Chapitre 12 : L'héroïne du relais

     La vie qui animait autrefois cette ville avait disparu, remplacée par un silence dans lequel les pleurs des âmes déchues pouvaient être entendus selon certains. Près de ces ruines, en arrière, s'élevaient d'immenses murailles de pierres solides et épaisses, de plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Autrefois, elles offraient aux passants une entrée somptueuse et imposante reliée directement à la ville en contrebas, mais un éboulement l'avait condamnée. Le plateau du Prélude que renfermaient ces hauts murs, n'était plus accessible par personne désormais. En faisant volte-face, la Plaine d'Hyrule dominait tout le paysage, et le château à l'horizon instaurait une atmosphère de terreur qui effrayait les passants, se sentant trop proches de la mort et de Gardiens, ces machines à tuer corrompues.

     Elle reconnaissait cette pierre, ces restes de bâtiments autour d'elle qui lui rappelaient tant de beaux souvenirs. L'incendie provoqué par les sbires de Ganon avait ravagé la ville ce soir-là, et cette dernière était drastiquement différente. Il n'y avait plus rien, que du désespoir et la mort. Lysia devait se frayer un chemin sur ces terres désolées sur lesquelles elle vivait jadis, et ce en esquivant certains corps brûlés dont il ne restait plus que les ossements jonchant le sol de l'ancienne rue principale de l'Étape d'Hyrule. La blonde sentait son estomac se soulever lorsqu'elle croisait des cadavres en putréfaction de voyageurs bien trop aventureux qui s'étaient fait tuer en amont ici-même. Elle savait que sa présence ici ne devait pas être trop longue, car il n'était pas rare de faire de mauvaises rencontres. Mais son chemin du retour passait par sa ville natale, elle ne pouvait point ne pas y faire une légère halte.

     Comment ne pas se sentir chanceuse d'avoir survécu à cette tragédie ? La voyageuse ne comptait plus le nombre de squelettes humains qu'elle trouvait, et qui devait appartenir à des personnes qu'elle avait dû côtoyer durant sa vie à l'Étape. Cette large rue aux pavés cassés par endroit proposait dans le passé un grand marché très connu dans le royaume, un lieu de vie dynamique et prospère qui avait accueilli des centaines de personnes. Les anciens habitants étaient des personnes souvent aisées, vivant dans des demeures imposantes voire secondaires pour certains riches Hyliens venant de l'entourage royal. Il n'était donc pas étonnant pour Lysia d'apercevoir des ruines de grandes maisons, parfois encore debout, ou même d'un manoir. Pourtant, à travers toutes ces résidences, elle n'en cherchait qu'une seule et unique, celle dans laquelle elle avait vécu. Celle de laquelle elle s'était enfuie avec son père avant qu'elle n'explose.

     Lysia descendit de son cheval pour poser pied à terre, et respirer cet air dans lequel des cendres voyageaient encore. Elle mit à l'abri l'animal pour le garder en sécurité et éviter qu'on ne l'attaque ou qu'on ne lui vole. En fermant les yeux, elle inspira et crut sentir de nouveau l'odeur alléchante du restaurant qui se tenait non loin de là. Se tenir vivante ici représentait beaucoup pour elle, mais un Bokoblin à la peau rouge perturba son moment de nostalgie, il se présenta tout à coup à quelques mètres devant elle, en arrivant en face en train de renifler le sol. La créature aperçut Lysia et la prit en chasse après avoir émis un cri déconcertant, dans ce paysage d'apocalypse plongé dans un calme total. Seul, il avait une batte en bois dans sa main droite et s'excita à l'idée d'attaquer sa proie humaine. Tandis qu'il courait dans sa direction, la blonde accéléra sa marche vers lui, optant pour une allure plus rapide qui définissait son absence de peur face à un monstre de si petite taille et perdu. Pendant qu'elle s'approchait, elle s'empara de sa lance accrochée dans son dos et visa le Bokoblin à distance. Sans plus attendre, la lancière fit fuser son arme tel un javelot dans l'air qui opta pour une trajectoire droite et proche de la terre, jusqu'à venir traverser le corps et se planter dans ses entrailles du monstre qui cessa de grogner.

     La distance à laquelle elle avait lancé son arme n'était pas très grande, elle put atteindre sa cible sans difficultés. Une fois le corps de la créature à ses pieds, elle récupéra sa pique en l'arrachant brutalement au Bokoblin, sa pointe dorénavant ensanglantée la fit grimacer, cela devrait être nettoyée avant son retour au village.

- Saleté... marmonna Lysia en raccrochant son arme derrière elle.

      Elle poussa le corps sans vie sur le côté avec son pied et continua son chemin, en prenant la direction des ruines de son ancienne demeure. Celle-ci ne devait plus être très loin ; ayant reconnu la rue qu'elle avait prise, son sens de l'orientation lui disait que Lysia s'approchait de son but. Jamais personne ne lui aurait permis de venir ici, c'était un endroit bien trop risqué et bien trop calme comparé à la réputation qu'il avait gagné depuis le passage de nombreux Gardiens. La blonde frôlait peut-être l'inconscience, mais elle fut heureuse de pouvoir remettre les pieds là où elle avait appris à marcher. Ses pas résonnaient sur la pierre fissurée de cette ancienne ruelle autrefois bien plus sombre. C'était un raccourci pour se rendre plus facilement au nord de l'Étape et qui était plus discret.

     Une fois le passage passé, Lysia arriva près d'une petite fontaine détruite, où elle venait se rafraîchir l'été quand les fortes chaleurs étaient insupportables, lorsqu'elle était petite. Il n'y avait plus que de la boue à l'intérieur en raison des averses qui avaient eu lieu dans la région. Son objectif ne devait plus être très loin, tous ces indices sur son chemin lui donnaient raison. Soudain, un bruit suspect retentit, la nièce eut le réflexe d'attraper sa lance et adopter une posture plus discrète et prudente, à l'affût de tout mouvement brusque. Elle savait que le danger pouvait la guetter de n'importe où, et Lysia se retrouverait seule, sans pouvoir compter sur personne.

     En tournant sa tête vers la droite, là d'où venait le bruit, elle vit quelque chose bouger et monter dans un arbre, ce dernier était disposé à un endroit précis et l'attira particulièrement car il lui disait quelque chose. Elle vit un écureuil à travers les feuilles de ce pommier, et en analysant son environnement, elle écarquilla les yeux. C'était ici. La blonde avait reconnu l'endroit, elle resta bouche bée et continua à avancer avec une lente cadence, pour arriver devant ce qui était la porte d'entrée de sa maison, autrefois. En face d'elle, sa demeure en ruines l'accueillit avec un désastre. Ses yeux verts se posèrent sur tous les éléments qui lui rappelaient un minimum quelque chose, à une vitesse élevée pour ne rien manquer. Depuis le jour de l'explosion, elle n'avait jamais remis les pieds ici, l'incendie qui avait eu lieu avait tout dévoré.

     La table de la salle à manger au centre de la pièce était encore à sa place respective, mais le rez-de-chaussée était méconnaissable, seul l'escalier sur le mur de gauche, la moitié ayant disparu, se tenait encore debout tant bien que mal. La cuisine qui se trouvait derrière la pièce de vie principale était à l'air libre, il ne restait plus rien d'elle. Le sol était recouvert de cendres et de débris en tout genre, des restes de meubles s'étaient entassés à certains endroits, les commodes et bibelots cassés jonchaient la terre entre des planches de bois carbonisées qui servait au sol de l'étage. Ce dernier n'était plus accessible, le toit s'était complètement effondré et une partie de la maison laissait un trou béant dans ses murs, laissant passer les rayons du soleil à travers. Un lit détruit était tombé de la chambre en hauteur qui n'avait plus que quelques murs pour la démarquer.

