~1~ Mordacus

Les bruits d'enclumes, de marteaux, le fer battant le fer, de lourds engrenages ne cessaient de tourner dans un vacarme assourdissant. L'odeur du renfermé, de la sueur et du charbon étaient omniprésentes. À peine sa tâche finie, Mordacus Daraneon se dépêcha de courir pour rejoindre une énième salle des machines où une des nombreuses pompes était cassée depuis déjà deux minutes. C'est déjà deux minutes de trop, Monsieur Daraneon, entendait-il encore le propriétaire de l'usine. Votre travail consiste à réparer toutes sortes de machines appartenant à mon entreprise ! Et si vous n'êtes pas assez rapide, il y aura un heureux élu parmi les centaines de personnes qui se pressent pour avoir cet emploi ! Savez-vous ce que représente deuuuux minutes, M. Daraneon ? Pour une pompe extrayant le pétrole, cela coûte 257 Xandors, vous comprenez ? Nous ne ne pouvons accepter un tel retard, car cette entreprise est une chaîne, un retard en entraîne un autre et vous ne...

-Auriez vous l'amabilité de fermer votre putain de gueule, M. Stropovitch ? Se mit à dire à voix haute l'employé tout en réparant la pompe. Vous n'êtes jamais descendu dans les profondeurs de vos usines qui recrachent de la merde ! Croyez-vous que vos nobles poumons puissent supporter un air aussi irrespirable ? Et bon dieu, voilà, j'ai fini, c'est quoi l'autre réparation ?

Il sortit un petit boîtier de son sac où après avoir appuyé sur un bouton une voix robotisée lui annonça :

-Salle B27, électroérosion par enfonçage.

Ca ne s'arrêtera jamais, j'ai juste envie de voir la dame qui m'annonce toutes ces saloperies à réparer pour lui enfoncer mon poing dans sa...

Il s'interrompit un moment dans ses réflexions, pris d'un mal soudain, comme une difficulté à respirer. Mais il en avait l'habitude, seulement ces malaises se faisaient de plus en plus souvent. Nombre de ses collègues en avaient succombé. Et depuis un moment, certains se mettaient carrément à cracher du sang... noir. Mordacus pensa alors à sa femme, sa fille et son fils pour qui le revenu de leur père était nécessaire à leur survie. Angelica sa femme était serveuse dans un bar mais cela n'était pas suffisant. Lui faisait le boulot que la grande majorité des Nysteriens faisaient : ouvrier dans ces foutues usines de mort.

À présent que son mal était passé, il se remit en route. Deux salles plus loin, au détour d'un couloir, se trouvait la salle B27. C'est un fichu labyrinthe, ça a beau faire 10 ans que j'y suis, toutes ces salles et ces couloirs se ressemblent. 5 minutes plus tard, une fois qu'il eut fini de réparer la machine d'électroérosion par enfonçage et qu'il eut appuyé sur le bouton de son boîtier, la voix lui dit du même ton détaché :

-Salle C92, problème de batterie dans les turbines.

-Ben Voyons ! Ne put-il s'empêcher de dire. A quand le problème pour réparer toutes mes maladies de souffle causées par toutes vos pourritures de machines ? Il est réparable celui-là, au moins ?

Ses pensées furent arrêtées par le son strident d'une alarme. Si ma journée peut s'arrêter par un fichu incendie, ça me déplairait pas, il est 20 heures, bon Dieu !

Il se leva tant bien que mal, non sans se presser pour marcher d'un pas lourd, fatigué d'une journée intense de travail d'ouvrier, une journée si semblable à beaucoup d'autres... Au moins cette alarme sera une anecdote à raconter à ma femme, elle finit par se lasser des réparations constantes de machines au dîner. Même si j'espère qu'elle ne m'a pas attendu pour celui-ci.

