~13~ Kelton

Il se réveilla et comme tous les matins pensa aux évènements de la journée telle qu'il la concevait. Il devait préparer chaque détail de son emploi du temps et limiter les mauvaises surprises, telles étaient ses habitudes quotidiennes. En voulant se redresser, il sentit que quelque chose n'allait pas. Il ne pouvait se lever de la même façon que les fois d'avant. Sa jambe gauche ne lui répondait plus. Pris de panique il souleva sa couverture. Il n'y avait que sa cuisse. Sa jambe s'arrêtant au dessus du genoux en un moignon affreusement pathétique. Kelton écarquilla alors les yeux et ne pu réprimer un cris de terreur. 

Deux soldats firent alors irruption dans sa chambre.

-Mon Roi, tout va bien ? S'alarma l'un d'eux avant de remarquer le regard consterné de celui-ci sur ce moignon si fragile pour un homme de son importance.

-Je... J'avais oublié. On ne s'habitue jamais à ces choses là. Quand je dors. Quand je rêve... Ma... ma jambe est là. Je cours. Je marche. Je ne suis pas cette...faiblesse, acheva-t-il comme si cela lui faisait mal de l'admettre.

Le Roi Follet fit un signe de la tête et l'un des soldats lui amena alors un fauteuil roulant et l'aida à s'asseoir. 

-N'est-ce pas ironique ? Celui qui occupait le trône de Xandora il y a peu était connu pour son infirmité. Il semble que notre destiné nous rattrape mais je ferais tous les sacrifices pour mener à bien ma...

Il fut interrompu par une violente quinte de toux. A deux doigts de tomber, le soldat le rattrapa mais Kelton lui cracha à la figure une flopée de sang... noir. Celui-ci s'essuya le visage mais Kelton pu y voir son dégoût. 

A peine une heure plus tard, le Roi de Midor fit son irruption dans la salle de réunion du vaisseau. Terkenbec, son nouveau conseiller remplaçant Dorloton mort pendant le crash, le regardait d'un air respectueux tout en esquissant un sourire mais Kelton a toujours été très doué pour décrypter ce que pensent les gens. Il me voit tel que je me présente. Un homme faible, une barbe de deux jours, s'appuyant sur une béquille, avançant difficilement, deux soldats le surveillant de près au cas où il tomberait. La partie gauche de son crâne révélé à nu, couvert de cicatrices. Mais je suis plus que ça. Je leur prouverait. A eux et toute mon armée. Que je n'ai pas faiblit.

-Votre Altesse, s'inclina Terkenbec, aussitôt imité par l'ensemble des généraux qui se trouvaient présents.

Kelton les ignora, contourna la table, et s'assit d'un souffle satisfait.

-La plupart d'entre vous ont été promus dû aux nombreuses pertes de l'écrasement du vaisseau royal. Bien que certains d'entre vous aient pu survivre, je le sais. Il regarda alors ceux qui avaient des cicatrices ou encore des bandages. Ce que vous avez vécu... nous servira à nous rendre plus forts, je vous le promet, leur dit-il.

-Votre Altesse, lui dit l'un de ses généraux. Devons-nous consolider nos forces sur Darkatras ou continuer la conquête ?

-Darkatras est déjà vaincu, lui répondit-il impassiblement.

-Les dernières forces de leur armée se regroupent vers les îles de l'Est... 

-Qu'ils s'y regroupent, avons-nous des estimations de leur nombre ?

-Pas précisément, mais une centaine tout au plus.

-Alors c'est réglé. Ne gaspillons pas un missile pour eux, ils ne représentent plus une menace. Vous devez comprendre que cette conquête est une course contre la montre. L'effet de surprise n'est déjà plus de notre côté, on doit avancer rapidement.

-Atlantiss sera notre prochaine cible ? Demanda Terkenbec.

-Exactement, la dernière fois que j'ai rendu visite à la chère gouverneure de ce continent artificiel, elle m'a menacé de me livrer enchaîné à Térébor si je ne quittais ces terres. Il ricana, avant de grimacer en mettant une main sur son torse et rajouta : on changera notre stratégie pour Atantiss.

