Chapitre 10 : Le village de pêcheurs
- Papa, si tu m'entends, si tu me vois... Je voulais simplement que tu saches que je pense à toi tous les jours, que je n'arrête pas de repenser à notre vie à deux, ce que tu m'appris, l'éducation que tu m'as offerte. Aujourd'hui, tu me manques terriblement, j'ai besoin de toi.
Un groupe de lézalfos se mit à traverser le pont d'Hylia sur lequel Lysia rendait son hommage. Les monstres l'avaient prise en chasse et elle pouvait entendre leurs cris d'excitation à l'idée d'attraper une proie telle que l'Hylienne l'était. Le danger se rapprochait mais la jeune femme restait là, sur place, au bord du pont à regarder le lac dans le vide en contrebas, profitant des dernières secondes qu'elle avait encore pour les consacrer à son père dont elle n'avait jamais retrouvé le corps.
- Je sais que toi, tu m'aurais raconté la vérité entière sur tout ça, sur ma naissance, ma vie... Mais le destin a fait que je dois m'en sortir seule, je suis la seule à pouvoir m'aider, et je veux juste que tu sois fière de moi...
Elle essuya la larme qui coula le long de sa joue. Marcher sur ce pont où cela s'était produit était dur, et à chacun de ses pas, Lysia sentait sous ses pieds les souvenirs que renfermait ce lieu. Son cheval qui l'attendait derrière elle se mit à s'exciter en apercevant ces grands reptiles s'approcher d'eux à une vitesse inquiétante. La blonde ferma les yeux et gardait son calme, il ne lui restait plus beaucoup de temps.
- Oncle Alan m'a dit que c'était toi le grand voleur Lambda dont tout le monde parlait à l'époque. Tous te voyaient comme une menace à l'époque. Moi, je te vois comme une légende qui a vécu sur ces terres, tu étais un homme courageux et qui rêvait de vivre entouré d'une famille épanouie, et tu étais prêt à tout pour elle, je suis fière de t'avoir eu comme père.
Malheureusement, elle dut se résoudre à s'en aller, pour éviter de remettre sa vie en danger.
- Je suis fière d'être ta fille, papa.
OoO ~ I ~ OoO
Cinq jours s'étaient écoulés depuis son départ de Labulat. Presque une semaine d'absence près de ses proches, elle n'osait pas imaginer l'état de son oncle à l'heure actuelle. Parfaitement consciente de la façon dont il l'accueillerait à son retour, elle était prête à en subir les conséquences pour trouver des pistes qui pourraient mener jusqu'à sa mère disparue. D'autres personnes commençaient à lui manquer, comme Arthur. La nuit, elle ne pouvait s'en empêcher de penser à ce qu'il faisait, comment il s'occupait durant son absence, la jeune femme espérait qu'il ne s'inquiétait pas trop et hésitait encore à lui raconter son histoire concernant le Yiga, qui remontait à quatre jours en arrière dans la semaine. Depuis cet épisode, aucun monstre ne lui avait vraiment était d'un danger mortel, Lysia en avait croisé de nombreux, certes, mais tous l'avaient rarement prise en chasse, car elle savait se faire discrète et connaissait les techniques pour passer inaperçue près d'un groupe de Bokoblins par exemple. Elle put aussi, durant son voyage, remarquer le vide et le silence dans lequel était plongé Hyrule ; en effet, mis à part trois ou quatre passants, elle n'avait croisé personne. Le royaume était comme devenu fantôme, cela était très perturbant.
Mais ce jour-là, Lysia atteignit enfin son objectif. Après avoir traversé Firone avec courage, elle parvint à l'entrée du village d'Écaraille qui s'élevait du sable de la mer s'étendant à perte de vue. Ce fut un réel de soulagement d'apercevoir ces maisons en bois circulaire parfois bâties autour d'un haut palmier. Leur toit était fait de paille, et leur taille restait restreinte. Ici, c'était le paradis des pêcheurs, autre nom du village donné parfois par les habitants des autres régions. Le cri des mouettes et le bruit des vagues s'entremêlaient, et les crabes déambulaient sur le sable pour trouver une cachette. C'était la première fois que Lysia venait en ces lieux qu'elle trouva très apaisants. Au large, quelques barques de pêcheurs flottaient sur place pour attraper des poissons, et des marchands de fruits de mer se trouvaient sur un ponton en bois aux allures fragiles. La vie ici était simple mais dure, les gens travaillaient, chassaient et pêchaient pour survivre et non vivre. La résurrection de Fléau se sentait même dans les mers, nombreux poissons et animaux marins disparurent du royaume et de la baie suite à l'arrivée Ganon, et les habitants du petit village durent s'adapter au mieux.
Un élan d'adrénaline prit le contrôle de Lysia en se rendant compte de l'endroit où elle était. Et si sa mère se trouvait à quelques mètres d'elle, en ce moment ? Et si elle était à l'intérieur de l'une de ces petites maisons ? Comment l'aborder, et comment réagirait-elle ? Dans la lettre retrouvée dans les affaires de son père, cette lettre de sa mère qui l'avait fait venir jusqu'ici, adressée à son grand-père, elle faisait mention du fait qu'elle souhaitait de tout cœur venir vivre en ces lieux pour que Lysia, bébé à l'époque, puisse faire ses premiers pas dans le sable, au bord de mer. Pour la blonde, c'était une évidence qu'elle était ici, n'importe où ailleurs aurait été illogique.
Depuis son arrivée, personne ne semblait avoir remarqué sa présence ; inconnue pourtant de ces contrées, tous étaient très occupés dans leurs tâches quotidiennes. Un groupe d'hommes partait à la pêche, tandis que d'autres accompagnaient leurs femmes au bord de mer pour attraper des crabes, réputés pour être très nourrissants. Lysia avait scruté une par une chaque personne qu'elle avait sous ses yeux, pour essayer d'y trouver une blonde, aux yeux gris. Telle était la description qu'on lui avait faite de sa mère. Malheureusement, les Hyliens et les Hyliennes de Firone avaient tendance à avoir des cheveux plutôt bruns voire noirs, et personne ne correspondait à ses critères ici. Impatiente, ce fut sa première petite déception. De plus, elle se faisait toute petite, car la lancière avait l'impression de tous les déranger dans leur petite vie tranquille, et elle cherchait à qui s'adresser pour avoir davantage d'informations. Mais qui prendrait le temps de l'aider pour des histoires de famille qui ne concernaient qu'elle ? Lysia souffla et ravala ses inquiétudes. Elle se décida donc à aborder quelqu'un, n'importe qui, mais une personne qui au moins lui répondrait.
