Photosynthèse


Trois mois déjà que Taehyung a quitté le camp, seul, les traces du pick-up les pauvres indices de sa route. Jungkook arrive encore à les imaginer, alors même que la neige les recouvre désormais. La neige recouvre tout. La tombe de Daeho, celle de Minhwan, le sang frais. Ça lui donne la nausée. 

Jungkook a changé. L'arbalète se confond dans son bras. Il arrive à pointer du doigt les endroits où ils doivent se retrouver, pour tuer, pour piller le centre commercial convoité car la faim les rend à vide d'espoir. Jungkook a changé. Il est aussi terne que le ciel mais se tient plus droit. ChinHo, Jimin le poignardent de regard las, de regard meurtrier et pourtant, Jungkook n'est pas enseveli. 

Jungkook a changé.

Ils courent là-bas, ça ne l'a pas fait trembler.


- - - - ✵ - - - - 


« - Il lui a fait un truc. »

Namjoon soupira longuement.

« - T'es encore sur ça ? »

Yoongi claqua sa langue contre son palais et secoua la tête.

« - Il s'est tellement métamorphosé. ChinHo a essayé de le faire câbler tout à l'heure et... il se serait pissé dessus Nam'. Il aurait hurlé qu'il ne voulait pas venir et tremblé comme avant. Il a souri. Il a putain de souri. »

L'homme observa son amant, pendu à ses lèvres puis eut lui aussi un rictus un peu triste.

« - On avait pas besoin de ça pour savoir qu'il s'était passé un truc entre eux. Il sort tous les jours essayer de le retrouver mais... il est presque heureux quand il revient bredouille. Et puis ce soir on va encore l'entendre crier au beau milieu de la nuit sans qu'il s'en rappelle demain. Je sais pas ce que Taehyung a pu lui dire mais il l'a rendu aussi taré que tous les autres. »

Yoongi acquiesça dans un silence et ses yeux se posèrent sur le walkie au bord de la table de nuit. Il en avait glissé un dans la main de Taehyung, juste avant qu'il ne parte, sans que personne ne le voit, lui avait demandé, supplié, prié de lui dire où il était, que s'il était dans la merde un jour, il n'avait qu'à demander et Yoongi viendrait.

Il était presque sûr que Taehyung avait changé de canal à la minute où il avait été seul sur la route. Yoongi essayait tout de même tous les jours.

« - Taehyung, il est... il est complètement malade tu sais. Jimin me parlait de lui avant... avant tout et on l'a juste complètement détruit. Il était capable de tout et ça ne m'étonnerait pas qu'il ait fait une terrible erreur ce soir là.

- Autre que d'avoir buté DaeHo ?, ironisa Yoongi et l'autre leva les yeux au ciel. »

Leurs deux corps étaient si froids sous cette excuse de couette. Ils se rapprochèrent, se lovèrent l'un contre l'autre.

« - Qu'est-ce qu'on fout là Nam... »

Ce dernier lui lança un regard curieux.

« - Qu'est-ce qu'on fait ? On... on essaye de survivre dans un monde qui est voué à mourir. On retarde juste le moment où on se fera bouffer et... et on devient tous complètement tarés. Des fois... Des fois je me demande si ça vaut le coup tout ça, si y'a des gens autre part qui essayent de trouver des solutions, qui inventent un moyen de régler toute... toute cette merde. »

Et Yoongi qui était dur comme la pierre, qui ne laissait jamais rien voir ni imaginer, celui qui semblait être le pilier pour Namjoon, son armature, son armure, son amour fondit en sanglots. Il lâcha des jurons à peine retenus, plongea son visage dans les draps raidis par la froideur de la pièce et l'alpha du groupe sut que le seul réconfort qu'il accepterait serait la main à l'arrière de sa tête.

« - Je suis désolé. Je suis désolé. Abandonne pas s'il te plaît Yoongi. N'abandonne pas. »

- - - - ✵ - - - - -

Sans l'illusion d'un maître, Il-sung et Naoko incarnaient deux chiens sans âme. Ils avaient arrêté de dévoiler leurs canines, de retrousser leurs babines au moindre claquement de doigt. Daeho n'était plus là pour le faire, enseveli sous ces mètres de terre au fond du terrain.

