~32~ Renald
Les flammes montaient, de leurs souffles capricieux elles brouillaient la réalité mais à travers ce filtre brumeux, Renald voyait la police qui reculait, ne pouvant calmer toute une foule en colère. Observant la scène dans un bar situé au rez-de-chaussé d'un gratte-ciel, il jubilait mais masqua sa joie. Ne pas s'emporter alors que tout ne fait que commencer, se rappela-t-il.
-L'usine d'armement ne servira pas de sitôt ! S'esclaffa Gorondis, une choppe de bière à la main.
-Moins fort, le mit en garde Renald en se retournant, il ne faudrait pas que tout s'arrête maintenant.
-Allons toute la population est avec toi, maintenant regarde autour de toi ! Lui montra d'un geste Tennie, sourire aux lèvres.
Le personnel du bar et ses clients habituels étaient tous debout, le regard tourné vers le bâtiment qui prenait feu, et la foule autour qui criait de joie. Sur le fronton du bâtiment sombre, une peinture avait été tracée : un poing brandit en l'air symbole de la rébellion, geste qu'avait effectué l'ancien médecin un mois plus tôt sur le pont du bateau qui l'avait sauvé de la noyade. Il avait ainsi rallié ses premiers partisans et depuis ils accostaient sur différents points stratégiques afin de multiplier les attentats, mettant à mal l'empire. Jusque là ils ne s'étaient pas fait prendre mais dorénavant cela était trop tard pour les autorités : il avait l'appui de la population. Punissez-moi et je serais un martyr. L'armée étant mobilisé dans la guerre contre l'Alliance de Kandall, la police était tout simplement débordée. Les habitants, malades pour nombre d'entre eux et ayant tous perdus des proches, à cause de la guerre ou de la pollution, voyaient en ces actes terroristes leur colère exprimée. Renald n'était vu de personne mais ces paroles étaient entendu de tous. Des tracts avaient été jetées dans la rue et à qui voulait bien les ramasser, le vent de la révolte soufflait toujours plus fort. Le crâne rasé pour mieux cacher son identité, il s'efforçait d'être discret quand il crachait du sang dans son mouchoir. Car le chef de la rébellion ne devait pas être faible. Je marcherais avec eux jusqu'à voir l'empire s'écrouler et le peuple libéré de cette tyrannie.
Le patron du bar s'avança discrètement vers Renald et lui tapa l'épaule d'un geste affectueux.
-J'espère que tout cela ne sera pas vain. Le regard à présent perdu dans le vide, il secoua la tête avant de continuer : ma fille aurait voulu voir ces fumiers de l'empire se faire écraser par la foule. Elle serait fière de son père si elle savait que j'hébergeais le chef de la résistance.
Renald, toujours inquiet de ce que l'on pouvait dire dans un lieu publique, ne put s'empêcher de tiquer à ces mots.
-Vous êtes ici comme chez vous et pouvez rester le temps qu'il vous faudra !
-Merci Darius, lui dit Gorondis.
-Nous partirons demain dans la journée, leur signifia Renald.
Il pu lire sur le visage de Gorondis et Tennie une vague de déception à l'idée de partir mais cela ne dura pas longtemps : ils avaient accepté de le suivre et l'avaient d'ailleurs incité à les mener. A eux d'assumer ce pour quoi ils voulaient se battre. Une fois le patron partit, le capitaine du navire se pencha vers lui :
-Quelle site allons-nous viser ?
-La trésorerie de Delaria à Nykor.
Tous les trois restèrent muets pendant de brefs instants avant que Gorondis ne l'interpelle :
-Tu n'es pas sérieux, comment t'y prendras-tu ? C'est un des lieux les mieux gardés du Royaume !
Gorondis, une lueur dans les yeux, attendait la réponse de Renald.
-Nous avons l'appui de la population comme jamais nous ne l'avons eu auparavant. Il ne faut pas traîner, c'est maintenant qu'il faut attaquer ! Kandall affronte en ce moment même l'armée du Royaume de Kratagne, Delaria est la prochaine sur la liste ! Pendant que le Roi prépare son armée sur ses frontières, nous attaquerons au cœur comme nous l'avons toujours fait, mais cette fois-ci, l'armée ne pourra pas se relever. Sans argent pour payer ses soldats, le Roi ne pourra plus les maîtriser. Les soldats font aussi partit des citoyens et nombre d'entre eux sont d'accord avec nos idées seulement ils doivent se nourrir et l'armée est leur seul revenu. S'ils n'ont plus d'argent à gagner alors croyez-moi ils se retourneront contre l'empire, ils ne prendraient pas le risque de se faire massacrer pour rien !
-Tu serais prêt à tuer de faim des milliers de familles entières pour la cause ? S'inquiéta le capitaine du navire.