Au bord de la plage, une vieille femme isolée portait deux lourds seaux remplis d'eau de mer. Ces derniers devant certainement contenir des coquillages comestibles que l'Hylienne âgée venait de dénicher, elle les portait à bout de bras, un dans chaque main, avec grandes difficultés. Pourtant, des femmes passaient à côté de la doyenne et aucune d'entre elles n'eut la gentillesse de venir l'aider, au contraire, elles l'ignorèrent. Lysia eut pitié de cette vieille dame se débrouillant désespérément seule et s'empressa de la rejoindre pour lui donner un petit coup de main qui ne lui ferait aucun mal. Altruiste comme la blonde l'était, il était de son devoir de l'aider. Arrivée à son niveau, Lysia put découvrir plus en détail le physique de la vieille femme. Elle était petite, le dos courbé, et les rides qui se dessinaient sur son visage témoignaient de son grand âge. De plus, ses cheveux blancs étaient plutôt courts, et une certaine sagesse émanait de son corps tout entier, son expression faciale restait neutre malgré la difficulté qu'elle ressentait à porter ces poids.
- Laissez-moi vous aider... prononça Lysia en s'emparant des deux sceaux d'eau.
Surprise, la femme s'arrêta sur place et dévisagea cette Hylienne qui fut la seule à accepter de l'aider. Au vu de ses traits de visage et de ses autres particularités physiques qui lui faisait penser à ceux de la déesse Hylia dans les livres illustrés, elle comprenait qu'elle ne venait pas d'ici. Ne plus porter ces seaux fut un grand soulagement et la vieille femme la remercia.
- Vous êtes bien aimable, jeune fille, merci.
Elle lui indiqua le chemin à prendre jusqu'à se petite maison où rapporter tous ces coquillages baignant dans l'eau. Lysia comprit pourquoi cette pauvre dame avait tant de difficultés, ces seaux pesaient tout de même très lourds, elle fit travailler ses biceps pour tenir jusqu'à destination, grimaçante. De plus, marcher dans le sable la ralentissait et n'était pas pour lui venir en aide. L'originaire d'Écaraille la suivait à une cadence plus lente qu'elle en arrière, bien que les deux Hyliennes n'étaient pas très éloignées l'une de l'autre. Cependant, quelque chose intrigua Lysia ; les passants les regardaient d'une manière très mauvaise, avec des yeux noirs. À travers leurs jugements visuels, elle se dit qu'elle n'était finalement pas la bienvenue parmi eux, jusqu'à ce qu'elle remarque que ce n'était pas elle que les gens dévisageaient, mais la vieille femme.
- Pourquoi nous regarde-t-il tous comme ça ? s'étonna-t-elle.
- Oh, vous savez, je suis loin d'être aimée ici... soupira son interlocutrice.
Cette phrase la plongea dans une incompréhension profonde. Pourquoi les habitants du village développeraient un quelconque désamour pour une femme faible et d'un grand âge qui ne demandait jamais rien à personne ? Certains semblaient en colère, d'autres avaient peur, et personne n'osait s'approcher à moins de trois mètres. Ne voyant que de la simple méchanceté de la part de ces gens, la blonde fronça les sourcils.
- Pourquoi ça ? s'empressa de comprendre Lysia qui trouvait cela injuste.
- Les gens vous cachent bien des choses qu'ils s'abstiennent de vous dire, répondit-elle. Je passe outre leurs jugements, plus personne ne veut passer de temps avec la vieille Lisa qui ne tient presque plus sur ses deux pieds...
Malgré ses propos, elle ne semblait aucunement triste. Cette femme, prénommée Lisa, s'était faite à cette réalité qu'elle acceptait sans pouvoir rien y changer. Les habitants du village d'Écaraille veillaient à ne pas s'approcher d'elle et faisaient en sorte de ne pas croiser son chemin. Cela faisait des années que cela durait désormais. Mais Lysia refusait d'entendre de telles choses, elle tenta de flatter l'égo de son aînée.
- Ne soyez pas si dure avec vous-même, je suis certaine que vous êtes encore capable de plein de choses !
Lisa fit un geste du bras voulant dire qu'elle n'y croyait plus. À l'approche de sa maison, l'ombre des falaises recouvrit la plage et le sable se refroidit brutalement sous leurs pieds. La vielle femme passa devant la blonde et lui indiqua où poser les seaux devant la porte d'entrée. Ces derniers s'enfouirent de quelques centimètres dans le sable sous l'effet du poids, Lysia avait veillé à ne rien renverser sur le chemin, et ce fut une réussite, elle était ravie d'avoir pu aider une personne dans le besoin sur sa route. La petite demeure de bois était isolée des autres, il s'agissait de la seule à l'ombre, du côté ouest de la plage, là où personne ne mettait les pieds. Cet endroit était paisible, bien des pierres tombales à seulement quelques mètres laissait un aspect un peu plus lugubre à l'atmosphère pourtant paradisiaque. Lisa, satisfaite, se retourna vers la jeune femme et lui prit la main pour la remercier. Jamais personne ne l'avait aidée ainsi depuis très longtemps, elle lui était d'une reconnaissance grandiose.
- Dites-moi ce que je peux vous offrir en échange de votre service, insista Lisa qui semblait prête à lui offrir tout et n'importe quoi.
- Un simple renseignement de votre part me suffira, assura la blonde.
De toute évidence, la doyenne du village le lui accorda, si cela lui suffisait. Celle-ci s'approcha légèrement de Lysia pour la scruter d'un peu plus près. Cette peau jeune, ce visage lisse et ces yeux profonds... Toutes ces choses lui rappelaient ce qu'était la jeunesse et cette période merveilleuse de sa vie. Lisa, nostalgique, poussa un soupir et fut heureuse d'accueillir une jeune femme telle que celle qui se trouvait devant elle, cela lui rappelait des souvenirs, la vigueur et le dynamisme de la blonde se transmettait à elle si fort qu'ils avaient l'effet d'une fontaine de jouvence.
- Vous n'êtes pas d'ici, n'est-ce pas ? dit-elle avec sa voix usée.
- En effet, je viens de la région de Tabanta.
Elle avait si peu voyagé dans sa vie que ce nom ne lui disait rien. Firone était déjà bien assez grande. Née au bord de la mer, elle comptait y rester jusqu'à la fin de ses jours. Ainsi, l'Hylienne fit mine de savoir de quel côté du royaume elle faisait allusion et revint au sujet principal.
- Comment puis-je vous aider ?
Le cœur de Lysia sursauta d'un seul coup, le moment était venu d'en savoir plus. Lisa qui résidait ici depuis toujours devait pour sûr posséder des informations intéressantes. Depuis le temps qu'elle attendait ce moment précis, qu'elle attendait d'être là, présente en ces lieux pour connaître la vérité... C'était comme si tout devenait concret, tout ce dont elle imaginait était enfin réel, il ne manquait plus que le verdict, sa mère était-elle véritablement là ?
- J'aurai simplement voulu savoir si une femme du nom de Madeline vivait ici.
- Madeline, vous dîtes ?