C'était eux qui avaient creusé sa tombe et il faisait si froid dehors qu'is avaient passé cette journée macabre à enfoncer la pelle dans le sol glacé.

Ils ne portaient plus leur masque de moquerie presque permanent, n'avait plus trop de quoi se moquer à vrai dire car Jungkook avait dormi. Jungkook n'avait pas été hanté par les nouvelles paroles de ChinHo et par ces créatures putrides le poursuivant. Il avait toujours cette mort au visage mais moins cette faiblesse que tant avaient alors pointé du doigt.

C'était un autre maintenant Jungkook. Un tout autre.

Son précieux 9 millimètres posé sur la hanche, son pied de biche dans le dos, son arbalète suspendu à l'épaule, bottines parsemée de poudreuse et veste molletonné remontée au menton, ô, il était tout autre.

Puis, visage tourné vers cette forêt qu'il avait pénétré une fois, une seule, qu'il n'avait plus quitté et qu'exploré ; cet effroi maintenant inexistant dans ses veines alors que le moteur de la voiture ronronnait comme une berceuse, ô, il était tout autre.

S'il allait mourir ? Sans doute. Un pied dehors et l'épée de Damoclès oscillait.

N'était-ce donc pas repousser la sentence que de se battre, que de lutter pour vivre un peu plus ?

Qu'importait, Jungkook savait qu'il allait se battre, le sentait dans ses muscles qui se bandaient à l'aperçu d'un mort entre les troncs. Il savait qu'il était incapable de se laisser crever aujourd'hui, qu'il n'en avait pas été capable avant. Pourquoi ? Peut-être car il voulait le retrouver d'abord. Peut-être car il avait compris qu'il ne fallait plus avoir peur de la mort autant qu'il ne fallait pas vouloir la trouver, sinon il se serait sans doute pendu par les draps qu'ils avaient souillés.

« - Arrête de secouer ta jambe Yoongi. »

Ils lui avaient fait l'honneur de partager le pickup avec Jimin, Yoongi et Namjoon au volant. La batte de ce dernier, roulée dans du barbelé était aux pieds de Yoongi appuyée contre une boîte de balles et, remué par son anxiété, l'homme y faisait entrechoquer sa hache dans une sinistre mélodie.

Cette rythmique de guerre s'interrompit à l'éclat de Jimin, le visage si froid et fermé. Lui aussi était tourné vers la forêt qui se désépaississait et sa main convulsait autour d'une machette.

« - Arrête de broyer du noir toi aussi, on entend tes dents grincer d'ici., rétorqua Yoongi.

- Je fais ce que je veux. »

Yoongi eut un rire un peu moqueur mais sa jambe ne reprit pas ses spasmes. Jungkook leva les yeux au ciel.

Namjoon roulait plus vite que la normale. Il fallait dire qu'ils ne craignaient croiser personne et si ça devait être un rôdeur, il appuierait un peu plus fort sur la pédale. C'est pour cela que lorsque qu'ils émergèrent de la forêt, Jungkook n'était pas préparé. Il avait pensé être loin encore de ces buildings qu'on distinguait à peine derrière la cime des arbres et pourtant, très vite, ils se retrouvèrent sur ces nationales dégagées qui laissaient deviner à l'horizon, la capitale désuète.

Jungkook se raidit un peu sur son siège et s'autorisa ce comportement d'enfant, regard à travers les vitres et bouche bée. Il n'était jamais sorti de cette épaisse forêt qui faisait tampon entre ville et campagne. Une fois qu'il y était rentré avec Taehyung, blouse de patient cachant sa nudité, tremblement et démangeaisons, il y était prisonnier.

C'était marrant, comme les choses avaient pris un drôle de chemin. Que Taehyung était nulle part et partout dans leur tête. Que Jungkook avait arrêté de trembler mais ne souriait pas plus. Qu'il savait manier un couteau maintenant, un 9 millimètres, qu'il avait tué de ses mains et planté des flèches.

C'était marrant.

Sur les autoroutes, il y avait des voie entières bloquées par les voitures et le noiraud ne pouvait s'imaginer la panique qui avait dû vibrer dans tous ces gens, ces enfants à l'arrière, les valises jetées dans le coffre et les cris, les cris, les cris.