     Lysia lâcha sa lance et tomba à genoux face à ce paysage de destruction. Machinalement, elle joignit les mains et ferma les yeux, priant la déesse Hylia pour la remercier de l'avoir épargnée de ce massacre. Elle la supplia aussi de protéger ce qu'il restait de cet endroit, pour qu'elle puisse revenir s'y recueillir dans le futur. Cette maison familiale fut bâtie par son arrière-grand-mère il y a deçà des décennies en arrière, la voir en ruines était lourd de sens et triste lorsque l'on pensait à tous les moments passés à l'intérieur de la bâtisse. Hubert avait été le premier à vivre avec sa première femme ici, et Lysia se demandait toujours comment avait-il pu se permettre de construire une demeure si grande alors qu'il vivait modestement.

     Les yeux toujours fermés, la jeune femme termina sa prière en laissant couler une larme le long de son visage sali par la poussière et l'air impur dans lequel voguait une odeur de brûlé prononcée. Elle se releva et marcha un peu en vagabondant à travers ces murs détruits, en reconnaissant chaque pièce dans laquelle elle entrait. Ses bottes de voyages en cuir salies par la terre s'enfonçaient par moments dans des flaques boueuses camouflées dans les débris et la pagaille qu'avait laissé l'explosion passée. Lorsqu'elle sentit quelque chose d'étrange sous son pied. Lysia porta soudain son attention vers une armoire renversée et dont une porte était détruite. Au sol, des dizaines de livres et d'ouvrages anciens étaient enfouis sur les gravats et la poussière. Elle se souvenait de cette grande bibliothèque que renfermait la pièce du bureau, très souvent inoccupée par son père autrefois, elle n'avait jamais eu le droit de toucher à tous ces livres étranges, rangés en hauteur.

     En s'accroupissant, la blonde examina la montagne de livres renversés et la couverture de ces ouvrages de plusieurs centaines de pages. Ils étaient tous couverts de cuir de couleur mauve, avec des inscriptions dorées dessus qu'elle ne parvenait pas à déchiffrer. Elle fouilla un peu pour constater la quantité de pages que comportaient ces manuscrits. Certains avaient comme nom « La Légende d'Hyrule et de Zelda », ou encore « Sciences du vivant et des créatures divines ». Son arrière-grand-père avait une collection de livres sur divers domaines scientifiques et religieux que Lysia trouva très importante, bien qu'il restât toujours la moitié de ces livres qu'elle ne pouvait traduire elle-même. Elle pensait qu'il s'agissait de la langue sheikah ou gerudo, mais Lysia remarqua que le style de symbole ne correspondait pas.

     Parmi toutes ces antiquités sûrement regorgeant d'histoires et de connaissances, un livre retint particulièrement son attention. En effet, ce qui semblait être le titre comportait une suite de symboles similaires à quelque chose qu'elle avait déjà vu quelque part. Des tracés circulaires formant un serpent, des courbes de demi-cercles ainsi que des traits parallèles à la suite... Intriguée, Lysia s'empara de l'ouvrage recouvert de poussière et souffla dessus pour le nettoyer, créant un nuage gris de saletés qui s'élança dans l'air. Elle plissa les yeux et analysa ce qu'elle voyait ; puis, elle fit le lien. Dans la précipitation, elle ouvrit sa sacoche de voyage pour en sortir la vieille carte d'Hubert qu'elle avait récupéré à Écaraille. Ses yeux s'écarquillèrent soudainement suite à son observation. Le titre de ce livre et les inscriptions notées sur le désert Gerudo de la carte étaient identiques.

     Exactement les mêmes tracés, les mêmes symboles et dans le même ordre... Sans plus attendre, Lysia ouvrit l'ouvrage avec délicatesse pour ne pas l'abîmer, et elle feuilleta ses pages jaunies. Sur celles-ci se présentait le même style d'inscriptions, un langage incompréhensible qu'elle ne reconnaissait pas mais qui la fascinait tout de même. Les tracés identiques à ceux de la carte se répétaient plusieurs fois par page dont certaines étaient recouvertes d'annotations, de flèches, et de mots en hylien cette fois-ci. Comme une traduction, la jeune femme comprit que l'hylien servait à décrypter la langue qui se trouvait au-dessous, et sous l'une de ces suites d'inscriptions répétées qui l'intriguait depuis qu'elle était arrivée au village d'Écaraille, elle put distinctement lire le mot : « Alonnes ». Tout à coup, du mouvement se fit remarquer en face d'elle.

     En levant les yeux, Lysia aperçut une bête mécanique aux cinq pattes articulées qui s'approchait dangereusement d'elle. Un Gardien la visait de son rayon laser rouge sortant de son unique œil disposé au centre de sa tête. Des sons aigües et brefs retentissaient à une fréquence de plus en plus rapide plus la menace avançait, signifiant que le tir destructeur de la machine était imminent.

- Merde ! s'exclama-t-elle en se redressant.

     Elle eut tout juste le temps de refermer le livre et de le prendre avec elle avant de se cacher derrière un reste de mur lorsque le Gardien effectua son tir qui vint enflammer la bibliothèque au sol, Lysia put sentir la chaleur du feu qu'elle venait d'éviter de justesse. La blonde ferma les yeux, collée contre la pierre, et serra fort le livre contre elle, pour se canaliser et éviter que la peur ne l'envahisse. Elle le savait, venir en ces lieux était très risqué, voilà que l'on lui faisait payer. Il ne fallait faire aucun bruit, ayant vécu au milieu de la culture et la science sheikah de longues années, elle savait que ces machines détectaient leur cible par chaleur corporelle additionné au mouvement et le bruit produit. Si elle ne bougeait pas, elle avait bien plus de chance de survivre que de s'enfuir en courant. La course était un sprint vers la mort assurée face à ce type d'ennemis.

     Le Gardien pénétra par un côté détruit du bureau de la maison qui donnait sur l'extérieur, et il détruit tout obstacle sur son passage, tout chemin trop étroit pour lui. Lysia n'entendait que le son terrifiant de ses mécanismes internes et de ses griffes de métal contre les pierres au sol. Ce robot avait été conçu pour ôter la vie, comme tous ses autres semblables qui rôdaient sur la plaine d'Hyrule, combattre une telle chose n'était pas une option pour l'Hylienne qui n'osait même pas penser à un tel duel. Avec le soleil, elle put constater sur sa gauche l'ombre du Gardien qui se trouvait juste de l'autre côté du mur qui séparait autrefois le bureau et la pièce de vie. Lysia se trouvait actuellement sous les escaliers encore à moitié debout, et la machine cherchait encore sa proie dans la pièce dans laquelle il venait de tirer.

     Trop absorbée par ce que renfermait cette maison pour elle, Lysia en avait oublié sa lance qu'elle avait posé à l'entrée avant de prier, à quelques mètres de sa position. Il fallait qu'elle la récupère avant de rejoindre son cheval, caché plus loin dans la ville fantôme. Mais un seul pas de plus de sa part et le Gardien pouvait la retrouver, ce dernier continua son chemin en constatant l'absence de mouvement dans le bureau. Il passa l'encadré de l'ancienne porte qui menait dans la pièce principale en détruisant le passage qui était trop petit pour son gabarit. Lysia le vit ainsi apparaître et sursauta en gardant le plus possible le silence, il venait de la frôler de quelques centimètres. Tremblante, elle espérait qu'il ne se retourne pas, auquel cas elle se retrouverait au centre dans son champ de vision.

     Seulement, la tête du robot sheikah pivotait sur elle-même, et le Gardien balaya sa vision dans toutes les directions. Lysia comprit qu'elle finirait repérée plus vite en restant immobile contre ce mur. Elle prit son courage à deux mains, rangea le livre qu'elle venait de récupérer dans sa sacoche, et se déplaça jambes fléchies jusqu'à l'entrée où se trouvait son arme, en faisant le moins de bruit possible, ce qui s'avérait plus que difficile. Sa technique ne dura que quelques secondes, le Gardien repéra de façon instantanée la blonde et mit trois secondes à se stabiliser pour un tir optimal réussi, temps durant lequel Lysia put s'emparer de sa lance. Un point rouge clignotant apparut sur sa poitrine et la suivait dans ces mouvements, signe que le laser était désormais fixé sur elle, il était presque impossible à ce stade d'échapper à ce dernier si Lysia ne faisait pas en sorte que quelque chose fasse barrage entre elle et la machine.

