~14~ Kandall

Le jeune Torcatram descendit de sa monture et attacha l'encolure sur une barrière qui jouxtait une maison. Il était tard aux alentours de la 19ème heure de la journée, le ciel était peint d'orange : signe d'un coucher de soleil. Il n'y avait pas de vent mais la pluie était de la partie. Une fine pluie. L'air semblait lourd.

-Attendez moi là, dit-il à la dizaine de ses partisans qui l'accompagnaient.

Le 1er ministre d'Alcatram toqua rapidement à la porte en bois, espérant qu'on l'ouvre au plus vite. Quelques secondes plus tard, une dame cinquantenaire ouvrit la porte. Elle était brune, un peu ridée aux coins des yeux mais ceux-ci débordaient de vitalité.

-Ah Kandall ! Je ne m'attendais pas à votre venue, vous désirez voir votre oncle Tarkes je suppose ? Vous ne le trouverez pas ici, il est parti il y a peu dans votre quartier général ! D'ailleurs ne trouvez vous pas qu'il a changé ces derniers temps ? Je sais que ces jours ci ne sont pas les plus reposants avec la rumeur qui circule à votre sujet juste avant le second tour, mais je connais mon époux depuis bientôt 30 ans, je peux vous dire que y'a quelque chose d'autre qui le tracasse mais allez savoir quoi ! Oh vous allez dire Fella elle est un peu marteau faut pas l'écouter mais je vous le dis c'est tout...

-Oui on a connu des jours meilleurs Mme Torcatram. Écoutez je crois savoir ce qui le tracasse, je vais... Voir ça avec lui !

Soudain Kandall entendit des cris d'enfants et une petite fille blonde de 6 ans apparut derrière Fella dans l'entrebaillement de la porte.

-Ah bah je vais devoir vous laisser, y'a la p'tite Ludie qui s'impatiente pour manger !

Kandall regarda longuement la fille de son oncle. Elle est venue au monde un peu tard, diraient certains en voyant l'âge de leur parents, mais Fella et son oncle se sont battus durant des décennies pour concevoir un enfant. Maintenant qu'ils en ont un... Vais je lui arracher son père ? Si tôt ? Pour une élection ? Mais sa résolution était déjà prise. Pas pour une simple élection... Pour l'avenir de la planète et de ses habitants. Il remercia Fella, salua la petite Torcatram et prit congé. Arrivé dehors, il annonça la nouvelle route à ses partisans et ils repartiront sur leurs chevaux.

-Peut-on savoir ce que vous comptez faire, M. Torcatram ?

Ce dernier réfléchit un court instant avant de répondre :

-Je doute que la situation actuelle puisse nous être favorable pour les résultats... Alors je me venge de ceux qui m'ont trahi avant qu'Alcatram devienne un Royaume de l'Empire de Xandora !

Ses partisans se regardèrent en silence. Cela n'annonçait rien de bon. Arrivé devant son quartier général, incrusté dans une montagne, il annonça de nouveau à ses accompagnateurs de l'attendre en bas.

-Je ne serais pas long, lâcha-t-il d'un grincement de dents.

Quand ils tambourina sur les immenses portes en bois au pied de la montagne, il n'attendit nullement cette fois ci avant que l'on ne lui ouvre. C'était sa nièce, Telmenia. Sans un mot, il avança dans l'immense hall tout en lui demandant :

-Où est mon oncle ?

-En haut, au bureau près du balcon, il étudie des dossiers je crois qu'il...

-Merci.

Il se rendit dans la salle des armes où il sortit 2 fourreaux avant de prendre les escaliers. Un étage. 2 étages. 3 étages. Et le 4ème où se trouvait la meilleure des vues sur toute la ville de Meraxes. Son oncle était effectivement là, affalé sur la table à regarder divers dossiers à propos des élections. Il se releva quand il vit son neveu.

-Ah Kandall ! Justement je voulais avoir ton avis à propos du programme de Dermes... Pourquoi as-tu deux fourreaux ? S'interrompt-il, sourcils froncés à la vue des deux épées.

-J'ai vu ta femme et ta fille chez toi, répondit simplement Kandall. Je croyais que tu serais avec eux mais Fella m'a dit que tu étais au quartier général.

-Kandall je ne comprend...

-Elle m'a dit que tu avais changé depuis un moment...

-Oui, c'est vrai je suis surmené et tracassé avec les résultats lors du premier tour, déclara-t-il en se relâchant un peu. Mais quoi de plus normal ? Et nos chances s'amenuisent avec cette rumeur qui circule à ton sujet mais tu ne m'as pas répondu pourquoi as-tu...