Namjoon avait ralenti pour passer entre les carambolages figés par le temps. Jungkook vit à travers les fenêtres, les corps, le sang, les rôdeurs qui écrasaient leur visage sur la paroi, tout comme lui. Jimin l'observait du coin de l'oeil et il eut un rire quand ce fut le cadavre d'une enfant, hurlant, qui le fit détourner le regard.

Yoongi zieuta par dessus son épaule, les sonda un instant avant de se concentrer à nouveau sur les zigzags de la voiture.

« - On va arriver dans pas longtemps.»

Comme un ordre, les deux à l'arrière vérifièrent leurs armes et leurs vêtements, s'assurèrent que les magasines étaient bien enroulés autour de leurs avant-bras et mollets. Jungkook jeta un coup d'oeil derrière eux, le deuxième pick-up les suivait de près.

« - Quand est-ce que les autres dévient ?, demanda-t-il. »

Namjoon étudia le reflet dans son rétroviseur.

« - Dans deux trois minutes, ils vont pas bien loin, ils prennent juste la première sortie. »

S'ils avaient décidés de se séparer, de prendre la galerie marchande par les deux bouts, c'était par précaution. Quoi qu'il arrive, un des deux groupe serait peut-être sauvé. Parier sur l'est ou l'ouest et croiser les doigts pour que les autres meurent avant soi.

Jungkook eut une drôle de sensation quand, la prochaine fois qu'il regarda derrière lui, ils étaient seuls autour des carcasses. Comme pour une confirmation, Yoongi tourna la tête vers Namjoon jusqu'à tant que ce dernier prenne une grande inspiration.

Ils continuèrent quelques minutes.

D'ici, les gratte ciels étaient tout ce qu'on pouvait imaginer d'un décor d'après l'Apocalypse. Crevés comme des corps criblés de balle, étouffés par une nature qui reprenait ses droits, c'était de la fiction.

Jungkook savait qu'il découvrirait un nouveau décor, un nouveau théâtre d'horreurs. Et ce manque de familiarité l'angoissait.

« - Pourquoi les bâtiments sont autant détruits ? »

Sa voix était étouffée dans l'atmosphère épaisse de la voiture. Jimin lui jeta un coup d'oeil mais tourna immédiatement le visage vers sa vitre. Ce fut Namjoon qui répondit d'une voix concentrée :

« - C'est l'armée, au tout début, qui a tout bombardé. Ils tiraient sur tout ce qui bougeait.

- Ils ont pas évacué la ville ? »

Il y eut un rire un peu méprisant de Yoongi.

« - Elle était condamnée cette ville., enchaîna-t-il. Ceux qui arrivaient à s'échapper tant mieux, les autres mourront sous les bombes ou sous les dents des morts. »

Jungkook eut un frisson.

« - Attends... Tout est arrivé d'un coup ? Du genre, personne n'a pu être étudié, le virus, fin, rien n'a pu être fait ?

- Sincèrement, on sait même pas si c'est un virus ou autre chose, on sait rien., répondit Yoongi. J'avais croisé une infirmière avant que j'arrive à la ferme et le seul truc qu'elle m'avait dit c'était de ne jamais mettre un pied à l'hôpital. Je pense qu'ils ont du essayer des trucs, tenter de les soigner mais que ça a viré au cauchemar très rapidement. "

Yoongi croisa son regard dans le rétroviseur et il haussa un sourcil. 

« - C'est qu'à partir de maintenant que tu t'inquiètes de savoir comment ça s'est passé ? 

- Il aurait gerbé avant. 

- Jimin., gronda Namjoon. »

Jungkook baissa le regard sur son arme posée entre ses jambes. Il caressa les gravures sur la crosse, la symétrie du papillon de nuit et la régularité du brin de fougère. 

« - Qu'est-ce qu'on fout à rester dans cette région alors, si tout est mort ? Il... Il est où l'espoir ?