     Dans l'action, elle repéra un mur derrière lequel se cacher mais voulut tout de même tenter de se confronter au Gardien. Une idée meurtrière mais pleine d'adrénaline. Lysia se sentit inconsciente de prendre un si haut risque mais se pensait capable de réussir. Elle espérait qu'elle n'était pas prise d'un excès de confiance qui aurait raison d'elle. La blonde prit un certain élan et arma sa lance en arrière en la tenant par la hampe. Elle visait l'œil de la machine pour le briser et détruire son arme fatale. Mais le temps lui manquait pour être précise et s'assurer de parvenir à atteindre sa cible, le tir du Gardien serait lancé dans quelques secondes, le point rouge clignotait de plus en plus vite et le robot semblait s'exciter davantage. La voyageuse dut effectuer son geste rapidement en poussant un cri furieux.

- Hors de ma vue !! lança-t-elle.

     Sa lance fusa vers son ennemi telle une flèche dans une trajectoire rectiligne et parfaite, mais sa pointe ricocha sur le corps en métal protecteur dans un bruit significatif, juste au-dessous de l'œil du Gardien. L'arme tomba ainsi un peu plus loin et Lysia accourut derrière une partie de l'ancienne façade de la demeure pour se protéger du tir qui s'effectua à la seconde où la jeune femme fut protégée. Le mur trembla derrière son dos avec la puissance de feu qu'avait délivrée la bête mécanique et un bruit sourd retentit, incitant Lysia à placer ses mains sur ses oreilles. La zone de combat était très restreinte et de ce fait, le Gardien se fit prendre par son propre piège, lui-même projetée en arrière à cause de l'onde de choc de son tir. Il tomba sur le côté, dans l'incapacité de se redresser sur ses cinq pattes.

     Les crépitements des flammes retentissaient derrière sa cachette improvisée, mais Lysia ne percevait plus de mouvements de la part de son ennemi, elle en conclut qu'il n'y avait plus de danger. Il lui fallut prendre une grande inspiration pour se remettre de ce moment intense et tendu. C'était la première fois qu'elle faisait face à un de ces monstres de métal, considérés comme les plus dangereux de tous. Elle jeta un œil et constata le Gardien au sol qui agitait ses pattes dans tous les sens pour parvenir à se remettre debout. Lysia vit aussi le reste des escaliers encore debout qui était détruit au sol, son ancienne maison était encore plus méconnaissable, et elle dut se résoudre à laisser cette machine à l'intérieur, en espérant qu'elle se désactive par elle-même un jour ou l'autre.

     Sa présence ici étant devenue plus que risquée, Lysia décida de s'en aller le cœur lourd. Elle récupéra sa lance et sortit de ces ruines pour rejoindre son cheval un peu plus loin dans la ville. Il lui restait deux jours de trajet avant de revenir à Labulat, si elle ne tardait plus, elle pouvait être de retour le lendemain en fin de journée, pile à l'heure du dîner. Malheureusement, la blonde savait aussi que son oncle se sentirait trahi, l'ambiance ne promettait pas d'être joyeuse, ce fut pourquoi elle envisageait de retrouver Nell ainsi que son ami avant tout.

     L'idée de retrouver Arthur la fit sourire niaisement et la motiva à continuer son voyage, elle aurait tant de choses à lui raconter, et tant de découvertes à lui partager. En effet, la vérité ne s'était pas révélée à l'Hylienne comme elle l'aurait souhaité avant de partir. Le résultat n'avait pas été celui escompté, mais Lysia avait tout de même mis la main sur un mystère qu'elle s'apprêtait à résoudre le plus vite possible, en espérant que cela la mènerait sur la trace de sa mère.

OoO ~ II ~ OoO

     Le soir venu, elle retrouva le même relais par lequel elle était passée lors de son allée jusqu'à Écaraille. Une pluie battante s'était abattue sur la région, Lysia avait pu déguster un délicieux plat comme dîner et retrouva un peu de compagnie sur le chemin. En effet, elle retrouva le gérant du relais qui l'avait sauvée d'un Yiga avec lequel elle discuta un peu et lui avait offert la nuit, à elle et Éclipse. Reconnaissante de sa gentillesse, elle insista pour payer son repas plus cher que le prix au préalable fixé, ce n'était qu'un geste normal pour la blonde. Étonnamment depuis quelques heures, Lysia était animée d'une joie soudaine qu'elle ne comprenait pas. Son voyage fut tout de même relativement sombre avec les péripéties qu'il lui était arrivée... Mais dans moins de vingt-quatre heures, elle serait rentrée, peut-être était-ce cela qui l'excitait autant. Retrouver son environnement quotidien, être de nouveau pleinement en sécurité, et surtout discuter avec Nell et Arthur de ce qu'elle avait appris.

     Le lit qu'elle avait loué se trouvait au fond du relais et possédait un rideau qui faisait le tour complet de ce dernier, pour qu'elle puisse conserver une certaine intimité en dormant. Assise en tailleur au centre du matelas qu'elle trouvait plutôt moelleux, Lysia tenait dans ses mains une statuette en bois d'environ dix centimètres de haut qu'elle taillait avec précision avec une fine lame dédiée à cette tâche, pour y ajouter de fins détails finaux. La taille restreinte de cet objet apportait une certaine difficulté qui demandait beaucoup de rigueur pour le sculpter, il fallait être minutieux. La blonde souriait en finalisant son œuvre miniature, car elle comptait l'offrir à Arthur. Ce n'était plus d'une très grande originalité, la nièce donnait beaucoup de ses créations à son ami qui se faisait un plaisir de les recevoir et les collectionner, mais celle-ci était différente. La statuette représentait deux personnes, un garçon et une fille face à face, qui se tenaient les mains en s'entremêlant les doigts. Les deux petits personnages se regardaient dans les yeux avec une intensité qui ne mentait pas.

     Ce cadeau n'était pas celui d'un anniversaire ou d'une fête particulière, Lysia avait confectionné cet objet pour faire passer un message clair à Arthur, celui de son amour pour lui. Son cœur battait la chamade à chaque fois qu'elle pensait à lui donner sa création, pourtant, elle n'avait aucun doute que cela lui ferait plaisir et que son amour serait réciproque. Mais tous deux plutôt timides à ce sujet, les deux amis ne se l'étaient jamais avoué avec les mots. Peut-être que ce geste allait fonctionner davantage, Lysia en était persuadée, et c'était quelque chose qui lui tenait à cœur.

     Mais son esprit vagabondait, si bien qu'elle remit à plus tard la finalisation de son précieux objet. En effet, le livre qu'elle avait découvert dans les décombres de son ancienne demeure la laissait perplexe et dans l'incompréhension. Ce langage codé l'intriguait au plus haut point, et malgré les centaines de pages de cet ouvrage, seules quelques-unes se voyaient traduites en Hylien, mais les phrases ne voulaient strictement rien dire, ou Lysia ne les comprenait pas en raison de l'absence de contexte. Elle rangea la statuette et hésita à se plonger dans l'étude de ce livre à cette heure-ci. La priorité était de dormir et reprendre des forces pour le lendemain, mais sa curiosité était grande et l'empêcherait de trouver le sommeil. Avant qu'elle ne puisse enfin se décider, une voix féminine retentit à l'extérieur du relais, et la détresse qu'elle laissait penser attira son attention.

- Je vous en supplie, aidez-moi... formula la voix.

     Dehors, sous la pluie, une Hylienne brune âgée d'une trentaine d'années accompagnée d'un petit garçon blond qui lui tenait la main s'adressait au gérant du relais. Celle-ci reprenait son souffle et semblait épuisée, tout comme son fils qui ne tenait presque plus debout. Tous deux trempés par l'averse, ils avaient l'air de rechercher un endroit pour dormir, ce qui était plus que nécessaire dans leur état. La mère voyageait seule avec son enfant, sans la moindre provision, ni même de l'eau pour s'hydrater. Le gérant l'écoutait mais ne douta pas une seconde qu'il avait affaire à une famille démunie qui aurait été victime d'une attaque de monstres.

