~18~ Fendalyn

Cela faisait plusieurs heures qu'ils avançaient sans un mot, les regards évitant de se croiser, têtes baissés ou à regarder l'horizon, soucieux de l'avenir. Fendalyn, à quelques pas derrière eux, se gardait jusque là de les rattraper. Son petit frère, Doloron, tenait la main de l'ami de Fendalyn. Enfin s'il est toujours mon ami après ça, songea-t-elle en ayant l'image du coup de poignard qu'elle a porté à l'homme qui lui a annoncé que sa faction avait laissé son père défendre seul le quartier général alors que la bataille était déjà perdue. Ils l'ont laissé mourir... et il a eu le culot de se moquer de lui. Alors oui, elle l'a poignardé, d'un accès de rage, elle se revoyait encore tirer la dague de la ceinture du soldat qui avait changé sa veste au profit des envahisseurs. Elle se revoyait encore, comme dans un ralentie, lui enfoncer l'arme dans son ventre, le bruit sec que cela a fait, les yeux écarquillés de surprise de ce Jim alors qu'une seconde avant il avait le sourire aux lèvres. Elle se revoyait retirer la dague avant de la replanter, et elle l'aurait fait encore et encore si les autres soldats étaient sortit de leur stupeur pour la saisir. Les autres l'auraient sans doute tué, mais ils étaient trop occupés à tenter de guérir leur ami. Norendir avait jeté la dague à l'autre bout de la pièce. D'un regard méprisant, pendant que les autres soldats étaient sur Jim, il lui fit comprendre qu'elle ferait mieux de déguerpir au plus vite. Et c'est ainsi qu'ils avaient couru, puis marcher, continuant dans la même direction, les images les hantant encore.

Il n'a que 5 ans, pensa-t-elle amèrement en regardant le dos de Doloron devant elle. Il ne devrait jamais voir ça de sa sœur. Soudain, elle n'en puis plus.

-Je sais ! S'écria-t-elle en les rattrapant. Je n'aurais jamais dû faire ça, mais... Sernec, écoute-moi ! Il s'est moqué de moi en m'annonçant qu'ils avaient laissé mon père mourir !

Sernec détourna le regard. D'un geste, elle fit mine de saisir la main de Doloron. Mais celui-ci eu un geste de recul.

-Papa m'a fait promettre de vous protéger, Doloron tu comprends ? Pour ça il faut savoir se défendre, il ne faut pas avoir peur de se battre. Je sais que j'aurais dû m'abstenir de le faire là mais... on forme une famille ! Et on ne crache pas sur cette famille ! J'ai... J'ai même pas pu enterrer convenablement mon père ! On a couru... alors qu'ils ont dit qu'ils l'avaient jeté pas loin !

N'y pouvant plus, elle se mit alors à pleurer. Doloron leva la tête et l'enserra à son niveau. Sernec s'était alors arrêter, la regardant.

-On est des enfants, Fendalyn ! Tu n'as que 10 ans. D'un regard sombre vers le sol, il rajouta : tu ne devrais pas vivre ces moments là et encore moins agir comme tu l'as fait. Ca... ça nous a fait peur, tu comprends ? Sache que quoiqu'il arrive, on te soutiendra, je serais toujours avec vous ! Mais promets-moi de... de rester celle que j'ai connu, il tenta alors de sourire, puis n'y pouvant plus, il l'enlaça de ses bras à son tour.

-Nous ne sommes plus des enfants, Sernec. Les enfants que nous étions sont morts au début de cette guerre, lâcha-t-elle dans un murmure, le regard perdu à l'horizon, enlaçant son ami et son frère.

Mais ils ne répondirent rien. Sans doute Sernec fit mine de ne pas avoir entendu. Plusieurs heures passèrent, quand sur cette immense route qui semblait rester éternellement droite, un coucher de soleil commença à se former. La plupart des gens qu'ils croisaient étaient soit des formes errantes, survivantes d'un désastre mais marqué à vie par ces événements, soit des soldats qui n'en était plus vraiment, se dépêchant d'aller quelque part bien que ce quelque part restait abstrait. De quel camps étaient-ils ? Avec ceux qui s'étaient ralliés à la rébellion de Kelton Follet, l'uniforme n'aidait plus à se situer. Dans tous les cas de figure, personne ne se parlait, par crainte sans doute, l'autre était l'inconnu et en ces temps troublés, l'inconnu pouvait être dangereux. Moi-même je le suis, maintenant, pensa-t-elle amèrement. On se regardait, on se jaugeait l'espace de quelques secondes avant de continuer sa route.

