied d'un poteau en bois. Il posa sa tête contre celui-ci avant de la faire basculer vers sa nièce à sa droite. Puis, dans un soupir de désespoir, Alan ajouta :
- Tu as fouillé dans les affaires de ton père, pas vrai ?
Lysia comprit enfin que l'homme était au courant pour sa curiosité incontrôlable... Mais après tout, il ne lui avait rien interdit, le chef lui avait simplement très fortement déconseillé d'y jeter un œil. Pour sa « sécurité », comme il le disait si souvent. À croire qu'il s'agissait de son terme préféré... La blonde n'allait pas nier les faits et cacher la vérité au sujet des biens de son feu père, elle lui répondit en toute honnêteté, de toute manière, ce n'était pas dans ses principes de mentir.
- Tu n'as pas voulu que j'y mette le nez. Alors à ton avis ? dit-elle en le dévisageant en contre-bas.
Alan soupira en laissant son regard porté sur l'horizon, n'osant pas affronter les iris de sa nièce qui croisa les bras. Dorénavant, il n'avait plus qu'une seule question qui lui trottait dans la tête : avait-elle lu la lettre ? Au vu du comportement euphorique qu'elle avait eu la veille à table, l'ami de Nell avait de sérieux doutes. Si c'était le cas, si Lysia avait lu les mots de sa mère sur ce vieux parchemin, qui savait ce qu'elle pouvait bien préparer en secret ? Dans tous les cas, que cela lui plaise ou non, l'oncle se devait de l'empêcher de la laisser se mettre en danger inutilement. Peut-être qu'elle était assez âgée pour voyager seule, un si long trajet en ces temps sombres restait périlleux pour n'importe qui.
- J'ai parfois l'impression que tu ne me dis pas tout sur... eux, avoua la lancière.
- Eh merde... souffla l'oncle dans la foulée en fermant les yeux.
Cette réaction inappropriée lui fit monter le ton. À chaque qu'elle abordait ce sujet, il devenait muet, il le censurait. C'était comme s'il lui disait indirectement qu'elle l'agaçait au plus haut point en parlant de ses parents. Elle trouvait cela irrespectueux de sa part de ne pas prendre au sérieux ses profondes interrogations les concernant. Du moins, c'était l'image qu'il renvoyait. Lysia s'écarta de la barrière pour faire face à son oncle qui était resté assis, les genoux repliés. Elle attendit qu'il la regarde mais en vain, l'oncle semblait vouloir prendre un peu de repos.
- Quoi, « et merde » ? l'interpella l'Hylienne outrée. Tu trouves peut-être ça normal que...
Un air de tristesse gagna le visage d'Alan bien qu'il resta relativement indifférent aux paroles de la jeune femme. Celle-ci voyait que ses dires n'étaient même plus entendus, qu'il ne les assimilait même pas. À quoi bon lutter ? Ce n'était pas à ce moment précis que Lysia comprendrait pourquoi l'homme se renfermait lorsque l'on parlait de son frère alors qu'elle n'y était pas parvenue en dix ans.
- Non c'est bon, abandonna-t-elle avec déception, j'en ai assez de m'acharner là-dessus contre toi.
Elle récupéra sa lance posée contre la barrière et s'en alla sans perdre plus de temps. D'un pas précipité et le visage fermé, Lysia le laissa seul, en plein soleil dans cette cour d'entraînement, elle se demandait encore pourquoi elle avait essayé une énième fois de le faire parler. N'avait-elle pas compris la leçon après ses nombreuses tentatives qui avaient toutes échoué ? Lorsque la blonde se situa au milieu de zone de combat, la voix de l'homme retentit soudainement.
- Je suis désolé, Lysia, prononça Alan assez fort pour qu'elle puisse l'entendre.
Ces mots suffirent à la faire s'arrêter un instant. Les poings serrés, elle continua cependant son chemin sans se retourner.
- Moi aussi ! répondit-elle, triste.
OoO ~ I ~ OoO
Ce fut l'air peiné qu'elle ouvrit la porte de sa demeure sans trop d'engouement. Le grincement de celle-ci agressa ses oreilles et brisa le silence qui régnait. La luminosité de la pièce n'était pas très élevée, personne n'avait encore ouvert les rideaux des fenêtres depuis tôt ce matin. Lysia n'en fut pas étonnée, il faisait très chaud ces temps-ci et cela permettait de bloquer les rayons du soleil qui réchauffaient beaucoup l'intérieur en passant au travers des vitres. La table au centre de la pièce était à moitié débarrassée, il y restait encore quelques assiettes du dîner de la veille car celui-ci avait duré jusque tard dans la nuit. La blonde n'eut aucun courage à finir de ranger et nettoyer ces restes, elle se contenta de poser sa lance contre un mur où une peinture d'elle et son oncle était accrochée. Il s'agissait d'un peintre ambulant qui leur avait proposé de faire leur portrait à un prix raisonnable, à l'époque où ils vivaient encore au village de Cocorico. Son nom lui était désormais flou mais ses talents eux, étaient toujours restés dans sa mémoire, bien que la Lysia de onze ans, peinte sur ce tableau, lui paraissait avoir un drôle de nez...
L'Hylienne se dirigea ensuite vers l'escalier où elle retira le haut de sa solide tenue de combat, ne laissant sur elle qu'une simple chemise blanche en lin et boutonnée, qui la laissait davantage profiter de l'air frais de l'intérieur. Après avoir déposé son vêtement en cuir sur une des marches menant à l'étage, elle alla s'asseoir sur l'une des six chaises présentes autour de la table où elle put souffler un grand coup. Deux heures d'entraînement... Deux longues heures sportives que Lysia n'avait pas vu passer tant elle s'était concentrée et tuée à la tâche durant celles-ci. La blonde espérait un jour voir ses efforts payer.
La faim la gagna rapidement dès l'instant où ses yeux s'étaient posés sur le reste du dessert de la veille, juste devant elle. S'en voudrait-elle si elle mangeait la part de gâteau qu'Arthur n'avait pas entamé ? Pas le moins du monde, c'était comme si le sucre l'appelait, il n'y avait pas de quoi se priver après une matinée aussi fatigante ! Lysia passa furtivement la langue sur ses lèvres et attrapa l'assiette en face d'elle. Alan ne rentrerait pas pour le déjeuner, et une délicieuse de part de gâteau avant de reprendre le travail ne lui ferait pas de mal. Sans grande délicatesse, elle attrapa la part de gâteau avec ses doigts et la porta à sa bouche qu'elle ouvrit grand. Mais à quelques centimètres de la déguster, Lysia se rendit compte en regardant plus au loin que la fenêtre entrouverte sur le mur du fond bougeait. Les rideaux étant fermés, il n'y avait pas la possibilité de voir qui semblait vouloir s'amuser à pénétrer chez elle de ce côté.
