Épilogue


Dans le salon-cabine réservé à l'empereur et à son entourage proche, elle scrutait à travers le hublot, les mains collées au métal froid de la fusée. Celle-ci avait déjà amorcé son décollage, rejetant une fumée épaisse. Du feu que produisit les réacteurs, l'immense monstre d'acier et d'aéroneck s'élevait lentement dans les airs. La jeune fille de dix ans, attachée solidement à son siège par une ceinture de sécurité, observait silencieusement les Îles du bout-du-monde qui se faisaient de plus en petites. Elle aperçut alors l'immensité des mers puis le continent de Vancoufer. Elle crut même distinguer de la fumée s'élever de ce qui pouvait s'apparenter à la baie de la péninsule de Térébor mais déjà le coucher de soleil disparut quand ils furent au delà des nuages. Ne restait qu'une boule de feu, éclatante, apportant une lumière...froide.

-C'est magnifique, n'est-ce pas ? Intervint Alistair en s'approchant avec précaution, s'éloignant des nobles qui s'étaient réunis pour fêter cela.

Elle retira sa ceinture et chercha ses mots avant de répondre.

-Le monde pour lequel on s'entre-tue semble si petit... si fragile.

En plissant les yeux, Alistair pu voir la fumée s'élever à certains endroits de Vancoufer.

-J'espère malgré tout qu'ils s'en sortiront, pensa-t-il sans trop y croire, ne pouvant réprimer des frissons à la vision d'apocalypse que ce spectacle lui offrait.

Voyant que la jeune fille qu'il avait sauvé des camps ne pouvait détacher son regard du hublot, il essaya de lui changer les idées.

-Demain nous arriverons sur la Lune et nous pourrons commencer une nouvelle vie, dit-il en s'asseyant sur un fauteuil, un verre à la main. Je ne sais pas précisément ce que tu as pu vivre dans le passé mais une fois là-bas... On repartira sur des bases nouvelles... Une seconde chance, dit-il comme pour lui-même.

-Je ne sais pas si la Lune sera meilleure, finit-elle par dire après un silence. Je sais juste que je ne voulais pas rester dans un monde qui m'avait tout pris.

Elle parlait de cette même voix calme et monotone, presque dépourvu d'émotion. Pourtant l'ancien sénateur savait qu'elle était habitée d'une tristesse inconsolable cachée derrière une carapace. Il finit par hocher la tête en signe de compréhension. Lui aussi était triste mais pas de la même façon. Quelque part il regrettait que cela se termine ainsi avec Oswalda. Parfois il rêvait d'un monde où ils seraient ensemble sans avoir connu cette guerre et toutes les monstruosités qui s'étaient révélés en cette femme. Tant de morts par sa faute. Au fond les deux camps le dégoûtaient. Les crimes d'Oswalda répondaient à ceux de Kelton. Cependant il espérait secrètement que Kandall Torcatram puisse réellement changer les choses. Être cette espoir qu'il avait vu en lui. Car il était bien le seul qui pouvait apporter un air plus pur tout en redonnant le pouvoir au peuple. Lui-même en était incapable. Si cette colonisation de la Lune se passait bien, il régnerait dans la continuité de l'Empire. Il n'apporterait aucun changement, il le savait. Il n'était qu'un lâche qui n'agirait jamais de lui-même.

Les membres éminents du gouvernement d'Oswalda qui l'avaient suivis dans ce voyage s'empressaient tous de féliciter leur empereur pour avoir permit tout cela. Alistair ne se contentait que de brefs mots évasifs mais il ne les écoutait pas vraiment. Certains lui présentaient maladroitement leur fille qui était en âge se marier, sous-entendant à l'empereur qu'il faudrait peut-être penser à un second mariage pour perpétuer la lignée. Mais il s'en fichait, en réalité il pensait à cette jeune fille assise qui semblait si seule et à l'avenir qu'il pouvait lui offrir. Quand on lui demandait d'où venait cette enfant et si les rumeurs à son égard étaient vraies, Alistair répondit qu'elle était loin d'être une enfant à présent que lui-même ignorait son nom.

