~37~ Oswalda
Elle tournait le dos au trône, se situant entre ce dernier et l'immense baie vitrée qui offrait une vue plongeante sur la cité. Le dos droit, les mains jointes dans le dos, elle scrutait avec attention l'horizon où l'ultime bataille avait commencé.
-Les vaisseaux de Nysteria se battent bravement, annonça Hydro, brisant le silence pesant.
-Avons-nous une chance de les défaire maintenant ? Demanda-t-elle en continuant de fixer le chaos émergeant.
Après une un instant de flottement, le ministre de la guerre finit par répondre que si les vaisseaux arrivaient suffisamment à faire reculer l'ennemi, alors les tours de la cités pourraient les abattre.
-Pensez-vous qu'ils tireront sur les tours ?
Là encore, Hydro ne répondit pas tout de suite.
-Je ne pense pas, finit-il par se résoudre. Depuis le début de la guerre, l'armée de Kandall a une politique de fermeté vis-à vis de la sécurité des citoyens, ils essayent au mieux de réduire les dommages collatéraux.
L'impératrice ne put s'empêcher de souffler du nez. Elle pensait au génocide perpétué par Kelton. Tout un peuple sombré sous les eaux. Mais nul besoin de le remarquer, après tout elle avait fait de même au peuple de Kandall à Alcatram. Et lui ? Allait-il répliquer ? Si oui, alors c'était le jour parfait. Mais si tu détruis mes tours et ses habitants, alors tu perdras tout, pensa-t-elle à son égard. Tu règneras sur un peuple meurtri, amputé de membres que tu leur as toi-même ôté. Comment veux-tu leur annoncer que tu as fait tout ça pour les sauver ? Comment veux-tu leur expliquer que tu dois régner dans l'intérêt de tous ? Mais elle se rassura. Après tout Hydro avait sans doute raison, cela n'avait pas de sens au vu de la morale qu'il s'efforçait d'exercer. Elle aurait aimé rencontrer ce Kandall, connaître au mieux sa personnalité pour y faire face. Elle avait toujours raisonné ainsi. Lire les gens. Alistair l'avait vu, lui, et avait réussi le défi de se faire bien voir du président d'Alcatram tout en lui annonçant la véritable raison de l'alliance de Kelton Follet. Cela les avait divisé un temps mais Kandall avait réussi à réunir toutes les bannières après avoir détruit le meurtrier de son père et défait sa fille. Oui, elle en était quelque peu admiratrice.
C'est alors qu'un bruit sourd se fit ressentir. Elle se concentra alors à nouveau sur le spectacle qui s'offrait à elle. Il semblait qu'au loin, un montre titanesque chutait lentement. Ses traits se perdant au lointain mais elle en était sûr: le vaisseau du chef de l'Alliance avait été touché. Pour blesser une telle bête, le coup avait été tiré que d'une seule façon : par les canons disposés au sein même des gratte-ciels en périphérie de la cité.
Hydro ne pu s'empêcher de s'approcher d'Oswalda, et sa joie respirait à travers sa voix.
-L'alliance a reculé suffisamment près pour être dans la porté de tirs de nos canons ! Le plan se déroule à merveille !
Elle aurait même pu le deviner sautiller à côté du trône, tel un enfant à qui l'on apporte un cadeau. Au fond d'elle, elle en ressenti du dégoût. Elle ne pouvait se réjouir du moins pour l'instant, et son ministre de guerre et général en chef devait garder un peu de sa posture.
-Le vaisseau de Kandall est à terre, je vous suggère de prendre le vôtre et d'envoyer l'armée de Paumos à leur encontre !
Hydro se calma soudainement, puis sembla réfléchir avant de lui demander si elle estimait que le temps était venu pour eux d'entrer dans la bataille. Elle finit alors pour se tourner afin de le regarder. Si jeune, fut sa première pensée. Il venait d'entamer sa trentième année mais elle l'avait choisit car il lui était le plus fidèle. Surtout déterminé et stratège, elle voulait qu'il apporte un air nouveau sur ce gouvernement. Comme elle l'avait fait à la succession du vieil empereur. L'image de son père lui apparut subitement mais elle l'effaça aussitôt de son esprit. Il ne l'avait plus quitté depuis son assassinat mais elle l'ignorait à présent. Elle hocha la tête à l'égard de Hydro avant de lui souhaiter bon courage.