Elle reposa, avec le bout de ses doigts recouverts de sucre, son dessert dans l'assiette. Le grincement que produisait le mouvement de la fenêtre n'était guère rassurant, et celui-ci continuait, comme si quelqu'un poussait la vitre de l'extérieur. Lysia se leva et décida d'aller examiner ce phénomène de plus près, afin de surprendre la potentielle personne qui pouvait se cacher derrière lui. À pas de velours, la blonde, l'air intrigué, se rapprocha du mur. Elle pensa que cela était dû au vent, mais elle n'avait senti aucun courant d'air dans la pièce... Ce fut après cette réflexion que le déplacement rotatif de la fenêtre venait de cesser de manière brusque, plongeant la maison dans ce même silence à présent angoissant pour l'Hylienne qui était à quelques pas de mettre fin à cette mauvaise blague. Discrète, elle passa une main derrière le rideau rouge vermeil et le tira d'un seul coup, ce qui fit pénétrer une lumière éblouissante dans la maison.
Dès l'instant où elle eut une vision sur l'auteur des faits, Lysia eut un mouvement de recul dû à une frayeur qui la fit sursauter en poussant un cri strident. Il ne s'agissait en réalité qu'un simple écureuil sur le rebord de la fenêtre qui devait certainement chercher à entrer, mais ce dernier l'avait plus que surprise. L'animal à la posture bien droite était désormais pétrifié et la fixa un long instant en respirant si vite que sa petite cage thoracique n'arrivait plus à suivre les battements de cœur. Lysia souffla et plaça une main contre sa poitrine jusqu'à qu'un sentiment de honte d'avoir été effrayée par un simple rongeur inoffensif l'envahit.
- Va-t'en ! Idiot ! grogna-t-elle en passant le haut de son corps à travers la fenêtre pour le chasser à l'extérieur.
La tête à l'extérieur, elle eut une large vision qui donnait sur un grand champ du village dans lequel un paysan s'occupait des récoltes. Il avait observé la rencontre de la nièce avec l'écureuil, et l'ayant entendue crier d'effroi, il fut intrigué et s'était arrêté dans son travail. Lysia, gênée, le salua d'un signe de la main et lui assura que tout allait bien avant de refermer brusquement la fenêtre et les rideaux, coupant ainsi le contact visuel avec cet homme plus que bouleversé par le comportement de la jeune femme. Mais on frappa à la porte avant même qu'elle ne puisse se remettre complètement de ce moment.
Sollicitée à l'autre bout de la pièce, Lysia souffla avant de s'y diriger avec peu d'entrain, déçue de ne pas avoir pu profiter de son gâteau dans l'immédiat. Personne ne les dérangeait, elle et son oncle, à cette heure-ci d'habitude, tout simplement car ils n'étaient que très peu présents chez eux à l'heure pile du déjeuner. La blonde fit défiler dans son esprit tous les individus susceptibles d'être celui qui attendait devant sa porte, mais elle ne vit pas réellement de qui il pouvait s'agir. Peut-être était-ce Nell ? Après tout, elle était devenue leur voisine, peut-être avait-elle besoin de quelque chose en particulier ? Sa surprise ne fut que plus grande lorsqu'elle tourna la poignée et découvrit la personne qui avait continué de frapper de façon insistante.
- Salut. Lysia, c'est ça ? demanda confirmation l'Hylienne qui se présenta à elle.
L'inconnue avait les bras croisés et un air fier, ses courts cheveux roux coupés à la hauteur de la nuque étaient ondulés et laissaient quelques mèches dévaler son visage. Son visage ne disait rien à la blonde qui découvrit une jeune femme de presque vingt ans aux yeux bleu-gris et aux joues rondes et potelées. Elle possédait également quelques taches de rousseur sur le nez mais celles-ci n'étaient que très peu visibles. Lysia ne la connaissait peut-être pas, elle se doutait cependant de son identité en raison du peu de monde dont elle n'avait pas encore vu le visage dans les parages.
- C'est moi, répondit donc l'amie d'Arthur. Tu es... Medy ? supposa-t-elle ensuite.
- Oui, enchantée. Dis-moi, comme t'es la fille du chef, je...
- Oh. Non, je suis sa nièce, en fait, la rectifia-t-elle.
La blonde profita du temps de sa réponse pour examiner sa tenue plutôt élégante, bien que sans excès : une chemise blanche au col plutôt remontée sous une veste boutonnée sans-manche ocre. Il fallait avouer que cela lui allait plutôt bien, mais ce n'était guère des vêtements de travail quotidien, pour sûr. L'Hylienne était nouvelle au village de Labulat et vivait dans une petite maison en face des écuries avec sa mère. La raison de leur venue dans la petite communauté vieille de seulement cinq années n'avait pas encore été révélée, même Alan l'ignorait.
- Je vois, dit Medy, le menton relevé et la tête légèrement penchée sur le côté. N'empêche que comme tu vis sous le même toit que lui... Je me disais que ça pouvait être sympa que tu viennes ce soir.
Lysia fronça les sourcils ; de toute évidence, elle n'était pas au courant des événements à venir. En réalité, la lancière avait prévu de rejoindre Arthur chez lui afin de passer la soirée à jouer aux Marcheurs de l'Hiver, un jeu sur table typique de la région d'Hébra, au nord-ouest du royaume, qu'elle aimait beaucoup. Mais maintenant que la rousse s'était invitée devant sa porte en lui parlant de ses activités à venir, elle fut tout ouïe de savoir ce qui était prévu de son côté. Mais la blonde n'avait cependant pas oublié l'avertissement d'Arthur au sujet de Medy. En effet, il s'agissait, selon lui, de la fille qui racontait des ragots sur son amie dans son propre dos. Ce fait laissa cette dernière un peu distante avec son interlocutrice.
- Ce soir ? dit-elle sur le ton de la question.
- Lucas, le fils cadet des autres nouveaux. On est arrivé la semaine dernière, sa famille et la mienne. Il fête ses dix-sept ans ce soir en haut de la colline, autour du feu. Si tu viens, on pourrait tous apprendre à se connaître.
Étonnée d'une telle proposition, la nièce d'Alan passa une main dans sa nuque, signe non verbal de sa perplexité et qu'elle n'était pas très réjouie par cette idée de prime abord. Mais après réflexion, avait-elle seulement le choix ? Pour qui allait-elle passer si elle refusait cette invitation ? Passer la soirée avec des inconnus n'était pas non plus un cauchemar, mais Lysia connaissait ses limites, elle pourrait s'y sentir vite mal à l'aise.
- Donc tu m'invites juste parce que je suis... « importante » ici ? comprit Lysia.
- C'est pas ce que j'ai dit. Et puis, je te force à rien... répondit Medy.
Le projet d'Alan de bâtir une communauté sur la colline de Labulat avait littéralement changé sa vie. En effet, la lancière avait acquis une certaine notoriété depuis la création de son village. De ce fait, qu'elle le veuille ou non, la blonde possédait une réputation qui, pour l'instant, était plutôt bonne. Lysia se plaisait bien à vivre autrefois dans l'ombre de son oncle, personne ne la connaissait vraiment, personne ne jugeait ses actes, ses choix... Mais à présent, après les années, tout était différent.