- Oui, vous en connaissez une ?
Ce nom la replongeait plusieurs années en arrière, il lui était même très mélancolique. Lisa prit un temps avant de répondre à la question de la blonde, impatiente de savoir. D'abord intriguée par cette interrogation, elle resta stoïque et la dévisagea ; l'habitante d'Écaraille croyait revoir la Madeline qu'elle avait connue, à l'exception de ses yeux verts qui différaient. Les mouettes qui raillaient depuis de longues minutes en survolant le large semblaient s'être tues pour laisser parler seulement Lisa qui déglutit dans sa gorge sèche.
- J'ai connu une Madeline, confirma-t-elle, qui vous ressemblait d'ailleurs. Elle non plus ne venait pas d'ici, et pourtant, elle a passé le plus clair de son temps au village, elle y a même grandi. Vous connaissiez sa famille ?
Difficile de répondre à cette question, Lysia restait déjà sans voix d'apprendre que cette femme avait connu sa mère, Lisa était la première passerelle entre elle et son passé mystérieux qui la tourmentait depuis si longtemps, la première étape d'une quête de recherches que la blonde espérait riche en révélation. En bégayant de stupéfaction, elle lui révéla qui elle était pour Madeline.
- En fait, c'est... ma mère.
La vieille femme vit sa mâchoire se détendre davantage avant d'afficher une bouche bée par le choc que cette affirmation lui procura. Elle comprit d'où venait cet air de ressemblance si prononcé, et cette mélancolie envahissante qui l'habitait à chaque fois qu'elle la regardait. L'Hylienne libéra le chemin et supplia Lysia d'entrer chez elle, chose que personne d'autre n'avait fait depuis des années.
- Venez. Venez, entrez... déclara Lisa sur un ton autoritaire.
Les mains entremêlées, elle jeta un dernier regard à son cheval dehors au loin ainsi qu'à ses affaires de voyage près de la bête pour vérifier si tout allait bien. Puis, elle pénétra dans la petite maisonnette de Lisa, gênée par les gens autour qui paraissaient choqués de la voir entrer en ce lieu. La demeure était circulaire comme toutes les autres sur cette plage, et un tronc de palmier se dressait en plein centre de la seule et unique pièce. Lisa ferma brutalement la porte derrière son invitée et se précipita pour chercher deux chaises ainsi qu'un bol de crabe séché coupé en petits cubes, pour déguster. Elle percuta dans un bruit sourd la petite table qui gênait le passage et insista pour que la blonde se mette à l'aise et emprunte une des chaises en bois. À droite, des sceaux remplis d'eau de mer, des poissons, ainsi qu'un lit de paille à même le sol se présentèrent aux yeux de Lysia qui vit dans quelle modestie vivait son hôte. De l'autre côté, en tournant la tête, elle aperçut des ustensiles pointus, et d'autres tranchants servant à découper le poisson. Une marmite en ferraille était également posée là, inutilisée depuis un certain temps.
La réaction de la doyenne du village l'avait interloquée, elle semblait perturbée, choquée. Ce qui confirma à Lysia qu'elle ne sortirait pas d'ici sans avoir recueilli un minimum d'informations. Si près du but, elle ne lâcherait rien, même s'il fallait forcer Lisa à lui dire ce qu'elle voulait savoir. Cette dernière essuya ses bottes de voyages sur un vieux tapis qui servait à cet usage avant de prendre place timidement autour de cette petite table. Une première interrogation lui tourmentait l'esprit, cherchant à faire le lien.
- Pardonnez-moi mais... êtes-vous de ma famille ?
- Hubert... Ce nom te dit-il quelque chose ? enchaîna Lisa en la tutoyant, sans l'avoir écoutée.
- Pas vraiment, non...
Elle eut un doux sourire en songeant à cet homme avec qui elle avait partagé tant d'années de sa vie, avant que la maladie ne l'emporte tragiquement en raison de son âge très avancé. Elle se souvenait encore de sa longue barbe et de ses longs cheveux blonds coiffés de sorte qu'ils ne gênent pas sa vue. La vie avait été si cruelle de l'avoir fait disparaître subitement, laissant Lisa seule, noyée dans une tristesse profonde qui se transforma en nostalgie avec le temps qui s'écoulait.
- C'était un pêcheur du village, autrefois. Un homme simple, généreux, et qui avait son caractère...
Lysia perçut des trémolos dans la voix de l'Hylienne qui justifiait l'émotion intense qui l'animait pendant qu'elle parlait. Le silence et la pénombre où baignait la maisonnette donnaient une atmosphère morose à la pièce dans laquelle tant de beaux souvenirs avaient pourtant été vécus. Un mélange de tristesse et de joie étrange tourmentait la sensibilité de la nièce.
- Hubert aimait follement ce coin d'Hyrule, continua la vielle femme, Écaraille était sa vie, il ne voulait vivre nulle part ailleurs, quiconque tentait de le dissuader le faisait en vain, vous savez.
Le son des vagues qui venaient frapper le sable humide retentissait jusqu'ici, Lisa sentit les larmes monter en entendant cela. Lors d'une pêche au bord de mer, Hubert était tombé dans l'eau salée, ce fut lors de ce jour que, suite à sa chute, il ne s'était point relevé, et les vagues furent la dernière chose qu'il vit et entendit. Sa mort soudaine était néanmoins représentative de sa vie, il était né ici, sur la plage, et il quitta ce monde au même endroit... Désormais, la villageoise avait le cœur lourd comme de la pierre et ne vivait plus que dans l'attente de le rejoindre à son tour.
- Et ce Hubert... A-t-il un lien avec moi ou ma mère ? demanda Lysia, navrée.
Son hôte releva le regard jusqu'alors perdu dans ses souvenirs, et elle vint l'ancrer dans celui de sa jeune invitée qui put discerner des larmes couleur le long de ses joues, ridées par la vieillesse.
- C'était ton arrière-grand-père, ma petite... Par Hylia je ne t'ai même pas demandé ton nom !
- Lysia.
- Lysia, quel joli nom... Il aurait tellement aimé ce nom...
Devant les sanglots de Lisa, la jeune femme ne savait quoi faire, elle voulait la consoler mais ne trouvait pas les mots. Lysia baissa la tête pour manifester sa peine et son empathie, bien qu'également émue d'avoir appris l'existence du grand-père de sa mère. Elle découvrait quels étaient ceux qui composaient sa famille, plusieurs générations avant elle, et il ne fallait pas être doté d'une intelligence suprême pour comprendre que Lisa avait eu de fortes liaisons amoureuses avec Hubert. Un amour inconditionnel et puissant.
- Vous l'aimiez ? supposa la blonde en connaissant déjà la réponse.