En sortant du couloir, il fut inondé par les lumières rouges que produisaient les alarmes accrochées en haut des murs. Le son était tel que Mordacus avait l'impression que c'était la seule raison d'être de ce putain de monde. La lumière avait un aspect quasiment divin et le son était comme "les trompettes de l'apocalypse", c'est ce que son grand père lui disait quand il était encore enfant, il savait que c'était en rapport à une religion mais il n'aurait su dire quoi, plus personne ne croyait en quoi que ce soit, d'ailleurs. On utilisait le terme de Dieu uniquement pour jurer. Si c'est ça, l'apocalypse, la fin des temps, alors je m'y jette de cœur joie pour échapper à cet enfer des usines. Il longea le couloir jusqu'à arriver à l'ascenseur. En appuyant sur le bouton, il comprit aussitôt que celui-ci ne fonctionnerait pas. C'est p'tete bien plus important que les dernières alertes que j'ai connu. La dernière remontait à l'année dernière et c'était un crétin qui l'avait activé par erreur. Il l'a payé de son poste. L'alerte la plus importante était un court-circuit dû à un départ de feu. Mais jamais d'exercice car c'est une perte de temps, les ouvriers sont des machines qui réparent des foutues machines. Point. Il faut maximiser leur temps de travail.

Pour la deuxième fois de sa journée, ses pensées s'arrêtèrent nettes. Du coin de l'oeil, il pouvait voir la baie vitrée sur l'un des coins du couloir en forme de T. Comme hypnotisé, il s'avança vers la vitre d'un geste macabre au son de l'alarme. Il s'arrêta, le nez dégoulinant de sueur à quelques centimètres. Le spectacle était saisissant. D'ordinaire, il ne regardait pas cette vue sur les côtes de Nysteria car le simple fait de voir les usines s'empiler à quelques mètres de la mer crachant leur fumée toxique lui donnait envie de vomir. Ces usines si noires remplies de suie. Cette mer si belle qui semblait être un obstacle infranchissable. Et Nysteria cette prison qui le consumait petit à petit. Mais là, la vue était toute autre. Les flammes se reflétaient dans les yeux de l'ouvrier de 50 ans, qui semblaient en avoir bien plus, les traits marqués par 30 ans d'usines. Le cambouis masquait en partie son visage bazané. Tout brûlait. Une immense flotte couvrait la mer. On ne la voyait même plus, à la place d'immenses navires de guerres et un porte avion au loin faisant de l'ombre aux autres. Des vaisseaux étaient déployés un peu partout et tiraient de temps à autre sur les immenses générateurs. Ils vont couper toute l'énergie des usines. Des immenses flammes s'élevaient loin dans le ciel sur les bâtiments voisins. Il pouvait apercevoir l'armée de Nysteria. Mais ses chars et tanks n'avaient eu le temps de rien faire. Ils étaient carbonisés en plein milieu des rues. Des vaisseaux nysteriens, repérables avec leur emblème du marteau : signe du travailleur acharné, s'étaient écrasés dans d'autres usines, augmentant le chaos omniprésent.

Soudain, il reprit conscience et se rappela qu'il était sans doute préférable de sortir. N'étant qu'au deuxième étage, prendre les escaliers ne prendrait pas trop de temps. Ils doivent tous être en bas, je suis quand même pas le seul qu'ils ont laissé dans ce foutu bâtiment ! Après avoir descendu rapidement les marches tout en faisant attention de ne pas tomber, ses problèmes de santé pouvant vite être réglés par une chute, il arriva précipitamment dans l'immense hall. La seule grande pièce spacieuse de l'usine.

Aussitôt tous les acteurs qui s'y trouvaient s'interrompirent, le regardant. Quand les soldats, disséminés un peu partout dans la salle, virent Mordacus, ils braquèrent leurs armes sur lui, ce dernier levant la main en un réflexe. L'ouvrier nota que tous les soldats avaient un écusson représentant un oiseau d'un bleu pur délimité par des flammes. Comme si l'oiseau prenait feu dans un envol sans brûler.

-Laissez, laissez, fit une voix derrière eux. Les gardes s'écartèrent d'un seul homme pour faire place à un homme brun d'une taille moyenne, sans doute un peu petit mais d'une aura rayonnante. Il était vêtu de vêtements amples d'un bleu claire par dessus lesquelles se trouvaient une chemise d'un bleu plus sombre. Derrière lui un homme était agenouillé, le visage en sang et respirant de la même force qu'une soufflerie. Un soldat tenait toujours son arme pointé vers lui.