Fendalyn est morte sur cette planète, pensa la jeune fille en regardant cette sphère qui rétrécissait sur ce fond noir. Elle ne savait plus ce qu'elle voulait réellement, s'insérer dans ce milieu qu'avait connu son ancêtre ? Alistair avait l'air d'être quelqu'un de bien et c'était sans doute une bonne chose qu'elle l'ai rencontré. Sans doute. Sans Doloron, sans son père, sans son ami Sernec, elle avait l'impression d'être vide, son cœur s'effaçant dans les ténèbres à l'image de sa planète qui se faisaient de plus en plus petite dans l'immensité spatiale. Qu'est ce qu'il lui restait ? Des souvenirs... Et un nom qui lui avait tant posé de problèmes. Elle eut alors comme un déclic et se ravisant sur un certain point, se leva silencieusement pour venir à la hauteur de la noblesse de Xandora qui discutait avec Alistair. Ceux-ci, intrigués par cette créature, firent un silence, attendant probablement qu'elle satisfasse leur curiosité.

-Je m'appelle Fendalyn Kartafeç, lâcha-t-elle, sachant que tous se demandaient son nom. J'ai vécu dans une famille modeste, méprisée par son nom, mais qui a su relever la tête à chaque insulte. Mon père est mort en héros dans cette guerre. Cette guerre qui a prit tout ce qui me restait. Je sais qui je suis. Tout ce que je souhaite, à présent, c'est qu'on se serve de nos erreurs pour rebâtir un monde meilleur. Ce sera sur cette Lune, soit. Mais ne reproduisons pas ce qui nous a poussé à quitter cette planète, finit-elle en partant se rasseoir.

Toutes les personnes présentes furent sous le choc devant une telle preuve de maturité. Cette enfant n'avait en effet rien d'une enfant sinon l'aspect. Sa voix et ses mots étaient ceux d'une personne qui de haut de ses 10 ans avaient sans doute plus vécu que n'importe qui ici. Alistair fut le moins surpris. Il savait qu'elle n'était pas seulement ce qu'elle laissait voir. Mais après cette présentation, il eut la confirmation que plus jamais il ne la lâchera. En souriant il pensa que s'il devait un jour avoir un héritier, ce serait elle sinon personne d'autres.

En continuant de fixer le hublot, celle qui fit sensation et qui sera le sujet de conversation de tout équipage ne renia pas ce qu'elle pensait plus tôt. Fendalyn était bien morte. Mais elle devait faire survivre son nom pour accomplir quelque chose de plus grand qu'elle. Quelque chose qui lavera les échecs qu'elle avait subit, quelque chose qui rendra justice à sa famille et à ceux qu'elle avait aimé. Et ça, sans pouvoir dire quoi exactement, Alistair s'en fit une vague idée.

Le lendemain, tous se préparaient à l'alunissage. Le pilote de bord vint prévenir Alistair que quelque chose clochait.

-On a aperçut des monticules qui se détachaient par ligne droite de la surface de la Lune.

-Comment ça ? Demanda anxieusement Alistair.

-On aurait dit... Je ne peux pas encore me prononcer mais...

-Quoi, dites-le, bon dieu !

-On aurait dit des installations. Elles s'étendraient sur des centaines de lieues...

-Des installations ? Répéta-t-il, à la fois émerveillé et interloqué. Vous voulez dire qu'elles ont été installées...

Ne sachant comment finir sa phrase, son pilote le fit pour lui.

-Si c'est bien ce qu'on a crû voir, elles auraient été installées par une espèce intelligente, c'est une certitude.

-Hornux a raison, la tablette d'Eldane disait vraie, dit Alistair comme pour lui-même, se rappelant que le scientifique avait analysé la tablette qu'Eldane avait retrouvé dans les vestiges archéologiques sur les îles du bout-du-monde. Il lui avait confirmé qu'une espèce humaine les avait précédé. Et ses survivants nous attendent sur la Lune !

-Monsieur ?

-Préparez-vous à rencontrer nos ancêtres ! Déclara-t-il d'une voix enjouée en tenant les bras du pilote, interloqué.

