~22~ Fendalyn
Ils marchaient. Tous regroupés en un troupeau qui grossissait au fur et à mesure. Des dizaines de personnes rejoignaient cette masse grouillante par les rues latérales. L'avenue, qui peinait à accueillir ce monde, était recouverte de fourmis sur plusieurs lieus. Tous semblaient hagards, le visage vide, la vie n'ayant laissé qu'un pas dans ces corps frêles, retenu par un espoir grandissant. Celui de quitter ces terres maudites vers un avenir meilleur. Vers la Lune. Au milieu de ces errants se trouvait Sernec qui portait sur son dos Doloron et à leur côté sa grande sœur Fendalyn. Celle-ci avait le visage noire, n'ayant connu que la poussière, que les retombées de ces bombes, de ces ruines jonchant ce vaste champ de bataille. Cela faisait plusieurs jours déjà qu'ils avaient rejoint cet attroupement. Ils avaient maintenant un objectif clair : rejoindre la côte où se tenaient les embarcations vers les Îles du Bout-du-monde. Là se tenait leur sortie. Le décollage vers les cieux. Loin de cette horreur. De ce monde qui se meurt. Elle avait les pieds en sang. Ils avaient les pieds en sang. Malgré cet espoir qui demeurait vital pour elle, les préoccupations ne cessaient de revenir la tracasser. Depuis que j'ai poignardé cet homme, Doloron reste muet. A 5 ans, ce n'est pas bon. Ce n'est pas bon du tout. Et c'est ma faute. Papa m'a fait promettre de veiller sur lui. C'est ma responsabilité. Et j'échoue. Sernec ne me regarde plus de la même façon. Même s'il fait semblant maintenant, je le vois bien. Il a peur. Il a peur de moi. Elle serra les poings et la mâchoire avant de secouer la tête. Pourtant c'est la guerre ! Tous ceux qui marchent avec nous ont vécu des choses affreuses et s'accrochent à la vie ! Si un homme t'avait annoncé le meurtre de ton père tout en ricanant et en t'insultant, comment aurais-tu réagi, Sernec ? Hein, comment ? Il faut être fort si on doit survivre. Tout en pensant, elle regardait son ami qui lui sourit légèrement.
-Fendalyn, on peut parler, si tu veux.
-Aucun problème, on a toujours été libre de le faire, sur ces mots elle pressa l'épaule de son petit-frère. Laisse le, je vais le porter.
-Je veux dire, pour ton père, dit-il en lui passant son petit-frère qui la regardait en souriant, lui tendant les bras. Je t'ai jamais dit combien j'étais désolé pour ce qui lui arrivait, je trouve pas forcément toujours les mots mais après tout est allé si vite et...
-Oui, t'inquiète, c'est bon j'ai compris t'en fais pas, le coupa-t-elle sèchement, ce qu'elle regretta aussitôt.
-Avec tout ce que t'as vécu il comptait beaucoup pour toi je le sais. Il serait heureux que tu sois toujours là avec Doloron, ne te fais pas du mal pour rien.
Ne sachant trop quoi dire, elle opta elle aussi pour le silence. Doloron se mit alors à lui tirer les oreilles. Elle manifesta sa surprise par un cri ce qui eu pour effet de le faire rire. Alors non content de cela, et se mit à souffler avant de sourire à son tour. Le soir ils se réfugiaient dans les rez-de-chaussés des grattes-ciels qui n'étaient pas totalement écroulés, mangeaient les restes de ce qu'ils trouvaient dans les super-marchés et dormaient ou du moins tentaient, Sernec et Fendalyn alternant pour monter la garde. L'avantage d'être aussi nombreux à converger est que les risques de vols étaient beaucoup plus faibles. Certes il y avait des émeutes qui éclataient de temps à autre, les nerfs mis à rude épreuve mais dans l'ensemble ils évitaient le pire. Des semblants de règles morales érigeait ce qui s'apparentait à une communauté. Non "communauté" le mot n'est pas juste. On vit ensemble, c'est tout. Dans l'ensemble ça nous protège mais on se s'apprécie pas trop en réalité. Pas parce qu'on s'aime pas non, juste on ne perds pas de temps à faire semblant de s'intéresser à l'autre. On a frôlé le pire. Nos proches sont peut-être plus chanceux dans la mort. Elle se mit alors à observer ceux qui étaient dehors, allumant un feux sur le bas côté. Des dizaines se personnes s'étaient réunis. L'un chantait et d'autres riaient. Es-tu sûr qu'ils font semblant ? Se surprit-elle à se demander. Font-ils vraiment semblant de passer un bon moment ? Comme s'il ne s'était rien passé avant, comme s'ils vivaient toujours réellement, comme s'ils ne faisaient pas que survivre. Non. Ils ne font pas semblant. Ils n'oublient peut-être pas. Peut-être s'autorisent-ils tout simplement à passer un bon moment, ils ne s'enferment peut-être pas à une condamnation, et ça les aide, ça les libère. Ils deviennent un peu plus eux chaque jour. Elle finit par ne plus savoir réellement ce qu'elle voulait se dire. Ce qui était sûre, c'est que là, assise près de son ami et de son petit-frère qui dormaient, à regarder ces simples personnes réunis autour d'un feu au dehors, elle se mit à les envier. Elle fixait toujours cet endroit le lendemain à l'aube, les cernes creusant un peu plus son visage.
