~34~ Fendalyn

La lumière orangée se diffusait lentement, commençant par l'horizon, le trait séparant l'étendu bleuté de l'eau de celui du ciel et finissant par les rejoindre, eux, sur la proue du paquebot. Pour la première fois depuis longtemps, elle connu une sensation de paix. Un de ses derniers moments de calme intérieur qu'elle ne revivra plus avant longtemps. Sernec la rejoignit, hissant Dorloton pour qu'il puisse également assister à ce spectacle. Il l'avait calé contre les barrières, le tenant bien fermement. Fendalyn tourna la tête pour regarder cette autre scène, celle de ceux qui profitaient de ce moment, son ami veillant sur son petit-frère. Il fait un meilleur grand frère que moi, pensa-t-elle en souriant non sans une amertume.

-On s'est lavé, l'eau était glaciale dans les douches collectives mais ça vaut le coup, crois-moi.

Elle entrouvrit les lèvres pour répondre à son ami mais ne su quoi lui dire.

-Je te comprends, reprit Sernec. On est mieux ici à l'air libre qu'en dessous, entassés dans les cabines. Mais on se plaint pas, on aura sans doute plus de places là haut, dit-il en pointant de l'index la lune fantomatique qui se faisait de plus en plus nette à mesure que le soleil se couchait.

Dorloton la regarda alors, les yeux écarquillés, semblant prendre conscience de la situation. D'un regard, elle consulta Sernec. Ses yeux lui répondirent par la négative. Il n'a toujours pas parlé. Cette guerre, cette exode, fait aussi des victimes parmi les survivants.

-On va descendre se coucher, je pense qu'on l'a bien mérité. Tu nous rejoint ?

Après un sourire de sa part, il rajouta :

-Après t'être lavée sinon on t'acceptera pas !

Fendalyn sourit alors à son tour et se retourna pour continuer à fixer cette boule de feu qui chutait, chutait jusqu'à ce que ses flammes se fassent étouffer par l'immensité de l'eau. Elle n'était pas la seule à profiter de ces instants de paix. Des centaines de personnes étaient sur le pont, et des milliers étaient à l'intérieur. Une trentaine de rescapés s'entassaient dans des cellules qui ne comportaient que 4 lits à l'origine. Elle était épuisée. Avant d'enclencher la douche où se trouvaient un bon nombre de femmes et enfants, elle hésita. Celle qui se souvenait vaguement d'avoir été une jeune fille il y a une autre époque prit peur. Elle eut peur d'être semblable à la boule de feu qui allait s'éteindre dans l'eau. Ceux qui attendaient leur tour la pressèrent alors. Elle appuya sur le bouton et l'eau froide sembla lui remettre tous ses sens en éveil. Non, elle ne s'arrêtera pas de se battre. Elle su alors qu'elle continuerait jusqu'à ce que Dorloton soit vraiment en sécurité. Là haut. Sur cette boule de glace accrochée dans le ciel qui attendait d'être réchauffée. Qui attendait son heure.

Une fois propre, elle se glissa discrètement dans leur cabine et s'allongea à côté de ceux qu'elle aimait, les serrant pour se réchauffer. Dorloton dormait déjà tandis que Sernec lui souriait en la regardant. Autour d'eux, il y avait ceux qui goûtaient au plaisir du sommeil, de la sécurité. Et ceux, vigilant, regardant autour comme elle, guettant le moindre danger. Ceux qui pour avoir survécu jusqu'ici, savaient qu'il fallait toujours avoir un œil ouvert.

Le lendemain, ils prirent leur déjeuner dans une des cafétérias du paquebot. Leur repas était sommaire mais ils ne se plaignaient pas, car il leur était offert.

-S'ils nous nourrissent, c'est qu'ils auront besoin de têtes et de bras quand on construira nos nouvelles cités sur la Lune ! Déclara Sernec tout en mangeant avidement.

-Ca fait déjà 3 jours qu'on est en mer, tu penses qu'on arrivera quand ? Personne ne sait rien, sur ce bateau ! Fit-elle remarquer.

-Et comme tout le monde j'ai pas eu plus d'infos, répondit-il en croquant dans une pomme.

