~31~ Mordacus
Les derniers jours furent les pires qu'aient connu le roi de Nysteria. Visage creusé, il avait assisté aux derniers instants de sa fille Vermien. Elle n'avait plus émit le moindre son depuis une semaine, les médecins du royaume s'efforçant de la maintenir en vie envers et contre tout. Sa femme Angelica n'était pas de cet avis. Sa fille souffrait trop et il fallait la libérer, même si cela était insoutenable pour eux. Mordacus avait délaissé son rôle de gouverner son peuple, se tenant jour et nuit au chevet de sa fille. De sa dernière enfant. Le dernier jour elle avait ouvert difficilement les yeux, l'avait regardé et lui avait dit comme sur le ton de la confidence :
-Papa. La maladie s'arrêtera, tu verras. Le monde sera beau comme tu nous l'a promis.
Elle tourna alors la tête vers le plafond de sa chambre avant de s'émerveiller, sourire aux lèvres :
-Que c'est beau.
Elle avait toujours les yeux ouverts quand elle quitta ce monde. Mordacus ne peut réprimer un hurlement de douleur, ce qui alerta sa femme et le personnel soignant. Angelica constata alors le corps de sa fille avec tristesse et dit à son mari tout en la regardant :
-Tu aurais dû lui épargner ses jours de souffrance et t'occuper de ton peuple.
Puis elle s'avança et referma les paupières de sa fille avec tendresse. Mordacus était comme hébété, n'arrivant à rassembler des pensées cohérentes pour réfléchir.
-Notre fille aura des funérailles royales comme Zouir, déclara-t-elle en se redressant, essayant de rester digne tout en réprimant une larme.
Deux jours plus tard, le cortège avec en tête le cercueil de Vermien traversa l'avenue qui partait de la côte pour rejoindre le palais. Une foule s'était massée, compatissant à la perte des deux enfants de leur roi en à peine un mois. Eux aussi ils ont perdu des leurs, constata-t-il en voyant leur visage pleins de chagrins. La mort de mes enfants chéris rappellent la leur. C'était Mordacus lui-même qui portait le cercueil avec d'autres gardes. Derrière se trouvait sa femme en robe de deuil suivi par son gouvernement qu'il n'avait plus côtoyé depuis ces derniers jours. Le reste de la population les rejoignît pour s'arrêter devant le palais où se trouvait la crypte royale. Une fois monté les marches qui les menait au parvis, Mordacus déposa le cercueil à la verticale, soutenu par ses hommes. Il s'arrêta un instant pour contempler cet immense porche qui les écrasait entouré de deux bannières de Nysteria où l'on pouvait y voir représenté le marteau avec en fond les contours d'une usine sur un coucher de soleil flamboyant. C'est cet Aracorn qui a puni le massacre de sa famille par nos ancêtres et nous a condamné à faire tourner ces foutues usines pendant un millénaire. Mais tout cela a prit fin maintenant. Il se retourna alors pour contempler la foule qui s'était réunie, attendant son discours. Pourquoi a-t-il fallu que vienne la fin du monde au moment où l'on a compris nos erreurs ? Sur ce coucher de soleil, aussi rouge que l'est celui de son blason, Mordacus Daraneon, fils de personne, s'avança et clama :
-J'aurais aimé vous parler en des jours meilleurs ! Comme vous, j'ai perdu des êtres qui m'étaient chers. On paye ce que les gouvernements précédents nous ont infligés. Mais je pense avant tout à vous, à la survie de notre peuple, à la survie des Nysteriens. Il n'y a plus d'avenir ici !
Ses membres du gouvernements derrière lui commencèrent à s'agiter. Sa femme, à travers sa mantille, le regarda, perplexe et redoutant le pire.
-Je ne pourrais pleurer la mort de chacun d'entre vous. Pour cela, pour qu'on ai un avenir loin de ces terres qui ne ont apporté que le malheur, je négocierais avec l'Empire pour que vous puissiez tous partir vers la Lune, vers la seule terre qui n'ait pas été souillée !! Hurla-t-il en désignant l'astre bleu qui commençait seulement à être visible dans le ciel.
Aussitôt la foule s'agita et tous parlèrent en même temps, un brouhaha s'en dégageant. Ceux qui dirigeaient Nysteria depuis une semaine se précipitèrent vers Mordacus :
-Sir, vous ne pouvez pas faire ça ! Cela signifie le retour des usines, Oswalda exigera des réparations de guerre !