-Oui, Gorondis, répondit-il à voix basse.
-Renald a raison, intervint Tennie. Si on veut faire mal, il faut parfois oublier certains de nos principes car eux crois-moi s'en fiche éperdument !
-Et comment on s'y prendra ? Demanda Gorondis, toujours suspicieux.
-Des explosifs, une organisation millimétrée et une foule qui nous couvre. Pour plus de détails, on en parlera à l'étage.
Le soir venu, Renald essaya de chasser les images de sa fille qui s'était enfuie pendant l'invasion de Metenor par l'armée xandorienne. Certes elle m'a trahit, mais ne lui ais-je pas commit la plus haute des trahisons en refusant d'être son père ? Les images de Dalarielle, de cette fameuse soirée cauchemardesque qui aurait pu être le dernier jour de Renald se remettaient en boucle. Ça m'aurait simplifié la conscience si Gorondis et son équipage ne m'avaient pas secouru. Après avoir toussé tout ce dont il s'était retenu jusque là, il s'allongea dans son lit en sachant pertinemment que cette nuit ne serait pas synonyme de sommeil comme toutes les autres.
C'est alors qu'il entendit frapper à sa porte. Ai-je rêvé ? Impossible, cela fait bien longtemps que je ne l'ai plus fait. Prit de crainte, il se leva sans un bruit de son lit et marcha jusqu'à la porte. Collant son oreille sur le bois, il essaya de capter le moindre bruit de ce visiteur du soir. Si c'était un membre de la rébellion, il se serait annoncé. C'est alors que les coups repartirent de plus belle, le faisant sursauter et trahissant sa propre présence. Si c'était un soldat de l'empire, il ne se serait pas non plus prit la peine de toquer, se rassura-t-il.
-Qui est là ?
-Quelqu'un qui vous veut du bien, je vous en prie ouvrez, notre discussion risque d'être un peu gênante dans le couloir.
Ne reconnaissant pas non plus la voix, il prit le risque sans bonne mesure et faisant fi de tout principe de s'avancer vers la porte et d'ouvrir. Un homme assez jeune, le regard furtif et habillé de sombre se glissa aussitôt à l'intérieur pour refermer la porte.
-J'aurais préféré un simple mot glissé sous la porte mais "trop risqué" ils disaient.
-Qui êtes-vous ? Demanda suspicieusement Renald.
-Je vous l'ai dit, quelqu'un qui vous veut du bien.
-Ca ne me suffit pas, insista-t-il les bras croisés.
Celui-ci soupira avant de lui donner de plus amples renseignements :
-Disons que vous connaissez bien la personne pour qui je travaille et qu'elle aurait de gros problèmes si on venait à découvrir sa véritable position.
Alistair.
-Oui, je crois que vous avez deviné. Cette personne vous offre un précieux billet pour partir à bord des vaisseaux. Continuer votre travail ici et quand il faudra partir, on vous fera signe.
Renald ne savait que dire de cette proposition. Il était à la fois touché mais terriblement attristé.
-C'est que... même si je le voulais. Je suis moi même malade. Au vu de mes symptômes, j'en aurais pour un mois, peut-être trois dans le meilleur des cas.
-Oh ! C'est bien fâcheux. Son visiteur paru reconsidérer la question froidement avant d'ajouter : en tout cas votre billet est toujours valable si vous voulez emmener quelqu'un d'autre à votre place !
-J'aurais bien une petite idée mais c'est que... je ne sais pas où se trouve cette personne, dit-il le visage abattu.
-Vous pensez à votre fille ?
-C'est exact, dit-il le regard plein d'espoir. Comment savez-vous ?
-Ne vous inquiétez pas, lui répondit-il d'un hochement de tête. Elle est avec nous. Elle aura sa place si c'est ce qu'elle veut également.
Renald fut alors débarrassé d'un immense poids, comme si tout ce qu'il avait pu échouer dans sa relation avec sa fille pouvait être rattrapé par ce ticket pour la Lune. Il y repensa encore le lendemain, après avoir rêvé de sa fille. Toujours fatigué malgré une première nuit de sommeil depuis longtemps, ils accostèrent comme prévu à Nykor, une cité qui ressemblait à toutes celles de l'empire à ceci près qu'elle hébergeait l'argent de la couronne de Delaria. Tout cela dans une seule forteresse. Réputée imprenable, un effectif conséquents de policiers la surveillaient jour et nuit. Renald et Tennie se firent hébergés par des sympathisants de la cause non loin de la trésorerie tandis que Gorondis gardait le navire avec tout son équipage.