-Puisse la victoire venir à nous aujourd'hui !
Hydro lui répondit d'un signe de tête, conscient de l'importance de ces formalités, s'attarda une petite seconde puis tourna les talons et d'un pas rapide quitta la salle du trône pour s'engager dans cette bataille, amenant la dernière armée qui jusque là s'était préservée : celle de Paumos, celle du pouvoir central. Oswalda avait relevé cette seconde d'attardement de la part de son ministre. C'était une seconde dictée par la peur. Cette peur instinctive que tout homme a avant de s'engager dans un combat d'une forte violence. La peur de la mort. Elle ne fut pas déçu qu'il l'ai eu. Non elle en était plutôt fière. Car malgré sa peur il partait droit vers cette bataille sanglante. Seuls les fous ne connaissent pas la peur avant le combat.
Dans la salle se trouvait à présent deux gardes impériaux ainsi que deux servantes qui se tenaient en retrait. L'une d'elle toussa, brisant ce silence solennel. D'un regard, elle vit nettement une trace noire sur son mouchoir. Une de plus. Une de plus pour qui le vainqueur de cette guerre n'aura que peu d'impact sur sa vie. Elle mourra. Très vite. Dans la douleur. Parfois elle ne pouvait s'empêcher de s'imaginer ce qui se serait passé si son père avait eu la poigne nécessaire pour étouffer le complot orchestré par Kelton. Si ce dernier n'avait pas eu l'opportunité de déclencher cette guerre. Si Walden avait accepté les conditions d'Aldresdan à propos des usines et de leurs conséquences sur le climat. Après tout elle aurait quand même finit par être l'héritière et devenir la nouvel impératrice. Elle aurait peut-être régné sur un meilleur monde, en concert avec Alcatram, scellant une alliance inédite. Elle n'avait jamais voulu de cette guerre, elle avait dû y faire face, c'est tout.
-Et tuer ton propre père était la meilleure solution ? Demanda celui-ci, en s'avançant vers elle, à la limite de son champ de vision.
Tu voulais emmener ton peuple vers la Lune, quitter la terre de nos ancêtres pour fuir le combat et laisser Xandora dans les serres de l'ennemi ! Répliqua-t-elle intérieurement.
-N'est-ce pas ce que j'ai fait ? Intervint la silhouette d'Alistair se tenant aux côtés de Walden. Et pourtant tu as permit cela, tu as permit que j'emmène une partie de la population, tu as permit que je m'en aille, moi, ton époux pour aller vers cette Lune !
A cela, elle ne sut quoi répliquer, surprise de la venue d'Alistair dans la galerie de ceux qui la hantent. Tu n'es pas mort, pourquoi es-tu là ? Se demanda-t-elle.
-Pour toi je suis mort, tu ne me verras plus alors qu'est ce que ça change si je ne le suis pas réellement ? Je suis ton fantôme et tu as permit cela en me laissant partir !
Elle s'autorisa alors à le regarder plus longuement. Il semblait si pâle presque cadavérique. Mais si beau dans sa mort. En effet pourquoi avait-elle permit cela ? Parce qu'au fond de moi je savais que tu ne m'aimeras jamais comme je t'aime et que je ne pouvais te refuser cela.
Alors la silhouette d'Alistair lui sourit, un sourire compatissant mais si triste... Oui, c'est comme ça qu'il est au fond de lui, pensa-t-elle. Elle voulu le rejoindre pour le serrer dans ses bras mais un général fit irruption dans la salle de ses pensées, libérant ceux qui la hantaient.
-Votre Altesse, dit-il en s'inclinant légèrement. Tous les vaisseaux de l'Alliance de Kandall se sont posés à terre.
Elle haussa un sourcil, l'invitant à continuer.
-Il semblerait qu'ils continuent le combat mais en infanteries !
