~30~ Renald
Le silence. La résignation. C'est ce qui allait venir, il le sentait. Le silence commençait déjà à tout investir, petit à petit jusqu'à ce que les ténèbres l'envahissent. La pression de l'eau était son ennemie et son alliée. La douleur devenait de plus en plus insoutenable, mais c'était néanmoins cette douleur qui le maintenait conscient ou du moins en vie. Il résistait malgré lui, malgré sa propre volonté, comme un instinct primaire n'obéissant qu'à la survie. Mais elle devenait trop insoutenable, il aurait voulu que ses dernières pensées aillent vers sa fille, il aurait peut-être voulu mourir sur la plage, abattu par ces soldats mais le destin en avait décidé autrement. Ses pensées n'étaient qu'animal, des cris à l'intérieur de sa tête, rien d'autre. La balle qui l'avait atteint dans le bas du dos lui avait enlevé ses forces, il était comme paralysé, soumis à toute cette eau, à cette mer qui l'enfonçait et le promenait selon sa volonté. Alors lentement, très lentement, la douleur finit par s'estomper, son cœur commença à ralentir, une paix intérieure l'envahit alors et la résignation l'atteignit. Puis le silence. Absolu. Sans aucun trouble. L'arrêt de son cœur entraîna celui de sa circulation sanguine. Son cerveau cessa toute activité électrique. Ses neurones s'éveillèrent alors et libérèrent toute leur énergie, manifestant un pic d'activité électrique, signal que la fin était arrivée.
Son corps fut enveloppé d'un coup par un lourd filet. Ce dernier fut hissé rapidement, de la lumière se faisait plus intense jusqu'à ce qu'il émerge de l'eau. Puis doucement, son ascension continua, s'arrêtant près d'un navire de pêche. Quelques hommes prirent alors le filet et le déroulèrent délicatement, exhibant le corps de l'ancien médecin sur le pont du bateau. Ils n'étaient éclairés que par le reflet de la Lune. Quelques murmures s'échappèrent de l'équipage, composés d'hommes et de femmes de tout âges.
-C'est lui, dirent certains à voix basse, comme de crainte de l'éveiller.
-Poussez-vous ! S'exclama un jeune homme imberbe aux cheveux mi-longs, se faisant un chemin jusqu'à celui qui était l'attention de tous.
Il se mit alors à genoux, mit une main au dessus de l'autre sur la poitrine du naufragé et poussa par saccade, déterminé dans sa tâche, ne ralentissant à aucun moment. Tout le monde se réunit autour d'eux, restant respectueusement à quelques pas d'écart. Puis au bout d'un temps qui semblait interminable, un homme imposant à la barbe et aux longs cheveux noirs s'avança :
-Tennie, cela doit faire un moment qu'il s'est noyé, arrête, laisse tomber.
C'est alors que Renald ouvrit subitement les yeux pour se rouler sur le côté et recracher de l'eau. Vivant. Je. Suis. Vivant. Après avoir régurgiter toute l'eau, il vit nettement du des tâches noires sur le bois. Mort. Je. Vais être mort. Bon dieu, à quoi ça sert que revienne ici pour mourir ? Pensa-t-il avec désespoir en constatant que cette tâche était son sang, signe de la maladie incurable. Toujours affalé sur le pont du bateau, il remarqua l'environnement dans lequel il s'était réveillé. Quarante à cinquante personnes le regardaient, yeux exorbités, dans un silence mêlé de respect. L'homme qui se tenait agenouillé à côté de lui regarda la flaque noire. Leurs regards se croisèrent alors.
-Comment t'appelles-tu ? Demanda Renald après avoir toussé une nouvelle fois.
-Tennie, monsieur.
-Tennie, je te dois la vie et je te remercie pour cela.
Puis avec son aide, il se redressa et déclara à l'équipage :
-Je vous dois tous la vie. Merci de m'avoir repêché.
-Merci à vous d'avoir lutté contre l'empire, c'est eux qui nous ont ramené cette maladie et qui nous décime dans cette guerre ! S'exprima une femme, sale, qui semblait elle-même être mal en point.
Il regarda alors à l'horizon, vers la côte. D'épaisses fumées s'y élevaient toujours. D'un constat du regard, l'homme aux long cheveux noires s'apparentant à être le capitaine confirma ses craintes :
-Ils ont brûlé l'entièreté du village.
Aussitôt, il eut l'image de sa fille en tête.
-Dalarielle ! Vous... Vous n'avez pas vu une jeune femme, blonde, la vingtaine ?