- C'est la misère pour tout le monde madame, lui répondit l'homme du relais qui comprit que cette dernière souhaitait dormir gratuitement, je ne peux pas faire d'exception à la règle...

- Mon fils est très malade, il lui faut rester au chaud. Pitié... Je ne demande qu'un lit, le plus modeste que vous ayez le temps d'une nuit, nous n'avons pas dormi depuis deux jours, notre maison s'est faite attaquée et des brigands nous pourchassent, il doit vraiment se reposer.

     L'Hylien soupira, ne sachant pas quoi répondre. Il observa le visage pâle de ce petit garçon qui avait les yeux à moitié ouverts et son empathie prit le dessus face à cette pauvre mère désespérée. Il avait conscience qu'il était bien leur seule chance que le monde leur avait accordée. Comment renoncer à les accueillir ? S'ils continuaient, ils finiraient par mourir de faim et de fatigue... Tout à coup, en observant quelques instants les buissons en arrière, le gérant aperçut les brigands en question qui s'approchaient et il comprit que s'il n'intervenait pas, les choses se passeraient mal. Il indiqua donc rapidement à la femme où elle pourrait se rendre pour être au chaud et à l'abri à l'intérieur.

- Prenez celui du fond... dit-il en désignant un lit du doigt.

     La mère le remercia infiniment et jeta un dernier coup d'œil derrière elle avant de se précipiter vers le lit pour se cacher des trois hommes qui la poursuivait. L'Hylienne porta son enfant pour l'allonger sur sa couche temporaire pour qu'il se repose de sa maladie. Leur arrivée à lui et sa mère au relais fut observée par Lysia dont le lit se trouvait juste à côté de celui du petit garçon qui restait silencieux. Sans l'intention de les espionner, elle entendait tout de même la femme, au bord des larmes, lui chuchoter des mots doux pour le rassurer, l'amour maternel dont la blonde était témoin lui rappelait que ce dernier lui manquait. Qu'était donc devenu ce monde dans lequel ils vivaient ? Chaque jour, Lysia voyait passer des pauvres gens perdus sans la moindre idée de s'ils allaient survivre ou non. Derrière certains villages aisés qui survivaient à la catastrophe, personne ne parlait de ces centaines de personnes sans abri qui avaient tout perdu, et ne savait toujours pas où aller pour éviter la mort, rôdant toujours non loin de là... Cette mère et son fils en étaient la preuve.

- Que lui arrive-t-il ? s'inquiéta Lysia qui ne put s'empêcher de demander.

     La femme qui caressait doucement le front de l'enfant releva les yeux vers la jeune Hylienne qui s'approchait d'eux. Durant tout leur voyage, la blonde était la première à montrer de l'inquiétude pour le petit garçon, si bien que cette compassion surprit la mère. Paniquée, cette dernière ne pouvait que lui répondre, son désemparement était bien trop grand.

- Il est très malade, l'informa-t-elle, sa fièvre ne cesse d'augmenter et je ne sais plus quoi lui donner pour le soigner. J'ai tout essayé...

- De la fièvre vous avez dit ? J'ai peut-être de quoi l'apaiser pour un moment.

     Lysia se précipita vers son grand sac de voyage et fouilla à l'intérieur pour y retrouver ce qu'elle y cherchait. Jamais elle ne pourrait laisser cette femme et son fils dans un tel état, son devoir était de les aider, sinon, elle n'aurait jamais croisé leur route. Telle était sa philosophie. Heureusement pour eux, avant son départ, la nièce avait pris soin de se servir sans gêne dans les placards de potions de son oncle pour embarquer des soins et autres mélanges utiles en cas de blessures ou de maladies durant le trajet. Avec entrain et satisfaction, elle sortit de son sac une potion rouge relativement transparente, un « guérisseur de maux » comme l'appelaient les alchimistes. Il agissait comme un anti-douleur pendant de nombreuses heures, ce qui calmerait beaucoup la fièvre du garçon.

     Il fallait garder cette potion à une température plutôt élevée, ce pourquoi elle avait emballé le flacon dans de nombreux tissus épais pour la garder au chaud. Une fois découverte, Lysia s'accroupit à côté du lit de l'enfant et retira le bouchon circulaire qui fermait la potion dans un bruit bref et distinctif, le tout devant le regard de la femme qui laissait faire cette jeune inconnue à l'apparence inoffensive. Cependant, la mère restait sur ses gardes et n'aimait pas trop la couleur de cette potion qu'elle trouvait étrange. Avant toute chose, Lysia renifla l'odeur du liquide pour déterminer s'il était toujours en état de soigner, une action prudente qu'Alan lui avait apprise.

- Salut petit, tu t'appelles comment ? demanda gentiment la jeune voyageuse pour rassurer l'enfant.

     Ce dernier ne répondit pas et se contenta de la regarder dans les yeux avec tristesse. Il entrouvrit la bouche mais aucune voix n'en sortit, ce qui laissa Lysia perplexe.

- Il s'appelle Emil, il est muet... intervint sa mère.

     Frêle, le jeune Hylien ferma les yeux et bascula sa tête en arrière pour la faire reposer sur l'oreiller en sentant la fièvre le relancer soudainement. La lancière ressentait une certaine pitié envers lui qui lui serrait le cœur, elle voyait bien à travers ce duo mère-fils que tous deux essayaient de survivre à la suite d'un sombre passé vécu. Si elle le pouvait, Lysia souhaiterait tous les aider... Après avoir mélangé la substance rosée qu'elle tenait, elle avança le flacon aux lèvres du garçon jusqu'à ce que sa mère ne l'arrête subitement dans son action.

- Qu'est-ce que c'est ? la questionna-t-elle avec méfiance.

- Un guérisseur de maux, rassura Lysia. Faites-moi confiance, je ne veux que vous venir en aide.

     La femme tendit le bras pour inciter la blonde à lui donner la potion avant toute chose. Comprenant que cela n'était guère une option, la jeune femme donna d'abord le soin à son interlocutrice, même si elle ne leur voulait aucun mal... Mais Lysia ne savait pas que cette femme n'avait rencontré que des personnes ayant usé de ruse et sournoiserie pour duper son prochain, dans le but de servir leurs propres intérêts. Il était donc normal d'avoir autant de suspicions, surtout lorsqu'il s'agissait de son fils qu'elle protégeait par-dessus tout. La mère sentit le contenu du flacon avant d'en boire une goutte pour s'assurer que cela n'était pas un poison mortel. Ce geste en disait long sur elle, cette femme faisait passer la vie de son fils avant la sienne, ce qui toucha beaucoup Lysia.

     Quelques secondes de flottements passèrent, la mère jeta un regard intense et remplis de doutes à la nièce qui patientait pour avoir son verdict. Celle-ci lui assura même que si elle le souhaitait, elle pouvait lui donner elle-même si cela la rassurait davantage. Après réflexions, la femme rendit la potion à sa propriétaire et hocha la tête pour lui donner l'autorisation de soigner le petit garçon. Lysia fut heureuse d'avoir gagné la confiance de cette inconnue qu'elle ne voulait qu'aider avant tout. Cette mère avait perdu foi en la bonté et la générosité des humains qu'elle en était venue à douter d'une jeune femme à la faible carrure qui n'avait montré aucun signe d'agressivité. Ce qui n'avait pas été le cas de ces brigands par lesquels elle se voyait poursuivie et qui étaient enfin arrivés au niveau du relais.

- Ici c'est ma propriété, personne n'est autorisé à entrer sans ma permission, déclara le gérant qui avait compris qu'il devait faire barrage entre ces hommes et cette pauvre femme.

     Ils étaient trois, l'un était chauve et avait une cicatrice sur la joue gauche, et les deux autres étaient bruns, avec une barbe imposante et non rasée depuis un certain temps. Un seul d'entre eux, le chauve, était armé d'une hache sanglée à sa ceinture. Leur tenue en vieux tissu déchiré laissait penser qu'ils étaient pauvres et vivaient là où la nature leur avait donné le droit de se poser. Tous les trois dépassaient l'homme du relais en taille, ce qui fut cependant loin d'intimider ce dernier. Et leur présence commençait à se faire remarquer par la dizaine d'autres clients de l'orée de la plaine qui restaient silencieux.