- Arrête de poser tes questions de merde., siffla Jimin. » »

Un long silence. Le ronron sourd que produisait le moteur lui paraissait si bruyant désormais. Il déglutit et chercha à trouver un sens à tout ce qui se produisait. À cette pièce macabre et gratuite. À ces stipulations qu'on faisait pour se rassurer. Jimin lui avait dit que c'était un virus, à son arrivée à la ferme, et le mot avait son espoir, un virus, on savait ce que c'était, ça pouvait s'étudier, peut-être même se soigner.

Est-ce que ça avait du sens maintenant ? Tout ça ?

La voiture s'arrêta brusquement.

« - Qu'est-ce que c'est que cette merde..., souffla Yoongi. »

Namjoon avait pâli et raidi comme la pierre, les deux mains autour du volant. Il déglutit difficilement.

Curieusement, le noiraud se tortilla pour apercevoir ce qu'il leur faisait obstacle. La nausée l'envahit comme un doux souvenir et ses doigts convulsèrent autour de la tête de siège.

« - Qu'est-ce que c'est ?, questionna Jimin, s'approchant plus de Jungkook qu'il ne se l'était autorisé ces derniers mois. »

La route était couverte de cadavres.

Rien de très dépaysant, pourrait-on penser, et, pourtant, ceux-ci ne se contentaient pas de bouts d'os et de traces de chair tenace.

Empilés les uns sur les autres comme dans le pire des guerres, un espèce de nuage de putridité planait au dessus. Ils paraissaient presque vivant, mûs par les nécrophores qui grouillaient sous ce qui leur restait de peau. Jimin plaqua le dos de sa main contre ses lèvres, peut-être à cause de l'odeur qui envahissait même la voiture ou à cause de la scène. La scène d'un pur carnage qui manquait de sens. Aucun n'était mort-vivant. Aucun d'entre eux n'avait cédé à la rage des créatures et pourtant, ils étaient tous allongés, sommeil éternel, qu'à peine décomposé.

« - Ils se sont fait buter., siffla Yoongi.

- Peut-être... Peut-être qu'ils ont fait un genre de-, de suicide collectif ?, rétorqua Jimin. »

Un silence. Jungkook céda et enfouit son nez dans son vêtement.

« - Faudrait descendre ? »

Namjoon secoua la tête.

« - Non, non... On sait jamais, y'a peut-être un piège quelque chose. Et puis... l'odeur tu-

 - Y'a une autre route ?, interrompit Jimin. »

L'alpha secoua la tête.

« - Seulement si on prend un détour mais je sais pas dans quel état seront les rues e-et, les autres doivent déjà être à pieds.

- On foutrait le plan à l'eau.

- Putain... »

Jungkook pensa qu'il n'y avait rien de plus révélateur de ces temps que les os se brisant sous les pneus. Que ces secousses à chaque corps et de cette symphonie macabre qui les faisait tourner verdâtre.

Quand la route fut enfin lisse, Jimin vomit son déjeuner par la fenêtre. Il resta contre, le visage dodelinant au vent tandis que les autres passèrent la suite du voyage les mâchoires serrées.

Rien n'avait encore commencé et pourtant, Jungkook et son mental perdaient doucement l'équilibre. Les grattes-ciels qui avaient été le décor d'horizon étaient maintenant à leurs pieds. Demi écroulés comme des vieillards, le zéphyr se glissait dans les failles de leurs fenêtres, hurlements.

Jimin fit remonter la vitre.

Le silence était monstrueux. Nature, mousse verte sur le ciment, Jungkook était bouche-bée. Les derniers souvenirs qu'il avait de ces rues étaient encore frais et agréable. Toute cette vie qui palpitait à chaque coin de rue, ce bourdonnement permanent. Il avait connu les cris d'enfants, le vacarme des travaux, les rires s'échappant des terrasses de restaurant, l'odeur de cigarette, celle des brochettes.

Un désagréable parfum de souffre flottait dans la voiture.

Inconsciemment, Namjoon avait accéléré comme s'ils allaient pouvoir échapper à cette atmosphère sinistre. Ils ne s'y enfonçaient que davantage et l'Alpha finit par lever le pied de la pédale.

Il coupa le moteur à l'entrée d'une petite rue, condamnée par des blocs de béton.

C'était la deuxième partie du plan. Il fallait remonter jusqu'au centre à pieds. Aucun reste de route ou de chemins ne les autorisaient à continuer dans le rassurant de la voiture.