La fumée des grattes-ciels continuaient inlassablement. Ces derniers s'étaient d'ailleurs effondrés pour la plupart, remodelant l'espace urbain. Avec ce ciel orangé, on ne savait plus si c'était seulement le Soleil qui glissait doucement sous l'horizon ou les restes brûlants du feu qui avaient finit par teindre les cieux.

-Un supermarché pas loin, il a pas l'air d'être trop impacté, on pourrait faire des provisions ! Lança Sernec en montrant du doigt le rez-de-chaussé d'un gratte-ciel qui menaçait à tout moment de s'effondrer. De toute façon, faut pas être trop difficile maintenant.

En entrant dans le commerce, les lumières scintillaient, cela aurait pu être féérique en d'autres occasions, mais ça ajoutait juste à l'ambiance de fin du monde qui régnait tout autour. Arpentant les rayons, elle s'aperçut qu'ils n'étaient pas les premiers à dévaliser les supermarchés. La plupart des étagères étaient vides, mais ils purent trouver de quoi passer encore quelques repas et d'avoir des soins de premier secours. Juste au cas où. En tournant à un rayon elle faillit heurter de plein fouet une personne. Tous deux eurent un hoquet de surprise et reculèrent pour se dévisager. Il ne devait pas avoir plus de trente ans mais c'était difficile à dire, la partie droite de son visage était réduite en bouillie. Son unique œil la fixait intensément et elle pu y lire de la peur. De la peur ? Il ne voit qu'une gamine de 10 ans. Puis elle se rappela. Il n'y a plus de gamins ici, juste des gens essayant de survivre. Il a dû en voir des choses de cette œil. De l'autre aussi, même s'il n'est plus, les souvenirs resteront gravés à jamais. Puis doucement, il commença à reculer, avant de se retourner et de partir précipitamment d'où il était venu.

-Fendalyn, ça va ? Demanda Sernec en allant vers elle, chargeant des boîtes de conserve et un réchaud dans un sac. T'as pas vu d'autres choses qu'on pourrait emporter ?

-Non... C'est bon on peut y aller, dit-elle distraitement le regard tourné vers là où était partit ce mystérieux visiteur au fond du magasin.

Ils mangèrent à l'abri dans le hall d'une tour. Pas question de monter dans un appartement, la sortie devait être à porté de main, si tout s'effondrait. C'est là, pendant qu'ils mangèrent en silence des haricots en boîte, qu'elle réalisa que son frère n'avait émit un seul mot depuis le coup de dague :

-Doloron ! L'appela-t-elle. Tu vas bien ?

Devant le mutisme de celui-ci, Sernec lui dit :

-On a eu une grosse journée, n'est-ce pas Doloron ? Ce dernier le regarda en émettant un rictus. Laisse lui un peu de temps, Fendalyn, il est encore secoué.

-Il est toujours rieur, dit-elle, le regard sur son frère, mais elle semblait voir au delà de lui, comme s'il n'était qu'un fantôme. Toujours curieux, il parle beaucoup...

-Eh, il est là, tu peux lui parler, L'informa Sernec d'un sourire. Doloron porta son regard sur Fendalyn puis sur son ami, semblant être à l'écoute comme un enfant sage qui écouterait ses deux parents parler de choses qu'il ne pouvait pas comprendre.

-Doloron, se reprit-elle, en lui prenant les mains. Parle. Dis quelque chose. S'il te plaît. Sa voix mourut à ces mots, elle était au bord des larmes. Son frère le regardait de ses grands yeux remplis de compassion. Il finit par l'enlacer, Sernec lui mettant une main sur l'épaule.

-Laisse lui du temps, se répéta-t-il. C'est normal après ce qui s'est passé. Mais dans son regard, la jeune fille de 10 ans y décela de l'inquiétude.

