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Thème : Du sel sur tes lèvres
Mercredi 4 avril
10:36
- Laisse moi seul
- Non
- Pourquoi ?
- Parce que sur internet ça dit que pendant une phrase dépressive on ne doit surtout pas laisser la personne seule. Alors je reste.
- Tu vas finir comme Sonja.
Isak ferma les yeux un instant et essaya de se persuader qu'Even était simplement en train de se défendre comme il pouvait.
- Je veux simplement aider. Je peux pas te donner une aide adaptée si tu m'expliques pas comment tout ça fonctionne pour toi personnellement.
- J'ai pas envie de parler.
Le plus jeune regarda le dos de son petit ami un instant et réprima un soupir. Il allait l'aider coûte que coûte. Et Even allait aller mieux, comme d'habitude. Ce n'était qu'une question de temps.
15:24
- Bébé, tu veux manger un peu ?
Even ne lui répondit pas. Isak pinça les lèvres et se leva. Il allait se faire à manger. Et puis essayer de nourrir son petit ami aussi.
Il prit grade à ne pas faire trop de bruit, il avait cru comprendre qu'Even n'aimait pas ça, il lui avait dit par le passé que ça lui résonnait dans la tête, ou quelque chose comme ça.
Il chercha dans les placards. Il restait de la soupe, alors il la fit chauffer. Il soupira un peu et perdit son regard dans le vide. Pendant un instant il ne pensa à rien. Il était comme dans un état second. Il était fatigué. Pas seulement physiquement ou moralement. Il était fatigué pour Even. Il aurait voulu que l'aider soit plus facile. Il aurait voulu pouvoir lui prendre un peu de tout ça, le soulager. Mais tout ce qu'il tentait ne faisait qu'aggraver les choses. Enfin, il n'en savait rien. Ses recherches lui disaient de persévérer. Les témoignages qu'il avait lu par milliers lui conseillaient de continuer à stimuler son copain, même si celui-ci ne coopérait pas. Mais Even était bien de ce type là. Il avait l'impression de l'embêter. Peut être qu'il avait besoin d'être seul dans ces moments là ?
Il n'en savait fichtrement rien. Et ça, ça l'énervait. Even détournait sans cesse le sujet, refusait de répondre à ses questions, ils se disputaient parfois. Isak aurait aimé que son petit ami puisse comprendre qu'en agissant ainsi, il ne faisait que se soumettre à sa maladie. L'ignorer n'était vraiment pas la bonne solution.
Il soupira une nouvelle fois. Il pouvait comprendre qu'Even ait peur. Lui même était mort de trouille. Accepter une chose pareille, c'était accepter de devoir changer sa vie. Instaurer une certaine routine protectrice. Refuser certaines activités, ne plus jamais toucher à l'alcool. Ca avait quelque chose de morbide, comme si vivre ainsi ne serait pas vraiment vivre. Pas de liberté. Refuser de laisser sa maladie gagner, mais perdre son intégrité en quelque sorte. Il pouvait bien comprendre qu'Even ne voulait pas de ça. Qui en voudrait ?
D'un autre côté, en restant tel qu'il agissait jusqu'à maintenant, c'est à dire nier, oublier, ignorer. Passer des phases, les rejeter aussitôt passées, s'en vouloir. Ce n'était que s'attirer des ennuis, ne jamais pouvoir prévoir une crise, refuser de l'aide, faire souffrir ses proches en plus de soi même, ne pas s'informer. Il frissonna. Even s'était il déjà informé ? Il ne savait trop rien du passé de son petit ami. Il savait à peine quand sa maladie s'était développée, ses parents avaient fait leur maximum, grand bien leur fasse, mais Even... Savait il réellement qu'il n'était pas seul ? Qu'il était malade mais que des possibilités s'offraient à lui ? Que des gens étaient là pour l'écouter ? Connaissait-il les symptômes, les déclencheurs ? Que savait-il vraiment ? Avait-il toujours souhaité ne rien savoir ?
La vibration de son téléphone le tira de ses pensées. Cecilie Bech Naesheim. Elle voulait sûrement des nouvelles.