-Fendalyn ? Sernec se redressa subitement. On devait alterner la garde, t'aurais pu me réveiller !
Mais la jeune fille continuait de regarder au dehors, les personnes du feu de camp s'étaient endormis, collés aux autres pour se donner chaud, la fumée s'élevant encore du brasier.
-Attends t'es restée comme comme ça toute la nuit ?
-On mange vite fait et après on part, de plus en plus de gens commencent à y aller, faut pas traîner, eu-t-elle comme seule réponse.
-Tu crois que y'aura pas assez de place pour nous ? Demanda-t-il, le visage anxieux.
-J'en ai aucune idée, lui dit-elle en se retournant, partageant son ressenti. Non sans un sourire, elle réveilla doucement son petit-frère qui n'eu aucune protestation, lui rendant son sourire. Toujours sans lâcher le moindre mot.
Quelques minutes suffirent pour manger, puis ils prient leurs affaires et partirent discrètement, évitant de réveiller ceux qui dormaient encore. Moins pour leur confort personnelle que pour partir en premier. En sortant à l'air libre, Fendalyn ne pu s'empêcher de fermer les yeux et d'inspirer grandement, laissant le doux soleil matinal lui caresser le visage. Puis elle ouvrit les yeux, se reconnectant à ce paysage de désolation et les enjeux qu'il impliquait avant de partir en route. Sans traîner, Doloron sur les épaules de sa sœur, ils marchèrent d'une cadence rapide, rejoignant de plus en plus de monde.
Quand le soleil commençait à descendre dans le ciel apparurent une puis deux personnes avant de laisser la place à plusieurs groupes, toujours plus nombreux, qui marchaient à contre sens. Certaines personnes leur demandèrent ce qu'ils se passèrent.
-Trop de monde pour l'embarcation, préfère autant rester sur mes terres que me battre encore, j'en ai assez de tout ça ! Tonna un vieil homme, torse nu, le visage comme brûlé.
-Il n'y a plus de place ? S'alarma un passant.
-Si vous réussissez à marcher sur les autres, j'imagine que vous pouvez y arriver mais moi je suis trop vieux pour ces conneries, répondit-il d'un soupir avant de s'en aller.
D'un regard avec Sernec, elle accéléra la cadence, toujours plus motivée.
-S'il y a plus de place, commença-t-il, on pourra...
-Il y en aura, lui dit-elle simplement, le regard vers l'horizon, il y en aura pour nous.
Son ami fut une fois de plus surpris par sa détermination mais se contenta de la suivre. Dans la fin de l'après-midi, alors que Sernec allait réclamer une pause, il entendit une mouette. Puis ils levèrent la tête et bientôt ce fut une multitude qui tournaient haut dans le ciel, semblant se moquer d'eux de leur cri. Galvanisé, sentant les côtes se rapprocher, ils continuèrent mais bientôt ils finirent par être stoppés par une immense foule.
-Il n'y a pas d'autres chemins ? Demanda-t-il.
-S'il y en aurait, je crois que d'autres les auraient utilisés, mais en se retournant pour voir si des gens quittaient la route principal, Fendalyn constata que des centaines d'autres marcheurs comme eux les avaient rejoints, se retrouvant encerclés dans cette masse grouillante.
Les minutes passant, ils finirent par s'asseoir, exténués. Quand l'heure fut dépassée et qu'ils n'avaient pas fait un seul pas, la jeune fille se redressa alors, bientôt imité par Sernec.
-Que se passe-t-il ?
-Si les places viennent à manquer, on ne peut pas se permettre d'attendre autant de temps.
-Mais comment on va faire ?
Celle-ci parut réfléchir un instant, mais elle avait eu tout le temps pour cogiter sur cela.
-Sernec, dit-elle en lui prenant le front et en le collant sur le sien. Tu dois me faire confiance, je peux compter sur toi ? Voyant son hochement de tête, elle s'expliqua : on est des enfants, jouons sur ça et allons-y au culot, tu seras devant me tenant par la main, t'auras Doloron sur tes épaules, et tu fendras la foule en hurlant à tes parents, comme s'ils étaient devant et qu'on s'était perdu à l'arrière, je hurlerais et pleurerais derrière, en voyant une petite fille, un gosse de 5 ans et toi, peut-être qu'on nous laissera aller à l'avant, même si on t'en empêche, tu hurles et tu forces, on verra s'ils osent, d'accord ?
-Pourquoi ce n'es pas toi qui le fais ?
