~33~ Kandall

-Pourquoi ne veulent-ils pas se rendre ?! S'exclama Kandall Torcatram, effaçant de la suie de son front. Ils étaient retranchés sur une colline dans un abris démontable. De là, ils avaient une vue imprenable sur les montagnes du royaume de Kratagne, ses gratte-ciels s'agrippant à la moindre portion de terre. Ils ont dû déployer tellement d'efforts pour les faire tenir, tellement d'effort pour saccager leur paysage.

-Les Kratagniens sont solides, Torcatram ! Répondit Terkenbec, le nouveau Roi de Midor sacré par Kandall même.

-Il ne nous reste qu'une seule chose à faire, Monsieur, déclara Sotrace en s'avançant. Celui-ci était l'ancien général en chef des armées de Verradien qui avait dû lui aussi son titre de Roi par le président d'Alcatram.

-Non, Kandall ! S'interposa son cousin Porltan. Nous nous étions promis d'éviter le plus de dégâts possibles parmi les citoyens ! Si tu fais cela, tu tueras des millions de personnes qui subissent les outrages de l'empire ! Ils veulent la même chose que nous, n'en fais pas des ennemis !

Le chef de l'Alliance resta assis, songeur en regardant les vaisseaux qui s'affrontaient en déchirant le ciel, masquant le haut des gratte-ciels situés aux altitudes les plus élevées.

-As-t-on seulement le choix ? Demanda-t-il comme pour lui-même, le visage sombre.

-Ainsi tu finis par faire ce que tu as reproché à mon père ? S'amusa Alaigne Follet, qui s'était tenu dans l'ombre jusqu'ici. Elle était sale mais d'une beauté toujours glaçante. Ses chaînes n'étaient rien d'autre qu'une humiliation, se doutant bien qu'elle ne pouvait s'échapper très loin.

Sotrace lui flanqua une gifle qui lui mit les larmes à l'œil.

-Elle a une fâcheuse tendance à oublier qu'on ne s'adresse pas comme ça à celui qui siègera sur le trône de Xandora ! Monsieur, permettez-moi de la mettre avec les autres prisonniers, c'est ce que j'ai toujours conseillé...

-Je sais, je sais Sotrace mais laisse nous avons plus important à faire, dit-il distraitement d'un geste de la main.

-Kandall, insista Porltan,tu ne vas quand même pas...

-C'est le roi de Kratagne qui décide lui-même de sacrifier son peuple, pas nous ! Se défendit-il.

-Il croit qu'on bluffe, supposa Terkenbec. Après un silence, il ajouta : est-ce qu'on bluffe ?

Ce fut le vent soufflant qui lui répondit. Personne n'osait plus interférer dans les pensées de leur chef de guerre. Après un interminable silence, il finit par leur demander :

-Avez-vous repéré le vaisseau royal ?

-Oui il est de l'autre côté des montages près du littoral, répondit Sotrace. Mais pour l'atteindre, il faut traverser toutes les lignes ennemies.

-Bien. Sonnez la retraite.

Portlan expira de soulagement tandis que Sotrace ne put masquer son mécontentement :

-Nous les tenons, nous finirons par gagner cela prendra juste plus de temps que...

-Nous leur laisserons la place de respirer. Pendant qu'ils pourchasserons nos vaisseaux, notre troupe d'élite aura atteint la côte.

-Mais...

-Nous contournerons les montagnes. Nous n'allons pas les faire exploser comme ce qui était prévu en cas de coup dur. Ce seront vos troupes à Verradien qui iront !

-Mais elles protègent mon royaume...

-Ton royaume ? Reprit Kandall. Tu veux dire celui que je t'ai donné, contre l'avis des Follet ?

Alaigne émit un rictus. Quant à Sotrace, son visage s'assombrit avant de s'excuser platement.

-Je vais leur faire faire un détour pour qu'elles prennent à revers le roi de Kratagne. Devrons-nous l'achever ?

-Non, vous me l'apporterez.

-Bien.

Il fit mine de se tourner pour transmettre des ordres à ses soldats mais Kandall lui fit signe d'arrêter.

-Non, c'est toi même qui mènera tes troupes. Je te fais cet honneur. Après tout tu es un militaire, tu sauras te considérer en chef de guerre en menant tes troupes à la victoire !

Sotrace inclina la tête, surpris au début, puis un sourire se fit sur ses lèvres. Oui, cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas participé personnellement à une opération de ce genre.

Ce fut dans la soirée, quand la nuit commença à étendre ses ténèbres, que la lumière des vaisseaux et la couleur de leurs explosions se firent plus vives que Sotrace revint avec ses troupes, trainant le Roi de Kratagne, ligoté. Alors Kandall se leva, serra affectueusement l'épaule de Sotrace et regarda d'un air fière son ennemi. Il prit alors son couteau et défit lui même ses liens.