Il décrocha, elle lui demanda tout d'abord comment lui même allait, elle semblait inquiète pour Isak. Ce dernier lui répondit brièvement puis lui expliqua l'état d'Even. Elle lui donna quelques conseils qu'elle lui répétait toujours, lui proposa de ne pas rester seul, de se faire épauler. Il la remercia et lui répondit qu'il lui faisait une soupe, et que si il y avait un trop gros problème, il savait qu'il avait des gens sur qui compter. Il pouvait la comprendre elle aussi, avoir un fils qui se détruisait seul, ou plutôt qu'une chose plus ou moins inconnue lui prenait son fils... Ca devait être extrêmement dur. Monsieur Bech Naesheim lui, avait une façon différente de montrer son angoisse. Il était plus détaché. Il avait l'air plus fort. En apparence. Mais Isak avait bien pu voir cette fois et d'autres qu'il ne restait pas de marbre non plus. Qui le pourrait de toute façon ? Il essaya de ne pas penser aux immondes personnes qui laissaient tomber les gens pour ce genre de chose -surtout pas ses parents, il n'avait certainement pas envie de penser à eux maintenant, sinon ce serait pire. Il remercia à nouveau Cecilie et tenta de la rassurer. La soupe était chaude. Il en versa une partie dans un bol après avoir raccroché.
Il prit le temps d'en siroter un peu, il n'avait pas remarqué qu'il avait si faim. Il reviendrait chercher sa part plus tard.
- Bébé je t'ai fait de la soupe, ça va te réchauffer et ça passe bien.
Il fronça les sourcils en ne trouvant pas Even allongé sous la couette. Il se tourna, son petit ami n'avait pas pu sortir, il aurait du passer devant la cuisine. Son coeur accéléra, mais la fenêtre était bien fermée. Il inspira maladroitement et tenta donc le seul lieu plausible : la minuscule salle de bain.
Even était bien là, dans la pénombre. Il n'avait pas prit la peine d'allumer la lumière.
- Ev, qu'est ce que tu fais ? Tu veux te laver ?
Un reniflement lui répondit. Il fronça les sourcils. Pleurer ne ressemblait pas à son petit ami. Il posa le bol sur le rebord du lavabo et approcha, les yeux rivés sur son petit ami. Celui-ci était assis sur les toilettes, tout habillé, les deux pieds par terre et le haut du corps recroquevillé sur lui même. Isak dégluti et approcha. Il avait l'impression de sentir son coeur se briser en million de petits morceaux, il ne souhaiterait pas ce genre de vision à son pire ennemi. Il posa très délicatement ses mains sur les bras d'Even, mais ce n'est qu'en s'accroupissant qu'il sentit un liquide chaud se répandre sur sa chaussette gauche. Il fronça les sourcils et baissa la tête.
Il y avait bien une chose dont il était sûr, l'urine n'était pas foncée. En tout cas jamais à ce point. Il lui fallut quelques secondes pour que ses neurones ne se connectent correctement, et cette fois-ci, son cerveau manqua de disjoncter complètement.
Du sang avait coulé sur le sol. Récemment. Il n'y avait pas de quoi s'inquiéter de la quantité, mais Isak venait de tomber des nues. Il ne sut pas comment réagir, sa respiration se coupa, il tenta d'inspirer mais cela n'eut pour effet que de lui faire étouffer un bruit de surprise, qui fit trembler Even. Et ce dernier semblait ne plus pouvoir s'arrêter de s'agiter. Comme si de petites convulsions lui traversaient le corps entier.
Le sang d'Isak ne fit qu'un tour. Even s'était blessé. Il ne savait pas dans quelles circonstances... Bien qu'il avait une idée, mais elle était encore trop insupportable pour qu'il ne l'accepte. Il ne savait pas non plus d'où venait ce sang. Il avait peur de voir le visage ravagé de son petit ami si il relevait la tête. Cette vision d'horreur imaginaire ne manqua pas de lui donner un vertige. Il tenta de se reprendre. Il devait le faire. Even ne pourrait pas le faire seul. Ni pour lui, ni pour tous les deux, il était seul contre les démons.
- Even calme toi tout va bien je suis là hé...
Il continua de lui répéter des mots qu'il voulait rassurant, la voix basse. Au final, ça le rassurait lui même un peu. Il essaya d'oublier le sang et ses peurs. Il frotta doucement les bras de son petit ami et approcha encore pour passer comme il put ses bras autour de lui. Il glissa une main dans ses cheveux et l'autre dans son dos. Il hésita. Il ne voulait pas allumer la lumière. Even ne supporterait sûrement pas de voir ça, et lui non plus n'était pas prêt de toute façon. Il caressa délicatement son dos et ses cheveux.