-Elle s'appelle Dalarielle ? Interrogea une femme.
-Oui, c'est ça ! S'exclama-t-il, de l'espoir au coeur.
Mais un silence lui répondit, chacun se retournant vers son voisin.
-Il semblerait que non, j'en suis navré, lui dit le capitaine d'un soupir.
Je ne perds pas espoir, elle s'était enfuie. Je l'avais perdu de vue, elle a dû partir loin. Renald ne pouvait penser à d'autres conclusion à son sujet. Il réalisa alors qu'eux tous, ceux qui semblaient le regarder avec fascination, eux tous avaient perdu leur toit. Leur chez-eux. Par ma faute. Ils n'ont nul part où aller.
-Gorondis, s'exclama Tennie à l'intention du capitaine, il faudrait peut-être qu'il se repose un peu après ce qui lui est arrivé !
-Bonne idée, répondit celui-ci. Venez, suivez-moi, je vous emmène dans ma cabine !
Quand il commença à marcher, il ressentit une légère gêne dans le bas du dos. Aussitôt quelqu'un s'écria :
-Regardez, il saigne !
En se retournant et touchant la plaie avec sa main, il se rappela aussitôt qu'on lui avait tiré dessus. Tennie intervint alors et l'aida à le déplacer vers son lit.
-Reposez-vous, lui dit celui-ci. Sentant la fatigue l'envahir, Renald trouva la force de l'attraper vivement par le col :
-Vous avez vu ce qui m'arrive aussi ?
Tennie eu pour seul réponse de hocher la tête.
-Bien, cela ne change rien je continuerais à me battre jusqu'au bout, lâcha-t-il d'un souffle avant d'être rattrapé par le sommeil.
Quand il se réveilla, le soleil baignait la cabine de sa chaleur. Un bandage entourait son dos et son ventre. Tennie se tenait sur une chaise, avachi à côté d'une table en train de dormir à son tour.
-Vous êtes médecin, vous aussi ? Demanda-t-il, certain qu'il allait se réveiller aussitôt.
Ce qu'il fit vivement, d'une façon presque comique, ne manquant pas de faire sourire Renald. J'ai cette impression que cela fait une éternité que je n'ai pas sourit. Son veilleur cligna plusieurs fois des yeux, se repassant la question qui lui avait été posée dans sa tête avant de lui répondre :
-Oui, enfin infirmier plutôt. C'est de plus en plus utile ces derniers temps.
Renald sourit à nouveau : -J'ai l'impression que ça ne va pas s'arrêter.
La porte s'ouvrit alors en grand pour faire place au massif capitaine du navire.
-J'ai entendu du bruit, bien dormi Renald ?
-Grâce à vous tous, mille mercis !
L'imposant Gorondis s'affala sur la chaine laissée vide, près de son bureau. Il sortit une pipe et la fuma rêveusement. Seulement après la première bouffée, il continua :
-Vous êtes très célèbre parmi les villageois qui ont survécu. Vous vous rendez compte ? On dit que c'est le dernier village de Xandora. Enfin, c'était, se reprit-il tristement. Nous étions les derniers qui refusions catégoriquement la vie entre les ombres des gratte-ciels et la façon de consommer que cela impliquait. Nous voulions l'air pur ! L'empire nous laissait jusque là car on ne pouvait y construire des fondations suffisamment importantes. Enfin c'était avant, maintenant j'imagine que ce n'est plus d'actualité. Ils ont bien construit un continent artificiel en pleine mer !
Renald le laissait parler respectueusement, attendant le point où il voulait en venir.
-Enfin, continua-t-il. pour ces gens qui nous ont suivi et qui sont sur mon rafiot, vous êtes certes celui qui a conduit à la fin de Metenor mais aussi celui qui peut mettre fin à Xandora !
-Vous m'accordez trop...
-Non non non, je m'explique, le coupa-t-il. On vous a vu quand vous vous êtes fait tirer dessus. J'ai prit alors mon bateau pendant que les soldats quittaient le village en terminant de tout incendier sur leur passage et on a tenté de vous retrouver. La mer peut être capricieuse mais on vous a retrouvé tout de même. Je crois que ceux qui ont pu s'échapper sur mon bateau sont les seuls survivants. Heureusement que Tennie était là pour vous ramener à la vie car honnêtement je dois vous dire, je pensais que c'était foutu !
Tennie souri, gêné.