- Tu sais, je vis peut-être chez le chef, j'ai peut-être une échoppe personnelle au marché, ça ne fait pas de moi quelqu'un de plus important qu'un autre, fit remarquer l'Hylienne.
- Mais tout le monde te connaît ici, ma belle. Ce serait dommage que la fille du chef ne vienne pas accueillir les nouveaux.
Cette appellation lui déplut de manière conséquente, qui était-elle pour l'appeler « ma belle » ? Si tout cela ne tenait qu'à elle, la blonde se serait fait un plaisir de lui claquer la porte au nez... Toutefois, Lysia garda son sang-froid, pour ne pas paraître aigrise et solitaire dès son premier échange avec cette jeune femme plutôt sûre d'elle. De plus, Medy n'avait pas l'air d'avoir porté une quelconque attention sur ses paroles, ce comportement s'avérait assez déroutant du point de vue de la nièce, il fallait se l'avouer.
- Je suis toujours pas sa fille, Medy... répéta Lysia, peu à l'aise.
- Bon, alors ?
En attente d'une réponse claire et précise, Medy se balança de gauche à droite pour témoigner de son impatience. La blonde installa un silence, le temps pour elle de réfléchir. C'était peut-être facile pour certains d'accepter de rejoindre une fête et s'intégrer à un nouveau groupe qu'importe sa taille, mais pour elle, ça ne l'était pas du tout. L'Hylienne commençait déjà à s'imaginer d'innombrables scénarios de cet anniversaire en haut de la colline, et cela ne faisait qu'augmenter son angoisse. Au bout du compte, Lysia fit la part des choses ; pour qu'elle accepte cette proposition, il fallait qu'elle trouve un point d'appui sur lequel elle pourrait se reposer durant la soirée, si jamais les choses venaient à mal se passer.
- Est-ce qu'Arthur y sera ? finit-elle par demander en relevant les yeux vers ceux de Medy.
Cette dernière haussa un sourcil, ce nom lui disait quelque chose et elle ne mit que très peu de temps à comprendre de qui il s'agissait.
- Arthur ? Celui avec qui tu traînes tout le temps ? Je ne lui ai pas demandé... Mais après tout, j'imagine que les petits copains et petites copines sont acceptées alors...
- Oh, c'est un malentendu, je crois. C'est mon meilleur ami, en fait, la corrigea Lysia.
Tout à coup, Medy éclata de rire si brutalement que son interlocutrice l'aurait cru atteinte de démence. Elle se demanda ce qu'elle avait pu bien dire de si amusant mais n'eut aucun résultat concluant. À vrai dire, cette conversation commençait sérieusement à l'agacer tant elle se sentait différente de la personnalité de cette Hylienne au sourire narquois. La nièce soupira en toute discrétion afin de rester neutre face à elle, sans émotions, en attendant de comprendre.
- Ce beau gosse est juste ton ami ? s'étonna la rousse. Merci pour l'info.
- Euh... Je ne crois pas qu'il...
- Dans tous les cas, Lucas vous accueillera tous les deux avec joie, je suppose.
Ce n'était pas pour la rassurer, mais soit. Lysia sentait qu'elle commettrait une erreur en acceptant l'invitation, car si tous les autres invités ressemblaient à Medy, elle ne tiendrait pas une seule seconde en leur compagnie ! Cependant son esprit était divisé, car si, au contraire, elle refusait, cela ferait ressortir une image d'elle qui n'était pas fidèle à son véritable caractère. Lysia n'était pas fermée, mais juste prudente, elle avait besoin d'être en confiance avec les gens qu'elle côtoyait avant de se plonger dans ce genre d'événements, cela était bien plus important que ce que l'on pouvait croire.
- Tu invites des gens à sa place ? la questionna la blonde en parlant de ce Lucas.
- Il est timide, c'est pour ça. Encore plus quand c'est pour une fille... expliqua Medy.
La blonde détourna le regard pour le plonger vers la porte derrière laquelle elle se cachait à moitié. Il était temps de donner une réponse à l'Hylienne qui commençait à regarder ailleurs, comme si son temps était compté et qu'elle avait d'autres choses à faire que de lui parler. C'était l'impression qu'elle donnait. Décidément, ce matin-là, tout le monde l'exaspérait, ou alors elle était de mauvaise humeur, mais cela ne changeait pas le fait que Lysia se trouvait irritée de par les personnes qui lui parlaient. Tout d'abord, son oncle ne semblait toujours pas ouvert à la discussion, ce qui n'améliorait pas leur communication que l'amie d'Arthur souhaitait voir grandir sur différents sujets importants pour elle, et ensuite, voilà que cette Medy débarquait avec des manies que la blonde n'arriverait guère à supporter très longtemps. Elle décida de pousser la discussion à se terminer le plus vite possible pour ne pas se faire avoir par son impulsivité.
- Je vais en parler à Arthur, déclara-t-elle, je préfère ne pas le laisser seul pour la soirée.
- Parfait, je vais rajouter les inséparables à la liste alors. C'est rendez-vous vingt heures au sommet, et t'en fais pas pour la boisson, on a ce qu'il faut pour passer une bonne soirée.
Lysia lui rappela de ne pas s'assurer totalement de leur présence ce soir-là, car elle n'était encore sûre de rien, tout dépendait de l'avis d'Arthur dorénavant.
- Je... sais pas encore si on vient...
- Je t'en prie, faîtes pas vos associables. On va s'éclater, je t'assure.
Ce fut dans le silence qu'elle soupira en s'abstenant de toute réponse qui n'irait point dans le sens de la rousse. De toute manière, elle n'aurait aucune répartie et trouvait que se battre contre une personnalité qui lui semblait si hautaine était un combat vain, tout comme l'était celui de tenter de discuter de ses parents et des mystères qui tournaient autour d'eux avec Alan. Après s'être mordue la lèvre inférieure afin de se canaliser, elle laissa couler, c'était la meilleure des solutions.
- Je préfère ça, ajouta la jeune femme. Allez, à ce soir, ma belle.
Medy la salua rapidement et s'en alla aussitôt. Désormais tranquille pour un moment, si personne ne décidait d'encore lui couper l'herbe sous le pied, Lysia referma la porte avec énervement, ce qui créa un bruit plus conséquent dans la pièce. Puis, elle s'adossa contre celle-ci avant de se masser les tempes avec délicatesse. Bon sang, mais pourquoi avait-elle ouvert à une fille pareille ? Elle ne la connaissait même pas et avait déjà pu ressentir des choses en lui parlant, comme des valeurs qu'elle ne défendait absolument pas, ou des manières d'être qu'elle trouvait abjectes. Et pourtant, elle se demandait encore si elle allait accepter sa proposition. Son instinct lui disait pourtant de ne pas sympathiser avec cette Hylienne !