Lysia voyait bien que formuler des phrases lui coûtait, celle-ci démontra sa compassion envers elle en lui tenant ses mains tremblantes et fripées. Après un discret reniflement, Lisa fit un hochement de tête de confirmation distinctif. Avec Hubert, ils étaient comme mari et femme, et bien qu'ils ne n'eussent guère pu se marier, elle se sentait veuve et désespérée.
- De tout mon cœur... répondit-elle.
La luminosité de la pièce faiblit encore davantage en raison du ciel qui devenait de plus en plus couvert, une averse se préparait, si elle ne cessait pas avant la nuit proche, la blonde ne pourrait pas reprendre la route du retour de sitôt. Ce potentiel problème lui sortit de la tête lorsque Lisa se mit tout à coup à tousser sèchement, ce qui eut pour cause de cesser ses pleurs pour un instant. Cette pauvre femme semblait si frêle et que Lysia voulait rester auprès d'elle un temps, pour s'assurer qu'elle allait bien. Sa gentillesse et sa compréhension l'avait touchée. Lisa avait porté son poing contre ses lèvres pour camoufler sa toux, Lysia fut troublée par un élément qui venait de lui sauter aux yeux : des traces de sang venaient d'apparaître sur les doigts de son hôte. La pensant très malade pour tousser du sang ainsi, elle lui proposa de boire un peu d'eau pour la soulager. Mais après avoir insisté pour la soigner d'une quelconque façon, Lisa la rassura et lui dit que tout allait bien pour elle, contrairement à ce qu'elle laissait transparaître.
- Êtes-vous mon arrière-grand-mère ? l'interrogea alors Lysia.
Ses yeux humides furent dissimulés derrière ses paupières tandis qu'elle fit un signe négatif de la tête. Lisa avait partagé plus de trente ans de vie de couple avec son feu conjoint, elle n'avait cependant jamais eu d'enfants avec Hubert, à son grand regret.
- Je n'ai aucun lien de parenté avec toi, ma petite. J'ai en effet vu grandir votre mère ici, mais je reste la deuxième femme qu'Hubert a eu dans sa vie, et son seul et unique véritable amour. Je ne connais même pas le nom de ton arrière-grand-mère, il n'en parlait jamais, je ne sais rien sur elle, mis à part qu'elle l'a abandonné sans regrets.
Déçue, Lysia se tut un temps.
- Un jour, continua Lisa, après une absence de plus de vingt ans pendant lesquels il était parti vivre en ville, à l'Étape d'Hyrule, il est revenu ici, sur sa terre natale, avec sa petite fille Madeline encore bébé. Il m'a dit que nous devions tout faire pour la protéger, et que quiconque s'en prenait à elle méritait de mourir. J'ai voulu savoir pourquoi, du jour au lendemain, il avait une petite fille dans ce monde, et où se trouvait la mère de la petite, mais je n'ai jamais eu de réponse.
Son attention était entièrement tournée vers ses propos, Lysia n'avait jamais écouté quelqu'un d'une manière aussi concentrée et intéressée. Elle s'était penchée le plus possible en avant, accoudée sur la table, pour discerner un maximum la voix faible de la vieille femme. Puis, elle sortit dans le même temps un petit carnet de note de sa poche pour écrire toutes les informations qu'elle trouvait importante à ses yeux, comme des éléments sur la vie de Hubert, ou le temps durant lequel sa mère avait vécu au village. Le moindre mot de la part de la veuve était susceptible de la faire avancer sur le chemin qui menait jusqu'à Madeline. Ainsi, Lysia l'écoutait tout en ayant le nez plongé dans ces pages blanches, n'attendant qu'à se faire recouvrir d'encre.
- C'est ce que tu cherches n'est-ce pas ? murmura Lisa pendant qu'elle notait. Des réponses.
D'un hochement de tête, elle lui confirma que c'était tout ce dont elle souhaitait depuis son plus jeune âge : comprendre. Elle n'avait jamais autant avancé dans ses recherches en l'espace de si peu de temps, grâce à la femme qui se remit à toussoter plus fort. Avec difficulté, elle dut avouer à Lysia qu'elle aussi restait ignorante de beaucoup de choses.
- Malheureusement... je ne peux pas t'en dire pl...
- Auriez-vous la connaissance de...
Lysia ne termina pas sa phrase lorsqu'en relevant la tête, elle aperçut l'état plus que perturbant de Lisa, silencieuse qui chuchotait des choses incompréhensibles et inaudibles. La blonde fut prise d'un sursaut en constatant l'absence de pupille et d'iris dans les yeux de Lisa, complètement blancs. Celle-ci tremblait de tout son corps, sa mâchoire vacillait tout comme ses pupilles et immobile, elle ne produisait aucun bruit. Elle serrait les poings et tous ses muscles étaient contractés, comme si elle retenait quelque chose en elle qui voulait sortir. Cette pauvre femme souffrait, c'était une évidence, mais de quelle maladie ? Au bout de quelques secondes terrifiantes pour la jeune femme bouleversée, les tremblements, les yeux blancs et le reste disparurent ; la villageoise retrouva un état normal.
- Est-ce que tout va bien, vraiment ? insista l'Hylienne qui ne comprenait pas ce à quoi elle venait d'assister.
- Le jour où Madeline est partie d'Écaraille, elle avait ton âge, reprit Lisa en ignorant la question. Elle disait vouloir changer de paysage, partir vers d'autres horizons pour découvrir le royaume. Hubert a eu du mal à la laisser s'en aller, mais il ne pouvait la garder ici pour la vie, il dut se faire à cette réalité. Ainsi, Madeline est partie vivre dans la demeure de son grand-père et sa grand-mère, à l'Étape d'Hyrule, et y a vécu pendant onze années.
Voyant qu'elle continuait sur sa lancée, la blonde dut nier les événements qui venaient de se produire devant ses yeux, et profiter de cette opportunité qu'elle avait de se tenir devant une personne vivante autre que son oncle qui avait connu des membres de sa famille désormais disparus. Les informations délivrées sur Hubert, bien que Lysia ne l'avait jamais connu, étaient intéressantes pour émettre certaines hypothèses, surtout s'il avait élevé Madeline durant toute sa jeunesse. Pourquoi était-elle partie de cette plage ? Avait-elle eu des différends avec son grand-père, ou souhaitait-elle véritablement connaître l'expérience de vivre en ville, entourée de personnes dynamiques et au rythme de vie contraire au sien, dans un monde bruyant qui ne dormait jamais.
- Possédez-vous une chose qui lui appartenait ? espérait la nièce. À lui ou Madeline ?
Peu de choses restaient de cet homme, Lisa avait suivi la tradition du village, qui était de se détacher de tout ce qui pouvait avoir un lien avec le défunt, pour que plus rien ne l'incite à rester bloqué en ce monde, afin de l'aider à partir ailleurs, dans un endroit spirituel où la déesse les accueillerait avec bienveillance. Ainsi, tout objet, souvenirs et autres de ses affaires avaient été rassemblés et brûlés durant l'enterrement d'Hubert. Cependant, Lisa gardait une dernière chose qu'elle n'avait pas osé détruire.