-Pourquoi vous ne nous en avez pas parlé ?! C'est nous qui nous occupons de votre royaume depuis que vous pleurnichez ! S'emporta un ministre.
Mordacus le cogna si violemment que le vieil homme s'effondra aussitôt, la tempe en sang. Pendant que d'autres le relevaient, Angelica s'avança vers lui, faisant barrage entre son peuple et lui-même.
-Il n'est pas trop tard pour changer d'avis, Mordacus. Pense à l'image que tu renverrais à ton peuple. Si toi tu baisses les bras, si tu abandonnes alors ce sera la panique. Crois-tu vraiment qu'Oswalda a assez de places dans ses vaisseaux pour 70 millions de personnes ?
-Nous étions 140 il y a quelques mois. Angelica tu ne vois pas que c'est la fin de notre espèce ? Il faut faire fis des alliances et sauver nos proches. Eux sont mes proches ! Cria-t-il en désignant du doigt la foule dont le vacarme était assourdissant. Ils sont ma responsabilité et je mourrais pour eux. Maintenant va-t-en, dit-il en baissant les yeux. Je n'ai plus besoin de tes conseils.
Angelica le regarda fixement pendant plusieurs secondes mais Mordacus continuait à fixer le sol. Alors elle garda la tête haute et lui dit d'une voix amère avant de tourner les talons :
-Vermien voulait que tu accomplisses ces chantiers. Elle est morte en rêvant de cela !
Puis elle partit laissant Mordacus en proie aux mécontentements de ces ministres. Face à la violence qu'avait montré leur roi, ils tentèrent de se contenir mais il voyait bien dans leur regard qu'il ne fallait d'un rien pour que l'altercation n'en vienne aux mains. Afin de les apaiser, Daraneon leur promit cinq jours de réflexions mais il ne revint pas sur ces mots devant la foule. Le lendemain dès l'aube, Angelica accouru dans la cour du palais en voyant Mordacus qui s'apprêtait à monter à bord d'un vaisseau.
-Ne me mens pas si le peu de ce qu'il y a en toi me respecte encore ! Tu pars vers Terebor ?
Devant le visage gêné de son mari, elle regarda sur le siège passager à côté de lui et vit la bannière du royaume où reposait sa couronne.
-C'est bien ce qui me semblait, pourquoi si tôt ? Tu leur avais dit que tu réfléchirais encore pendant 5 jours ?
-Je leur ai dit ça uniquement pour les calmer sinon j'aurais été destitué ou pire. Je n'aime pas cela mais je suis obligé de partir en douce.
-C'est ainsi que tu quittera tes terres ? Comme un fugitif alors que tu es roi et que tu aurais pu être le plus grand roi que Nysteria n'ai jamais connu !
En contemplant son regard, Mordacus comprit qu'elle le pensait réellement.
-C'est la seule chose à faire. C'est parce que je suis roi que je suis obligé d'en arriver là.
-C'est parce que tu as peur et que tu cèdes à la panique devant la mort de tes enfants !
Mordacus détourna le regard, constatant alors sa couronne qu'il s'apprêtait à vendre si ce n'est à donner.
-Alors adieu, Mordacus, conclut Angelica, préférant en finir au plus vite, évitant de faire durer l'agonie de leur couple comme l'avait été l'agonie de leur fille. Avec toi j'ai connu le meilleur comme le pire !
Mordacus voulut répliquer, lui dire qu'il faisait ça pour elle, qu'ils avaient encore une chance et c'est ce qu'il essayait de faire, mais aucun son n'en sortit. Alors la porte se ferma et la dernière image d'elle fut à travers cette vitre sale avant que son vaisseau ne quitte le sol de ces ancêtres.
-Nous serons arrivé d'ici une demie-heure Sire, lui annonça son pilote qui était dans la confidence.
Mais situé à l'arrière, son roi ne l'entendit pas. Perdu dans ses pensées et ses fantômes. Je suis désolé Vermien. Je sais que tu aurais voulu que je transforme le paysage de Nysteria, que je le rende plus respirable comme je te l'avais montré. Mais peut-être que cela sera chose possible sur cette Lune. Ou peut-être que toi et Zouir êtes mieux là où vous êtes. Qu'ici bas, nous souffrons inutilement. Et qu'il faudra bientôt nous achever pour notre bien à tous. On aura connu nos meilleurs moments avant que ne vienne les pires et je suis désolé de ne pas avoir pu vous préserver de cela. De cette maladie. De cette pollution.