Les paroles gutturales des rôdeurs, dont il s'était familiarisé, faisaient écho dans les rues. Incapacité d'en comprendre l'origine, leurs regards se multipliaient à chaque intersections, à chaque entrée béante d'immeubles.

L'herbe haute recouvrait les avenues bétonnées d'autrefois, les portes des magasins étaient fermées par de grandes plaque de métal et de vieux meubles.

« - À partir de maintenant, on reste le plus silencieux possible. Je ne connais pas assez l'endroit pour savoir si c'est safe, on peut tomber sur n'importe quoi, n'importe qui. »

Ils commencèrent à marcher.

Les grandes routes étaient parfois effondrées, un glissement de terrain, un bombardement, Jungkook n'arrivait pas à les différencier. Il y a avait des carcasses de voiture à chaque coup d'oeil, des ambulances et voitures familiales, certaines avaient brulées et d'autres étaient abimées seulement par le temps et les balles.

Parfois, ils se penchaient, ramassaient quelque chose qui pourrait leur servir, un peu d'alcool, des cartouches. Yoongi était rentré dans une pharmacie dévalisée, était revenu avec du sang sur les bras et trois boîtes d'antidouleur.

Ils avaient continué.

Dans les chansons d'oiseaux et le souffle du vent, il lui semblait entendre des cris et alors qu'il jetait un coup d'oeil à l'immeuble d'en face, il y avait des silhouettes qui se tenaient aux fenêtres. Des corps morts, putrides et dans l'inconnu, des excroissances épaisses, jaunâtres et brunes à la place d'un visage. Jungkook repensa aux mots de ChinHo et sa main eut un sursaut nerveux le long de son corps. Ces immeubles semblaient être un décor empoisonné. Une promesse dans l'« Épicerie », une morsure dans le reflets des guillotines.

Ils durent grimper sur des toits pour s'écraser un peu plus loin, traverser des jardins dont les recoins faisaient vibrer d'appréhension. Namjoon et Yoongi semblaient avoir fait ça toute leur vie. La vitesse à laquelle ils se déplaçaient, accroupis mais silencieux, était effrayante.

Sur la route, ils durent même plonger dans l'eau glaciale sortie de ses lits, de ses barrages rompus par la guerre, elle faisait maintenant partie de cette bande sonore naturellement macabre. Fracas agréable mais pas moins rassurant, Jungkook ne voulait pas savoir si les morts pouvaient nager.

Membres engourdis par le froid, le givre, la poudreuse, Jimin fit un geste doucement brusque pour interrompre leur progression. Il articula un trois et d'un geste du menton, désigna la petite cour qu'ils devaient traverser.

Trois morts, trois cadavres, immobiles, grognants mais tellement frais. Ils avaient l'air d'être eux, en pantalon cargo et veste kaki, des couteaux encore dans leur étui, une lampe frontale s'enfonçant dans leurs chairs. Jungkook se vit. Jungkook vit Namjoon, Yoongi, Jimin, Taehyung, Mina, immobiles et pourtant vivants.

Quand la neige couina bruyamment sous la bottine de Jungkook, l'un d'entre eux eut un spasme répugnant, releva son visage ces secondes qui parurent durer des heures. Il avait encore l'air si humain. Puis il avança, tituba avec empressement vers leur cachette, derrière le muret. Le portillon qui aurait pu les aider avait été détruit, trouvé quelques mètres plus loin.

Jimin sortit son couteau. Il fit un geste à Yoongi, lança un regard appuyé à Jungkook, les deux accroupi derrière l'autre partie du mur.

Au moment où le rôdeur passa le fantôme du portail, Jimin bondit. D'une fluidité morbide, il planta son couteau dans le crâne de l'homme, le retira pour le replanter deux, trois, quatre fois. Son avant bras autour de son visage, il l'accompagna lentement au sol pour amortir le son de sa chute.

Quand l'agitation se tue et que Jimin releva les yeux, les deux autres morts étaient au sol, une flaque de liquide putride autour de leur deux têtes, exposées par les flèches des arbalètes.

Namjoon avait déjà repris sa route.

