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Thème : Souffle Le Vent Du Nord
Vendredi 13 avril
Il n'en pouvait plus.
Il n'en pouvait plus de cet appartement qu'il connaissait trop bien. Il n'en pouvait plus de ce plafond dont il connaissait toutes les imperfections. Il n'en pouvait plus de ces lumières tamisées et de ces bruits sourds. Il n'en pouvait plus de ces quatre murs qui l'étouffaient. Il n'en pouvait plus de l'attention permanente d'Isak. Il n'en pouvait plus de dormir. Il n'en pouvait plus de penser. Il n'en pouvait plus de broyer du noir.
Il n'en pouvait tout simplement plus.
Alors quand Isak était parti prendre sa douche ce soir là, il était sorti.
Il avait bien pensé à laisser un mot, mais une fois qu'il avait enfin trouvé la motivation de se lever, sa seule préoccupation fut de sortir de là. Il avait tout juste mit des vêtements chauds et était sorti. C'est comme si l'espace d'un instant, son cerveau s'était éteint. Son corps s'était mit sur pilote automatique avec ce besoin de survivre encore un peu.
Il avait marché un moment avant de se rendre compte qu'il n'avait même pas fait attention où il allait. Il aurait bien été incapable de dire quelles rues il avait emprunté. Il avait toujours cette impression de suffoquer, mais il y avait quelque chose d'autre. Il inspira maladroitement quand son cerveau décida de se reconnecter et regarda autour de lui. Il n'avait aucune idée d'où il pouvait bien être. Le froid le fit frissonner malgré les couches de vêtements, et il longea des yeux les lampadaires de la grande rue.
Il s'était arrêté à un croisement, et prit un instant pour analyser tout ça. Ça avait quelque chose de... bon ? Il ne savait pas vraiment comment il aurait pu décrire ça à quelqu'un. Peut être comme si on avait passé les dix derniers jours à essayer de le noyer alors qu'il en étant conscient, et que quelqu'un lui tendait soudainement une petite dose d'oxygène. Probablement pas assez pour survivre, mais ça sonnait comme une aide avant la fin.
Alors il tourna à droite et longea cette rue elle aussi, son esprit embrumé par le froid, la nuit, la lumière criarde des lampadaires, la solitude, et cette dose d'oxygène. Pour combien de temps ?
Il marcha encore un peu. Il ne croisa pas grand monde, quelques groupes d'ados, bouteilles à la main, un vieil homme probablement sans abris, un chien. Quelques voitures.
Il arriva devant un parc et se dit qu'il pourrait peut être y trouver un banc, mais la grille était fermée alors il posa ses mains couvertes par ses gants sur les barreaux gelés. Il resta là un moment à contempler l'intérieur sombre du parc. Il n'y voyait qu'à une dizaine de mètres, difficilement plus loin. Son souffle régulier se transformait en petit nuage de vapeur. Il ne se rendit pas vraiment compte du temps qu'il avait passé là, planté contre cette grille, le regard dans le vide et l'esprit vagabond.
C'est un éclat de rire qui le fit revenir de nouveau sur terre. Il tourna gauchement son corps dans sa direction et leva les yeux dans sa direction. Un couple traversait la rue, et l'homme semblait raconter une blague à la femme. Ils n'avaient pas l'air bien vieux, peut être un peu moins que la trentaine. Il n'en savait rien pour tout dire, il ne savait jamais estimer l'âge des gens, et cela lui semblait trop compliqué à cet instant.
Cependant, cela le fit réagir un peu et il glissa ses mains dans ses poches, il n'avait même plus envie de partir d'ici. Marcher encore lui semblait à nouveau insurmontable.
Sa main droite heurta quelque chose dans sa poche, et il la retira avec difficulté pour trouver son téléphone. Il ne se rappelait même pas l'avoir prit. Il soupira un peu et n'eut pas le temps de faire quoi que ce soit avant que l'écran ne s'allume, dévoilant un bon nombre d'appels et de messages d'Isak principalement. Il mit un long instant sans réagir, en fait il ne bougea à nouveau que lorsque l'écran s'éteignit de nouveau. Il inspira un peu et jeta un oeil plus approfondi dans les messages. Isak lui en avait envoyé une bonne dizaine, il en avait deux de Magnus, de Jonas, et un de Mahdi. Un autre de Eskild et, à sa grande surprise, plusieurs de Linn. Après réflexion il n'était pas si surprit que ça.