-Mais... Monsieur l'Gouverneur ? C'est vous ? Finit-il par reconnaître, en proie néanmoins au doute tellement son visage n'était que chair.

-Ohhh, fit semblant de s'étonner l'homme en bleu. C'est ton gouverneur ? Donc... Tu es son ouvrier, c'est ça ? Demanda-t-il comme si cela ne faisait pas forcément sens.

-Euh...oui, balbutia Mordacus.

-Tu en as mit du temps pour descendre, j'imagine que tu n'étais pas très pressé de quitter ton travail ! S'exclama-t-il en souriant.

-Je viens d'entendre l'alarme il y a à peine une minute il me semble mais qu'est ce que... Qu'est ce qui s'est..

Il fut interrompit par un rire tonitruant.

-Ainsi donc le système d'incendie est défaillant à ce point ? Demanda-t-il en se tournant vers le Gouverneur de Nysteria. Il faut attendre quelques minutes suivant les étages ? Puis il partit en un fou rire. Vive la sécurité des travailleurs, ce n'est pas beau, ça ? Dit-il en se retournant vers Mordacus.

-Je n'entendais pas très bien avec le bruit des machines mais comment...

-Tu sais comment il s'appelle ton gouverneur ?

Mordacus fut prit une nouvelle fois de court car à vrai dire, il n'en avait aucune idée et se rendit compte qu'il n'en avait jamais rien eu à faire. C'est comme les actualités, il ne les lisait pas et puis il n'avait pas le temps.

Devant son mutisme, l'homme qui semblait commander ses soldats jeta un œil vers le gouverneur et dit simplement:

-Non tu ne sais pas... Tu t'en fiches comme il s'en fiche de ta vie. D'ailleurs il n'a pas besoin de nom, il n'en mérite pas après toutes les années de souffrance qu'il t'a causé. Il t'a volé ta vie pour s'enrichir. Même après avoir essayé d'en discuter, il ne se résout pas à vous libérer.

Il soupira légèrement avant de conclure :

-Tant pis. Puis il prit une arme d'un soldat et tira sur le gouverneur. Une balle logé en pleine tête qui lui fit exploser dans un feu d'artifices les morceaux de chairs qui tenaient encore.

Mordacus ne tressaillit pas, se demandant toutefois si l'homme était encore réellement conscient avant.

-Qui êtes vous ? Lâcha-t-il simplement avant de rajouter. Et qu'est ce qui se passe au juste ?

-Ce qu'il se passe est ta libération. Tant qu'à moi je suis ton libérateur. En d'autres termes je suis Kelton Follet le Roi de Midor prochainement Empereur de Xandora et j'anéantis les usines de Nysteria pour que vous puissiez enfin respirer !

-Mais... L'Impératrice...

Kelton ne pu s'empêcher de rire avant de rajouter :

-Je ne travaille pas pour l'Impératrice, ni pour qui que ce soit, nous agissons avec Kandall Torcatram pour stopper la folie de l'Empire !

Mordacus s'avança alors lentement vers Kelton d'un regard comme soulagé, les soldats allaient intervenir mais leur Roi leur fit un signe de la main avant que Mordacus l'étreigne. Puis après quelques secondes et une tape amicale, il se retira en le regardant d'un air presque ému en disant :

-Merci. Je croyais que ça n'allait jamais arriver.

Kelton le considéra longuement avant de faire demi-tour, d'arracher en se baissant l'écusson du gouverneur de Nysteria puis d'aller vers Mordacus en lui demandant :

-Comment t'appelles-tu ?

-Mordacus, Kelton.

Celui-ci tiqua avant de lui agrafer l'écusson sur son T-shirt blanc souillé et lui déclara d'une voix solennelle après là aussi une tape amicale sur l'épaule.

-Mordacus, je te fais Roi de Nysteria ! Je sais que tu utiliseras ce titre bien mieux que ton prédécesseur !

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