Il se précipita alors vers sa cabine personnelle, fouillant dans ses affaires pour y retrouver la tablette. Après l'avoir allumé, il chercha les documents visuels et sonores qui laissaient des traces de leur civilisation. Émerveillé, il se laissa plongé dedans, n'osant jusqu'ici y croire. Il vit des architectures époustouflantes, rien à voir avec celle générique qui poussait partout sur le globe. Dans leur cité, des paysages riches en couleurs et en diversités, des formes qu'ils n'avaient jamais eu sur Xandora. Il vit ensuite un tas de choses qu'il ne comprenait pas jusqu'à arriver aux derniers documents. Des fusées s'élevant pas centaines dans le ciel. Des bombes explosant sur la terre ferme... Il éteignit aussitôt la tablette en sueur, cela faisant trop écho à leur situation actuelle.

Le soir venu, si l'on peut parler de soir dans un monde où le Soleil ne se couche jamais, les voyageurs se préparèrent à poser leurs premiers pas sur le satellite. Symboliquement, ce devait être l'empereur qui accomplirait le premier ce geste. Ce dernier avait insisté pour que Fendalyn l'accompagne, montrant ainsi à tous la place qu'elle occupait auprès de lui. Quant aux installations aperçues sur la Lune, les doutes n'étaient plus permit. Tous voyaient que c'étaient de véritables cités qui s'étendaient à perte de vue. Dû à l'absence d'atmosphère, toutes les infrastructures étaient recouvertes de ce qui s'apparentaient à d'immenses toiles blanches. On ne pouvait voir de personnes se baladant à l'extérieur mais tous frémissaient d'excitation à l'idée d'être accueillis par des humains qui avaient quitté la planète il y a des centaines de milliers d'années.

Après avoir enfilé sa combinaison devant des centaines de curieux, Alistair sourit à Fendalyn, et après qu'on lui ai enfilé la sienne, il lui prit la main. Elle paraissait étonnamment calme, comme si elle avait connu le plus dure. Alors ils attendirent tous que le vaisseau se pose doucement sur la Lune. Après quelques secousses, le bruit s'arrêta et tous furent plongé dans un silence pesant. Au bout d'une minute qui sembla être une éternité, la lourde portière du sas s'abaissa lentement. Aussitôt une lumière froide et presque aveuglante les enveloppa. Après quelques secondes d'adaptation, ils purent distinguer à travers leur casque une vaste plaine de roches grises délimitée par des structures tubulaires impressionnantes formant des dômes recouverts de toiles réfléchissant la lumière.

Alistair laissa sa respiration retombée avant de chasser ses mauvaises pensées pour commencer à marcher. Arrivé au bout de la rampe, il serra un peu plus fort la main de Fendalyn avant de faire ensemble le premier pas. La combinaison avait été adaptée pour ressentir sensiblement la même gravité que sur Xandora. Mais Alistair eut la sensation que son pas était plus lourd, que chaque foulé lui demandait un effort plus important. Fendalyn à côté de lui avait le regard acéré, vigilante.

Derrière eux, les membres les plus éminents de l'empire s'avançaient un par un, d'abord hésitants, puis de plus en plus confiants. Quant à l'empereur et la jeune fille, ils s'arrêtèrent net devant ce qui pouvait s'apparenter à un bâtiment. Et là leurs yeux s'ouvrirent. La toile spéciale qui devait les protéger de l'inexistence de l'atmosphère était déchirée à certains endroits. Ils n'avaient pas su le voir avant. Pas "voulu" était le terme plus juste. Avec une extrême lenteur, il tendit sa main gantée vers la toile et voulu l'entrouvrir un peu plus. Mais la toile résista. Il commença à faire le tour de la structure quand il s'aperçut qu'à certains endroits des tubes étaient détruits et qu'aucune paroi ne les reliait. Sans même savoir si on le suivait, il s'engouffra dans cet "intérieur". Il se sentait oppressé, le seul son qui lui venait était sa propre respiration qui se faisait de plus en plus forte. Dans ce hall d'une généreuse hauteur, il ne put réprimer des frissons. La "toiture" était éventrée et le poussière rocheuse recouvrait tout. En se baissant pour enlever du sable d'un monticule, il tomba nez à nez sur un crâne.