Il ferma les yeux et soupira à nouveau. Il avait encore fait peur à tout le monde. Il avait à nouveau déconné. Il allait à nouveau s'en vouloir. Son temps de liberté conditionnelle était déjà écoulé.
Il lui fallut encore un moment avant d'appuyer sur le nom d'Isak pour l'appeler, et ce dernier répondit si vite qu'il ne sut même pas quoi lui dire.
- Even !
Il inspira un peu, il ne savait même pas si entendre sa voix lui faisait du bien ou le plongeait à nouveau dans cet état qu'il détestait tant.
- Oh mon dieu ça fait des heures que je te cherche ! Tout va bien ? Tu es où ? Tu veux que je vienne te chercher ? Ça va ?
Il ferma les yeux et déglutit, il ne savait même pas depuis combien de temps il n'avait pas parlé. Il n'était même pas sûr de toujours savoir comment faire. Il n'était pas non plus sûr d'avoir envie. A l'autre bout du fil, Isak sembla se détendre un peu. Il pouvait entendre son soulagement et son inquiétude d'ici.
- Je veux dire...
Isak poussa un soupir et un bruit de matelas se fit entendre en fond.
- Désolé je sais que je m'inquiète trop, je suis content que tu appelles... Tu... Si... Si tu veux encore un peu de temps je...
Un autre silence, Even pouvait sentir le malaise d'Isak, et il s'en voulait d'en être la cause. Alors il finit par trouver la force de lui répondre.
- J'ai juste marché.
Sa voix sonna étrangement rauque et éraillée. Isak lui laissa le temps dont il eut besoin pour continuer, et même si il sentait qu'il avait très envie de réagir, il lui fut reconnaissant d'attendre qu'il finisse.
- Et je sais pas trop où je suis mais... Il inspira. Ça va.
Ces deux derniers mots... Il ne savait plus trop ce qu'ils voulaient dire. Tout le monde disait ça, même quand ça n'allait pas. Il ne savait même plus si il allait bien ou non. Il était juste entre les deux, et le néant l'attirait dangereusement.
- Tu veux que je vienne ? Ou rentrer ?
- Je sais pas trop comment je suis venu... Je crois pas être déjà venu là.
- Tu peux me donner l'adresse ?
Even inspira un peu et l'effort de se tourner pour chercher un nom de rue lui paru surhumain. Il finit par trouver le nom du parc qu'il donna à Isak. Ce dernier s'empressa de rechercher ça sur internet.
- Tu es à deux pas de chez Magnus, je peux lui demander de venir te chercher... Enfin si tu veux ?
L'information mit un moment à passer par toutes les étapes de compréhension et il fixa ses pieds, perdu.
- Ok.
- Je l'appelle tout de suite, tu restes là d'accord ?
Il eut un rictus un peu triste. Il n'aurait pas pu bouger de toute façon.
- Je vous rejoins dans pas longtemps. Promis, je suis là des que je peux.
Il hocha la tête, oubliant qu'Isak ne verrait pas ça, mais ce dernier raccrocha au bout d'un moment. Alors il n'avait plus qu'à attendre.
Le temps lui paru extraordinairement long avant qu'il ne voit apparaître un visage familier.
Magnus attrapa son bras doucement, mais fermement tout de même.
- Allez, il pèle restons pas là.
Les premiers pas lui parurent être une torture, ses pieds n'étaient plus coordonnés, et plus il se concentrait dessus, plus il était frustré, plus il se sentait mal. Il aurait préféré qu'on le laisse là jusqu'à la mort, au final.
Il n'avait même pas remarqué qu'une deuxième personne se trouvait là, et ne s'en rendit compte que lorsqu'on attrapa son autre bras. Il leva difficilement les yeux pour croiser un regard compréhensif. Il ne connaissait pas cette personne, il était presque sûr de ne jamais l'avoir vue.
- Je suis Live, la mère de Magnus.