-Oui, fâcheuse cette rumeur en effet qui arrive au pire des moments, le coupa une nouvelle fois son neveu. En effet mon oncle, dit-il en écartant les bras. J'ai menti ! La rumeur s'est avérée vraie, mais qui a pu savoir cela ? Il faut dire que pas beaucoup de personnes ne connaissent de détails sur ma vie...

Il y eut un silence. Voyant que Kandall attendait une réponse, Tarkes lui dit tout en jetant un œil aux épées :

-Tu sais lors d'élections chaque moment de ta vie est analysé et décortiqué par tes adversaires pour trouver ta faille. Je ne sais comment Dermestan a pu savoir cela mais une chose est sûre...

-J'ai une autre hypothèse à ce sujet qui ne va pas vous plaire... Aucun partisan de Dermestan ne me connaissait personnellement. Du moins personne ne m'a vu lors de tous mes trajets. Et dieu sais que j'en ai fait. Non, c'est quelqu'un digne de confiance, à qui j'ai raconté toute ma vie dans les moindres détails, quelqu'un qui s'est étonné lorsque j'ai dit au débat que j'avais pu constaté les dégâts de la pollution sur Xandora...

-Kandall, dans la politique...

-Quelqu'un comme toi !! Lâcha-t-il en sortant en sortant une des deux épées du fourreau. Quelqu'un comme mon oncle ! Je t'ai vu ! Dit-il en pointant le bout de la lame vers Tarkès. Je t'ai vu quand tu t'es aperçu du mensonge ! Tu semblais plus effacé par la suite, mais bon dieu pourquoi t'as foutu en l'air tous nos projets en un instant ?! Tu n'y croyais donc pas pour que tu délaisse le sort de la planète pour un mensonge ! Pour trahir un membre des Torcatram !

Tarkes n'avait pas bougé quand son neveu avait sorti son épée. Il n'avait même pas frémi.

-Kandall je ne t'ai pas trahi. Très bien j'avoue tout, moi aussi. En effet j'ai répandu cette rumeur pour que Dermestan arrive au pouvoir. Un conseiller au gouvernement de l'Empereur m'avait contacté pour me proposer une place au sein de son ministère si tu perdais les élections. Ils m'ont promi qu'il ne te tuerais pas. Sinon je ne l'aurais pas fait. Mais rends toi compte avec toi comme président tu aurais massacré tous les Alcatramiens dans une guerre qui ne pouvait être remportée... J'étais déjà sceptique au départ, je te l'ai maintes fois dit ! Mais je ne pouvais rien faire... Alors que maintenant je peux sauver ce continent... Et son peuple...

Le bruit du fourreau tombant sur la table le fit taire. Kandall le lui avait lancé.

-Tais-toi tu fais honte à ton frère. Aldresdan t'aurait maudit pour ces paroles. Le travail de toute une vie... Pour qu'il soit réduit à néant par ton égoïsme ! Pour avoir une place au chaud avec l'Empereur ! Mes discours ont donc sonné creux chez toi ? Si cette génération continue de polluer pleinement, la suivante ramassera les déchets avant que l'autre crève !

-Kandall soit raisonnable ton père...

-Ne me parle plus de mon père.. Crois tu que je vais te laisser profiter de ta vie comme ministre à Xandora ? Profiter pleinement de ta vie sachant que tu nous condamne tous ? Heureusement que tu n'étais pas chez toi, car je ne sais pas si j'aurais eu le courage de tuer le père de Ludie devant ses yeux...

-Écoute...

-BAS-TOI !! Hurla-t-il, son visage virant au rouge.

Tarkes émit un rire nerveux :

-C'est ridicule, je ne vais pas me battre avec mon neveu...

-Pourtant c'est ce que tu as fait quand tu m'as trahi !! Tu n'as pas su faire honneur aux Torcatram, respecte au moins la tradition d'Alcatram, un duel judiciaire et c'en sera terminé !

Son oncle retira lentement l'épée de son fourreau tout en gardant un œil sur Kandall.

-Je ne pourrais pas, lâcha-t-il. Pas contre toi !