-Tu auras plus d'impact, je suis la petite fille qui pleure, tu es le garçon qui me sauve moi et mon frère, ok ?
-je ne peux pas avoir les mêmes parents que toi, les gens voient bien qu'on n'a pas la même couleur de peau...
-Peu importe, il n'auront pas le temps de se poser des questions, t'es avec moi ?
Il parut alors soucieux, semblant réfléchir à son tour avant de conclure :
-Toujours.
D'un geste, il prit Doloron sur ses épaules, prit la main de Fendalyn, et après une consultation du regard, se retourna et hurla à plein poumons :
-PAPA !! MAMAN !! Laissez-nous passez, nos parents sont devants !!
Derrière, Fendalyn sembla se libérer en pleurant et criant :
-NAAAAN !! On aurait pas dû jouer derrière !!
Sa voix partit alors dans les aigus, les passants ne purent s'empêcher de grimacer, certains s'écartèrent d'instinct en entendant les cris, sur d'autres on pouvait lire un regard de pitié ou d'empathie en voyant ses gosses, épouvantés, perdant leurs parents dans de tragiques évènements. Beaucoup avaient connu des situations similaires avec leurs proches, aussi ils compatirent à ces enfants. Certains émirent des protestations mais la foule a toujours raison, aussi ne purent-ils rien y changer. Ils mirent de longues minutes à s'époumoner, à se frayer des passages sans ralentir la cadence, Fendalyn crut bien qu'elle n'aurait plus de larmes à verser. C'étaient pourtant de vraies larmes mais elle en était exténuée. Ils finirent par arriver au bout de la foule mais c'était là que les choses se compliquaient. Une grille empêchait les Darkatrassiens d'entrer dans le port. Des gardes en faisaient bien rentrer au compte-goutte mais c'était trop peu. A ce stade, il n'y avait plus de civilité. Plus de sourire polis ou de regards compatissants. Seulement la hargne de passer ces grilles. La hargne d'en finir et de prendre le bateau avant de s'envoler vers les cieux. Les remords seraient pour plus tard. Quand on sera à bord de ces fusées. Sernec et Fendalyn l'avaient bien compris. La centaine de personnes qui étaient devant eux étaient la centaine de trop. Ici il y avait tellement de cris que personne ne les écoutait. Des femmes montraient des enfants aux soldats en hurlant de les prendre. Certains, surexcités à l'idée de rentrer, se faisaient frapper et rouer de coups de bâtons. Fendalyn pu même voir un cadavre qui se faisait piétiner par la foule. Des enfants pleuraient. Des hommes et femmes pleuraient. Des vieillards pleuraient. Et d'autres, leurs yeux trop secs, se laissaient tomber à genoux, le regard vide.
Elle comprit alors ce que voulait dire le vieil homme qui avait réussi à faire demi-tour. Mais ils étaient allé trop loin. Et elle avait trop envie de se battre. Pour son frère, son ami et tous les siens partis si vite. Sernec la regardait, alarmé, il lui hurlait quelque chose mais elle ne l'entendait pas. Doloron pleurait et cela lui déchira le cœur. Au loin, derrière le grillage, derrière les postes de commandement de soldats, d'immenses navires se dressaient, éblouissant par le coucher de soleil derrière. Un soldat finit par monter sur un mirador, mit un haut-parleur à ses lèvres et clama :
-IL Y AURA DE LA PLACE POUR TOUT LE MONDE, ON VOUS DEMANDE DE NE PAS CÉDER A LA PANIQUE, CELA POURRAIT ENTRAINER DE GRAVES DÉGÂTS. GARDEZ VOTRE CALME, LE TEMPS QUE L'ON ÉVALUE CHACUN DE VOUS !
-Ça veut dire quoi, ça ? Demanda Sernec, après que la foule s'était légèrement calmée.
-Je ne sais pas, ils jugent selon certains critères si l'on peut rentrer. Mais est-ce qu'il y aura de la place pour tout le monde, je sais pas, Sernec.
Doloron s'était lui aussi arrêté de pleurer. Regardant autour d'elle, elle comprit tout de suite que c'était le moment ou jamais. Prenant la main de son ami, elle couru entre les jambes des réfugiés jusqu'à ralentir avant de se présenter aux soldats, calme. Mais cette course avait réveillé la panique dans la foule et les gens recommençaient à pousser, cette fois-ci de plus belle. Les soldats, dépassés par les évènements, laissèrent rentrer les 3 enfants et quelques chanceux avant de refermer les rangs. Cette fois-ci, les vagues d'arrivants étaient tellement fortes qu'ils essayèrent tant bien que mal de refermer le portail grillagé. Quelques soldats hurlèrent aux enfants de se rendre à une tente pour s'enregistrer. Elle entendit des coups de feu. Des hurlements s'apparentant plus à des animaux qu'à quelque chose de vraiment humain. Mais elle ne se retourna pas. Fendalyn et les siens étaient à l'intérieur. Et c'était tout ce qui comptait.
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