- Il tenait beaucoup à sa carte de voyage. Mais elle est en très mauvais état et presque illisible maintenant...
- Je peux la voir ?
La vieille femme lui pointa du doigt le tiroir d'une petite commode en bois non loin de là, dans lequel Lysia trouva une carte, enroulée, et quelque peu déchirée sur les extrémités. Elle faisait au moins cinquante centimètres de largeur et soixante-dix de longueur, ce qui était considéré chez les voyageurs comme une grande taille pour une carte qui s'avérait donc détaillée, précise. Malheureusement, son état était déplorable, le papier était fragile, froissé, et l'encre qui avait été déposée dessus s'effaçait petit à petit au fil des années. Il était tout de même possible de discerner le royaume d'Hyrule mais certaines parties disparaissaient complètement.
Faisant glisser ses doigts sur le papier, Lysia scrutait toutes les zones de la carte, intéressée non seulement par ce qu'elle affichait mais aussi par le fait qu'elle appartenait à quelqu'un de sa famille. Lorsqu'elle se pencha sur la partie en bas à gauche, correspondant à l'extrême sud-ouest d'Hyrule, elle y discerna des inscriptions bien plus marquées, qui se distinguaient du reste tant elles étaient d'un noir de jais, et paraissaient moins anciennes. Incapable de lire ces écrits, l'Hylienne ne comprenait pas le sens ni le pourquoi de ces inscriptions intrigantes.
- Ces notes ont été ajoutées par la suite, déclara-t-elle. Vous l'aviez déjà remarqué ?
- Pas vraiment, qu'est-ce qu'il est écrit ? demanda Lisa.
- Aucune idée, ce sont des symboles que je ne connais pas, on dirait presque un autre alphabet.
Ces notes, inscrites près du Désert Gerudo sur la carte, se trouvaient là où les tempêtes de sable faisaient rage constamment et où personne ne pouvait s'aventurer. Que pouvait-il y avoir de si intéressant sur cette partie du désert inaccessible s'il n'y avait que sable, chaleur, et désolation ? Lysia pensait mettre le doigt sur une potentielle piste et souhaitait en savoir plus en demandant à un professionnel de la cartographie.
- Je dois montrer ça à Nell, se dit-elle. Puis-je vous l'emprunter ?
Lisa la regarda avec un air dépité, lui avouant que cela ne pourrait pas être possible. Ce n'était pas une question de confiance, mais de sentiments.
- C'est tout ce qu'il me reste de lui... prononça la doyenne. Je suis désolée ma petite.
La blonde revint les pieds sur terre, déçue. Elle prit la décision de recopier les étranges écriteaux dans son petit carnet de note, même si posséder la carte en elle-même aurait été bien plus pratique et intéressant sous les yeux de Nell, qui devait avoir une montagne de connaissance à ce sujet. Lysia s'appliqua du moins qu'elle le put avant de refermer son carnet et de remercier Lisa tout de même, pour tout ce qu'elle avait pu lui faire part. Même si sa mère n'était pas présente en ce village, la jeune femme en ressortirait avancée et sur de nouvelles traces. Puis, ne sachant plus quoi ajouter toutes les deux, elles se regardèrent dans le blanc des yeux quelques secondes, toutes deux ne réalisant pas qui elle avait en face d'elles. Les cernes qui se dessinaient sur le visage de l'apprentie voyageuse commençaient à de plus en plus se montrer à la lumière du jour.
- Tu as dû faire un long voyage, supposa Lisa, laisse-moi te loger pour une nuit avant de partir... Cela fait si longtemps que je vis seule, et que je n'ai pas rencontré de jeunesse comme tu l'incarnes tant.
Une bonne nuit de sommeil n'était pas de refus, le chemin était si long que la moindre pause était gratifiante, une des règles d'or des voyageurs étaient de ne jamais forcer sur ses capacités physiques pour terminer son voyage plus vite, à cause d'impatience. Ainsi, Lysia aurait accepté avec joie de rester dormir quelques heures ici, en ces lieux. Cependant, les réactions bouleversantes dont elle avait assisté la faisaient tout de même hésiter. La peur l'avait en partie envahie, il fallait l'avouer, et Lisa avait certes le don d'une gentillesse et d'une amabilité remarquable, la lancière ne pourrait oublier ce qu'elle avait vu.
Elle mit du temps avant de répondre à son interlocutrice à qui cela faisait très plaisir d'héberger une jeune femme, d'autant plus qu'elle s'avérait être l'arrière-petite-fille de son mari disparu. C'était d'une forte impolitesse pour la blonde d'avoir profité de cette discussion pour obtenir des informations, et s'enfuir aussitôt continuer son chemin, avec un simple remerciement de pacotille. Si cela lui faisait tant de baume au cœur de l'accueillir une nuit, elle ne pouvait refuser une telle offre. Lysia accepta donc, sans grande quiétude.
OoO ~ I ~ OoO
Seuls de sourds bruits lointains parvenaient jusqu'à ses oreilles. Plongée dans la phase paradoxale de son sommeil, elle rêvait, paisiblement. Ce monde onirique qui l'avait déconnectée de la réalité tenait encore debout, même si de l'agitation là où elle dormait se faisait entendre et tentait de le faire disparaître, menaçant de réveiller Lysia qui se remettait encore d'une grande fatigue. Sous ses paupières fermées, ses yeux se mouvaient, la blonde vivait pleinement ce rêve dans lequel Arthur l'accompagnait jusqu'au sommet d'une montagne surmontant toutes les couches et mer de nuages. Le ciel était d'un bleu azur uni et la montagne pointue telle une aiguille levée vers les cieux. Une vision très plaisante et agréable d'autant plus que la blonde avait eu le droit à un tendre baiser romantique de son ami à la fin de leur ascension. Ces nuits durant lesquelles elle rêvait de choses similaires restaient les meilleures selon elle.
Son lit avait été installé à même le sol, sous une fenêtre ouverte qui laissait passer la fraîcheur nocturne, le faible vent qui faisait bouger les feuilles de palmier venait parfois lui caresser la peau avec tendresse. Cheveux totalement décoiffés, Lysia avait la moitié de son visage plongé dans son oreiller, tournée du côté du mur, et respirait plus fort par moments. À ce stade du sommeil, son oreiller était la chose la plus douce contre laquelle poser sa tête, et sa couverture était à l'exacte température désirée par son corps. Un sentiment de bien-être fort dans lequel Lysia profitait d'être, le bruit de la mer l'avait bercée avant de s'endormir et le silence naturel de la région et du village avait aussi aidé. Cependant, elle était loin de se douter de ce qui se produisait dans la réalité.