Mais Kandall s'était déjà jeté sur lui, préférant stopper cette discussion. Par réflexe, Tarkes contra la lame de Kandall mais celui-ci la retira pour la renvoyer dans la seconde. Sauf que son oncle avait esquivé en se précipitant au balcon. Je m'entraîne à l'épée depuis mes 9 ans, lui ne s'est pas exercé depuis nombres d'années, le résultat est vite fait ! Tarkes se remit aussitôt en position présentant son côté à Kandall, lame devant. Mais son dernier combat remontait à tellement d'années que Torcatram l'avait oublié. Il était un des meilleurs chevaliers, dans le temps. Mais il avait raccroché la lame pour se convertir dans la politique. Kandall, lui, avait combiné les deux. Les gestes de Tarkes étaient lents et Kandall semblait infatigable. Au bout d'une trentaine de coups, Tarkes sut quel en serait le résultat. Alors il repoussa de toutes ses forces le jeune Torcatram qui s'écroula sur la table avant de lever son épée :

-Arrêtons là, tu as gagné ! Je n'irais pas au ministère, j'arrête toute collaboration avec...

Sa tête se décrocha d'un coup de lame et roula sur le balcon. Son corps sembla tenir un instant avant de s'écrouler à son tour, le sang se répandant sur le sol et glissant à travers tout le bureau. Ne supportant plus cette vue, Kandall souleva le corps de son oncle défunt avant de le jeter à travers la rambarde. Tarkes, ou du moins sans sa tête, fit une chute d'une centaine de mètres avant de s'écrouler sur les roches des montagnes.

Quiconque se met en travers de la mission de mon père... Meurt, pensa Kandall Torcatram en ramassant par les cheveux la tête de Tarkès, la regardant dans les yeux qui représentaient le dernier regard stupéfait de Tarkes.

Son neveu s'était relevé et jeté d'un bon sur lui pour le décapiter dans la foulée. Tout ça en une seconde. Trop rapide pour le frère d'Aldresdan. Kandall posa la tête sur le bureau où Tarkes étudiait 5 minutes auparavant. Il rengaina son épée, fourreau dans sa ceinture, avant de reprendre la tête de Tarkes pour redescendre les escaliers. Avant d'arriver dans le hall, il entendait les éclats de voix de Telmenia qui s'écriait sur d'autres personnes :

-...rumeur circule à propos de Dermestan, cela pourrait nous être favorable et pencher complètement la balance de l'autre côté ! La rumeur de Kandall fait pâle figure à côté, nous avons nos chances de remporter les élections, il semblerait que Dermestan aurait...

Elle s'interrompit net en voyant Kandall arriver. Il était couvert de sang et tenait les cheveux de la tête de son oncle par sa main. Son cousin Porltan, Telmenia et tous les autres, soit une vingtaines de personnes qui s'étaient réunis furent sans voix.

-Qu'as tu fait, murmura sa nièce, toute blanche.

Une larme coula sur le visage de Kandall qui semblait désolé. Il fit demi tour sans un mot et partit, quittant le hall. Arrivé dehors, laissant les portes ouvertes, il tomba sur la dizaine de ses partisans qui l'attendaient toujours, encolure de leur cheval en main. Certains semblaient avoir redoutés ce moment au vu des paroles que leur avait laissé Kandall. Mais tous avaient le visage sombre, se regardant entre eux. "Maintenant qu'allons nous faire ?" semblaient-ils se demander.

-Oui j'ai tué mon oncle, commença-t-il. Vous pouvez me prendre pour un fou, je ne vous enverrai nul reproche. À la condition qu'être un fou c'est remplir les objectifs que l'on s'est fixé. À la condition qu'être fou c'est de ne pas supporter l'injustice, c'est de ne pas supporter que certains vous trahissent pour avoir une vie confortable pleine de richesse et de gloire tandis qu'ils assassinent lentement... Vous... Vos proches... Et tous les autres... Tous... Bon ou mauvais... Peu importe leurs idées, leur mode de vie... Tous mourront. À cause de lui. À cause de Tarkes Torcatram qui a certes répandu une vérité sur moi, un mensonge que je vous avait dit. Mais le mensonge est-il grave quand il vous fait prendre conscience de la fin qui arrive ? La fin sans retour possible, sans redémarrage, la fin de tout ce qui existe ici sur cette planète... Alcatramiens ou Xandariens, peu importe... On y passera tous à cause de lui. Je ne serais pas président à cause de ce scandale, je ne déclarerais pas la guerre à l'Empire et même si vous croyez que cette guerre n'a aucune chance de victoire... Sans guerre la question ne se pose même plus. On aura rien tenté pour que nos enfants et petits enfants vivent décemment. Certe je n'aurais pas dû le tuer mais... Kandall se retint de craquer avant de rajouter : maintenant cela n'a plus aucune importance...

Mais c'est en regardant autour de lui qu'il remarqua que tous les habitants des alentours étaient sortis en silence pour le voir... Pour l'écouter.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top