-C'est-à dire ? Demanda un général, intrigué.

-Son peuple est trop attaché à Elena Qwartès, paralyser les endroits stratégiques ne changera rien. Il finira par se soulever et se conduire en armée. Minimisons les risques.

-Vous envisagez d'éradiquer son peuple ? S'interloqua Terkenbec, si je puis me permettre, ne pourrions nous pas mener une guerre classique en faisant comprendre à la population que si elle ne se soumet pas, elle se conduit en ennemi ? Dans un second temps seuls ceux qui...

-Trop de temps, Terkenbec. Mon conseiller Dorloton l'aurait compris, dit-il le regard dans le vide avant de sortir un mouchoir de sa poche de son veston bleu marine pour essuyer discrètement un filet noir qui coulait de son nez. Tout cela doit être terminé au plus vite. Général Zerbaure, une stratégie ?

Celui-ci parut pensif avant de dire gravement comme si cela ne le réjouissait pas.

-Nous... Nous pourrions disperser notre flotte sur le ciel atlantissien pour les bombarder sur la surface la plus étendue possible en commençant par les sites militaires pour éviter toute riposte. Après le feu, les fondations finiront par s'écrouler et le continent pourra être engloutie dans les eaux.

-Très bien !  S'enthousiasma Kelton. Parfait Gérénal Zerbaure, vous superviserez cette mission, les autres d'autres remarques ?

Tous continuèrent de fixer la table sans rien dire. Sur ce, leur Roi se leva difficilement mais se leva tout de même en s'appuyant sur sa béquille. Le soir même, le midorien fixa par la vitre du vaisseau l'étendue bleutée de l'océan où se reflétait la lune. Cette lune où ils veulent partir. Qu'ils aillent mourir sur ce caillou et qu'ils me laissent mon empire.

-Votre Altesse, vous m'avez fait mandé ? Demanda le conseiller Terkenbec en restant sur le pas de la porte.

-Oui, viens contempler cette vue. Tu es mon nouveau conseiller, il faut que tu saisisses au mieux mes motivations pour accomplir au mieux ton rôle.

Celui-ci s'avança alors prudemment dans son salon et rejoignit Kelton qui continuait de fixer l'horizon.

-Vois-tu j'ai l'habitude de me mettre dans la peau de mon ennemi. Ressentir ce qu'il ressent, comprendre ses réactions à mes plans, à ce que je prévoie de faire pour avoir toujours un coup d'avance. Quand je tue. Je me projette dans ces derniers instants. Tu peux voir ça comme une forme d'un ultime respect... ou d'une pure satisfaction de penser à ce à quoi il succombera par ma faute, lui dit-il en se tournant vers Terkenbec qui ne pu réprimer un frisson. 

Après avoir lui-aussi regardé ce paysage nocturne, le conseiller d'une trentaine d'année aux cheveux gris en bataille serra les dents et dégluti avant de lui dire :

-Vous savez que j'avais une réputation d'être... un tant sois peu humaniste. Je pense que vous m'avez choisi en tant que conseiller pour vous livrer une vision un peu... Il fit une pause et se tourna vers Kelton avant de conclure : un peu moins génocidaire. 

Kelton lui jeta un rapide regard avant de le reporter vers l'océan.

-Un dirigeant doit se faire respecter de son peuple, continua son conseiller. Mais l'inverse est aussi important, on a une part de responsabilité ! Je me trompe peut-être mais je pense... je pense que ce n'est pas la bonne solution, lâcha-t-il dans un murmure, les yeux tournés vers le sol.

Après un long silence où le conseiller s'imaginait être déjà démit de ses fonctions, Kelton dit dans un soupir :

-Tu as sans doute raison. 

Terkenbec soupira à son tour de soulagement avant que son Roi ne reprenne :

-Mais ce n'est pas ce que je ferais. Car c'est la seule solution que j'ai de parvenir à mes fins. De pouvoir m'asseoir sur le trône. Pour ma fille. Je vais te dire exactement ce qu'il va se passer bien que cela ne va pas te faire plaisir.