- Fais chier... jura Lysia en frappant du poing sur la porte.
Voilà que sa journée serait gâchée par cette simple invitation. La lancière savait d'avance qu'elle se prendrait la tête à peser le pour et le contre, à se créer des montagnes de problèmes inutiles, ainsi que des idées totalement loufoques qui ne risqueraient pas de se produire. Que risquait-elle vraiment à rejoindre ces personnes en haut de la colline de Labulat ? Et Arthur dans tout ça, qu'en penserait-il ?
Lysia s'énerva contre elle-même, car c'était à ce moment précis qu'elle sut que quoi qu'il arriverait, elle irait à cette soirée d'anniversaire.
OoO ~ I ~ OoO
Le soir venu, le deux Hyliens récemment invités marchaient côte à côte en direction du sommet de la colline, sans grande hâte manifeste. Le ciel avait pris une couleur plus sombre, un bleu safre, sans qu'aucun nuage ne fasse obstacle avec lui et la terre. Il faisait encore assez clair pour voir où l'on marchait, et le chemin qui les séparait de leur feu de camp n'était plus bien long, plus qu'une centaine de mètres. Arthur fixait la fumée qui s'échappait du haut du mont sur lequel ils se situaient. Elle n'était pas bien épaisse mais stipulait qu'ils avaient dû commencer la « fête » sans eux. Et en effet, quelques secondes après ce constat, le brun entendit des rires provenir de leur lieu de destination. Des gloussements et exclamations qui ne faisaient que confirmer l'amusement dont Lucas et ses autres invités faisaient déjà preuve. Il y avait l'air d'avoir une ambiance plutôt bonne, que pourrait-il se passer de mal, après tout ?
Lysia, qui marchait à la même allure que son ami, gardait le visage fermé. Elle n'avait arrêté de penser à cette soirée durant toute son après-midi. Ce qu'elle redoutait surtout était les moments d'embarras et de décalage avec le reste du groupe. En toute honnêteté, elle comptait beaucoup sur Arthur si les choses venaient à devenir pesantes pour elle. C'était plutôt rassurant de savoir que l'on avait la possibilité de se reposer sur quelqu'un au cas où, et endurer ce rôle pour elle ne dérangeait pas le moins du monde son aîné, de toute manière. La jeune femme serrait les poings, elle gardait toujours une appréhension pour les événements à venir mais était déjà soulagée de la présence de l'Hylien.
- Désolée de t'avoir embarqué là-dedans, dit-elle.
Son ami ne comprit pas ses excuses, la voyant rongée par les questionnements en tout genre, il passa un bras amical sur ses épaules et par-dessus sa nuque pour la rapprocher de lui, et lui assurer que ce n'était qu'un anniversaire, rien de plus joyeux et banal. La blonde soupçonnait que son ressenti avec Medy quelques heures en arrière n'était qu'un avant-goût de tout le reste.
- Hé, qui te dis que ça va mal se passer ? la questionna Arthur. Ces gens sont peut-être très gentils, tu n'as parlé qu'à une seule d'entre eux.
- Je le sens mal, c'est tout, répliqua Lysia avec clarté.
D'habitude lorsque le brun plaçait son bras sur ses épaules de cette façon, elle faisait de même sur lui ; mais cette fois-ci, elle ne lui rendit pas la pareille, trop occupée à se mordiller les ongles. Le binôme continua d'avancer ainsi sur quelques mètres, pendant qu'Arthur réfléchissait à comment apaiser l'esprit de son amie avant de rejoindre les autres invités. Le neveu d'Adrien et Suzanne avait, dès les premiers instants, senti que Lysia ne s'était pas levée du bon pied ce jour-là. Quelque chose la tourmentait et il fallait être privé de la vue pour ne pas le remarquer.
- Tu n'auras qu'à juste me regarder avec insistance pour que je prenne les devants si jamais, ça te va ? proposa l'Hylien.
Elle acquiesça d'un hochement de la tête en gardant le regard vide. Instinctivement, ils ralentirent la cadence de leurs pas en même temps plus ils s'approchaient du sommet. Tous deux savaient que la dernière soirée de ce genre à laquelle ils avaient assisté avait tourné à la catastrophe et que cela n'aidait pas à sentir davantage à l'aise, mais ce n'était pas comparable. Un silence naquit ; puis, Lysia se tourna vers Arthur, sa gentillesse lui remontait déjà le moral qui était tombé à plat depuis sa conversation avec Alan ce matin-là. Elle finit par placer à son tour son bras droit dans son dos, et lui adressa un discret sourire avant de lui exprimer sa reconnaissance à mi-voix.
- Merci.
Arthur sourit à son tour et lui répondit sur le ton de l'humour.
- De t'avoir accompagnée ? Je ne pouvais pas te laisser y aller seule, je comprends ton inquiétude face à ce genre de choses. Bon, j'avoue que j'aurais préféré jouer aux Marcheurs de l'Hiver, mais bon...
- Idiot ! souffla-t-elle en camouflant un hoquet de rire et en repoussant son ami sur le côté de ses deux mains.
Suite à cinq longues minutes de marche, ils finirent par arriver timidement près du feu de camp où Medy, Lucas, et son frère les aperçurent. Les quelques rochers qui entouraient le bois qui brûlait étaient éclairés par la lumière des flammes produites, ce qui donnait une petite ambiance plutôt chaleureuse non désagréable. C'était même assez plaisant de retrouver cette atmosphère calme et posée, dehors dans une obscurité presque complète, un soir d'été. Le duo qui venait d'arriver fut étonné du petit nombre de personnes. Mais en y réfléchissant bien, ils n'étaient que cinq jeunes Hyliens de presque le même âge à Labulat, les autres avaient soit plus de trente ans, soit moins de onze... Lysia fut la première à croiser le regard de Medy, assise en tailleur dans l'herbe, un gobelet en bois à la main. Celle-ci surjoua sa joie de les voir se joindre à elle et les deux frères.
- Hé ! s'exclama-t-elle. Vous voilà ! Regardez les gars, voilà les inséparables !
Le plus jeune des deux Hyliens se leva et accueillit le duo. Malgré le fait qu'il était le moins âgé du groupe, il parvenait à presque rattraper en taille Lysia ainsi que Medy. Ses yeux bleu-gris ne restaient jamais fixes et semblaient chercher où se poser. Il possédait aussi une mâchoire plutôt bien dessinée et ses cheveux étaient d'un blond vénitien. Heureux de voir d'autres personnes venir fêter son anniversaire, il les salua avec le sourire. Par ailleurs, cette fête était plutôt spéciale étant donné que dix-sept ans correspondaient à l'âge de la maturité d'esprit et de la sagesse. Il marquait, d'une certaine manière, un passage à l'âge adulte, c'était un moment important dans une vie.