Le lendemain tout alla très vite. Des centaines de citoyens s'étaient réunis autour de la trésorerie, emmené par l'équipage et rapidement suivis par d'autres. Quand la police voulu les disperser, ce fut le signal pour que celui qui était en tête, Tennie, soulève son T-shirt pour révéler une ceinture d'explosif. Renald scrutait le tout, loin derrière la foule, retenant son souffle. Gorondis, à côté de lui, se retourna vers Renald.
-J'espère que tout cela ne sera pas mené en vain.
Renald voyait que Gorondis retenait une larme, la gorge noué. Quand à lui, il scrutait toujours plus intensément la scène.
Le policier recula alors aussitôt, transmettant des ordres à ses subalternes. C'est alors que la première rangée de la foule imita le geste de Tennie et révéla à son tour une ceinture d'explosif, vestige de ce qu'ils avaient pu prendre lors de l'attentat de l'armurerie deux jours plus tôt. Les policiers, paniqués, ne savaient où pointer leurs armes et certains voulurent partir pour envoyer des renforts mais la foule, bombe à retardement les en empêchait. Ce fut ce moment que choisit Renald pour sortir de l'ombre. Il traversa la foule pour s'arrêter juste derrière la ligne de rebelles attendant patiemment de se faire exploser. D'un signe, on lui apporta diverses caisses pour qu'il monte et que tous puisse le voir. Les policiers tendirent leurs armes d'un même homme vers celui qui semblait avoir orchestré tout ça.
-Dis leur d'arrêter et aucun coup de feu ne sera tiré !
Renald regarda distraitement Tennie mais ne répondit pas. Il embrassa la rébellion d'un regard, comme s'il prenait de l'oxygène avant de le tourner vers celui qui lui avait adressé la parole :
-Nous n'avons rien contre vous. Vous êtes des nôtres. Pour certains vous ne le savez peut-être pas mais vous êtes des nôtres. Vous n'avez pas à être sur la défensive car aucun mal ne vous sera fait. Il vous suffit d'ouvrir les portes et nous brûlerons tout ce qui s'y trouve.
-Vous plaisantez ? Vous croyez quoi ? S'agaça une jeune policière. Que c'est l'argent de la famille royale qui ne s'en sert que pour péter dans la soie ?! Ca nous paye aussi ! A vous tous ! Dit-elle en pointant des rebelles. Sans cette argent on sera dans la misère, encore plus que maintenant !
Renald descendit de son estrade improvisé pour passer devant la première ligne de la rébellion. Il était maintenant à quelques pas des armes de la police, pointées exclusivement vers lui.
-Sans cet argent, il n'y aura pas de bataille à Delaria, le Roi sera défait et Kandall marchera directement sur Terebor. Pour la faire simple, ce jour-ci sera décisif dans cette guerre totale. A vous de choisir si vous voulez mourir pour rien ou si vous serez considérés comme des héros auprès de la nouvelle république de Xandora !
-Pourquoi vous faites-ça ? Demanda celui qui semblait être leur commandant.
-Pour éviter que celui qui triomphe nous tue chaque jour un peu plus avec sa pollution !
Soudain le commandant devint blême et ne put s'empêcher de remarquer :
-C'est vous... Renald. Le médecin qui est l'ennemi numéro 1, le fugitif, le traître. Vous n'êtes donc pas mort...
-Si, vous m'avez tué. L'empire m'a tué. Mais l'empire ne peut tuer l'entièreté de sa population. En tout cas pas avec ces balles. Car on fait entendre notre voix, notre colère. Et rien ne pourra plus nous empêcher. Soit ces jeunes citoyens se font exploser et vous avec, puis nous brûlerons la trésorerie, soit vous nous laissez passer et nous brûlerons la trésorerie ! Faites votre choix.
Le commandant regarda ses collègues, tous de jeunes hommes et femmes et après un hochement de tête il déposa son arme, suivi par les siens. Renald se retourna alors vers la foule et brandit son poing, levé vers le ciel, avant que tous ne l'imitent en poussant des cries de joie. Puis on leur ouvrit les portes. Ils pénétrèrent alors dans le bâtiment et brûlèrent tout sur leur passage. Les policiers quant à eux s'enfuyaient discrètement à travers la foule. Renald fut porté en triomphe sur l'avenue principale de Nykor, tel un mythe qui avait fait basculé l'histoire. Tennie le portait lui aussi, yeux happés par le fanatisme qu'il vouait à son camarade, exalté par ce plan qui avait marché et qui pouvait signifier sa mort. Derrière, Gorondis souriait mais à travers ce sourire Renald pu y lire de la peur à son égard. Mais cela a marché. Sans un mort cela a marché. J'ai renversé un royaume, et plus rien ne pourra nous arrêter. Il savourait cette gloire, oubliant presque sa fille, oubliant presque sa mort prochaine.
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