-Habile, laissa-t-elle échapper après réflexion. On ne peut leur tirer dessus du ciel sans risquer d'endommager nos propres tours. On les suit. S'ils veulent le combat à terre soit, il en sera ainsi ! Ordonna-t-elle en se retournant vers la baie vitrée pour mettre un terme à toute discussion.
Le général fit mine de protester mais il se ravisa. Après tout, ils pouvaient tout de même l'emporter par voie de terre. C'est sur ses réflexions qu'il s'empressa de s'en aller pour transmettre les ordres.
La plus jeune de ses servantes profita de ce moment pour s'avancer d'un pas, restant tout de même à distance convenable de l'impératrice.
-Votre Altesse, dit-elle timidement. Croyez-vous... Mais sa voix mourut dans sa gorge.
-Parle, s'impatienta l'intéressée.
-Croyez-vous que l'on gagnera ?
Elle s'apprêta à lui dire que oui, bien évidemment qu'ils l'emporteront et de ne plus l'importuner avec des questions aussi idiotes. Mais elle se ravisa. Après tout qu'est-ce que cela changerait qu'elle lui livre le fond de sa pensée ? Elle n'aura peut-être plus d'autres occasions et cela éviterait de parler à ses fantômes. Alors elle se retourna et lui fit signe d'approcher, l'étudiant attentivement. Elle était jeune, les cheveux noirs bouclés dépassant de son capuchon. Elle baissa le regard et finit par s'arrêter à quelques pas d'Oswalda.
-Nous avons de grandes chances de l'emporter, dit-elle en lui souriant sincèrement en lui prenant les mains. Une des rares fois où elle s'autorisa à être ainsi. Mais nous sommes moins nombreux qu'eux. Si leurs chefs ne sont pas mort dans l'énorme vaisseau qui est tombé il y a peu, alors cela va être compliqué. Ils ont l'avantage, garde cette pensée. Mais ne t'en fais pas, Kandall ne mettra pas Xandora à feu et à sang. S'il remporte cette guerre, il prendra soin de son peuple, c'est ce qu'il a toujours fait avec les xandoriens jusque là !
Troublée, sa servante finit par sourire. Un sourire de résignation mais un sourire sincère également. Elle sait maintenant, pensa-t-elle satisfaite. Le silence retomba et ses pensées noires avec. Au bout d'un temps qui semblait figé, dans une attente éternelle, l'horreur survint. Elle n'eut nul besoin de généraux ou d'émissaires pour venir lui transmettre les informations. A travers la vitre, elle vit une gerbe de feu s'échapper d'une des tours. Elle pensa dans un premier temps à un accident, à un de ces canons qui aurait commit la folle erreur de tirer et aurait percuté une autre tour. Mais frissonna d'épouvante à l'idée que ce ne fut pas le cas. La tour touchée ploya sur elle même puis comme perdant l'équilibre alla basculer vers une de ses voisines. De la salle du trône, il lui sembla entendre les hurlements de son peuple. Mon peuple ? Ses servantes, ignorant à présent les bienséances, ne purent s'empêcher d'accourir pour regarder avec effroi cette désolation. La tour qui fut percutée alla s'effondrer également, disparaissant toutes les deux au lointain. Puis ce fut une succession d'explosion. Une à une, les tours avec leurs canons s'éventrèrent, crachant leur flammes avant de chuter dans un monstrueux jeu de dominos. Il n'y eut alors plus aucun doute. Kandall a survécu. Et il se venge de tout ce qu'on lui a causé. Il en oublie ses promesses, et il nous brûle avec lui. Paniquées les servantes commencèrent à s'agiter.
-Votre Altesse, qu'est-ce que ça veut dire ? Demanda la servante la plus âgée.
-Vous pouvez prendre vos affaires et quitter immédiatement le palais, leur répondit-elle sans hésiter. Je vous conseille vivement de quitter Térébor. Mais je doute que vous y parveniez.
-Je reste avec vous, déclara la plus jeune.