Il était encore dans ses pensées quand le vaisseau se posa sur l'une des nombreuses terrasses du palais. L'entrevue avait été préparée, Mordacus avait envoyé un émissaire dans la nuit pour prévenir qu'il arrivait, il avait eu comme réponse que des réjouissances. Un homme chauve à la peau pâle l'accueillit. En posant le pied à terre, Mordacus se rendit compte que c'était la première fois qu'il se trouvait ailleurs que chez lui, à Nysteria. Il se sentait terriblement... étranger. Alors que dire de la Lune.
-Sire Mordacus Daraneon, nous sommes très heureux de vous recevoir parmi nous, vous ne pouvez l'imaginer !
Derrière cet homme au visage étrange se tenait une petite délégation. Tous était armés, le visage fermé derrière un voile, ne laissant passer que des yeux sans vie.
-Ne vous inquiétez pas pour eux, déclara l'homme qui se présenta comme Odeon, sénateur-conseiller de l'Impératrice. Suivez-moi et vous autres restez ici, que diable nous n'avons pas besoin de vous ! Ordonna-t-il à l'intention des gardes. Ce sont la nouvelle garde rapprochée de l'Impératrice, c'est plus pour impressionner que par réelle utilité si vous voulez mon avis continua-t-il en lui faisant traverser un immense hall pour le mener à un ascenseur. Personne ne vous a accompagné ? Sembla-t-il remarquer.
-Non, je préfère que ceci n'est rien d'officiel pour l'instant.
-Bon, soit, dit-il simplement avant de composer le numéro "100" sur la clavier de l'ascenseur.
Mordacus remarqua enfin ce qu'il trouvait de bizarre chez cet homme. Il n'avait pas de sourcils. A vrai dire, pas de cils non plus. Il se demanda si c'était une sorte de mode ou de coutume par ici. Il n'aurait su dire quel âge avait réellement cet Odeon. Heureusement, l'ascenseur arriva rapidement à sa destination car il se sentait mal à l'aise en présence de cet individu. Il le fit traverser ensuite un grand et large couloir qui devait servir de salle d'attente avant de rentrer dans la salle du trône. Le conseiller-sénateur ne se prit pas la peine de toquer et ouvrit en grand les portes de cette salle, sans que les gardes n'aient leur mot à dire. Odeon le laissa alors passer et s'effaça aussitôt. Quand il se retourna, les portes étaient closes et plus aucun signe de cet entremetteur.
-Bienvenue à toi, Sir Daraneon, Roi de Nysteria !
En se retournant, il pu constater un trône qui vous écrasait par delà les marches qu'il fallait gravir pour l'atteindre. A vrai dire non, il y en avait plutôt deux. Un autre se tenait à sa droite, légèrement en retrait. Son tout nouvel époux et ancien conseiller Alistair Ormond, comprit-il. Il avait des cheveux noirs qui retombaient sur sa nuque et de part et d'autre de son visage. Il semblait soucieux, la main posé sur son menton. Quant à l'impératrice, elle était resplendissante de beauté. Sa longue chevelure rousse se finissant en une natte complexe. Son regard fier, presque hautain, vous regardait de haut. Mais elle souriait, apparemment satisfaite.
Mordacus s'inclina légèrement en signe de respect. Il constata alors non sans une certaine crainte sa garde rapprochée, de noir vêtu et tous également voilé chacun ayant une longue lance se finissant en une épaisse lame courbée.
-Je suis venu dans le cadre de négociations, déclara-t-il rapidement, voulant en venir aux faits.
Oswalda Asterian se leva alors.
-Qu'as tu dans ta serviette ?
Mordacus regarda alors cette dernière qu'il tenait dans ses mains et qui contenait sa bannière et sa couronne, signe de soumission. Si je lui en parle, la négociation n'aboutira qu'à cette donation ultime.
-Quelque chose qui pourrait peut-être vous intéresser, répondit-il simplement.
-Et quelle est ton marché ? Demanda-t-elle en descendant lentement les marches qui les séparaient.
-Mon peuple se meurt, commença-t-il.
-Ici aussi nous rencontrons quelques soucis de ce genre, le coupa-t-elle.