Il était minuit lorsque des particules noires déambulèrent dans l'air, et pénétrèrent dans la maisonnette. Le vent devint alors chaud, comme dans un désert en plein jour, et des rayons de soleil sanguins semblaient éclairer l'intérieur de la maison à travers la fenêtre, en pleine nuit noire. En effet, c'était comme si un cauchemar avait pris possession de ces terres reculées. En effet, dehors, la plage était vide, fantôme, et recouverte d'un rouge vif, le ciel était sanglant et se reflétait dans l'eau de la mer. Plus aucun oiseau, aucun insecte n'était de sortie, seule une atmosphère de malaise et terrifiante planait. Ce qui réveilla Lysia fut les cris des monstres lointains, des rugissements effrayants et des murmures incompréhensibles inquiétants. Ces sons étaient si loins et pourtant s'entendaient de si proches que l'on pouvait penser la petite demeure entourée de créatures malfaisantes. Aucune étoile n'était visible dans le ciel. L'unique astre qui apparaissait était la lune, énorme, gigantesque, et rouge. Les Hyliens y voyaient même un visage sur sa face éclairée, un visage peu rassurant.
C'était la nuit de la lune de sang. Des minutes sombres qui s'abattaient certaines nuits de pleine lune sur Hyrule, c'était durant cette courte période que la rage de Ganon envahissait le ciel pour appeler ses sbires morts à ressusciter, espérant un jour qu'ils puissent le libérer des murs du château dans lesquels la princesse Zelda le retenait depuis une décennie. La lune rouge, caractéristique de cette nuit dangereuse, se voyait à l'horizon de l'océan, sa lumière se reflétait sur l'eau et formait une ligne rouge jusqu'à la plage à la surface de cette étendue marine. Cette lune si particulière remplaçait parfois la pleine lune basique, elle était un appel à l'aide, un ordre du Fléau pour tous les êtres corrompus et alliés du Mal. Cette vision d'horreur que tous cachaient aux enfants du royaume n'était pas apparue depuis quelques semaines, bien qu'elle fût mensuellement régulière depuis dix années. Lysia, comprenant ce qu'il se passait, soupira. Habituée à ce genre d'événements maintenant, elle n'avait plus peur de la lune de sang, comme beaucoup d'autres qui avaient appris à vivre avec la présence de Ganon permanente. Il suffisait d'attendre une quinzaine de minutes avant que ce filtre cauchemardesque disparaisse pour de bon, pour laisser place à une nuit des plus normales. Si éloignée de la civilisation, Lysia se sentait protégée dans cette maison, mais la jungle qu'elle avait traversée pour venir jusqu'à Écaraille devait, elle, être bien moins sûre.
La voyageuse se retourna sur le dos dans son modeste lit, attendant que les minutes passent avant de se rendormir, elle se frotta les yeux et, dans la pénombre nocturne, aperçut une silhouette humaine, debout et immobile face à la porte d'entrée. Une forme noire, au dos courbé, qui n'émettait aucun bruit mis à part de longs et inégaux raclements d'ongles contre du bois, un son désagréable qui venait de cette ombre étrange. La blonde crut rêver dans un premier temps avant de se demander ce qu'elle faisait là, à l'autre bout de son pays face à une telle situation dérangeante. Ces moments de doutes étaient normaux, mais elle ne pouvait plus faire demi-tour, Lysia sentit la peur l'envahir et sa cicatrice réagir à ce sentiment d'insécurité, avant de comprendre qu'il s'agissait de la propriétaire de la maison qui avait l'air de vouloir sortir.
En effet, cette dernière cherchait désespérément la poignée de la porte pour l'ouvrir, dans des gestes lents et totalement imprécis de sa part. Elle caressait le bois de la porte, parfois raclait ses ongles contre, mais ne mettait jamais la main sur la poignée. Avec l'ambiance qui planait, cette scène était plutôt surprenante et angoissante, la nièce n'était plus à l'aise du tout. Après déglutition, Lysia rationalisa en se disant que son hôte était sans doute somnambule, tout simplement, et qu'elle retournerait se coucher rapidement. Après tout, pourquoi Lisa voudrait sortir sous la lune de sang ? Même dans un village, le danger pouvait surgir lors de ces nuits. Pour savoir concrètement si elle agissait de manière intentionnée ou non et en avoir le cœur net, la lancière se redressa en position assise, sa fine couverture ne recouvrant plus que ses jambes jusqu'aux cuisses, et décida donc de l'interpeller avec une voix peu assurée et éraillée par le sommeil.
- Lisa ? Vous ne dormiez pas ? s'étonna-t-elle.
Aucune réponse. La silhouette n'avait pas bougé un membre, Lysia en conclut qu'il s'agissait de somnambulisme simplement tombé la mauvaise nuit, le mélange des deux, par conséquent, donnait une scène assez effrayante à regarder. Un phénomène plutôt étrange se produisit cependant ; les particules noires de corruption qui se déplaçaient dans l'air se rapprochaient davantage de Lisa, comme si elles étaient attirées par son corps. Inoffensives, de par le peu de malice qu'elles contenaient, elles se dirigeaient principalement vers la vielle femme qui ne réagissait pas à cela puis disparaissaient sans laissait aucune trace de leur passage. Lysia hésitait à se lever pour aller s'assurer du bon état de Lisa, mais la peur la bloquait dans son lit, même si une explication tout à fait normale existait pour la situation, elle savait qu'elle ne devait pas trop s'en faire.
Mais les grattements lents et les coups contre la porte cessèrent. D'un seul coup. Plongeant la pièce dans un silence mortel. Lisa laissa retomber son bras le long de sa hanche, en le balançant doucement de gauche à droite, comme si plus aucun muscle ne le maintenait dans une quelconque position. Sa posture lui donnait une allure de morte-vivante, d'une créature irraisonnée qui cherchait sa proie. La villageoise tremblait et émettait des sons profonds qui venaient du fond de sa gorge.
Celle-ci se tourna avec difficulté jusqu'à faire face à Lysia qui sursauta suite à l'horreur qu'elle vit. Lisa avait la mâchoire inférieure qui tombait, et ses yeux ne possédaient plus aucune pupille, ni aucun iris, ils étaient entièrement recouverts de corruption d'une couleur pourpre.
- Tue-moi... prononça-t-elle d'une voix faible et terrifiante.
Elle était une demi-corrompue, terme utilisé dans les anciens écrits qui signifiait que la partie de Ganon qui vivait en elle ne se réveillait qu'en période de lune de sang, car trop faible pour ne manifester en dehors du corps de l'Hylienne sans cela. Lysia poussa un cri d'effroi, elle pensait que tous les corrompus du début de l'ère du Fléau avaient été décimés par la princesse Zelda d'un seul geste de la main, lorsqu'elle sauva le Héros de la mort assurée. Lisa était aveuglée par les pulsions incontrôlables du Fléau qui retrouvait de ses forces lors des lunes de sang. Pas à pas, elle s'approchait de la jeune femme dans le but de la corrompre à son tour.