-Tu crois que ce sera vraiment meilleure une fois qu'on sera là haut ? Demanda Fendalyn. La question lui était venue naturellement mais elle fut surprise qu'une fois prononcée à voix haute, elle constata qu'était en réalité apparue dans son esprit il y a de cela un moment.

-Je sais pas, mais je sais une chose : ça peut pas être pire qu'ici. Peu importe qui gagne cette guerre, ils détruisent tout sur leur passage. A la fin celui qui règnera le fera sur des cendres, crois-moi !

Son ami était convaincu elle s'en rendait compte à présent. Elle le croyait et partageait son ressenti. Le mieux à faire était de partir, de construire sur du neuf et d'oublier ces terres dévastées desquelles émanaient des souvenirs de mort. Dorloton, lui, ne semblait pas s'en soucier et mangeait en se concentrant sur sa nourriture.

-Ton ami a raison, déclara leur voisine de table en s'immisçant dans la conversation. C'était une dame plutôt âgée mais dont Fendalyn soupçonna que les marques de de vieillesse sur son visage étaient apparus dernièrement. Ici l'humanité va s'arrêter d'une façon ou d'une autre. Les infectés à la pollution sont de plus en plus nombreux et avec la guerre rare sont les hôpitaux qui peuvent tous les garder. Les garder oui, car on ne peut pas les soigner, le mieux qui reste à faire pour les soulager c'est de mettre fin à leur douloureuse existence ! C'est ce que j'ai dû faire à ma fille... Dit-elle le regard perdu dans le vide.

Sur ces paroles, ils ne surent quoi rajouter, se contentant de faire repasser ces phrases dans leur tête encore et encore, impacté par ce que cela signifiait : d'une façon ou d'une autre, la fin de ce monde était proche. Une fois le repas finit, ils se reposèrent sur une des banquettes non loin de là. C'est alors qu'un klaxon tonitruant se fit entendre. Puis le bateau s'immobilisa. Autour d'eux, les gens commencèrent à se lever, inquiets.

-Qu'est-ce qu'il se passe ? S'alarma l'un d'entre eux.

En regardant aux hublots, certains s'exclamèrent qu'ils n'étaient pas sur les Îles du bout-du-monde mais sur une des îles de Darkatras.

Des officiers firent alors irruption.

-Ne paniquez pas, le paquebot s'est arrêté pour se ravitailler à mi-chemin. On va faire le plein de carburants et de nourritures avant de repartir !

-Combien de temps ça prendra ?

-2 jours minimum, en attendant on va vous demander de sortir pour aller dans les campements...

Aussitôt des protestations émergèrent, la plupart voulait rester à l'intérieur jugé plus sûr, quoi d'étonnant quand on savait que ceux restés sur le continent avaient cédé à une furie meurtrière. Aller dans des campements semblaient un brusque retour en arrière. Fendalyn eu un mauvais pressentiment.

-S'il vous plaît écoutez-moi ! Reprit l'officier. On a besoin de nettoyer et de vérifier que tout fonctionne sur le bateau, pour ça vous devrez le quitter momentanément mais ne vous inquiétez pas, on vous placera dans des campements sûrs, sécurisés et gardés par nos soins !

Ses paroles permirent d'apaiser quelque peu les tensions qui émergeaient.

-Tout se passera bien, rassura Sernec à Dorloton. Le dit-il pour mon petit-frère ou pour lui même ? S'interrogea-t-elle.

La descente vers la terre ferme fut faite quasiment sans encombres. Seulement quelques personnes durent être délogées de force. Ils se retrouvèrent sur une vaste pleine de béton. Des grandes tentes étaient aménagées de façon à former des quadrillages. Autour, des barbelés avec des palissades de fortune avaient été aménagés. Des patrouilles gardaient le tout sur des miradors. Une sensation étrange l'envahit alors. En se tournant vers son ami, elle lut que lui aussi le ressentait.

-On est protégé ici, dit-il, soit l'inverse de ce qu'elle avait vu sur son visage.

Quand ils dînèrent au coin du feu avec une vingtaine d'autres personnes, ils purent écouter toutes les rumeurs qui circulaient sur ce lieu. Un vieillard qui semblait plus fort que son aspect physique, clama que cette base militaire avait été construite sur les ruines des gratte-ciels.

-Qu'est ce que t'en sais, papy ? S'esclaffa un homme.