Il cligna des yeux et la fixa un moment. Elle lui sourit, elle avait quelque chose de rassurant.
- Je suis comme toi. Expliqua t'elle.
- Folle ? Fut le seul mot qui voulu bien sortir de sa bouche.
- Je ne suis pas folle, tu ne l'es pas non plus. Tu peux vivre, c'est difficile, mais tu peux. Il faut y croire. Accroche toi à ceux que tu aimes et fais toi aider. Tu n'es pas plus bête qu'un autre, tu peux y arriver.
Il hésita un peu. Cela sonnait à la fois comme une nouvelle dose d'oxygène et d'un autre côté, c'était comme si tout le poids sur ses épaules l'avait achevé.
- Je veux pas être comme ça. Marmonna-t'il.
- Tu n'as pas le choix. Alors vois les côtés positifs : tu es jeune, tu vis dans un pays qui prends en compte ta maladie, tu es actif socialement, tu as des gens sur qui tu peux compter. Tu peux recevoir de l'aide. Il faut que tu acceptes et que tu ailles de l'avant. Je sais que c'est difficile mais si tu ne fais pas ça rapidement, ce sera pire ensuite. Ne laisse pas cette maladie gagner. Tu es assez fort pour montrer qui est le patron. Tu dois accepter de cohabiter avec elle, mais tu ne dois pas la laisser te contrôler. Si ça arrive, bats toi encore plus fort, parce que c'est toi, et toi seul, qui peut décider d'accepter de la reconnaître et de la comprendre. Les autres peuvent t'aider, il y a des professionnels pour ça. Mais c'est malheureusement à toi de faire le plus gros. Si j'ai une famille, un fils, des amis, tu peux avoir cette chance aussi. Ça ne change pas qui tu es, ni ta valeur.
Il inspira vivement. Ce fut presque douloureux. Il la regarda encore dans les yeux, et elle ne dit rien de plus mais cela sembla encore plus véridique que ce qu'elle avait pu dire oralement. Il eut envie de pleurer. Ou de mourir. Ou peut être de suivre son conseil. Il était soudainement épuisé et vide, le vent glacé, mordant sa peau découverte. Gelant ses os sur place. Il se mit à grelotter.
Les yeux de Live quittèrent son regard pour rencontrer ceux de son fils, énonçant un silencieux "allons-y". Alors ils reprirent la route, soutenant Even autant qu'il leur était possible.
Ils ouvraient à peine la porte d'entrée lorsqu'Isak arriva, essoufflé et le visage rougi par le froid et l'effort. Il manqua de se laisser aller lorsqu'il vit enfin Even, sur le pas de la porte. Live et Magnus s'écartèrent un peu pour le laisser approcher, et Isak oublia complètement la règle du 'demander avant de toucher si je suis en dépression'. Il tira immédiatement Even dans ses bras et le serra de toutes ses forces, glissant son nez dans son cou.
Even se laissa faire, il était toujours en état de choc après ce que Live lui avait dit. Il se laissa simplement aller contre ce corps chaud et laissa couler quelques larmes.
- Allez, ne restez pas là, rentrez au chaud maintenant. On va faire des chocolats chauds et vous allez finir la nuit ici.
Isak poussa gentiment son petit ami à l'intérieur et l'installa sur ses genoux sur le fauteuil. Il lui retira son blouson, son écharpe et ses gants, ainsi que ses chaussures, et le garda contre lui. Ses doigts trouvèrent leur chemin dans les cheveux de son ainé et il les caressa en essayant d'être apaisant.
- Tu aurais pu geler sur place, il fait vraiment froid ces dernières nuits...
Isak accueillit le chocolat chaud avec reconnaissance, mais Even refusa sa tasse dans un premier temps. Il finit par boire seulement quelques petites gorgées dans celle de son petit ami avant de se blottir contre lui et fermer les yeux. Il avait moins froid, le son des battements de coeur d'Isak lui rappelaient qu'il était toujours en vie. En cet instant, une lueur d'espoir parcourut son corps entier, mais elle ne fut que de courte durée. Néanmoins, elle lui permit de respirer le temps de quelques secondes.
Il sombra dans le sommeil quelque part entre une discussion et un bruissement de couverture.
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