- Bébé tout va bien shh... On va revenir au lit d'accord ? Tu vas t'allonger et on va trouver quelque chose.
Even secoua simplement la tête, tremblant de plus belle.
- Non quoi ? Tu veux pas retourner t'allonger ?
Nouveau signe négatif.
- Non... Alors tu veux rester ici ?
Even inspira d'une façon qui lui fit comprendre que non.
- On va... Je vais faire une cabane sur le lit ok ? Ne bouges pas je suis juste là promis je reviens tout de suite.
L'ainé gémit quand Isak se leva.
- Je me dépêche, essayes de... Compter dans ta tête ? Dans 50 je suis là, promis, ne t'arrêtes pas de compter.
Il posa ses chaussettes et fila en quatrième vitesse, récupérant tous les coussins possible pour faire un fort sur le lit. Il compta aussi dans sa tête pour être sûr, et puis ça l'empêchait de devenir fou. Il retourna vers son petit ami le plus vite possible, celui-ci n'avait pas bougé. Il se retint de soupirer de soulagement et retourna vers lui en essayant d'éviter le sang au sol.
- Voilà, tu vas te lever doucement, je te tiens regarde...
Il tira sur son bras, le plus fort possible parce qu'Even était si épuisé qu'il était presque un poids mort. Il finit néanmoins par le faire tenir debout, mais son petit ami tremblait toujours. Il ne pouvait toujours pas voir son visage, il était toujours recroquevillé, comme un enfant apeuré et faible. Il comprit en voyant les taches rouges sur le tissus du pyjama, au niveau de ses cuisses. Il se mordit la lèvre et espéra qu'il n'y avait que ça. Enfin... C'était déjà bien assez. Il devrait trouver un moyen d'aborder le sujet et de nettoyer ses plaies.
Il le tira plus qu'autre chose jusqu'au lit-cabane, les quelques pas lui semblaient déjà être une épreuve, alors il n'osait même pas imaginer ce que c'était pour Even. Il déglutit et le fit asseoir.
- Voilà, tu vois ici tu es en sécurité. Je vais... Euh... Devoir t'enlever ton pantalon d'accord ? Il faut qu'on nettoie ça, tu es d'accord ?
L'ainé tremblait toujours incontrôlablement. Peut être que le réchauffer aiderait ? Il inspira.
- Alors écoutes on va faire comme ça : je vais t'enlever ton pantalon, partir chercher de quoi te soigner, revenir, te désinfecter ça. Et ensuite on va se mettre au chaud et en sécurité dans notre fort, et tu vas boire un peu de soupe avec moi, d'accord ? Tu vas voir ça va bien se passer.
Il essaya de lui retirer son bas de pyjama, heureusement son petit ami coopéra comme il pu. Il prit le vêtement avec lui.
- Ok, comptes jusqu'à 30 et je suis là, j'arrive.
Il ne savait pas si compter aidait, ni même si Even se prêtait au jeu. Il espérait juste que ça puisse marcher. Il se dépêcha d'aller chercher le désinfectant et des compresses, jeta le pantalon dans un coin de la salle de bain, et puis prit une petite bassine d'eau chaude pour enlever le plus gros. Il rapporta tout ça le plus rapidement possible. Even était prostré contre le mur de la cabane.
- Ca va peut être piquer un peu, mais ça va aller hein ?
Il entreprit de passer un linge humide sur les cuisses d'Even, sentant se dernier se crisper sous ses doigts. Il se déconnecta de la réalité le temps de panser ses coupures. Comme si il ne se passait rien de spécial. Comme si les déchirures dans cette peau pâle qu'il pouvait entr'apercevoir avec le peu de luminosité de la pièce n'existaient pas vraiment. Il s'était complètement détaché du monde le temps de quelques minutes, pour ne pas se laisser atteindre par les tremblements, les plaies, et les petits gémissements étouffés d'Even.
- Je vais aller faire réchauffer la soupe, est-ce que tu veux quelque chose d'autre ?
L'ainé haussa les épaules, enfin c'est ce qu'Isak cru voir entre deux soubresauts. Il se mordit la lèvre.
- Qu'est-ce qui pourrait te faire plaisir ? Autre chose à manger ?
Even secoua vaguement la tête et tira sur la manche du plus jeune.
- Tu veux que je sois avec toi ?