- Tue-moi... !! répéta Lisa plus fort en inclinant la tête vers l'arrière.
L'étroitesse de la pièce faisait que Lysia ne pouvait pas s'enfuir, ni même par la fenêtre qui se trouvait juste derrière elle, car elle s'avérait trop petite. Terrorisée, elle recula jusqu'à se retrouver plaquée contre le mur, sans la possibilité d'aller plus loin. Ses affaires se trouvait de l'autre côté de la maisonnette, son arme comprise, l'Hylienne était complètement prise au piège. Elle voyait les doigts de Lisa se tordre et se crisper dans tous les sens, comme si on lui infligeait une torture atroce. Cette femme souffrait et subissait son état, elle n'était absolument pas consciente de ses actes.
- Laisse-moi le rejoindre...
À l'instant qui suivit, elle disparut dans une fumée rose et noire de corruption, une vague de chaleur mordante mêlée à des rugissements bestiaux qui résonnaient. La masse noire se déplaça très vite jusqu'à Lysia qui sentait la douleur arpenter son abdomen, et la vieille femme surgit à dix centimètres de son visage de manière soudaine. Elle la repoussa de ses deux bras vers l'arrière, Lisa fit trois pas à reculons avant de perdre l'équilibre, et tomber au sol en percutant un tabouret sur lequel était posée une griffe de lézalfos acérée. Ses deux yeux rouges la fixaient avec intensité et semblaient venir d'un démon. Le corps âgé de l'habitante était loin de savoir supporter une telle force destructrice en lui, la blonde pensait que Ganon la tuerait si cela continuait comme ça.
- Aie pitié... dit la victime au sol en regardant Lysia.
- N'approchez pas... Je vous en conjure laissez-moi tranquille...
Plaquée contre le mur et les larmes coulantes, la nièce gardait sa tête collée et tournée vers le haut, les yeux fermés. Sa poitrine se décollait régulièrement de la paroi du fait de sa respiration rapide et puissante et ses mains à plat appuyaient si fort contre le mur qu'elles seraient passées à travers. Ses cheveux blonds décoiffés lui cachaient un peu la vue et elle n'avait même pas la force de les déplacer de devant son visage. Lysia avait l'habitude d'être sous le même toit qu'une personne corrompue, mais Lisa n'avait pas été touchée par la bonté divine comme Alan. Elle restait un danger mortel et imprévisible.
Par terre, dans un mélange de paillasse et de sable, Lisa attrapa la griffe de lézalfos qui était tombée juste devant elle avant que la force démoniaque qui l'habitait ne la force à se relever en moins d'une seconde. Elle n'eut besoin d'aucun de ses muscles pour s'aider, la vieille femme était désormais bel et bien debout sur ses deux jambes tremblantes, parfaitement droites comme des piquets plantés dans la terre. La griffe courbée et pointue qu'elle tenait en main droite faisait office d'arme blanche qu'elle pointa vers Lysia paniquée, incapable de se mouvoir. Au moindre de ses mouvements, elle pensait mourir d'un coup de la part de son hôte possédée.
Son ventre s'élevait à une température brûlante pour un corps humain, son vêtement par-dessus la brûlait tant que cela en devenait une véritable torture, elle croyait que le tissu allait s'enflammer sur sa propre peau. Les cris des monstres dehors restaient incessants, l'atmosphère rougeâtre paraissaient sans fin, comme si ce cauchemar n'allait pas s'arrêter. Ici, à d'innombrables kilomètres de son village, personne ne viendrait l'aider, encore moins en plein milieu d'une nuit rouge. Lisa rétrécissait la distance entre son arme et la jugulaire de la jeune femme petit à petit, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que quelques centimètres avant un contact sanglant entre les deux. Mais à ce même moment, la demi-corrompue s'arrêta brutalement.
- Laisse-moi mourir !! hurla-t-elle.
Ses propos incompréhensibles dans ce contexte n'apportaient aucun sens à la situation. Mais Lysia se rendit vite compte, qu'elle luttait contre elle-même. Cette griffe menaçante était tenue par Ganon et non Lisa, c'était le Fléau lui-même qui cherchait à la tuer, et personne d'autre. Depuis le début, ce n'était pas à la blonde qu'elle parlait, mais à la partie de Ganon qui l'habitait, elle communiquait avec une partie de ce monstre dont sa malice, un soir d'été, avait croisé sa route et envahi son corps. Lisa forçait contre la force corruptive en elle pour éviter de commettre ce meurtre atroce, et son poignet droit qui déterminait le sens de son arme pivota, faisant ainsi pointer la griffe non plus vers Lysia mais vers elle-même, dans le but de mettre fin à ses jours, pour que cette souffrance corporelle que lui infligeait le Fléau cesse ainsi que son chagrin d'amour bien trop fort pour qu'elle retrouve goût au reste de sa vie qui lui restait.
- Non !! hurla Lysia qui comprit ses intentions suicidaires.
Lisa ouvrit davantage sa mâchoire et un cri de bête sourd en jaillit, faisant bourdonner les oreilles de la blonde et réveillant le village entier. En s'ôtant la vie, elle éviterait à Ganon de s'en prendre à Lysia et elle pourrait également rejoindre Hubert. C'était un acte totalement bénéfique pour elle, et la vieille femme cherchait le courage de passer à l'action depuis de longues semaines. La griffe de lézalfos désormais tournée vers son abdomen, elle puisa dans ses toutes dernières forces pour amener la pointe de l'arme vers elle, de centimètres en centimètres.
Pour deux fois plus de résistance, la demi-corrompue joignit son autre main afin de pousser au maximum la griffe de son côté, luttant contre le Fléau qui lui, voulait atteindre Lysia. La force invisible était remarquable, c'était comme si l'arme voulait se retourner toute seule, et que Lisa la maintenait dans le bon sens. Voyant qu'elle allait réussir à se poignarder, la blonde se devait d'intervenir malgré le danger présent, il était inconcevable pour elle de la laisser mourir sans avoir fait la moindre chose pour éviter cela.
- Ne faîtes pas ça Lisa ! lança-t-elle en se jetant vers son hôte pour tenter de s'emparer de la griffe.
Malheureusement, elle fut projetée par la vieille femme sur le côté au moment où elle allait intervenir et entama une violente chute au sol. L'urgence de la situation la fit se relever instantanément, surpassant sa peur jusque-là envahissante. Il y avait une vie en jeu, il fallait faire quelque chose. Non loin de sa position, Lysia aperçut toutes ses affaires, dont sa lance. Elle s'en empara et, pendant que Lisa frôlait de plus en plus la mort, accourut vers elle pour faire barrage. Elle tenta de faire tomber la griffe avec le bout de sa longue arme, mais la pression que les doigts de la villageoise exerçaient dessus était trop élevée pour que cette technique ne soit fructueuse.