Le lendemain, après une nuit où Fendalyn n'obtint de grâce auprès du sommeil, ils continuèrent de longer la grande route.

-On finira par trouver tes parents, lâcha-t-elle. Tous les soldats fidèles à l'Empire n'ont pas pu disparaître.

-Oui, peut-être, lui répondit-il sans conviction.

A cet instant, la route arriva à un croisement. Sur celle qui la traversait, plusieurs personnes éparpillés erraient, dans la même direction vers la gauche.

D'un regard, Sernec l'interrogea :

-Tu penses qu'ils ont un endroit précis où aller, ou bien ce sont tous des zombies qui forment une meute ?

-Je sais pas, répondit-elle après un court instant de réflexion. Je pense que le plus simple serait de leur demander, puis elle alla vers la personne la plus proche.

-Fendalyn ! Chuchota-t-il d'une voix forte, tout en ayant peur de se faire entendre. Ils peuvent être dangereux !

L'homme en face d'elle était un vieillard, amaigris déjà. Une longue barbe poussiéreuse contrastait avec son crâne dépourvu de cheveux, sa peau cramant au soleil, lui offrant toute une série de tâche. Il avançait péniblement, traînant son pied gauche. Voûté, il avait l'air tellement misérable que Fendalyn ressenti immédiatement une compassion.

-Excusez-moi, dit-elle timidement. Vous allez vers où, vous tous ?

L'homme ne s'arrêta pas de marcher, Fendalyn se doutant même s'il pourrait reprendre sa marche une fois stoppé. Pour toute réponse, il ne fit que soupirer. Alors qu'elle allait faire demi-tour, allant demander à une autre personne, il parla d'une voix très basse, comme rouillé par le temps :

-Vers le ciel. Par les vaisseaux. Vers la Lune. Loin d'ici.

Devant l'air découragé de Sernec, Fendalyn s'écria :

-Non, tu n'as pas compris. L'Empire nous avait promis de nous emmener en vaisseaux, de quitter cette foutue terre ! Ils vont là bas, ils vont embarquer, ça y'est, c'est le moment !

-Sans vouloir être méchant, c'est les paroles d'un vieillard...

-Attends ! S'écria-t-elle, ivre de joie avant d'aller voir une femme.

Les cheveux sales, elle avait pu être belle il y a longtemps, mais la dureté de la vie ne l'avait pas épargné, les rides marquant son visage. Fendalyn dû s'y reprendre plusieurs fois avant que la femme ne se rende compte qu'on l'interpellait.

-Oh ma chérie... Moi aussi j'avais une fille, aussi belle que toi... Enfin, c'était avant tout ça, lâcha-t-elle, le regard morne avant que Fendalyn n'insiste, comme pour éviter qu'elle ne quitte à nouveau cette réalité.

-Où vous allez donc, vous tous ?

La femme se mit alors à sourire, mais comme cela lui coûtait énormément, elle finit rapidement par abandonner.

-Vers la côte au Nord-Est pour rejoindre l'embarcation.

-L'embarcation ? Sernec et Doloron l'avaient rejoints, intrigués.

-Oui, l'embarcation pour pour rejoindre les îles de Darkatras avant d'aller d'aller vers celles du bout du monde !

-Les Îles du Bout-du-monde ? Demanda Sernec, de plus en plus intéressé.

-Oui. De là on partira vers la Lune, paraît-il que c'est meilleure qu'ici et croyez-moi, mes enfants, ça ne doit pas être difficile à imaginer.

-Mais qui organise tout ça ? Il n'y a plus de soldat de l'Impératrice, ici ? S'enquit Sernec.

-Oh si, il paraît qu'il en reste sur la côte, ils préparent les dernières embarcations avant de partir !

-Tu vois ! S'exclama Fendalyn en se retournant vers Sernec et Doloron, le sourire aux lèvres. Je te l'avait dit ! Je te l'avait dit ! Il reste des soldats, p'tete que y'a tes parents Sernec ! Doloron ! On va quitter tout ce désastre et on aura une belle vie là haut ! Elle prit alors son frère dans ses bras et se mit à danser. La femme sourit alors bientôt imité par Sernec puis Doloron, ses yeux pétillants.

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