- Cette femme nous a volé le dernier sanglier que nous avions attrapé ! s'exclama l'un des trois hommes en pointant la mère du doigt. Nous devons lui faire payer !

     L'Hylien chauve fit un pas déterminé vers l'intérieur du relais avant d'être automatiquement stoppé par la dure main du gérant, refusant de le laisser entrer. La musculature de l'inconnu était supérieure à celle de celui qui lui faisait obstacle, mais l'homme qui avait sauvé Lysia du Yiga possédait tout de même une force qu'il ne manquerait pas d'user si nécessaire.

- Je suis cependant dans le regret de vous annoncer que ce ne sont pas des choses que je tolère ici, dit-il avec animosité en raison de l'agacement que lui procurait ce groupe. Vous êtes quoi au juste comme bande de guignols ?

- Des chasseurs de trésor, répondit le brigand. Les temps sont difficiles vous savez, les rubis se font rares, tout comme la nourriture...

     Les intentions de ces rustres furent d'un seul coup clair dans la tête d'homme. Il comprit qu'en plus d'agresser une femme, ils en profiteraient pour piller son relais et voler les personnes qui venaient s'y reposer s'il les laissait entrer. L'insistance du groupe commença à faire monter la tension, l'homme en avant retira le bras du gérant qui le bloquait tandis que l'entièreté du relais se mit à observer la confrontation.

- Pas un pas de plus, répéta l'Hylien au brigand et faisant de nouveau barrage. J'espère que c'est compris.

     Il ne l'écouta pas et le rejeta brutalement. Cette brute n'en faisait qu'à sa tête et n'obéirait pas. Ainsi, de ses deux mains, le gérant agrippa le chauve par son dos et le tira vers l'extérieur sous les yeux de ses camarades. Dans la continuité, il lui asséna un coup violent dans la mâchoire qui lui fit comprendre la leçon, cela le mit à terre sans broncher. Son adversaire assommé, les deux autres furent surpris par la vivacité de ce petit homme qui avait agi devant tous ses clients dont certains avaient émis un gémissement caractérisant leur choc. Un des deux brigands récupéra la hache du chauve au sol et la dirigea vers leur adversaire qui venait d'engager le combat.

- On va te faire la peau, déclara l'homme à la hache.

     L'autre Hylien à la longue barbe fut le premier à s'avancer vers le gérant qui faisait tout pour protéger son relais, son ennemi s'élança vers lui en tentant de le frapper au visage avec le poing lorsqu'il recula pour esquiver son attaque. À deux contre un, il savait que le combat serait rude, mais pour rien au monde il ne se plierait aux ordres d'inconnus en vadrouille à la recherche de nourriture. Tandis que le premier brigand se redressait suite à sa frappe qui avait fendu l'air, son compagnon en arrière enjamba le chauve toujours inconscient par terre et fusa vers l'homme avec sa hache en l'air. Il n'eut aucune difficulté à l'éviter sur le côté, il pivota sur lui-même en suivant la trajectoire de son adversaire et le frappa au niveau de la nuque l'instant d'après, puis il enchaîna d'un coup de pied dans les lombaires, et le brigand chuta. Mais durant cet instant, le chef du relais n'avait pas eu assez de temps pour voir venir le second homme qui l'attaqua à l'épaule.

     Lorsque l'Hylien se retourna pour faire face au dernier brigand debout, celui-ci lui asséna un coup de poing puissant sur la tempe, puis un autre la seconde d'après sur l'autre tempe, ce qui lui fit perdre l'équilibre. Le choc eut raison de lui et il se retrouva par terre, tandis que le second inconnu à la hache se releva. Tous deux en rage commencèrent à s'acharner sur le pauvre gérant au sol par le biais de coups de pieds dans l'abdomen et dans le dos. Il avait rentré sa tête pour la protéger et dut encaisser les coups jusqu'à ce que le binôme barbu décidât de s'arrêter, jugeant qu'il avait eu ce qu'il méritait. À partir de cet instant, les personnes du relais s'affolèrent en voyant pénétrer les deux hommes à l'intérieur de la pièce. Lysia, de son côté, eut le réflexe de s'emparer de sa lance près de son lit et protégea la mère et son enfant en guettant les gestes des deux hommes.

- Que personne ne bouge ! Ou vous allez goûter à ma hache ! s'écria le brigand en exhibant son arme.

     Ils semèrent la pagaille au sein du petit établissement en faisant tomber les chaises et tables sur leur passage. Les voyageurs qui étaient présents pour la nuit durent obéir et ils s'accroupirent tous en levant les mains pour démontrer leur impuissance face à eux. Tous, sauf Lysia qui restait debout face à leurs menaces, le regard déterminé.

- Occupe-toi des autres, dit-il à son camarade, je vais me charger de cette teigne...

     La mère qui s'était affolée tourna le dos à l'homme en enlaçant son fils, elle le serra fort pour le protéger au mieux de cet individu dangereux qui faisait laisser pendre sa hache au-dessus du sol, en la tenant du bout de son manche. Tuer pour un simple sanglier était insensé... Même dans la famine les plus extrêmes, Lysia ne serait pas capable d'une telle chose. Pourtant, cet homme semblait bel et bien sûr de vouloir ôter la vie à cette mère, et de manière sanglante. Il n'avait même pas pris la peine de s'attarder sur la présence de la blonde, sa lance pointée vers le brigand, qui pourtant se trouvait juste devant lui.

- N'approchez pas, intima Lysia avec courage pour l'interpeller et le ralentir.

     Le barbu atteignait presque les deux mètres en taille, il surplombait donc l'Hylienne de beaucoup, et celui lui permettait de garder une certaine confiance en lui excessive. Avec une forte condescendance assumée, il faillit rire en dévisageant cette jeune femme toute petite et frêle qui pour lui ne ferait pas de mal à une mouche... Son plan n'était pas de l'éliminer mais il s'y plierait si la situation l'obligeait.

- Je vous interdis de vous en prendre à eux, ajouta la blonde.

- Pour qui tu te prends, gamine ?

     Elle serra plus fort ses doigts autour de la hampe de son arme en sentant le stress augmenter. Peut-être avait-elle commis une erreur en s'imposant de la sorte devant un homme imprévisible et menaçant... Mais elle n'avait vu aucune autre option pour sauver cette femme et cet enfant. Lysia ne montra aucune faiblesse et décida que l'heure de son premier combat contre un autre adversaire que son oncle avait sonné. Un autre adversaire qui lui n'hésiterait pas à la blesser gravement voire la tuer.

- Viens te battre et tu auras ta réponse, dit-elle en sentant une colère monter en son sein.

     Il ne fallut pas plus de mots pour faire engager le combat à l'homme. Sa hache s'élança dans les airs en plongeant dans une trajectoire diagonale vers Lysia. Elle plaça sa lance à la perpendiculaire pour contrer le coup et l'inversa dans le sens horaire pour dévier la direction de l'arme, la nièce enchaîna en portant un coup latéral avec l'autre extrémité de la lance. Le talon pointu de celle-ci vint frôler le flanc du brun qui recula pour esquiver l'offensive. Lysia en profita pour se déplacer vers la droite et ainsi se dégager un espace plus large pour se mouvoir, mais l'homme ne lui laissa pas plus de temps de répit et abattit une nouvelle fois sa hache, cette fois-ci de haut en bas et sa lance vint se loger sous l'encoche de l'arme qui s'arrêta net dans son mouvement, émettant un bruit de fer mordant le bois. Le cœur de Lysia avait sauté un battement lorsqu'elle sentit le vent qu'avait produit la hache en fendant l'air sur son visage. Bloqués ainsi, elle marqua une courte pause et lui asséna un coup de pied dans l'abdomen qui le fit gémir et s'agenouiller en un instant. L'homme lâcha sa hache et porta ses deux mains à son ventre suite à la douleur de ce coup de la part de la blonde. Celle-ci le pointa avec sa lance pour le maintenir en joue et en position de soumission.

- Retournez d'où vous venez, bande de fous.