-Ton armée s'est vaillamment battue, tu n'as pas besoin que l'on te fasse cette humiliation. Arrêtons dorénavant cette boucherie pour le bien de tous.

Celui-ci se massa les poignets une fois libéré, se redressa et d'un ton méprisant répliqua :

-Nous nous battrons jusqu'à ce que nous ayons tous quitté cette vie !

-Que c'est beau, déplora Kandall d'une grimace. Mais terriblement égoïste. Ceci dit je respecte le code d'honneur du combat. Tu mourras de ma main, considère cela comme une grande marque de respect.

Le roi ne répondit rien, ne montra aucune forme de peur. Mais Kandall voyait à travers ses pupilles. Il savait déjà que son prisonnier faisait défiler dès à présent sa vie sous ses yeux.

-Faites préparer mon cheval, ordonna-t-il avant de faire agenouiller le kratagnien d'un geste.

On lui donna alors son épée, Kandall la planta un moment à terre, laissant son condamné à ses dernières pensées avant de la retirer d'un geste sec et de lui trancher net la gorge, tout cela si rapidement que celui qui fut roi ne vit même pas sa mort arriver. Tandis que Terenbec ne pu masquer son dégoût, Kandall prit la tête du mort par les cheveux et monta sur son cheval.

-Kandall, ce n'est pas prudent, la bataille n'est toujours pas terminée... S'inquiéta Porltan.

-Elle le sera mon cousin, elle le sera...

Puis sans un regard il s'élança vers la vallée. Un chef de guerre doit toujours risquer sa peau dans la bataille, pensa Kandall tandis qu'il filait à folle allure, si bien qu'il se demanda si son cheval n'allait pas faire une embardé dans la descente. Arrivée dans la vallée, il fit stopper son équidé près des décombres, des carcasses de vaisseaux aux ruines des bâtiments. Son cheval, la bave à la bouche, pu enfin respirer calmement. Personne ne lui tira dessus. Sa main brandissant la tête de leur souverain était visible de loin. Les combats parurent momentanément se stopper, comme une pluie qui s'arrêterait soudainement, dévoilant un fin rayon de soleil. Un vaisseau se posa alors devant lui et quelques soldats en sortirent, fusils pointés vers lui.

-Cessons ce massacre, les citoyens de ce royaume ont suffisamment souffert, déclara Kandall accompagné d'un regard vers des familles qui se cachaient à travers les décombres.

-Tu veux te porter le beau rôle ? C'est pourtant toi qui nous attaqué, toi qui a causé tout ceci ! Hurla un soldat, la rage sur le visage.

Comme seule réponse, Kandall balança la tête de leur Roi. Celle-ci roula jusqu'aux pieds des jeunes soldats.

-Que voulez-vous faire maintenant ? Vous n'avez plus de Roi. Pour qui vous battez-vous réellement ? Je vous propose de rejoindre mon Alliance !

La tension était de plus en plus palpable, Kandall pouvait même la toucher. Je ne crois pas qu'avoir balancé la tête de leur Roi était une bonne idée, pensa-t-il amèrement. C'est alors qu'un autre vaisseau plus petit se posa en vitesse. Un homme qui semblait être général avec toutes ses distinctions arborées sur son uniforme se précipita entre eux. Après avoir regardé sévèrement ses soldats, il regarda Kandall et sans un mot plia le genoux. Ce fut la fin de la bataille de Kratagne.

La semaine suivante, toute son armée volait vers le royaume de Delaria, l'une des deux seules provinces qui n'avaient pas encore connu la guerre. Du moins ce que croyait Kandall. Arrivés à quelques lieux seulement de la frontière, un vaisseau demanda à s'arrimer à l'immense paquebot volant où se trouvait les personnes les plus influentes de l'Alliance dont Kandall. D'abord méfiant, il finit par se dire que cela devait être plutôt bon signe de parler avant d'enchaîner sur une éventuelle bataille. Encore une. Il reçut la délégation dans sa salle du trône improvisé, avec ses plus fidèles généraux et les rois de l'Alliance dont le nouveau roi de Kratagne : le général qui avait ployé le genoux, mettant fin au conflit. Mais cette délégation n'était pas celle auquel il s'attendait : pas de vêtements extravagants, pas de costumes chargés de médailles, non rien, pas même de simples uniformes de soldats. Il sentait que quelques chose d'inhabituel s'était produit. Un homme assez fort, avec de longs cheveux et une barbe noire imposante s'avança parmi la dizaine de personnes qu'étaient venus. Ils ressemblent à de simples citoyens. Dans leur façon d'être, de regarder.

-Comment t'appelles-tu ? Demanda Kandall à cet homme.

-Gorondis, monsieur, dit-il en s'inclinant très légèrement. Sûrement le plus éduqué d'eux tous.