-Je connais cette région pour avoir eu des amis ici. Je peux vous assurer que je n'ai jamais connu de bases militaire ici et que près des côtes... se trouvaient des gratte-ciels abritant des milliers de famille comme partout sur Xandora !

-Arrêtez, vous faites peur aux enfants ! S'énerva une femme non sans être inquiète.

-Oui, on n'a pas besoin d'entendre des bobards pareilles, on a tous vécu des horreurs, les voir nous suffira !

-Oh mais je ne disais pas qu'ils ont détruit les gratte-ciels pour installer cette base où nous nous situons, je dis juste qu'étant donné les ruines qu'il y a autour de nous, ils ont dû vite ré-exploiter le terrain !

Laissant les autres rentrer dans cette conversation qui s'envenimait, Fendalyn retombait dans le cour de ses pensées. Peu importe si cela a été bâti sur des ruines, tout ce qui compte c'est les vivants...nous. Plus vite on quittera ces lieux, mieux ce sera, se dit-elle tout de même, n'aimant pas ce campement. La nuit tombée, ils s'installèrent dans une de ces grandes tentes militaire. Elle ne trouva pas le sommeil. Elle n'arrivait pas à dormir mais ne savait pourquoi. Non ce n'était pas la fatigue, c'était autre chose... Un bruit. Elle s'aperçut alors qu'il y avait un bruit de fond.

-Tu l'entends aussi ? Lui demanda Sernec, ce qui la fit sursauter. A travers les ronflements, le bruit de fond s'intensifiait. Elle hocha la tête.

-On dirait un... un brouhaha.

-Des gens qui hurlent, confirma-t-elle en chuchotant.

-Ca doit être de l'autre côté de la palissade.

Le brouhaha devint comme un souffle, un vent qui apportait une révolte. Des protestations. Ils entendirent maintenant distinctement les voix. Ils criaient de les laisser passer. D'ouvrir le mur. Un à un, ceux qui étaient toujours en train de dormir finirent par se lever, oreilles vigilantes. En regardant Dorloton, elle vit qu'il dormait encore, paisiblement.

-Ne vous inquiétez pas, dit une voix dans l'obscurité, les soldats nous protègent.

Puis des coups de feu se firent entendre. Chacun retint son souffle. Des cris. Puis une explosion. Suivit d'une valve de tirs.

-Ils ont détruit le mur ! S'écria une personne. Ce fut comme le signal pour que chacun cède à la panique. A travers la toile de tente, l'obscurité fit place à la lumière, vive, comme si l'on était en plein jour. Des flammes, pensa-t-elle. Elle se leva alors d'un bon, prenant Dorloton et criant à Sernec de sortir.

-La tente va brûler ! Hurla-t-elle.

D'un signe de tête, il la suivit. Alors qu'ils s'apprêtaient à rejoindre ceux qui sortaient, une colonne de feu s'abattit devant eux. Après un instant où elle fut comme paralysée, serrant toujours fort Dorloton qui était à son tour en alerte, elle se retourna et dit à Sernec de déchirer la tente par l'arrière.

-J'ai pas de couteau, les soldats nous ont tout prit ! S'exclama-t-il, paniqué.

Ceux qui étaient coincés comme eux se jetèrent sur la toile qui finit par se déchirer. Ils s'engouffrèrent alors à leur tour. Dehors, le chaos régnait. Une masse de corps désespérés s'agitaient pour percer les lignes des soldats. Mais ces derniers, semblables à des insectes, se faisaient comme dévorés par des fourmilières. Ces fourmis avaient des armes et de lourds calibres. Ils ont prémédités leurs coups. Mais maintenant la raison n'existait plus. Ils veulent rentrer par dessus-tout sur les bateaux. Et nous sommes la dernière barrière qui les empêche de sauver leur existence. Des bâtiments avaient explosés, il pleuvait des grenades. Des grenades ! Se retournant, elle vit que tous accourait vers les bateaux. Les soldats avaient rouvert les accès pour qu'ils puissent embarquer avant que tout ne soit trop tard. Sernec la regarda, il avait comprit lui aussi. Ils coururent alors comme jamais ils n'avaient couru. La mort était à leurs trousses. Des gens qui n'en étaient plus avaient le visage déformé par la haine. "Pourquoi vous et pas moi ?" Lisait-on en les regardant. Elle s'aperçut que leur bouche était couvert de bave noire qui perlait ici et là. Leurs veines, noires également, ressortaient sur leur visage, dissimulant d'autant plus ce qui pouvait les caractériser comme faisant partit de cette humanité. Le blanc de leur pupille n'existait plus, les vaisseaux sanguins avaient comme éclatés et des tâches noires les recouvraient. Des infectés, pensa-t-elle, se remémorant les paroles de la vieille femme. Ils étaient arrivés à un stade terrifiant qu'elle n'aurait soupçonné. Ils sont désespérés, comprit-elle avec horreur. Des soldats les dépassaient. Ils couraient eux aussi. Ils étaient dépassés par le nombre, les balles ne les stoppaient plus.