     Soudain, le brigand empoigna et tira la lance de Lysia le visant et qu'il avait à portée de mains dans l'espoir de la désarmer et retourner la situation. La nièce s'était entraînée à ce genre de choses, combattre de près avec une arme de distance n'était pas adapté, mais c'était cela qui faisait sa force. Lysia magnait tout aussi bien son arme de loin ou en combat rapproché. Ainsi, pour le faire lâcher prise, elle n'eut besoin que d'exercer une vive pression vers le bas sur la queue de sa lance pour faire pivoter la hampe de celle-ci vers le haut, ce qui frappa le visage de l'homme agenouillé en même temps. Dans la foulée, elle inversa de nouveau les extrémités de son arme et d'une frappe latérale avec le talon pointu de la lance en criant de colère, vint assommer l'homme qui reçut le coup en pleine tête. Le barbu perdit connaissance et Lysia le fit tomber en arrière en poussant son buste avec son pied droit. Elle avait pu déchaîner sa force sans difficulté et cela la fit se sentir puissante le temps d'une seconde seulement car le deuxième bandit marchait vers elle, un couteau à la main.

     Il venait de retirer sa lame d'un plan de travail en bois dans lequel elle était plantée, au centre de la pièce circulaire. Se sachant perdant en daignant vouloir se battre avec une si petite arme face à Lysia, il opta pour lancer le couteau dans sa direction, de manière imprévisible. La lame tranchante suivit une ligne droite dans l'air jusqu'à la blonde, en effectuant plusieurs rotations complètes et consécutives jusqu'à sa cible qui s'accroupit en vitesse pour éviter la mort assurée. Le couteau vint se planter dans le bois du mur derrière Lysia qui se rua sur son adversaire ne pensant pas rater son coup. Elle le frappa aux épaules, l'une après l'autre, et lui cisailla l'avant-bras avec la fine lame de la lance. Elle attrapa cette dernière à deux mains et l'éleva au-dessus de sa tête horizontalement avant de l'abattre brutalement sur la nuque de l'homme qui s'était mis à genoux, penché en avant. Ce fut l'ultime frappe qui l'assomma à son tour. Ainsi, les trois bandits étaient au sol, inconscients.

     Ce groupe avait semé la pagaille à l'intérieur du bâtiment, mais le silence fit son retour lorsqu'elle les avait vaincus. Le gérant était cependant toujours évanoui au sol à l'extérieur avec le troisième brigand chauve, des tables étaient retournées et chaises détruites. Lysia se rendit compte qu'elle avait malencontreusement participé à ce désordre. Elle reprit son souffle en comprenant qu'elle venait de remporter son premier véritable duel. La blonde ne croyait jamais Alan lorsqu'il lui disait que son niveau de combat était semblable à celui de soldats entraînés durant des mois, mais elle venait d'en avoir la preuve par elle-même. La lancière regarda tout autour d'elle pour s'assurer que la mère et l'enfant allaient bien, et fut surprise en remarquant que la totalité du relais la regardait, bouche bée.

- Mais qui êtes-vous, jeune fille ? s'étonna un Hylien encore assis au sol.

     Puis, une autre personne l'acclama et applaudit pour exprimer sa reconnaissance. Lysia se sentit vite gênée d'avoir attiré l'attention de tant de gens, mais ce rôle de justicière lui avait plu, rétablir l'ordre, conserver la paix et sauver des innocents avec courage. C'était une idée honorable qu'elle venait d'expérimenter.

- C'est elle ! La nouvelle Héroïne d'Hyrule qui succédera à notre feu Link ! Vous êtes notre sauveuse, à nous tous ! Hylia vous a élue, n'est-il pas ?

     L'amie d'Arthur regarda l'homme qui venait de crier ces mots en hochant négativement la tête, de façon désolée, comme pour s'excuser de lui dire qu'il se faisait de faux espoirs. Personne ne l'avait élue, son destin n'était guère celui de défaire Ganon. Elle ne faisait aucunement partie des Héros élus de la déesse, mais sa prestation impressionna tous les Hyliens qui n'avaient pas assisté à un tel combat rapide et vainqueur depuis des années. Lysia se retira du centre de la pièce où tous les yeux se voyaient rivés sur elle pour rejoindre la femme et son enfant. Cette dernière scrutait la blonde d'une façon totalement différente, un mélange de reconnaissance, de peur, et d'admiration.

- Je... Je ne suis pas une héroïne, expliqua Lysia à mi-voix, mais je peux vous sauver...

     La mère n'hésita pas à une seule seconde à écouter la proposition de cette inconnue à la lance qui avait soulagé son fils de sa fièvre et sauvé de ses ennemis. Désormais, elle la voyait comme un miracle sur leur chemin.

- Je connais un endroit où vous serez en sécurité et où l'on pourra guérir votre fils, continua la nièce. Si vous me faites confiance, je vous accompagnerai, et vous n'aurez rien à craindre. Je vous le promets.

     La sauveuse du relais leur offrit un sourire rassurant qui était la preuve que la jeune femme n'était pas dangereuse, de bonne volonté, et ne souhaitait que leur bien. La mère accepta timidement de suivre ses instructions en laissant sa vie et celle de son fils entre les mains de la voyageuse. Les larmes aux yeux, elle s'agenouilla et joignit les mains devant elle pour exprimer ses plus sincères remerciements. En effet, ils avaient faim, soif, et froid. Ils n'avaient plus aucun endroit où se rendre, Lysia était leur unique espoir de retrouver une vie plus ou moins stable pour une durée indéterminée. La blonde les guiderait au village de Cocorico, bien plus sûr que celui de Labulat, et où on s'occuperait d'eux en les accueillant avec bienveillance.

OoO ~ II ~ OoO

     Assise dans l'herbe contre le mur de sa maison, Nell contemplait la plaine enneigée de Tabanta qui s'étendait à l'horizon. Depuis la colline, elle parvenait à avoir une vue magnifique sur la région d'Hébra et sa montagne au sommet perforé. Munie d'un large carnet et d'un crayon en bois, elle dessinait des croquis du paysage sur le papier pour s'entraîner à reproduire la réalité telle qu'elle l'était. L'Hylienne aimait le monde, elle adorait partager ses merveilles avec les autres ainsi que les récits de ses voyages, dessiner des paysages d'Hyrule était une façon pour elle de s'exprimer et de diffuser sa passion pour l'environnement qui l'entourait. Nell était dotée d'un grand optimisme dont beaucoup manquaient ces temps-ci, bien que cela n'avait pas toujours été le cas dans le passé. Dans ce royaume détruit, elle voyait tout de même une forme d'espoir, une opportunité pour se reconstruire, bâtir quelque chose de nouveau et aller de l'avant. La voyageuse était également l'une des seules personnes à savoir où reposait le corps du Héros qui se régénérait, et elle ne doutait pas qu'un jour ou l'autre, ce dernier s'éveillerait pour éliminer la menace omniprésente une bonne fois pour toutes.

     Cet endroit si paisible était un havre de paix où méditer en silence et marquer un temps de pause dans sa vie quotidienne. En observant ces immenses montagnes enneigées et la grandeur de ces plaines, tous les problèmes et les angoisses humaines paraissaient minimes, c'était ce qui plaisait à Nell. De plus, Hébra était un endroit du royaume qui n'avait presque pas été touché par la Calamité, une partie d'Hyrule qui avait survécu à la tempête... Ces derniers jours avaient été plutôt longs pour la femme qui avaient passé son temps à étudier les cartes et mener à bien son projet, seule, enfermée chez elle sans la moindre visite. De plus, un certain climat morose s'était emparé du village, quelque chose que Nell ressentait pour sûr plus fortement que les autres habitants.