-Bon dès que vous vous seriez pleinement rétablis, dites-leur ce que vous allez faire, déclara-t-il en se levant tel une montagne faisant de l'ombre à Renald. Je ne peux nourrir 48 bouches indéfiniment avec du poisson !
Sur ce, il quitta la cabine, laissant les deux hommes seuls.
-Je suis désolé de la façon dont il vous a parlé, je me doute que tout cela va trop vite et que vous n'avez rien demandé...commença Tennie, sincèrement peiné.
-Non, non je me dois de trouver une solution on ne peut en rester là, c'est par ma faute si Metenor a été rasé, déclara-t-il, en apparence sûr de lui.
Il se rappelait de la promesse qu'il lui avait faite avant de s'endormir. Mais en réalité il avait peur. Peur de cette responsabilité qu'il lui incombait. Tu sais que tu vas mourir d'ici peu, un mois grand maximum, peut-être deux avec de la chance mais tu vas mourir de cette putain de maladie que tu as combattu. Alors va jusqu'au bout et termine ce que tu as commencé. Tu as une foule qui te suis. Fais en une force. Ils restèrent là pendant de longues minutes. Tennie était fasciné par Renald, n'osant interrompre le cour des pensées de celui qui avait tenu tête à l'empire, qui les avait prévenu, soigné, qui avait survécu à la mort avant d'être de nouveau condamné et qui allait repartir livrer son ultime bataille. C'est alors que Renald fit mine de se lever, aussitôt soutenu par Tennie. Ce dernier lui donna une canne qu'il avait posé à côté en prévoyance. Appuyé sur celle-ci, Renald monta sur le pont. Les quelques personnes qui s'affairaient à diverses tâches s'arrêtèrent aussitôt en le voyant. Bientôt tout le monde le rejoignit, suivi par Gorondis, qui semblait soucieux, presque inquiet.
-J'ai vu de près comme beaucoup d'entre vous la maladie commençant à faire rage, commença-t-il. Rapidement, les hôpitaux étaient submergés. Puis il y eu l'assassinat du président d'Alcatram. Ce qui a entraîné la guerre comme vous le savez. C'est dans cette période que je suis venu jusqu'à Terebor supplier l'empereur de faire quelques chose, de mettre des moyens dans nos hôpitaux plutôt que dans la guerre. De stopper cette pollution qui nous rongeait tous. Mais cela aurait été courber l'échine face à l'ennemi alors vous croyez qu'ils m'ont renvoyé d'où je venais ? Qu'ils m'ont renvoyé sauver des vies dans mon hôpital ? Non, ils ont préféré m'enfermer pour que je me taise à jamais, pour que ceux qui seront sauvés ne soient pas vous mais eux ! Hurla-t-il en montrant du doigt la côte où de vaste nuages blancs s'en échappaient.
Aussitôt des cris d'approbations s'ensuivirent. Renald attendit quelques instant avant de poursuivre :
-Mais on est pas seuls, mes amis ! On est une écrasante majorité à penser comme ça ! C'est pour cela que j'ai pu bénéficier d'une évasion avant de me retrouver ici ! C'est pour continuer le combat ! Il leva alors son poing, pointé vers le ciel en un signe de rébellion, aussitôt suivit par tout le monde. Nous mènerons notre propre guerre, de ce bateau nous accosterons sur le littoral de Delaria, nous rallierons toujours plus de monde. L'empire fait face à une guerre, mais il devra également réprimer une rébellion !
Les cris s'ensuivirent, de plus belle, tous voulant y prendre part, renverser les choses tenus en place par l'impératrice.
-Nous sommes la résistance, nous attaquerons des points stratégiques, des attentats difficiles d'être stoppés et nous organiserons toujours plus de révoltes ! L'empire sera dépassé par ces deux fronts à mener. Et il tombera, je vous le garantie !
Les hourras et les cris redoublèrent. Tennie lui pressa l'épaule, heureux. Tous voulaient l'embrasser, ivre de joie à l'idée d'avoir une perspective d'avenir. Renald distingua à travers la foule Gorondis qui souriait, apparemment satisfait.
-Que laisserions-nous après l'empire ?! Cria une femme pour se faire entendre.
-Une République, répondit-il, comme si cela allait de soi. Alcatram nous a montré l'exemple, nous avons beaucoup de choses à apprendre d'eux ! S'ils remportent la guerre, la démocratie s'implantera pour notre plus grand bien à tous !
Pendant que de la bière fut apportée sur le bateau, celui-ci mettant cap vers de nouvelles villes à rallier, Renald et les siens étaient loin d'imaginer la véritable issue de cette guerre.
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