Le Soleil luisait sur les feuilles des arbres. Des parcs entiers avaient été emménagés depuis qu'Elena avait prit ses fonctions de gouverneure d'Atlantiss depuis dorénavant 20 années. Des petites forêts commençaient à pousser tout doucement, prenant racines sous  plusieurs centaines de mètres souterrains avant d'atteindre les fondations de ce continent qui en partie flottait sur cet océan souvent agité. Le continent, construit pour faire face à une explosion démographique, contenait pour l'instant le plus faible taux de gratte-ciels. L'air polluée bien sûr, mais beaucoup moins que dans les autres régions de l'Empire de Xandora. Les Atlantissiens semblaient reconnaissants de la façon dont Elena gouvernait cette contrée. Même durant le règne de Walden, elle n'approuvait pas toujours les décisions prises dans la capitale Térébor, dû au faite qu'elle était rarement conviée pour s'exprimer en partie car elle était une femme. Cela aurait pu changer avec sa succession nommée Oswalda Asterian, mais la gouverneure se reconnaissait encore moins dans les prises de décisions concernant cette guerre. Son armée était celle de l'Impératrice, mais elle se faisait oublier de cette dernière. Il y a de cela pas si longtemps, elle avait songé à s'adjuger le trône pour changer les choses mais depuis le début de cette guerre, elle s'était aperçue que les prétendants étaient déjà bien équipés. 

Comme à son habitude, la femme d'un âge mure aux cheveux dorés et aux yeux bleus de cet océan l'entourant, aimait passer son temps libre dans ces multiples jardins de la capitale Oceidanipolis. A côté d'elle se tenait un homme aux traits fins : Martor. Il s'amusait avec ses quatre filles qui avaient entre 4 et 12 ans. Celles-ci voulaient monter sur son dos mais leur père était au sol, hurlant qu'elles allaient le dévorer et elles riant aux éclats. Leur mère ne pu réprimer un sourire. Ils avaient décider aujourd'hui de faire un pique-nique, la météo annonçant une journée ensoleillé. Il pleuvait sur l'herbe fraîche, mais comme la quasi-totalité de l'année. La population était habituée et en cet après-midi, ce n'était qu'une fine pluie servant à nourrir les fleurs de son jardin qui lui était si chère. La famille était abritée sous un auvent mais déjà ses filles couraient sous les gouttes pour rattraper son père s'enfuyant dans le jardin. L'une de ses filles s'arrêta alors et regarda le ciel d'un œil curieux. Puis elle se tourna vers sa mère en montrant le ciel.

-Qu'est-ce que t'as vue, Firminia ? Demanda Elena en souriant.

Ses gardes, qui se tenaient à une distance pour ne pas gêner la famille, s'avancèrent alors d'un regard inquiet. 

-Que se passe-t-il, demanda-t-elle, prenant un air sérieux.

-Madame, un vaisseau est en train de survoler notre espace aérien.

Elle se redressa alors, sortit de l'abri de l'auvent et constata par elle-même. Au début un vaisseau ne fit que tracer sa course, mais un deuxième arriva, un troisième, et ce fut alors non pas une dizaine mais une véritable masse qui s'avança dans le ciel, cachant le Soleil. Ils furent rapidement baignés dans l'ombre et le jour semblait s'être éteint. La pluie continuait mais l'obscurité régnaient en maître. 

-C'est déjà la nuit, maman ? Demanda Firmina, sa plus jeune fille de 4 ans.

-Devons-nous déclarer l'état d'urgence ? Demanda à son tour le soldat qui semblait s'agiter.

-Oui, observer les insignes des vaisseaux, activer le pare feu, et viser le ciel, prêt à mon commandement. Envoyer des messagers à travers tout le continent pour leur répéter mes ordres, entendu ? 

Le soldat hocha vivement la tête avant de s'éclipser précipitamment. 

-Elena, qu'est-ce qui se passe ? Demanda Martor qui avait rassemblé ses filles.