     Elle avait attaché ses cheveux noirs en chignon derrière sa tête pour ne pas qu'ils ne la gênent avec le vent. Son dessin donnait enfin quelque chose, elle était satisfaite. Lorsque l'Hylienne n'étudiait pas les cartes, elle se consacrait à son carnet et son crayon, cela la rendait heureuse et la faisait rêver. Dessiner était une activité qu'elle avait découverte durant sa période sombre et qui l'avait en partie aidée à s'en sortir. Cela lui permettait aussi de se canaliser et de diminuer son stress. Il était vrai que Lysia était partie depuis six jours, et Nell craignait pour elle. Si la nièce ne revenait pas bientôt, les choses pourraient devenir très inquiétantes, et la femme s'en voudrait d'autant plus car elle l'avait conseillée pour son voyage et l'avait poussée à suivre sa décision de partir. Mais comment s'opposer à une telle quête de vérité qui lui tenait tant à cœur ?

     Vers sa droite, elle remarqua que quelqu'un venait de la rejoindre. Debout et immobile, Alan gardait un air fermé et triste, les yeux rivés sur ses pieds. Il semblait mal, terriblement mal... Nell savait que si l'oncle se trouvait ici, ce n'était guère par hasard, il cherchait de l'aide. Chose qu'il n'avait jamais voulu faire de son plein gré depuis la création de Labulat. La situation était cependant si compliquée et difficile émotionnellement qu'il dut se résoudre à ne plus l'affronter seul, et la première personne à qui le chef pensa fut son amie. À la vue de son état, elle referma de manière instantanée son carnet de dessins et se redressa dans sa position assise. Alan affichait une expression que sa pudeur n'avait jamais laissé transparaître auparavant : il était au bord des larmes. Une puissante détresse se dégageait de lui, Nell sentit son cœur se serrer en comprenant cela.

- Assieds-toi, ne sois pas timide, le pria-t-elle en le voyant hésitant à la rejoindre.

     L'homme d'une cinquantaine d'années débordait de désespoir, et cela ne pouvait plus durer. Après avoir frappé à la porte de la maison de la voyageuse sans qu'on ne lui réponde, Alan fit quelques pas derrière le bâtiment pour trouver enfin la résidente, il s'avança doucement et finit par se poser près de Nell. Les genoux repliés, il présenta sa paume de main tremblante à son amie, une main au-dessus de laquelle s'échappait des bribes de corruption qui s'évaporaient dans l'air tant le chef en avait accumulé en lui. Il transpirait, sa peau luisait au soleil et un mal de tête lui prenait toute son énergie. Ce pouvoir qu'il possédait devenait une maladie, un corps humain ne pouvait pas supporter autant de cette force maléfique.

- Ne la laisse pas t'envahir, lui dit Nell, cesse de te faire du mal comme ça, ce n'est pas bon pour toi.

     Alan savait à quoi était dû ce surplus de corruption de son corps, et la voyageuse l'avait pris par surprise en pleine action et de ce fait était aussi au courant. En effet, il concentrait de plus en plus de malice qui menaçait le village en lui pour limiter son avancée rapide, en l'absorbant. Il se sacrifiait lui-même. L'immunité que lui avait offert la déesse, - ce miracle encore inexpliqué -, s'en voyait presque menacée s'il continuait à accumuler cette chose maléfique qu'il parvenait encore tant bien que mal à contrôler, même si son caractère en était impacté. Alan se mettait plus vite en colère, et avait des envies destructrices qu'il parvenait de moins en moins à contenir.

- La rumeur court que je suis un monstre.

     Et ce fait ne l'avait pas perturbé, il savait que les jeunes Hyliens qu'il avait sauvés dans la grotte d'Oriolo une dizaine de jours en arrière n'avaient guère put se retenir de raconter ce qu'ils avaient vu. Alan avait détruit ce Lithorok d'une aisance rare, et les gens parlaient sur lui, il ne pouvait éviter cela en tant que chef du village. Pour son amie, il était loin d'être un monstre, mais elle fut peinée de voir qu'il commençait à penser cela de lui-même. Comment décrire une personne pouvant avoir une apparence terrifiante avec des pouvoirs qui tenaient leur origine de Ganon ? La réponse était claire pour Alan, il avait transformé cette honte envers lui en réalité indéniable qu'il se voyait obligé d'assumer, malgré lui.

- Nell, je suis désolé... soupira l'homme. Je ne sais pas ce qui m'arrive...

     L'oncle plongea son visage dans ses paumes de main, n'arrivant pas à décrire et extérioriser sa détresse. Pour la première fois depuis des années, il avait senti le besoin de se confier, de partager ses sentiments, car il s'était égaré du droit chemin et ne parvenait plus à le retrouver seul. Plus il avançait, plus il se rendait compte que tout ce qu'il faisait empirait les choses. Alan ne pensait qu'à revenir dans le passé, partir ailleurs, là où la Calamité ne pouvait l'atteindre, à une époque où son frère serait toujours là, pour le guider.

- J'espère que tu oublieras ce que j'ai pu te dire, ajouta-t-il, je ne sais plus ce que je fais...

     Il faisait référence aux mots qu'il avait pu adresser à son amie lors de la fête de Labulat, un « je t'aime » sorti de nulle part qu'il ne savait même plus sincère ou non sur le moment. Il avait certes éprouvé quelque chose de différent en compagnie de la géographe, mais il ne souhaitait plus qu'effacer les traces de cet amour non réciproque, honteux d'avoir pu ne serait-ce que songer à une relation sentimentale avec la femme. Nell lui pardonnait de toute évidence, bien qu'elle fût surprise d'apprendre une telle chose de son ami, ce qui était normal. La voyageuse tenait tant à son amitié avec lui qu'elle ne pouvait la sacrifier pour si peu. Elle posa soudainement sa main sur l'épaule d'Alan qui possédait une voix tremblante.

- Toute cette nouvelle vie, tu l'as consacrée à ton frère, n'est-ce pas ? devinait Nell. Comme lui-même avait consacré son adolescence à s'occuper de toi. Le perdre brutalement a été un traumatisme indélébile, et tu n'as plus qu'elle pour te souvenir de lui et de qui tu es.

     Son silence prouva qu'elle avait entièrement raison sur toute la ligne. Alan avait gardé le choc de la mort de Gabriel enfoui en lui, sans jamais en parler. Ainsi, il s'était juré de protéger Lysia le plus possible, car elle était devenue sa seule raison de vivre, une nièce qu'il considérait comme sa fille et qui lui rappelait son passé. D'un certain côté, son frère était toujours vivant, en elle, et désormais, il s'en voulait de ne pas être partie à sa recherche, et d'avoir privilégiée la sécurité du village.

- Lysia te le rappelle chaque jour, continuait Nell, elle te rappelle que tu l'as perdu et que pour rien au monde tu ne te permettrais de la perdre elle aussi. Car elle est tout ce que tu as. Je comprends ta peine, et ta colère.

     Le chef sentit ses émotions grandir de plus en plus, il sentait son cœur serré se tordre encore davantage, et les larmes menaçaient de dégringoler le long de son visage. Il avait oublié quelle sensation cela faisait d'être triste, vraiment. Alan dissimula l'eau qui coulait de ses yeux en plaçant ses doigts par-dessus, mais Nell comprenait bien qu'il venait de craquer. Une pression trop grande mêlée à ce désespoir pesait sur ses épaules.

- J'ai tout perdu... pleura-t-il.

     Nell fut compatissante et s'empressa de l'enlacer pour le consoler, ses bras réconfortants entourant son dos courbé. Alan plaqua son front contre la clavicule de son amie et laissa couler les larmes qui dévalèrent ses joues jusqu'à rejoindre le vêtement de Nell. Les yeux fermés, il laissait les sanglots l'envahir et relâchait tout ce qu'il avait sur le cœur depuis si longtemps. Le doux parfum naturel de Nell qu'il sentait atténua sa peine ainsi que ses mains qu'elle avait posées dans le haut de son dos, cette étreinte agissait comme une bulle de sécurité qui lui permettait de lâcher prise une bonne fois pour toutes. Alan, à l'accoutumée très retissant concernant les embrassements, finit par serrer l'Hylienne contre lui aussi, ne voulant guère qu'elle ne se retire.

- Je n'ai plus de village, plus de corps, j'ai perdu Gabriel et Lysia... sanglotait-il. Et tout est ma faute...