- Lisa... Ne commettez pas cette erreur ! lui en conjura la blonde. Il y a d'autres moyens de vous sauver de ce monstre ! Je connais quelqu'un qui peut vous aider...
S'approcher trop près et trop longtemps comporterait des risques de corruption, elle ne pouvait pas faire autrement que d'utiliser sa lance pour garder une certaine distance. Dans un élan de rage, elle attrapa la lance par la pointe avec la force d'un seul bras, sans se soucier des blessures qu'elle s'infligeait sur la main en tenant la pointe tranchante, et la tira si fort de son côté que Lysia dut lâcher prise, désarmée. Malgré les yeux totalement rouges de Lisa, l'Hylienne comprit qu'elle la regardait intensément, immobile, toujours en train de rapprocher la griffe de son corps. Un sentiment de détresse s'y discernait, son visage affichait une expression de désespoir plutôt que de la rage, et des larmes rouges coulaient sur joues.
- C'est mieux pour moi comme pour toi... marmonna Lisa comme ultime parole en dévisageant son invitée.
Lysia plaça ses deux mains devant sa bouche, choquée. Elle n'eut le temps d'agir qu'elle entendit le bruit de la chair qui se déchira en laissant pénétrer la griffe. Une colonne de corruption se forma au-dessus de Lisa, une vague de malice semblable à une tornade qui semblait fuir de son corps jusqu'au cieux en brisant le toit de la maison, dans des rugissements terrifiants. Cela dura trois longues secondes, un instant si court et intense durant lequel la pièce avait été ravagée ; puis, plus rien. Un silence des plus profonds reprit le dessus. La corruption s'en était allée, le danger avec, et Lisa se trouvait allongée au sol en train d'agoniser, la griffe recouverte de sang dans la main, venant d'être retirée de son ventre. Ses yeux étaient de nouveau normaux : Ganon avait quitté son corps en comprenant que ce dernier perdrait bientôt la vie. Un soulagement des plus agréables que la douleur engendrée par sa blessure mortelle à l'abdomen ne lui procurait presque aucune souffrance.
Elle souriait, heureuse d'enfin en avoir fini avec cette vie de torture et de solitude infinie. Enfin, elle pourrait se faire guider par la déesse et rejoindre son mari qu'elle chérissait tant. La mare de sang qui se répandait autour de son corps la faisait baigner dans une chaleur agréable qui témoignait d'une paix intérieure nouvelle qui la gagnait peu à peu. Une bulle tranquille et chaleureuse la recouvra, ses forces quittant ses muscles et son cœur battant de moins en moins vite, Lisa ferma les yeux avec douceur en se replongeant dans tous les souvenirs qu'elle possédait encore de sa vie aux côtés de Hubert. Pour la première fois depuis très longtemps, la villageoise se sentait bien, et avait l'impression de s'endormir pour de vrai.
Jamais Lysia n'avait assisté à une scène aussi terrible et triste, si bien que la peur s'en était allée de son être, et la douleur à sa cicatrice avec. Traumatisée par ce qu'elle venait de voir, elle restait stoïque et dans l'incapacité de se mouvoir ni de prononcer le moindre mot. Lisa était au sol, à ses pieds face à elle, et morte. La vue d'un cadavre restait une véritable tourmente pour elle bien que ce n'était pas la première fois qu'elle en voyait un. Pendant une heure, la nièce resta ici, dans cette maison où sa mère avait sûrement vécu, à réfléchir à tout ce dont elle venait d'assister avant de pouvoir réagir en conséquence. Ce voyage était bien plus sombre qu'elle ne l'avait imaginé, le monde était d'une cruauté inégalable. Elle en voulait terriblement à Ganon pour tout. Pour avoir torturé cette pauvre femme comme pour avoir mis à bas son royaume natal ainsi que pour la mort de son père dont il était pour sûr l'unique responsable. Il était impossible de retenir ses larmes, cette tristesse profonde s'était emparée des murs, de l'air, et de tout être vivant présent. Une grande mélancolie se dégageait du corps de Lisa, un ressenti puissant dont Lysia était réceptive.
Le temps passa, les minutes défilaient, et la lune de sang passa enfin, une nuit calme et paisible sous le véritable clair de lune redémarra. La lumière blanche de cette dernière passait par le trou imposant qu'avait fait la corruption dans le toit de la maison en s'échappant, éclairant ainsi le corps sans vie et désormais froid de la doyenne du village, ainsi que Lysia tête baissée et pieds nus, assise par terre en tailleur près d'elle. La blonde ne pouvait plus dormir, la fatigue ne venait même plus l'inciter à se recoucher, comment pouvait-elle retrouver sommeil dans une situation pareille ? Ce temps donné durant lequel elle était censée se reposer se transforma en prières simples et traditionnelles, adressées à Hylia de la part de la jeune femme, pour cette habitante qui l'avait aidée dans sa quête avant de se donner la mort par désespoir.
Refusant de partir en laissant une telle scène derrière elle, la lancière décida d'enterrer l'Hylienne, à côté de son arrière-grand-père, personne la plus importante dans sa vie et qui avait dû lui apporter tant de bonheur, une personne qu'elle-même aurait voulu connaître. Avec une pelle des plus banales, Lysia se mobilisa, et alla creuser un trou de plusieurs décimètres dans le sable près de la tombe d'Hubert, au pied d'une falaise, là où était également enterrés tous les morts du village, sans que la marée montante ne puisse les atteindre. L'aube ne tarda pas à son distinguer lorsque la blonde reboucha ce trou après y avoir déposé le corps ensanglanté de la défunte, sous le bruit relaxant des vagues. Elle avait le sentiment que sans cette initiative de sa part, aucun habitant ici ne serait venue lui creuser une tombe, alors qu'elle en méritait une comme tous les autres pêcheurs d'Écaraille. Lysia, le visage fermé, avait terminé. Debout face à la tombe, elle prononça des mots sincères avant de repartir.
- Repose en paix, dit-elle avec désarroi.
Tout avait l'air si fade et gris suite à cela. La fraîcheur matinale était d'un froid mortel, et la brise tel un fantôme qui traversait les corps vivants. Une fine brume s'était installée au large, le lever de soleil annonçait un jour nouveau manquait de chaleur, et d'espoir, si bien qu'il n'avait rien d'admiratif ce matin-là. Désormais, plus rien ne la retenait ici, Lysia fit ses affaires et prit tout compte fait la carte d'Hubert que Lisa voulait garder avant de rejoindre son cheval qui dormait à l'abri, près de l'entrée du village, pour entamer la route du retour qui lui prendrait plusieurs jours, jusqu'au village de Labulat.
Certaines personnes attendaient son arrivée avec impatience et inquiétude.
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