Avant, Taehyung le soumettait d'un regard.

Avant, il avait ces sourires timides et ces yeux humides, ces caresses hésitantes et ces insécurités sur lesquelles il devait sans cesse le rassurer.

Il ne savait pas, il ne savait plus à quel moment tout ça avait glissé entre ses doigts. Mais ce qui était certain c'était que tout lui avait échappé comme une poignée de sable, que son illusion de contrôle et de dominance n'avait été qu'une vaste arnaque.

Là, il se dressait sur ses cuisses et Taehyung était écrasé par sa nouvelle folie. Il fredonnait un air que personne ne reconnaissait car c'était son esprit pourri qui en inventait les notes et les variantes. Distrait, il traçait une ligne pâle sur le ventre de son amant. Le sachet coincé entre ses doigts se vidait sans qu'il n'y prête vraiment attention et ses billes excitées où Taehyung n'y voyait que l'obscur observait l'infinité que prenait le rail.

« - C'est bon, arrête-là. »

L'autre ne fit que rire, rire, rire et tout se fracassait dans la tête de Taehyung.

Ils étaient en train de faire l'amour ou de baiser quand l'autre les avait arrêtés. Il avait eu besoin de sa dose, parce que tout commençait à s'effacer et que la chute n'était jamais agréable. Il n'avait plus d'ailes maintenant.

Alors nus, la poudre collait à leur transpiration tandis qu'il ne s'arrêtait pas de tracer cette foutue ligne sans fin.

« - J'ai dit stop., insista Taehyung »

Ses yeux roulèrent dans ses orbites et grommelant une insulte il referma le plastique avec trop d'attention, comme si c'était la prunelle de ses yeux. Rires.

Puis le démon se pencha sur son ventre et appuya sur l'une de ses narines.

Ce reniflement familier fit écho dans la boîte crânienne de Taehyung et la langue experte de l'autre retraçant le chemin ne l'excita pas.

Il le sentit trembler d'extase contre lui alors même que la cocaïne n'avait pas atteint sa cervelle.

« - OK... OK... »

Ses gloussements se mélangeaient à ses expirations impatientes. Il leva son visage au ciel, offrant sa nuque opale aux yeux de tous. Même de là Taehyung pouvait voir ses vaisseaux convulser pour rétrécir et il pensait déjà à la nécrose qui l'envahirait.

« - Bordel... »

Il souriait, si grand que la lumière jaunâtre se reflétait contre l'émail de ses dents. Le fraîchement tatoué rit tellement fort et chercha à l'aveugle le sexe de la deuxième bête pour s'empaler avec violence dessus.

Insensible à toute douleur.

Le ciment dans le sang du membre de Taehyung n'était même plus dû à l'excitation, à l'amour. Simple réaction naturelle, primitive et bestiale, il avait juste la nausée. Mais il passa tout de même ses mains dans les sillons que creusaient ses côtes et malaxa ses fesses presque inexistantes.

« - Plus fort putain Taehyung. »

Alors il fit ce qu'il lui demanda, le rencontrant lorsqu'il retombait, le faisant bondir sur ses cuisses et l'autre sourit encore en grognant son plaisir.

Il ne remarqua pas l'hémoglobine rampant de son nez pour pigmenter l'ivoire de ses dents, dégringoler le long de son menton et jouer les montagnes russes entre les saillies de ses os. Et Taehyung faillit l'ignorer, c'était pas la première fois qu'il en voyait, il savait ce que c'était et il savait que ça pouvait durer de demi-heures entières.

Mais à l'autre, ça ne lui était jamais arrivé.

« - Tu saignes Sami. »

Taehyung tenta d'arrêter ses coups infernaux mais il n'en avait plus rien à faire, sourd et rouge. Taehyung était certain que cette image se graverait dans son esprit. Couvert de ses propres caillots de sang, dément et si haut.

« - Sami. »

L'amant ouvrit l'une de ses paupières, les sourcils froncés et, humidifiant ses lèvres d'un coup de langue son visage se tordit dans une grimace de dégoût. Ses mouvements se stoppèrent brutalement et il goûta à nouveau au liquide qui couvrait le bas de son visage, comme pour être certain que c'était bien cette amertume métallique et désagréable. Puis la pulpe de ses doigts vint s'écraser au-dessus de son nez, s'imprégnant d'hémoglobine et il les tendit devant lui, curieux.

« - Merde. »

Il se leva précipitamment, trébuchant presque dans les draps et les vêtements au sol mais prenant soin de ne pas marcher sur la seringue vide près du lit. Sami en foutu un peu partout dans l'appartement et Taehyung l'entendit paniquer dans la salle de bain.