- Tu n'as pas tout perdu, Alan, le corrigea la voyageuse. Je suis ton amie, et je suis encore là, moi. Et je suis certaine que Lysia va bien, c'est une grande fille. Mais personne n'avait le droit de l'interdire de partir, il faut que tu le comprennes...

     Il hocha négativement la tête contre elle, tout en sanglotant, refusant toujours d'accepter une telle chose. Alan pensait avoir échoué dans l'éducation qu'il avait tenté de délivrer à Lysia, il pensait qu'il n'était pas parvenu à succéder à son frère dans l'épanouissement de la blonde, l'oncle rejetait toute la faute sur lui, en s'infligeant de terribles jugements subjectifs sur sa propre personne. La colère qu'il démontrait à son entourage n'était qu'une infime partie de la haine qu'il ressentait envers lui-même.

- C'est sa mère, mets-toi à sa place, essayait de lui faire comprendre Nell.

     Tout à coup, l'homme se redressa et se défit des bras de son amie en essuyant ses larmes, il adopta un regard coléreux qui contrastait avec la tristesse qui l'animait jusque-là.

- Sa mère qui a fait des choses abominables, compléta-t-il avec rancœur.

     Dans l'incompréhension, elle fronça les sourcils en se demandant à quoi il faisait référence, si bien qu'elle se rendit compte qu'il parlait de quelque chose qu'il n'avait encore jamais dite aux autres. Les mots qu'il s'apprêtait à dire eurent de la difficulté à sortir de sa bouche, car c'était l'une des rares fois où l'oncle osait parlait à voix haute de la mort de Gabriel.

- Elle l'a tué, Nell, révéla Alan avec la voix qui exprima un désarroi notable.

     Le problème avait toujours été là, c'était lui la source de tous les différends entre l'oncle et sa nièce : une vérité cachée depuis bien trop longtemps et qui ne pouvait être oublié malgré tout. Alan cachait la vérité pour des raisons qu'il pensait légitimes. Tout comme le père de sa nièce, il avait banni le mensonge de ses principes, on avait inculqué l'honnêteté à Lysia qui elle non plus détestait mentir, et Alan continuait à faire perdurer cette idée. Mais comment ne pas s'en vouloir lorsqu'il ne respectait pas lui-même ses propres valeurs ?

- Comment ? s'étonna Nell.

- Je n'ai pas voulu lui infliger une telle vérité, alors j'ai menti sur la mort de son père. Mais je ne pourrai jamais accepter qu'elle risque sa vie pour une meurtrière.

     Choquée par une telle réalité, la voyageuse ne voyait plus les choses de la même manière. Qui était donc cette femme disparue pour avoir osé ôter la vie au père de sa fille ? C'était d'une atrocité sans précédent qui noua les entrailles de Nell pendant quelques secondes. Cependant, Alan éprouvait une colère si grande pour la mère de Lysia qu'il n'avait pas tout dit, il était bien conscient qu'il omettait de dire un détail important : Madeline n'avait jamais tué Gabriel de son plein gré. Le véritable meurtrier était Ganon, encore une fois, mais le traumatisme vécu par Alan en voyant se frère chuter du haut du viaduc d'Hylia l'empêchait de réfléchir sur les faits avec objectivité parfaite.

- Tu n'en as jamais parlé, Alan... affirma Nell. Je ne savais pas...

- Ce jour-là fut le pire de tous mes cauchemars. Je refuse d'en parler d'habitude.

     Il porta son regard vers l'horizon, sur les plaines enneigées d'Hébra. Cette fois-ci, ses yeux n'étaient pas rouges de corruption mais brillants à cause de l'émotion et des pleurs, pour partager au mieux ses explications avec la femme, des filets de malices s'échappèrent de son corps avec une avancée sinusoïdale, pour venir former des figures singulières, en lévitation devant les deux amis. La corruption en mouvement représenta le viaduc d'Hylia dans un nuage de gaz pourpre ainsi que le frère d'Alan, tomber de ce dernier jusqu'à couler au fond du lac à une vitesse ralentie tandis que Madeline se tenait encore debout sur le pont. Cette illustration de ses souvenirs le replongea dans ce passé dont personne n'avait envie de se retrouver à nouveau. Le chef soupira face à la difficulté dont s'avérait la situation.

- Jamais je n'aurais été capable de lui dire la vérité lorsqu'elle n'était encore qu'une enfant, dit-il, et depuis, je n'ai jamais trouvé la force de lui révéler.

     Lorsqu'il baissa les yeux, le nuage de corruption disparut l'instant qui suivit. Alan se recroquevilla sur lui-même en repliant ses genoux, et tout en s'épuisant de s'apitoyer ainsi sur son sort. Le temps des larmes et des lamentations était révolu depuis longtemps, il fallait désormais agir pour résoudre ces problèmes, prendre son courage à deux mains et franchir le pas, là était la solution à tout. Les peurs liées à toute hésitation n'étaient présentes que pour savoir les surmonter et les détruire. Nell comprenait enfin à quel point les choses étaient si compliquées pour son ami qui commençait à sombrer dans le même état qu'elle quelques années en arrière. L'Hylienne comptait de toute évidence lui prodiguer des conseils et lui venir en aide dès que possible grâce à son expérience, cependant, elle ne savait pas comment l'aider davantage pour cette histoire de lourd mensonge...

- Plus les jours passent, et plus ce sera dur pour elle de l'accepter, songea-t-elle. Tu dois lui dire.

     Une chose bien plus facile à dire qu'à faire que l'homme savait bien. Il ne se sortirait jamais de cette situation s'il restait muet comme une tombe sur la vérité. Ce n'était qu'une question de temps avant que tout soit clarifié, qu'il le veuille ou non. Alan fut soulagé d'avoir pu exprimer sincèrement sa peine avec quelqu'un, en particulier son amie. Dorénavant, il se disait qu'il ferait de son mieux pour avancer, même si de nombreuses difficultés se présenteraient sur le chemin. Malheureusement, Nell était un peu moins confiante, elle le savait malade, et malgré tous les efforts envisageables, ce ne serait guère une mince affaire.

- Je vais au Château d'Hyrule, ce soir, changea-t-il soudainement de sujet. C'est notre dernière chance pour le village.

- Alan, par pitié, ne recommence pas... Ce n'est pas la solution.

     Il se releva et épousseta son pantalon avant de délivrer un dernier regard dans la direction de la femme encore adossée contre le mur.

- Je n'ai pas le choix...

     Cette réponse ne lui convenait pas, Nell trouvait qu'il faisait erreur sur toute la ligne. Le choix avait toujours été de mise et il l'était toujours. Convaincu que fouiller les sous-sols du château pour y trouver des richesses étaient une idée brillante, le chef se devait de prendre le risque ne serait-ce que pour vérifier de ses propres yeux s'il avait eu raison. Ses pouvoirs le protégeraient de l'environnement hostile qu'était la forteresse, il profiterait de cela pour se frayer un chemin sans danger.

- Alan ! s'exclama Nell avec une once d'autorité lorsqu'elle le vit partir.

     L'homme s'arrêta pour l'écouter. Elle ne pouvait retourner à ses occupations après ce qu'elle venait d'apprendre, car la sécurité de Lysia était en jeu, depuis le début, Nell l'avait peut-être aidée à se mettre sur la trace de quelqu'un capable de tuer un être humain de sang-froid à cause du mutisme d'Alan sur le sujet. L'Hylienne commençait à regretter d'avoir permis à la blonde de s'en être allée en secret.

- Où est Madeline ? demanda-t-elle désespérément, pensant que là aussi, l'oncle savait des choses qu'il cachait à tout le monde.

     C'était une information qu'il ignorait et que de toute évidence il ne souhaitait pas savoir. Il n'avait aucune idée de sa position ni de si elle était encore en vie, mais l'important pour lui était la sécurité de son village et de sa famille. Madeline était une menace pour Lysia, elle lui avait fait du mal à elle et son père, pour l'oncle, elle n'avait plus sa place parmi eux. Pour répondre à Nell, il prit un ton strict et déterminé qui démontrait encore et toujours la position de l'homme concernant la question de la disparition de la mère de Lysia.

- Le plus loin possible de ma nièce, je l'espère.

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