-Non, insista-t-elle en lui reprenant les mains. Cet homme qui a décidé de brûler des millions d'innocents ne va pas vous épargnez quand il me verra ici !
-Mais je croyais...
-Je me suis trompé sur son compte, conclut-elle au sujet de leur dernière discussion.
Sur ce, elle fit un signe à l'autre servante qui l'emmena dans la précipitation, la laissant seule avec ses deux gardes.
-Vous pouvez partir également, leur dit-elle, vous ne pourrez changer ce qui adviendra !
Ils se regardèrent alors dans leurs armures de cérémonie. Mais comme seule réponse, ils se contentèrent de rester immobiles. Les soldats impériaux, l'élite protégeant la famille impériale. Ils ont aspiré toute leur vie à en devenir. Ils sont tellement conditionnés qu'ils ne peuvent se défaire de cette charge. Et bien soit, ils mourront avec moi. Dans la salle, les portes s'ouvrirent en grand et un nombre conséquent de généraux et d'officiers débarquèrent, ne tenant plus en place. Certains demandaient naïvement ce qu'ils étaient censé faire, d'autres plus raisonnable incitaient, suppliaient presque l'impératrice de rejoindre Alistair sur les Îles du bout-du-monde. Ils n'avaient pas encore décollé, disait-on. Mais elle resta de marbre. D'un geste elle les renvoya. Qu'ils fuient, s'ils veulent mais elle reste et sa dernière consigne est de mettre leurs dernière force dans la bataille d'infanterie qui avait lieu dans les rues de Térébor, non loin du palais. On pouvait maintenant entendre clairement les cris des hommes et femmes. Soldats ou non, on ne pouvait les discerner. Seulement des malheureux qui agonisaient.
Après plusieurs minutes de protestations, les représentants de son armée et de son gouvernement finirent par s'en aller, la laissant à nouveau seule avec ses deux gardes. Seule. C'est ainsi que je finirais. Même ses fantômes la laissaient à ses dernières pensées. Elle regardait Térébor qui s'écroulait par gerbe de feu, les gratte-ciels, symboles même de Xandora, qui chutaient un à un dans le chaos le plus total, entrainant à chaque fois des milliers de morts. A travers ses flammes, elle pu constater qu'il pleuvait. On aurait pu croire qu'il s'agissait de la neige, comme il en était tombé il y a de cela plusieurs siècles. Mais Oswalda ne se laissa pas émouvoir. C'était de la cendre. Une pluie de cendre venait compléter ce tableau de désespoir. Le monde partait en feu.
Elle eut une petite consolation en imaginant Alistair partir sur cette lune, loin de cette fin du monde. Quelle ironie, pensa-t-elle. Ce n'est pas la pollution qui nous aura donné le coup de grâce, mais bien notre folie meurtrière. On aura réussi l'exploit de s'entre-tuer avant la fin. Elle eut des regrets, des peines sur les horreurs qu'elle avait commise et dont elle accepta sa culpabilité comme une dernière confession avec elle-même. Mais elle préféra pensa à ceux qu'elle avait aimé. Elle avait aimé sa nourrice, celle qui l'avait fait grandir. Elle lui en avait voulu de lui avoir caché sa véritable identité et de l'avoir éloigné du palais mais au fond tout cette horreur ne serait peut-être pas arrivé si elle s'était tenu loin d'ici. Elle avait aimé son père. Elle l'avait tué pour accéder plus vite au pouvoir, certes. Elle était une parricide, un des actes les plus impardonnables. Mais elle l'avait aimé, elle s'en rendait compte à présent. Et enfin elle aimait Alistair. D'un amour différent, plus compliqué dans la relation qu'elle avait eu avec lui. Si bref au crépuscule de sa vie. Maintenant le Soleil se couchait, sans doute une dernière fois sur ces terres désolées. Cela aurait pu avoir une certaine beauté si ce n'était aussi tragique. Et c'est dans cette fresque de désolation qu'Oswalda attendit Kandall, son bourreau venu mettre un terme à sa douleur.
Adieu. Puisse ceux qui nous succèdent ne pas commettre nos mêmes horreurs.
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