L'ainé hocha misérablement la tête, Isak tenta de se rassurer en disant qu'au moins, il pourrait peut être lui apporter un peu de chaleur humaine. Il embrassa son front doucement et le fit reculer au fond de la cabane, dans le coin du mur rembourré de coussins.
- Voilà tu es en sécurité là. Il fait chaud, je vais venir des que la soupe aura réchauffé, on va manger un peu, et tu vas te reposer d'accord ? Et quand tu te réveilleras, ça ira mieux, promis.
Bon, peut être que promettre ce genre de chose n'était pas une bonne idée. Sûrement pas d'ailleurs. Mais il lui fallait de l'espoir. Cette phase dépressive ne durerait plus longtemps, il devait y croire.
Il se faufila par l'entrée et couru presque chercher le bol, qu'il remplit un peu plus histoire d'en avoir un peu pour deux, et attendit impatiemment devant le micro-ondes, comme si ce dernier était son sauveur.
Lorsque l'objet sonna, il s'empressa de prendre le bol, oubliant que ce dernier serait brûlant. Il inspira entre ses dents et prit un torchon pour mieux le saisir et remet la cuillère dedans. Il retourna sous la cabane improvisée en prenant garde à ne rien renverser.
- Voilà je suis là tu vois, je te lâche pas. Je suis là... Murmura t-il en s'installant contre lui.
Even se cala contre lui un peu brusquement, et le plus jeune se mordit la lèvre en tenant le bol. Par miracle la soupe ne déborda pas.
Il souffla sur une cuillerée et la tendit devant les lèvres de son petit ami qui sembla froncer le nez.
- C'est ta préférée. Juste un peu s'il te plait, ça fait des jours que tu n'as presque rien avalé. Si tu prends des forces ton corps ira mieux. Et si ton corps va mieux, ton esprit commencera à aller mieux aussi.
Il racontait probablement les plus grosses conneries du monde, mais il voulait vraiment que son petit ami avale quelque chose. Ce dernier finit par entrouvrir les lèvres pour le laisser y glisser la cuillère. Il bu à son rythme, c'est à dire très lentement, quelques cuillères les unes après les autres. Quand il refusait ou ne semblait pas encore prêt, Isak sirotait un peu aussi. Son estomac criait famine mais il était écœuré. Imaginer l'état qu'Even subissait empirait les choses.
L'ainé ne mangea pas beaucoup non plus ce jour là, mais Isak prit ça pour une petite victoire tout de même. Son estomac ne serait pas complètement vide pour dormir. Il finit le bol et se contorsionna pour le poser par terre avant de prendre Even dans ses bras et le couvrir d'attentions. Il caressa ses bras, ses cheveux, ses mains, son visage. Des gestes doux et attentifs aux réactions du plus vieux.
Even avait cessé de trembler. Il s'était aussi endormi peu après, blotti contre lui. Le plus jeune le garda contre lui un moment. Il était en vie. Il n'avait pas eu le temps d'aller plus loin, si c'était ce qu'il avait voulu faire. Dans tous les cas, il était en vie, il avait mangé un peu, il avait arrêté de trembler. Il dormait. Il s'était réchauffé. Quelques petits détails positifs parmi la montagne de maux et démons. Mais ils vaincraient. Ensemble. Quoi qu'il en coûte.
Il resta là un moment, comme pour se ressourcer, avant de daigner aller jeter un oeil à l'état de la salle de bain. Il ferma les yeux et inspira profondément avant d'allumer la lumière de la petite pièce. Il ne sut pas trop combien de temps il resta à hésiter entre ouvrir les yeux ou partir en courant et ignorer tout ça.
Mais il ne pouvait pas ignorer. Il ne pouvait tout simplement pas demander à Even de cesser de nier si lui même le faisait. Il finit donc par oser ouvrir un oeil, puis l'autre. Le carrelage beige était taché de rouge aux pieds des toilettes, avec une traînée de sa chaussette. Une lame gisait sur le sol non loin de là. Il resta bêtement là, à observer la scène comme si il allait y trouver quelque chose. Mais rien. Rien d'autre que la maladie et la douleur ne se trouvaient là.
Il se mit à la tâche, nettoya le sol, mit tremper ses chaussettes et le pantalon de pyjama de son petit ami, jeta les compresses et l'eau croupie. Il récura de fond en comble la salle de bain jusqu'à ce qu'il ne reste plus une trace de cet épisode.
Il ferait plus attention, la prochaine fois.
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