Il sut alors que l'entretien ne sera pas facile et qu'il devrait se montrer très persuasif.
-Mes enfants sont morts.
-M'en voilà navré, dit-elle, apparemment surprise. Tu n'as donc plus de lignée, je me trompe ?
En se reprenant aussi vite, il comprit qu'elle se montrait très calculatrice et qu'elle ne laissait que très peu de place à l'émotion. Jouons cartes sur table.
-Je ne suis qu'un roi qui ne souhaite que sauver son peuple, dit-il en écartant les bras.
Oswalda arriva alors à sa hauteur. Même là, elle était légèrement plus grande que Mordacus.
-Comment peux-tu le sauver ?
-Avec vos vaisseaux. Ceux qui vont partir sur la Lune. Écoutez je sais que vous voulez rester ici. Nous ne serons plus un ennui pour vous, nous disparaîtrons et vous aurez pleinement possession de nos terres. C'est tout ce que je demande.
Elle s'arrêta à un mètre de lui et sourit.
-Nous y voilà. On te garantie des places à bord de ces vaisseaux et vous nous donnez Nysteria. C'est un marché intéressant. Le problème c'est que j'ai déjà fait nombre de promesses à nombre de personnes pour leur garantir qu'ils aient des places. Que suis-je censé leur dire ?
-C'est tout ce que je peux proposer, continua-t-il. Je n'ai rien d'autres à offrir et vous le savez.
L'impératrice de Xandora marqua alors une pause et déclara tout en tournant autour de lui :
-Tu es venu seul. Comment être sûr que tu as suffisamment de légitimité auprès des autres élites de Nysteria ? Après tout tu trahis ton peuple. Tu trahis une alliance qu'a bâti Kandall Torcatram et Kelton Follet. Qu'ils ont bâti au sujet d'une idéologie. Et toi tu veux rejeter tout ça, montrer ta nuque envers l'ennemi et tout cela pour quoi ? Pour une issue qui n'est même pas certaine. Si je ne veux pas moi-même aller à bord de ces vaisseaux c'est... Oswalda se pencha comme pour lui murmurer un secret : c'est que je ne leur fait pas confiance !
-Il n'y a pas d'ennemi, dit-il en essayant de capter le regard d'Alistair qui restait jusque là assis sur son trône. Il n'y a qu'une maladie et elle ne fait pas de distinctions entre les camps !
-Bonne réponse, dit-elle en souriant à nouveau. J'accepte ton marché.
Mordacus en fut presque déstabilisé. Il s'attendait à devoir encore batailler après le scepticisme qu'elle avait montré.
-Vous acceptez... ?
-Montre ce que contient ta serviette, je t'en prie.
Ayant obtenu ce dont il avait cherché, il s'empressa alors de l'ouvrir pour révéler une couronne emballée de la bannière de Nysteria. Il posa alors genou au sol et lui tendit la couronne reposant sur le tissu.
-Alistair, dit-elle alors, que dirais-tu d'être Roi de Nysteria ?
Mordacus n'entendit aucun son en signe de réponse.
-Je crois qu'il a dit oui, lui chuchota-t-elle en guise de confidence.
-Vois-tu Mordacus, tu as fait l'erreur de ne pas assurer tes arrières. Tu viens seule et comme ton émissaire nous l'a si gentiment révélé, sans aucun support.
Le traître, pensa-t-il avec effroi.
-Ton gouvernement n'est pas avec toi Mordacus. Personne te pleurera. Je conserverais les places que j'ai promis aux miens et ton peuple restera sur ses terres, cela arrangera tout le monde, crois-moi. Mais nous, Mordacus, nous nous avons ta couronne et nous partageons maintenant un même ennemi avec ceux qui dirigent pendant ton absence : toi ! Et j'aime avoir des ennemis communs. Désolé mon bon roi mais tout cela n'est que politique !
-Jamais vous ne...
La lame du soldat s'abattit sur sa nuque pendant qu'il se redressait. La tête tomba mais Oswalda rattrapa la couronne pendant que la bannière de Nysteria retombait doucement sur la tête de son défunt roi, comme pour l'envelopper tendrement.
L'impératrice se retourna et regardant Alistair resté en haut sur son trône lui tendit fièrement sa couronne, le bras tâché de sang. C'est ainsi que Xandora récupéra Nysteria dans les derniers jours de cette guerre de fin du monde.
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