De peur, il se projeta en arrière, retombant brutalement sur le dos, lui arrachant un cri de douleur. Fendalyn, l'ayant trouvé, accourue difficilement à son secours. Mais il avait le regard toujours fixé vers ce crâne humain avec sa mâchoire pendante qui semblait crier depuis des millénaires. Comme prit d'une panique, il se mit à déblayer toute la poussière lunaire, tombant chaque fois sur divers objets cassés ou sur des squelettes qui pour certains portaient encore leurs vêtements. Il sortit des ruines de ce bâtiment pour courir vers un autre, ne pouvant entendre les cris de Fendalyn qui restaient bloqués dans son casque. Presque à chaque fois, il pu rentrer dans ces habitacles qui montraient des plaies béantes. Toujours ce fut les mêmes trouvailles : poussière, ruines et squelettes.

Arrivé au bout d'un nombre de bâtiments qu'il n'aurait su dire, il s'effondra sur le sol lunaire, tétanisé. Ce qu'il redoutait, ce qu'il n'osait réellement s'avouer était arrivé. Cette civilisation humaine n'avait pu vivre sur cette Lune. Ils s'étaient entretués sur la planète avant de venir ici. Sans doute avaient-ils vécus quelques décennies voire quelques siècles mais en fin de compte, ils n'avaient pu bâtir une civilisation ici.

Fendalyn, l'ayant enfin retrouvé, accouru vers lui pour se jeter à ses pieds, prenant de ses mains le casque d'Alistair pour le tourner vers le sien.

Dans son regard, il lu à la fois la détresse de ce spectacle et la détermination à bâtir malgré tout sur les ruines de leurs ancêtres. Alistair avait prévu d'installer des structures en y important du bétail et différentes ressources sur la Lune pour construire une civilisation mais en voyant que d'autres étaient passés par là et avaient fait la même chose avant d'échouer, il ne pu avoir cette même détermination.

Fendalyn, on ne fait que répéter un cycle, ne vois-tu pas ? On reproduit les mêmes scénarios que nos ancêtres et on finira comme eux !

Il lui parlait tout en sachant qu'elle ne pouvait l'entendre mais il fallait qu'il le dise.

Qui sait si dans quelques centaines de milliers d'années, les survivants de Xandora ne reproduiront pas le même schéma ? C'est un cycle éternel, on ne fait que s'auto-détruire. Quand on s'en aperçoit et qu'on souhaite recommencer ailleurs, il est déjà trop tard et on ne fait que se planter ! On est piégé dans cette boucle !

Il était maintenant en nage, désespéré et abattu, son dernier espoir en l'humanité venant de disparaître. Il s'aperçut que de là où il était, il avait une vue magnifique sur leur planète. On distinguait nettement les différents continents et de là, on ne voyait ni gratte-ciels ni fumée. La planète était d'un gris terne séparé par des tâches bleutés. Voilà ce qu'on en a fait. Une Lune. D'un sol de poussière sans atmosphère où l'on vient y mourir.

Fendalyn reprit alors son casque pour l'attirer vers elle.

Regarde-moi ! Semblait-elle crier. Le reste ne fut que des mouvements de lèvres qu'Alistair ne su retranscrire en mots. Mais il semblait avoir compris ce qu'elle voulait dire. Faire mieux que nos prédécesseurs. Y croire malgré tout. Y croire malgré la perte de tout espoir. Créer cet espoir en se surpassant. En ne regardant pas vers le passé qui n'était que répétition. Sortir de la boucle.

Oui. Sortir de la boucle, se répéta-t-il. Car ils n'avaient pas le choix après tout ? C'était soit ça soit mourir sur ces terres stériles. Et il avait un peuple à guider. Il se devait de relever la tête pour commencer les travaux de ce nouveau monde.

Ce fut alors le projet d'une humanité que se livreraient Fendalyn et Alistair : sortir de la boucle. Rebâtir encore et encore un nouveau monde. Jusqu'à ce que celui-ci soit le bon. Pendant que Fendalyn redressa Alistair pour se mettre au travail, sur les terres d'origines de Xandora à plus de 80 000 lieues de là, Kandall régnait sur un monde qui se réveillait d'un long et violent incendie.


FIN

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