- Salut, je suis Lucas, se présenta-t-il. Vous êtes Arthur et Lysia ?
- Enchantés, répondit Arthur.
Lucas avait l'air d'un garçon plutôt timide et introverti, il donnait l'impression que ses deux nouveaux invités l'intimidaient beaucoup, ce qui dans un sens était le cas. Sa voix se voyait calme, son ton faible bien que parfaitement audible, et ses mains jointes autour du verre qu'il tenait fermement, comme s'il avait peur que celui-ci ne lui échappe malencontreusement.
- C'est sympa d'être venu, continua le blond, venez vous asseoir, ne restez pas debout.
Arthur avança et incita Lysia à faire de même, Lucas avait rejoint son siège tandis que les deux invités eurent comme unique choix un vieux tronc d'arbre qui faisait office de banc, ils prirent donc place autour du feu en s'asseyant en même temps sur ce dernier.
- Je vous présente mon grand-frère, Leo.
Le concerné ne prit même pas la peine de regarder dans les yeux les deux invités et n'effectua qu'un simple geste peu vif de la main pour se présenter. Trop occupé à finir le fond de son gobelet, il discutait avec Medy et plaisantait sans prêter d'attention au reste. Leo avait un visage fort ressemblant à celui de son petit-frère, ses cheveux étaient, par exemple, de la même couleur que Lucas, tout comme ses yeux. Ce qui les différenciaient beaucoup était leur regard, Leo en avait un bien plus perçant que celui de son frère, ce qui faisait ressortir sa confiance en lui, son caractère sûr de lui. Il manifestait également une certaine aisance sociale, une facilité ainsi qu'un charisme relatif à ses vingt-et-un ans.
Dans le bruit ambiant des bavardages de Leo et Medy qui ne cessaient de rire haut et fort, le binôme restait là, assis, à observer et écouter leur discussion sans oser y intervenir. Par moments, ils se jetaient quelques regards furtifs suite aux dires des deux Hyliens en face d'eux plutôt sans gêne, il fallait se l'avouer. Et sans plus tarder, dans l'espoir de les mettre un maximum à l'aise, Lucas présenta à Lysia et son ami deux verres remplis d'une boisson que les habitants de la région ne connaissaient que trop bien afin qu'ils puissent se servir et boire avec eux.
- Tenez, dit-il, c'est du Tabantaïs, le truc que tout le monde boit par ici.
- Très peu pour moi l'alcool, désolé, s'excusa Arthur qui refusa le verre.
La blonde à ses côtés, contrairement à lui, s'empara d'un des deux verres que tenait Lucas et l'en remercia. Quand tout le monde fut servi, ils levèrent leur verre, excepté Arthur qui n'en possédait pas et qui gardait les mains posées sur ses genoux, sans savoir quoi en faire. Alors, très vite, Lysia lui imposa de prendre son Tabantaïs en lui plaquant avec insistance contre la poitrine. Son ami dut réceptionner le gobelet puis elle récupéra celui au préalable destiné au brun qui avait été posé sur le côté en raison de son refus de boire. Comme ça, même si Arthur ne buvait pas, il pourrait au moins participer. Lysia le regarda en lui faisant remarquer qu'il aurait dû accepter le verre que Lucas lui avait proposé pour ne serait-ce faire en sorte que personne ne soit exclu.
Quelques minutes plutôt conviviales passèrent, tous avaient le sourire aux lèvres malgré les appréhensions de l'Hylienne. La soirée débutait bien, les invités purent découvrir la petite rivalité fraternelle qui existait entre Leo et Lucas ainsi que la phobie ultime de Medy lorsqu'un insecte lui avait grimpé sur la cheville. Les rires se transmettaient facilement, l'ambiance s'allégeait pour Lysia qui prenait un peu plus son aise au fur et à mesure, le moment parfait pour en apprendre plus sur les uns et les autres. Après tout, tous seraient voisins et vivraient au même endroit dorénavant. Medy termina sa gorgée de Tabantaïs avant d'interpeller la lancière qui, à son goût, n'avait pas encore dit grand-chose depuis son arrivée, préférant répondre de par des expressions du visage, des sourires, des hochements de tête...
- Dis-nous Lysia, on se posait la question tout à l'heure... On t'a souvent vu cette semaine en train de faire des trucs avec des outils bizarres sur le marché.
Cette description de son activité préférée n'était pas très glorifiante mais avait tout de même rapporté l'attention de tout le monde sur le sujet. Ne sachant pas vraiment si ses activités au marché hebdomadaire intéressaient réellement Medy, Lysia expliqua en quoi consistait ce qu'elle faisait sur un ton plutôt neutre en se tournant vers les deux frères.
- Je sculpte le bois, dit-elle. J'en fais des petites figurines, des statuettes. J'essaie de les vendre.
Medy comprenait bien que la blonde essayait de la fuir en s'adressant à d'autres personnes, Lysia était-elle en train de la mépriser ? Pour le savoir, la rousse la força à converser davantage, et elle répondit avant tous les autres pour réengager la discussion :
- Sympa, et ça marche bien ?
- Pas vraiment, non.
La nièce se nicha derrière son verre qu'elle porta à ses lèvres. Cette question, Medy n'était pas la première à lui poser. La blonde avait l'impression que pour qu'une chose soit intéressante aux yeux des gens, il fallait qu'elle rapporte toujours plus d'argent, auquel cas celle-ci semble inutile, sans valeur. Alan était le premier à lui parler de rubis, et toujours de rubis. Lui qui était plongé dans l'économie de son village, il se voyait dans l'obligation de porter une grande attention à la notion d'argent, mais lorsque cela se reportait dans ses propos au sujet de la passion de Lysia, elle se devait de lui rappeler que sa vision était différente pour ses œuvres de bois.
- C'est pas l'argent qui compte pour ce genre de choses, expliqua Arthur, c'est sa passion, donc que ça marche ou pas, on s'en fiche un peu.
- Tant que je prends du plaisir à les confectionner, je ne m'arrêterai pas, ajouta Lysia.
Elle eut une certaine fierté à prononcer ces paroles. Et sur l'instant, personne n'osa la contredire. Lucas comprenait son point de vue et regretta de ne pas encore avoir pu la voir en action, derrière son établi et ses outils, et ce à cause de ses occupations quotidiennes qui, jusque-là, l'avait empêché de se rendre au marché de la place. Le travail qu'il avait décroché à la taverne du village lui prenait tout son temps tant cet établissement était fréquenté durant presque toutes les heures de la journée.
- On a pas eu l'occasion de venir voir ce que tu faisais, avoua-t-il, mais je suis sûr que ça pourrait être intéressant de passer regarder comment tu travailles.
- Tu es le bienvenu, si ça t'intéresse, répondit Lysia avec un sincère plaisir.
Leo fixa son frère à sa gauche avant de glisser le long du rocher sur lequel il était assis et se retrouver adossé contre celui-ci, le coccyx au sol. Il but quelques gorgées de son verre avant d'esquisser un léger sourire moqueur dans le coin des lèvres, Medy le suivit en faisant de même.