-Le bateau ! S'écria Dorloton, premier mot qu'il prononçait depuis la mort de ses parents, là où tout avait commencé.

Elle n'eut pas le temps de s'émouvoir de cela que le bateau était attaqué par des projectiles enflammés. Non... pas le seul moyen de quitter cet enfer. Elle le savait, ils ne sortiraient pas vivants de cet endroit sans le paquebot.

-Fendalyn ! Cria Sernec en trébuchant sur un corps.

Elle se retourna et eu une vision d'horreur. Elle se maudit de ne pas avoir fait demi-tour pour l'aider. Ses jambes refusèrent de s'arrêter devant cette horde de désespérés, de ceux à qui la vie les avait déjà trop atteint. Dorloton. Ce nom elle ne le pensa pas, il était ancré en elle comme une commande auquel elle ne pouvait échapper. La promesse que son père lui avait fait tenir : protéger son petit-frère. Alors tout en regardant derrière elle, elle couru vers le bateau. Sernec tandis la main vers elle tandis qu'une centaine de personnes affluaient, piétinant et massacrant tout sur son passage. Leurs cris, leur visage de sang noire, montrait une haine absolue, révélant qu'ils s'accrochaient pour la survie mais la vie était déjà loin derrière eux. Cette vision marqua à jamais cette jeune fille de 10 ans qui avait déjà vécu bien trop d'horreurs. Son ami fut aspiré par cette foule, cette masse informe qui effaçait toute individualité. En le regardant se faire écraser, elle ne fit pas attention devant elle et chuta elle aussi. Dorloton cria son nom mais déjà elle se retrouvait par terre, son petit-frère serré contre lui en première ligne. La mort, représentée par ceux qui venaient de perdre leur humanité, allait fondre sur elle. Elle n'aurait su trouver la force nécessaire pour se relever si un soldat ne l'avait redressé.

-Monter sur le bateau, vite ! Lui cria-t-il, à elle et à tous les passagers qui fuyaient le chaos.

Le reste, elle ne s'en souvient plus trop. Ce dont elle se rappelle, c'est une fois que le paquebot quitta l'embarcadère. Elle se tenait sur le pont, à l'endroit même où elle avait observé ce coucher de soleil avec Sernec et Dorloton, il y a de cela une éternité. La boule de feu était cette fois-ci sur le port avec ses bâtiments incendiés, ces choses à moitié nus qui voyant leur seul espoir de survie se mettaient à couper et déchiqueter tous les soldats et passagers qui étaient restés. Ils s'entretuaient même, la raison les ayant quitté depuis cet instant. La nuit fut illuminée par ces flammes, se reflétant dans l'eau. Certains s'y jetèrent et essayèrent de rejoindre l'embarcation mais il était déjà trop tard. Elle regarda son petit-frère, qu'elle tenait toujours serré contre lui. Elle se rappela alors sa chute et remarqua un peu de sang sur ses mains, celles qui tenaient sa tête. Ce n'était pas celui de Fendalyn. Il n'y avait pas grand chose, juste un tout petit peu, une louche. Quand elle l'appela, il ne réagit pas. Ses yeux restaient clos. Elle écouta son cœur. Il ne battait plus. Alors qu'elle était saine et sauve, à bord de ces bateaux l'emmenant vers les Îles du bout-du-monde d'où elle partirait dans le ciel, alors que son père lui avait fait promettre de protéger son petit-frère, elle avait échoué. A ce moment elle ne pensa plus, elle ne pleura plus. Elle avait déjà tout perdu.


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