Après un silence, le président d'Alcatram reprit :

-Et bien, pourquoi te présentes-tu à nous ?

-Vous n'avez pas besoin de guerroyer à Delaria, ça non, monsieur !

-Et pourquoi cela ? Demanda-t-il, méfiant.

-Une guerre civile au sein du royaume a eu lieu. Porté par l'illustre Renald, elle a permit de renverser le régime en place. Nous vous attendions et nous sommes de tout cœur avec vous pour en finir avec l'empire et faire place à une nouvelle république.

Kandall parut réfléchir à ces mots puis demanda :

-Vous voulez dire que vous reconnaissez mon autorité ?

-Si cela n'entraîne aucune exploitation de nos citoyens et que vous accomplissez ce dont vous avez promis tout au long de cette guerre alors oui, nous sommes avec vous !

Des cris de joie fusèrent dans la salle, pour beaucoup la perspective d'une bataille en moins était tout ce dont ils souhaitaient. Kandall remarqua la retenu des rois. Ils n'ont pas dû apprécier le terme de "république" employé par ce Gorrondis.

-Vous voyez ? Leur dit-il. Enfin un peuple qui agit sagement et se rallie sans une goutte de sang ! Et bien dans ce cas je serais ravis de rencontrer ce Renald !

-C'est qu'il est très malade, révéla Gorrondis d'un ton embarrassé.

-Alors ne perdons pas plus de temps, conclut Kandall avant de mettre le cap vers la capitale de Delaria, là où se tenait le héros d'un peuple, celui qui les avait libéré.

Ils durent poser leurs vaisseaux non loin de là avant de continuer à pieds tellement la foule était nombreuse.

-Ils fêtent leur rébellion et leur victoire comme tous les samedis depuis un mois, et célèbre Renald ! Précisa Gorrondis.

Les soldats créèrent un chemin pour faire passer Kandall et toute sa suite. Les gens exaltaient, buvaient, s'embrasser, crier de joie et dansaient. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas vu des personnes aussi heureuses. J'espère que ce sera pareil quand je libérerais Térébor et m'assiérais sur le trône. Ils durent mettre plus d'une heure à marcher avant que progressivement, l'humeur de la foule ne change. L'euphorie cédait place à la tristesse, les cris furent remplacés par des messes basses, certains pleuraient et la plupart restait dans le silence comme abasourdis.

-Que se passe-t-il ? Demanda Kandall à Gorrondis.

-Je ne sais pas, répondit-il inquiet. Nous approchons du palais. Il prit quelqu'un dans la foule pour lui demander des explications.

-Non, ce ne sont que des rumeurs, ce que disent ceux de devant, enfin vous savez on transforme ce qu'on entend au fur et à mesure, oh diable j'espère que ce n'est pas vraiment...

Comme prit de panique Gorrondis se précipita vers le palais. Kandall le suivit également. Aux pieds des marches qui menaient à l'entrée monumentale, un autel avait été dressé. Les delariens s'écartaient à une distance respectueuse, certains pleuraient et d'autres criaient de désespoir. Tout le monde se mettaient progressivement à genoux, imité par la rangée de derrière. Une dizaine de personne se tenaient autour de l'autel. Quand ils s'aperçurent que l'armée de l'Alliance était arrivée, ils se retournèrent tous et s'écartèrent pour révéler le corps d'un homme étendu sur l'autel. Gorrondis se mit alors à courir pour s'arrêter à quelques pas, comme abasourdis par ce qu'il venait de voir. Il interrogea du regard un jeune homme aux traits gracieux qui pleurait. Il dû faire un véritable effort pour parler.

-Il est mort... il y a deux-deux heures à peine. Nous l'avons emmené ici pour que... pour-que tous voient notre héro ! Sa voix mourut dans les dernières paroles et il pleura de nouveau.

Kandall arrivant à leur hauteur ne put que considérer le respect qu'il avait montré à tout un peuple. Ils le voient comme un dieu. Ce fut à son tout de courber l'échine. Il regarda ensuite Gorrondis, comme pour s'assurer de ce qu'il avait vu.

-Ce jeune homme qui pleure, c'était Tennie avec qui il avait une relation très proche. Et lui, dit-il en désignant le corps étendu sur la table de marbre blanc, lui c'était Renald. L'homme qui attendait tellement de vous.

En se retournant pour voir la foule qui s'écartait d'elle-même pour laisser place à son immense cortège, Kandall ressentit le profond dévouement qu'elle avait en son héro et ses idées. J'aurais aimé le rencontrer. Sincèrement. Mais il comprit aussi qu'avec le peuple qu'il lui avait laissé, Renald avait précipité l'issue de la guerre. Car la bataille de Paumos allait se faire plus tôt qu'il ne l'avait prévu et déjà il voyait son trône briller derrière l'autel de Renald.

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