- - - - ✵ - - - -

Le grand centre commercial se tenait encore fier mais désuet, Il y avait toujours des films de protection bleue sur les baies-vitrées, des pancartes qui donnaient un avant-goût de cette toute nouvelle preuve de consommation. Si Jungkook se souvenait bien, il lui semblait que Hazel avait signé la pétition contre-projet et comme son militantisme avait été ignoré.

C'était le tout nouveau bébé de la périphérie de Séoul, du modernisme à ne plus en pouvoir.

Son plan s'était étalé sur la table, lorsque Taehyung était toujours là. Lorsqu'ils étaient passés près de tous, encore moite de sang et puant la mort. C'était de courtes minutes avant. Avant ce bain salé et ce lit souillé.

Comme un nouveau tabou, au départ de Taehyung, ils avaient comme oublié le plan. Encore intact sur la table les deux jours d'après, il avait mystérieusement disparu au troisième et l'idée d'une expédition s'était évanouie dans le deuil.

Pour se justifier, ils s'étaient persuadés qu'il n'y aurait rien à se mettre sous la dent car il aurait resté un bon mois d'installation avant que le centre s'ouvre au public. Ils s'étaient persuadés que les boutiques n'avaient sûrement pas commencé à disposer leurs produits, qu'y aller ne serait que risquer leur vie.

Puis, ils avaient fait un tour à l'épicerie près de l'école. Avaient trouvés des enfants morts dans les rayons et ceux-ci vides. Ils avaient fouillés quelques coffres. Trouvé deux trois stupidités. Deux bouches en moins, ils s'étaient contentés de peu et de ce qu'il restait. Au bout d'un mois, quand ils avaient eu le courage de vider la chambre de Daeho, ils avaient trouvé sous une latte du parquet, un sac débordant de vivres.

Ils ne savaient pas réellement s'ils l'avaient maudit ou bénit à ce moment là mais un poids s'était soulevé.

Ils avaient tenu jusqu'à quelques semaines, où leur deuil les rendant amorphes, ils ne s'étaient retrouvés avec moins que rien dans les réserves.

Namjoon avait ressorti le plan poussiéreux et sans un mot, ils s'étaient installés autour de la table.

Ils avaient ignoré les excuses qui avaient justifié leur apathie.

S'éclairant à la bougie car le plafonnier avait rendu l'âme, le froid commençait à figer leur vêtement d'automne. La toux maladive de certains avait ponctué le discours de Namjoon et doucement, sur la liste de course anachronique, s'était griffonné : vêtements hiver, ampoules E27 30W, piles, médicaments : alcool, bandages, électrolyte?, valium, ventoline...

Ils avaient cultivé tous ces espoirs car ce nouveau centre commercial cochait toutes les cases. Pharmacie, boutique de bricolage, de vêtements, supermarché. Ils avaient dessiné un parcours précis et priaient pour atteindre chaque destination marquée d'une croix sur le plan. Ô, paradis de la consommation, ils avaient tous secrètement remercié le capitalisme.

S'ils avaient déjà commencé à emménager le centre, il était moins certain qu'il ne soit pas déjà pillé. Mei avait raconté comme, à la seconde où l'alerte à la population avait hurlé dans les villes et les hameaux, tous s'étaient rués dans les magasins. Ils s'étaient piétinés, étouffés, tués avaient écrasé des passants dans l'espoir d'attraper le dernier pack d'eau et trois conserves pour fuir, loin, survivre. C'était de ceux qui avaient déjà vu, l'horreur de ces visages et le sinistre de leurs cris. Criminels au premier moment de l'apocalypse, ils avaient réalisé que rien n'existerait plus désormais.

Alors, ils s'étaient persuadé qu'ils trouveraient. Laisser une once de doute s'immiscer entre eux aurait été glisser la corde autour de leur cou. L'écriture griffonnée de Taehyung en bas de la carte suffisait à leur cœur, corps, suffisait pour penser à la mort qui patientait et l'avait même peut-être déjà gagné.

Ainsi, ils repoussèrent loin, dans leur esprit, cette effroi partagé et ils marchèrent.

La porte ouest était à la sortie d'un dédale de voitures, encastrées les unes dans les autres dans une panique similaire à celle de l'autoroute. Ici, encore, les cris et la survie étaient inscrits dans les carcasses désuètes.