- Tu rougis, Lucas, remarqua le blond.
Cette constatation fit se river tous les yeux sur les pommettes du cadet qui effectivement était d'un rose plus prononcé, à cause de l'inconfort dans lequel l'avais mis son aîné. Cette taquinerie ne le fit pas rire sur le moment. Il avait tenté de surpasser sa timidité pour une fois dans sa vie et voilà qu'on le stoppait dans son élan. Lysia de son côté sentit l'important embarras du garçon, ce qui la mit elle aussi mal à l'aise.
- Ferme-la, abruti, grogna Lucas entre ses dents.
Pour éviter le plus vite possible un silence pesant, Arthur intervint spontanément en écartant le sujet précédent qui était devenu certes amusant pour deux d'entre eux, mais surtout lourd pour Lucas comme pour Lysia qui tous deux avaient le regard ailleurs, cherchant à fuir cette situation. Le brun se racla la gorge avec discrétion et sans plus tarder demanda :
- Sinon, vous venez d'où, vous ?
Medy fut de toute évidence la première à répondre, elle avait besoin de se faire remarquer par les autres à cause d'un orgueil qu'elle ne contrôlait pas soigneusement. De plus, son histoire n'étant que très peu réjouissante et que tout le monde allait devoir parler de la sienne, autant passer première, au moins les choses allaient être dites. C'était l'occasion de se livrer un peu à son nouvel entourage. Assise en tailleur sur le sol, elle se redressa de manière soudaine avant de s'exprimer.
- Moi, je suis du côté de Tabanta, juste à côté. Je travaillais au relais, mais après m'être aperçue au bout de trois ans de boulot que mon patron n'était qu'une enflure, ma mère et moi, on a dû partir, et puis de toute manière, ça valait mieux pour nous. Alors, on a décidé de venir habiter ici, pour commencer une nouvelle vie moins agitée, et plus sereine. Le village était récent, et selon ma mère il est prometteur. Et j'avoue qu'il est pas mal, les gens ici ont l'air... sympathiques.
- Ton patron t'a virée ? la questionna Leo.
Elle hocha la tête de façon négative. Se souvenir de cet homme qui avait fait tant de mal à elle et sa mère était assez douloureux, rien que le mot « patron » la mettait dans un état profondément désagréable car ce terme était lié dans sa mémoire à des éléments néfastes de sa vie qu'elle n'aurait jamais voulu vivre, des années de jeunesse gâchées par un seul et même individu. Medy savait cependant garder ses émotions pour elle et conserver une neutralité impressionnante face au groupe ; alors, bien qu'elle sentît une douleur se réveiller en elle, la rousse n'en fit aucunement part à ses interlocuteurs qui l'écoutaient attentivement depuis le début de son intervention.
- C'est moi qui suis partie, expliqua-t-elle, une histoire de harcèlement et d'autres trucs. Bref, quelque chose de pas joyeux que je ne préfère pas raconter.
Cela ne posa aucun problème aux autres invités qui furent compréhensifs. Medy termina ensuite son Tabantaïs cul-sec, sans broncher. Elle affichait un sourire étonnant que tous savaient forcé et sans une once de naturel, mais personne ne fit la remarque. La jeune femme gardait un masque que personne autour de ce feu aux flammes crépitantes ne serait en mesure de retirer. Elle se resservit en boisson puis courba de nouveau son dos avant de fixer le sol sans un mot.
- Et vous ? prononça finalement l'Hylienne pour passer le flambeau à Lucas et Leo.
Le grand frère, en même temps d'avoir écouté l'histoire de Medy, jouait avec une brindille en s'amusant à la faire traverser les flammes devant lui, dans le silence. Lorsque ce fut son tour à lui et Lucas, il fit semblant d'être étonné et répondit de façon ironique. La raison de leur arrivée au village de Labulat n'était pas plus joyeuse que celle de l'Hylienne, et comme elle, ils préféraient garder le plus gros du sujet pour eux et rester plus ou moins flou, en espérant que la curiosité des uns et des autres ne soit pas trop grande.
- Nous ? On vient de partout.
Lucas soupira et reprit une explication plus claire.
- Ce qu'il veut dire, c'est qu'on a vécu à beaucoup d'endroits différents. À la base, on vient du village d'Elimith, mais mon père est marin, et il a voulu se rapprocher le plus possible de la mer, alors on est parti vivre à Écaraille, et là...
- Et là les choses ont fait que nous et nos parents ont dû une nouvelle fois changer de région, et nous voilà ici avec eux, le coupa Leo en se rendant compte qu'il allait en dire déjà trop.
L'aîné lui jeta un regard noir tandis qu'il baissa les yeux sur ses genoux. Lysia fut surprise d'entendre le nom « Écaraille » dans la conversation car ce petit village de pêcheur éloigné du reste du monde était celui mentionné dans cette fameuse lettre de sa mère qu'elle avait retrouvé dans les affaires de son feu père. Lucas et Leo avaient donc vécu là-bas... une supposition plus que logique lui vint ainsi à l'esprit. Les deux frères avaient-ils connu sa mère ? La blonde n'osa cependant pas leur demander si c'était le cas, ne souhaitant pas parler de ce sujet avec d'autres personnes qu'elle ne connaissait pas encore bien.
- Et vous les inséparables, vous êtes les premiers à avoir atterri ici, vous êtes d'où à l'origine ? finit par demander Leo.
- On vient tous les deux du village de Cocorico, se lança Arthur, c'est là-bas qu'on s'est réfugié après le réveil du Fléau. N'ayant plus de parents à l'époque, c'est un piaf bienveillant qui m'a amené à Necluda, mon oncle et ma tante nous ont rejoint peu après, l'oncle de Lysia a sympathisé avec eux, et on a donc grandi ensemble, depuis dix ans. Il a ensuite eu cette idée de bâtir une communauté ici et on l'a rejoint dans son projet.
Ils furent tous subjugués de voir qu'ils possédaient tous de tristes passés qui n'étaient pas forcément lié à la résurrection du Fléau Ganon. Les membres du groupe venaient tous d'endroits différents avec des poids sur les épaules, de dures expériences, et des choix de vie compliqués. Lucas laissa son attention fixée sur la région de Necluda.
- Cocorico ? C'est chez les Sheikahs ça, dit-il.
- Les fous de la technologie, ouais je crois, ajouta Leo.
- Je ne suis jamais allée, intervint Medy.
Lysia tiqua sur la remarque de l'aîné. Ayant vécu une décennie parmi ce peuple, elle avait appris beaucoup de choses sur leur histoire, leurs origines et les coutumes des Sheikahs autrefois au service de la famille royale d'Hyrule. De ce fait, elle connaissait quelques bases de leur technologie révolutionnaire. Sans aucune méchanceté ni dénigrement, elle rectifia donc le blond.