-Je ne sais pas, on peut difficilement les voir mais ce ne sont pas mes vaisseaux, dit-elle discrètement en s'approchant. Va mettre nos filles dans le dernier sous-sol s'il te plaît.

Son mari la regarda, interloqué, avant qu'Elena n'insiste :

-Dans le bunker, s'il te plaît. Allez-y juste le temps de m'assurer qu'ils ne représentent pas une menace, tu m'as bien comprit ?

Il sembla alors se ressaisir, embrassa sa femme, prit les mains de ses filles, en mit une sur ses épaules et quitta le jardin. 

-Madame, lui dit un de ses gardes, vous devriez vous mettre vous aussi à l'abris, le temps qu'on identifie ce qui se passe...

-C'est la guerre, Térémie, soit ces vaisseaux nous protègent... Elle regarda de nouveau le ciel en plissant les yeux avant de continuer : soit...

Mais elle fut interrompu par le bruit d'une explosion au lointain. Le soldat et elle se regardèrent un instant, Elena voulu parler mais le bruit d'une autre explosion, plus proche, les fit se reculer instinctivement.

-Vite, Mme la gouverneure ! Il faut...

Mais impuissante elle regarda un vaisseau laissant échapper ce qui semblait être une roquette qui s'écrasa sur un gratte-ciel jouxtant le jardin. Puis une pluie de roquettes déferla sur la ville. Au fond d'elle, elle savait que ce n'était pas que sur la capitale, mais partout ailleurs. Le monde entier s'effondre, pensa-t-elle se retenant de hurler à s'en décrocher la mâchoire avant de s'effondrer morte d'épuisement sur l'herbe. Elle sentit le soldat prendre son bras de force pour l'emmener vers son palais quand une énième explosion les fit s'effondrer sur le chemin. Le bruit ininterrompu d'explosions la rendrait sourde pour toujours, et la chaleur qui régnait autour d'elle allait la faire s'évanouir mais elle lutta pour rester consciente. Martor... Mes enfants... Les feuilles des arbres prirent feu, la pelouse se dessécha sous ses yeux et ni même la pluie ne pu arrêter ces immenses incendies apocalyptiques. Elle sentit que sa chevelure n'était plus, brûlée elle aussi. Des flammes montèrent si hauts qu'elle se dit qu'elles pouvaient même lécher le ventre des vaisseaux. A plat ventre, elle continua à avancer de plusieurs dizaines de mètres à s'en saigner les coudes avant de voir ce que jamais de sa vie elle n'aurait pu imaginer. Trois de ses filles, le crâne ouvert, reposaient sur les genoux de leur père, adossé sur les marches d'un escalier. Sa quatrième fille, Firmina, tenait désespérément son père par le cou. Celui-ci, pleurant à chaudes larmes regardait sa mère qui s'approchait de l'escalier. Elle se joignit alors à eux, ne retenant plus ses larmes, embrassant son mari et tenant le corps de ses filles dans ses mains.

Elle sût. Elle sût que Kelton avait mit sa vengeance à exécution. Elle ne l'avait pas rejoint dans son alliance, elle, son peuple et sa famille allaient mourir ce jour là. Est-ce que cela en valait la peine ?  Elle ne réfléchit pas plus longtemps, profitant de ses instants pour sa famille alors que plusieurs centaines de mètres plus haut, le Roi de Midor regardait les flammes et la fumée engloutirent la famille de la gouverneure avant que le palais ne s'effondre sur lui-même.

Kelton se tourna alors lentement vers son conseiller et lui dit en posant une main sur sa nuque.

-Je sais que beaucoup d'innocents mourront, mais pour avoir le pouvoir, on ne peut pas ne pas se salir les mains, est-ce que tu comprends à quelle point est ma motivation ? Lui demanda-t-il sincèrement, sourcils froncés, lèvres plissés.

-Je... Oui, je comprends, répondit Terkenbec après une hésitation. Je comprends que vous ne lâcherez rien. 

Alors il ne vit plus en Kelton qu'un infirme mais un Roi prêt à tout pour régner. Le lendemain, Atlantiss commença à couler sous les flots.

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