Namjoon était parti devant bientôt suivi de Yoongi, Jungkook et Jimin fermait la marche.

La seule chose qui les faisait zigzaguer entre les voitures, c'était bien l'espoir. De trouver quelque chose à se mettre sous la dent, à enrouler autour de son cou pour se protéger du froid mordant leurs joues.

Un cri guttural les fit grincer des dents.

Un immeuble pas très loin. Ils accélèrent.

C'était terrible mais Jungkook ne pouvait s'empêcher d'observer les visages des rôdeurs écrasés sous les roues des voitures, grattant le goudron de leurs ongles ensanglantés. Il semblerait impossible que Taehyung ait fini sous ces carcasses qui n'avaient pas bougé depuis des saisons, mais il ne pouvait plus s'en empêcher.

Le temps de comparer ces traits familiers à la pourriture d'une tête, leurs mains s'enroulaient autour de ses chevilles. Les morts s'excitaient, s'arrachant un peu plus au reste de leur corps-pourriture.

« - Ça sert à rien ce que tu fais., finit par lâcher Jimin.

- Qu'est-ce que je fais ?

- Tu essayes de voir si c'est lui. »

Jungkook pensait qu'il était plus discret.

« - Tu repasses toujours après moi, fais pas l'innocent., rétorqua Jungkook.

- C'est pas moi le coupable dans l'histoire. T'as menti. Si c'est toi qui retrouve son visage dans l'un des morts, c'est toi qui sera coupable. C'est toi. Tu me dégoûtes. »

Jungkook eut un frisson. Il n'avait pas tourné la tête pour l'observer cracher ces paroles, et il ne se retourna pas plus lorsque Jimin se tut. Il se demanda comment il réagirait s'il apprenait ce que Taehyung lui avait fait.

L'horreur de l'un des leurs.

Ils arrivèrent rapidement à la porte ouest. Du moins, ils arrivèrent à la distinguer à travers les plantes grimpantes et lichen. La nature avait repris droit sur le plastique et les jointures. Yoongi dégaina sa machette et à grands coups de bras, il dégagea la porte de ses parasites.

Elle était condamnée, de vieux panneaux annonçant l'ouverture prochaine du centre mais ses poignées bien cadenassées. On en avait du mal à distinguer tous les mots des panneaux car de la peinture en bombe les recouvrait partiellement et la végétation avait grignoté leurs phrases d'accroche. Et puis Jungkook recula de trois pas et les graffitis prirent sens : DON'T OPEN, DEAD INSIDE.

« - Namjoon. »

Ils l'avaient tous vu, et leurs muscles, tendons, articulations s'étaient cadenassées elles aussi. Mais ils n'avaient pas vraiment le choix. Ils s'en étaient douté un peu. Étaient censés être préparés à cela.

Mais dans leurs corps fragiles, ils avaient cultivé l'espoir d'être seuls au monde.

« - On va devoir être silencieux et rapide., affirma Namjoon. Tout le monde se souvient du plan ou on refait un bilan ?

- Je m'en souviens., affirma Jimin avec dédain. Jungkook peut-être ? »

Ce dernier eut un rictus.

« - C'est bon., répondit-il. »

Sans plus un mot, Yoongi rompit la chaîne rouillée qui scellait les plus grandes horreurs.

Le cadenas tomba aux pieds de Jungkook. Il pouvait encore le sentir sous ses dents. Et l'urticaire dans le creux de ses bras. Et les grands yeux des autres dans la nuit. Instinctivement, il apporta sa main à sa cicatrice ronde et encore chaude.

Il méritait qu'on lui grave lui aussi, sur la peau, ces grands mots d'anglais.

- - - - ✵ - - - - 





Encore désolée pour tout ce temps sans chapitres, pardonnez-moi :c  J'espère que la reprise vous plaira ! 

Pour ceux qui ne le savent pas, j'ai publié une nouvelle taekook de 20 chapitres terminés (environ 80 000 mots), 410 ! Si vous voulez y jeter un oeil vous feriez une très très grande heureuse... Merci énormément ! 

J'espère à très vite !

Je vous kiffe

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top