- Ce sont leurs ancêtres qui ont surtout fait de gros progrès technologiques, aujourd'hui, disons que le peuple tente plutôt de percer leurs secrets du mieux possible.
Par chance, il ne se sentit point agressé par sa correction. Après tout, ce n'était pas la technologie qui intéressait véritablement l'Hylien au sujet des Sheikahs.
- Mouais, si tu le dis, concéda Leo. N'empêche que c'est pas trop mon truc les Sheikahs. Quand tu sais qu'il y en a qui se sont reconvertis pour devenir des traîtres et tourner le dos à la famille royale...
À cet instant précis, Arthur prit une posture robotiquement droite et trempa ses lèvres dans le liquide que contenait son verre, sans réfléchir. Près de lui, le visage de Lysia se décomposait et il n'en fut pas surpris. Il était malheureusement dans l'incapacité d'agir pour le moment et tous deux se turent, ils savaient sans même se consulter qu'un problème allait se poser si la conversation continuait dans ce sens. La blonde eut envie de se recroqueviller sur elle-même. Elle se tint les bras et colla fermement ses genoux, elle s'était fermée subitement à la discussion dès lors qu'elle entendit parler Leo qui s'était arrêté au milieu de sa phrase pour boire. Après avoir dégluti, il reprit :
- C'est quoi leur nom déjà ?
- Le gang des Yigas, lui fit se remémorer Medy.
Lysia fut envahie par des frissons d'effroi. Son cœur battait de plus en plus vite, ce qui la força à respirer à une fréquence plus élevée. C'était comme si son corps se mettait en alerte et se préparait à faire face à un danger. De sa main droite, elle agrippa son vêtement qu'elle froissa au niveau de son abdomen. La conversation devenait intensément plus lourde et tendue pour la lancière. Les poings serrés, elle faisait en sorte de n'alarmer personne sur son état, que personne ne la remarque, ce qu'elle réussit à faire.
- Ah oui, voilà. Les Yigas.
- Quel nom de merde quand on y pense, déclara la rousse dans la foulée.
Soudain, la blonde sentit une forte chaleur au niveau de son épaule droite, une chaleur brûlante qui lui donnait l'impression d'avoir une torche lui carbonisant la peau. Ce n'était en réalité rien d'autre que la main moite d'Arthur qui tentait de la calmer. Lysia sursauta en ressentant cette subite température, puis elle releva la tête et ancra son regard dans celui d'Arthur dans lequel elle voyait qu'il lui disait de reprendre une grande inspiration et de se détendre le plus possible. Ces moments de brusque panique, elle les connaissait bien et avait appris à les contrôler avec le temps, l'Hylienne pourrait s'en sortir en toute discrétion.
En soufflant avec lenteur, l'angoisse s'en allait progressivement. La tension redescendait d'un cran, le coup de panique disparut, mais la discussion de Leo et de Medy était loin d'être terminée. Arthur n'aurait pas eu de problème à leur demander de s'arrêter là concernant le gang des Yigas, mais Lysia souhaitait garder le tout secret et leur imposer de parler d'autre chose aurait été trop suspect.
- Lucas et moi, on en a déjà croisé un, affirma Leo en parlant d'un sous-fifre yiga. Tu aurais vu l'allure qu'ils ont. On dirait des bouffons dans leur costume rouge !
L'intonation qu'il utilisa fit rire Medy et Lucas qui esquissa un sourire.
- Tu t'es déjà battu contre l'un d'eux ? demanda la jeune femme.
- Non, répondit Leo, mais franchement, quand tu vois leur allure et leur démarche, tu te dis qu'un renard est plus dangereux que ces gars-là.
- Les Yigas sont loin d'être des bouffons, lâcha Lysia avec fermeté.
Ils auraient presque pu entendre le vol des quelques moustiques qui se trouvaient autour du feu de camp tant le silence mortel installé était flagrant. En l'espace de quelques secondes, les esclaffements des invités avaient disparu, Lysia venait de pulvériser l'ambiance avec sa simple et claire intervention. Arthur, de son côté, baissa les yeux sans oser dire le moindre mot. Dans d'autres circonstances, il se serait potentiellement manifesté pour tenter d'arranger les choses, mais dans ce cas-là, il fut immobilisé par le changement si brutal d'atmosphère.
- Ce sont des assassins sans pitié qui prennent plaisir à faire gicler votre sang sur les murs, en vous tranchant soigneusement la gorge avec leur serpe, continua Lysia avec un ton qui cherchait à les effrayer.
Suite à ce moment plus que perturbant pour les nouveaux arrivants à Labulat, Leo crut qu'elle plaisantait et voulait leur raconter une histoire à glacer le sang. Pour Medy, elle eut définitivement terminé son jugement sur l'Hylienne : elle était incroyable coincée et antisociable, elle se demandait ce qu'Arthur lui trouvait pour pouvoir passer tout son temps à ses côtés... Tandis que pour Lucas, c'était de l'incompréhension pure qui trottait dans son esprit. Ce fut le premier à faire preuve de vigilance, une réaction aussi rude et soudaine ne pouvait être anodine, pour lui, il valait mieux ne plus parler du gang des Yigas. Cette réflexion, son grand frère ne la fit pas une seule seconde et prolongea les ennuis.
- Pardon, mais pour moi, ça restera des bouffons. S'ils sont vraiment comme tu les décris, va falloir qu'ils changent de tenue !
- Et c'est pas avec leur stupide masque qu'ils vont réussir à nous faire peur, déclara Medy.
- Non franchement, tu es sûre qu'on parle des mêmes personnes ? demanda Leo à Lysia.
Prise par impulsivité, elle posa son verre dans l'herbe et se leva d'un coup du tronc d'arbre sur lequel elle était assise en plaquant les bras le long de son corps. Ses émotions avaient finalement eu raison d'elle et sa colère dépassa son sang-froid. Aussi vite qu'elle ne s'était levée, la jeune femme ne contrôla plus ses mots et les cracha sans retenue au groupe pris au dépourvu qui la regardait avec de grands yeux ronds. Cette conversation avait été de trop, et elle ne pouvait plus le cacher.
- Fermez tous vos gueules et gardez bien en tête que si vous les traitez encore une fois de bouffons, je vous ferai bien comprendre à tous qu'ils sont les derniers êtres dont vous aimeriez vous moquer !
Les larmes aux yeux, elle se sauva l'instant suivant en descendant peu à peu la colline. Son seul objectif était de rentrer chez elle, fuir cette soirée qui pourtant avait pourtant bien commencé, et évacuer sa colère d'une quelconque manière. Qui étaient ces gens pour oser parler ainsi ? Qui étaient-ils pour se moquer ouvertement d'un clan redoutable qui avait fait du mal à de nombreux Hyliens ? C'était de l'irrespect pour ceux qui avaient croisé le chemin des Yigas, de l'irrespect pour ceux qui avaient péri de leur serpe. Une chose que Lysia ne pouvait pas tolérer plus longtemps. Une solitude grandissante s'empara d'elle, la blonde ne pourrait être comprise par personne concernant sa réaction, hormis peut-être son ami, qui faisait tout pour rester bienveillant avec elle, bien que parfois, il fallait le dire, il lui manquait des éléments sur la vie de l'Hylienne et cela ne lui permettait pas de cerner pleinement ses ressentis. Ce n'était point sa faute.