Ce dernier hésita longtemps avant de se lever à son tour et de suivre les traces brunâtres sur la moquette.

« - Sam' ? »

Il refit le chemin jusqu'à la porte de la salle d'eau, entrebâillée.

« - Je peux rentrer ? »

Il s'appuya contre le mur, jetant un coup d'oeil fatigué dans la pièce où il apercevait les jambes squelettiques de Sami. Il attendit quelques minutes, ne sachant pas trop lui-même s'il voulait vraiment rentrer. Il entendait presque le clapotis de son sang contre la céramique et le tic nerveux de son doigt.

« - Bébé ?, l'appela l'autre. »

Taehyung prit ça comme un accord et poussa la porte. Il était appuyé contre le lavabo, la tête inclinée et des spasmes agitaient ses épaules. Un drôle de frisson traversa le corps de Taehyung.

« - Ça va ?

- Oui, oui ! Bien sûr que ça va !, Sami éclata de rire et se releva le regard pour observer Taehyung dans le miroir., Je, j'me sens juste un peu étrange là. »

Sa tête convulsa sur le côté alors que son regard sautillait partout dans la pièce, attentif à tout.

« - J'suis bien, je me sens bien. »

Taehyung était resté figé au milieu de la pièce, trop conscient de ce qu'il se passait. Ça n'avait pas le même effet quand c'était des gens qu'il aimait. Voir son visage couvert de sang, ses yeux à la fois vides et pleins, sa peau translucide et ses muscles tressautants, ça lui donnait la gerbe.

Finalement, il s'avança vers les toilettes pour attraper du papier.

« - Qu'est-ce que tu fais ?, lança l'autre. »

Ses prunelles effrayantes s'étaient plantées dans son corps et il suivait tous ses mouvements à la trace, l'ensemble de ses sens exacerbés.

«  - Je prends juste du papier chiotte pour te nettoyer un peu.

- OK... OK. »

Il laissa Taehyung l'approcher, la tête de nouveau tournée vers le lavabo. Ce dernier humidifia le papier puis se mit à frotter la peau du jeune, ce qu'il pouvait atteindre.

« - C'est, c'est la première fois ? C'est la première fois que je-, que ça me fait ça. »

Taehyung hocha la tête.

« - Tu savais ?, Sami enchaîna.

- Je savais ?

- Tu savais que j'allais saigner.

- Oui. C'était juste une question de temps.

- Tu savais... »

Il lui sourit dans le miroir et une goutte de sang frais roula sur l'ourlet de sa lèvre jusqu'à ses incisives.

« - C'est drôle. »

Taehyung ne répondit pas et tenta d'ignorer les espèces de tremblements qui secouaient Sami.

« - Mais j'aime pas ça. J'ai putain de mal au nez.

- C'est normal quand tu sniffes autant. »

Il rigola et Taehyung trouva ça loin d'être amusant. Puis l'autre tendit sa main devant lui.

« - Wow, pourquoi je tremble autant. »

Puis ses yeux noirs restèrent coincés sur ses doigts. Ses lèvres arides s'entrouvrirent et Taehyung se demanda ce qu'il pouvait bien voir. Est-ce qu'il y avait des billes qui roulaient sous sa peau ? Est-ce qu'il y avait toutes sortes de choses irrationnelles et inconcevables ? Taehyung s'était retrouvé avec des serres de rapace une fois.

« - Sami. »

Il sembla retrouver ses esprits et sa main retomba mollement sur le côté du lavabo.

« - J'ai envie de baiser. »

Taehyung avait remarqué son membre encore fièrement dressé qu'il frottait parfois contre le bord arrondi du meuble mais il avait préféré l'ignorer.

Sami jeta alors un coup d'oeil sous la ceinture de Taehyung et le sourire carnassier à ses lèvres faiblit quand il s'aperçut qu'il n'y avait plus aucun signe d'excitation, de désir, d'envie, d'amour.

Alors il rit.

« - Je t'excite pas trop comme ça. »

Taehyung s'éloigna pour jeter les papiers souillés et le ton presque blessé de Sami l'étrangla. Sans répondre, il s'avança vers les toilettes et ferma l'abattant pour s'y asseoir. Il y fit grimper ses jambes puis, déposa sa tête contre le mur pâle et froid. 

Pendant de longues minutes, il observa Sami trembler comme il n'avait jamais tremblé, sourire rouge sans raison apparente et gratter l'intérieur de ses bras où il devinerait bientôt les marques de piqûres. 

Et il réalisa avec amertume que, comme une horde de rongeurs enragés, Sami grignotait son âme de culpabilité.