- Qu'est-ce qu'elle a ? s'interrogea Leo en la voyant s'enfuir à pas précipités.
Arthur soupira, désespéré de se rendre compte que cet anniversaire avait mal tourné pour son amie. Il se sentit coupable de ne pas avoir pu davantage lui venir en aide. Il le savait et pourtant n'avait rien fait, pétrifié par l'embarras et la peur d'un conflit comme celui-ci. Dès l'instant où les Yigas avaient été mentionnés, il aurait dû agir, Lysia l'avait même regardé comme il lui avait proposé de faire pour qu'il prenne les choses en main... Aussitôt, il voulut la rattraper pour s'excuser et essayer de la faire se sentir mieux malgré la fatigue de ce jour chargé en petites tensions sociales.
- On va vous laisser, dit-il. Passez une bonne soirée.
À son tour, il se leva et quitta le reste du groupe silencieux. Lorsqu'il dévala la pente abrupte qui menait au sommet, il aperçut de suite la nièce en contrebas. L'air attristé, il cria son nom afin qu'elle s'arrête et l'attende pour qu'ils puissent parler de ce qu'il venait de se produire.
- Lysia ! s'exclama-t-il.
La jeune femme ne se stoppa guère, la voix de son ami n'avait fait que la ralentir dans sa marche rapide. Elle aurait voulu se retourner mais sa frustration était plus forte, sa volonté était de s'isoler le plus vite possible. Cependant, Arthur allait à une allure plus rapide qu'elle et la rattrapait de plus en plus. Une fois plus près de quelques mètres, ses appels furent plus clairs et audibles pour elle.
- Lysia ! Arrête-toi, s'il te plaît ! insista le brun.
- Ne me dis pas que je n'ai pas eu raison de m'énerver, surtout ! rétorqua la blonde en se retournant d'un seul coup vers lui.
Le jeune homme dut s'arrêter net et se retrouva face à elle. Les yeux rouges et sa respiration abondante, il eut de la peine pour celle-ci. La luminosité avait beaucoup baissé depuis leur arrivée et s'étant éloignés du camp éclairé par le feu, il ne put guère clairement voir son visage mais il se doutait que les quelques larmes que Lysia n'avait pu empêcher de couler devaient certainement dévaler ses joues. La lancière plongea son regard vers le sol, là où elle ne croiserait pas celui du neveu de Suzanne et Adrien, elle n'entendait que ses soupirs témoignant de sa compassion envers elle.
- Ils ont été plus que maladroits sur ce coup-là, concéda-t-il plus calmement.
- Comment peuvent-ils dire une chose pareille ? Les Yigas ? Des bouffons ? Je vais leur faire rencontrer un de ces assassins et ils me diront après avoir eu la gorge tranchée s'ils sont des bouffons ! vociféra son amie prise par ses émotions.
- Lysia, par pitié calme-toi.
Ils se dévisagèrent quelques secondes et comprirent tous les deux qu'il était trop tard pour arranger les choses. Leo, Medy et Lucas auraient désormais une mauvaise image d'eux...
- J'ai mes raisons, affirma Lysia.
- Je sais.
- Je l'avais dit que je ne le sentais pas... s'en voulut la nièce.
Ses remords la rongeaient déjà, mais Arthur refusa de lui laisser se rejeter la faute entière, il savait qu'il avait aussi sa part de responsabilité. Le temps d'une soirée, il avait comme perdu leur complicité qui les avait sauvés de nombreuses situations, l'un n'avait pas su comprendre le comportement de l'autre, Lysia n'était cependant pas en colère contre son ami, mais contre le reste du groupe qui selon elle n'était pas du tout sur la même longueur d'onde qu'eux et leur avait fait perdre leurs moyens. Peut-être que seul Lucas, le petit frère un plus timide que Leo et Medy, avait fait preuve d'un peu plus de retenue lorsque le sujet des Yigas avait été abordé et que la blonde avait réagi d'une manière plutôt froide.
- Excuse-moi, j'aurais dû réagir, prononça Arthur. Tu ne m'as jamais parlé de ton expérience avec ce gang, mais...
- Et j'en serai incapable, Arthur, l'interrompit Lysia, désolée.
Il hocha la tête en signe de compréhension. De nouveaux échos de rires se firent entendre depuis leur position, comme si les jeunes Hyliens se moquaient de ce qu'il venait de se produire. Quelle idée de venir à cet anniversaire... Lysia avait l'habitude de suivre son instinct, mais cette fois-ci, elle ne l'avait pas fait, et voilà le résultat qu'elle avait obtenu. L'Hylienne avait désiré se joindre à eux pour donner une image d'elle sociable et éviter de paraître solitaire, mais y être allée n'avait rien changé. Dans les deux cas, elle n'avait pas montré sa véritable personnalité, c'était une erreur de sa part.
- Je... C'est... balbutia son amie qui tentait de délivrer quelques explications à Arthur au sujet de son vécu avec les Yigas.
- Ne m'en parle pas si ça te coûte tant, la rassura-t-il.
Il avait raison, en parler ne ferait que lui peser davantage, surtout après une journée aussi « merdique » comme elle l'avait tant répété toute l'après-midi. Sa seule victoire du jour avait été de vaincre son oncle au combat à la lance, le reste n'avait été qu'énièmes échecs et tensions palpables. De toute évidence, il était temps de mettre fin à cette journée éprouvante émotionnellement.
- Je vais rentrer, annonça Lysia qui sentait sa colère redescendre petit à petit. Je crois que j'ai besoin de dormir.
Arthur comprit et la suivit jusqu'à la porte de sa demeure où Alan se trouvait déjà sûrement en train de se prendre la tête avec la réunion au sujet de la situation du village qui avait lieu le lendemain. La lumière émanant de la fenêtre de la maison en était le témoin, Lysia ferait en sorte de ne pas l'irriter pour éviter un autre conflit dont elle se passerait. Étant tous deux voisins, le brun n'avait plus beaucoup de pas à faire pour rejoindre sa tante et son oncle, il put ainsi souhaiter une bonne nuit à la blonde qui fit de même pour lui. Ils se sourirent et se quittèrent en s'assurant qu'ils feraient beaucoup plus attention à ce style de soirée et ceux qui s'y présentaient la prochaine fois.
Car cette moquerie dont avait fait preuve Leo et Medy sur ces assassins vêtus de rouge avait fait ressortir un traumatisme que l'esprit de Lysia tout comme son corps ne pourrait jamais oublier.
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