L'Œil

Le faisceau de leurs lampes balayait les murs neufs du bâtiment.

Ils traversaient de vastes allées carrelées, crevées par de larges bacs où des plantes tournaient marron, orange, mortes. C'était le manque de lumière peut-être, l'odeur putride, l'angoisse.

Il semblait qu'il s'était mis à pleuvoir dans l'air glacial de l'hiver et ils ne savaient pas réellement si c'était une bonne ou mauvaise chose.

Les gouttes se fracassaient sur le toit et les fenêtres, une piste secondaire qui rajoutait du corps au morceau d'horreur. Il devait y avoir des crevasses et des failles dans le bâtiment car ils pouvaient entendre l'eau goutter lentement, glisser entre la mousse et les champignons dont les murs étaient couverts.

Peut-être que cela perturberait l'ouïe de ces chimères à l'apparence humaine. Mais peut-être que ça ne les stimulerait encore plus, et, suspendues dans un état un peu second, elles seraient plus alertes, plus éveillées, plus ; vivantes.

Rien ne soulageait ce nœud dans leur gorge et le tremblement de leurs mains.

Ils pouvaient entendre les gémissements gutturaux des bêtes à l'étage sûrement prisonniers de pièces qu'ils souhaitaient de jamais avoir à ouvrir. Les vivants ne manquaient jamais de frissonner. Il y avait l'odeur nauséabonde de ce qu'ils s'efforçaient à ne pas imaginer et tant de choses flottaient devant les faisceaux de leur lampe, que Namjoon leur avait ordonné d'enfiler leur masque à gaz. Des spores.

Un souffle, une pauvre gorgée de cet air saturée par la mort signerait la sienne. Il s'imaginait s'étrangler à chaque respiration, s'écrouler au sol dans la douleur, la peau rouge, les veines saillantes et enfin, mourir, pour rouvrir les yeux dans la faim.

Ils devaient encore s'enfoncer dans les entrailles du bâtiment avant d'arriver au grand supermarché vendu par les panneaux publicitaires. Alors que Jungkook s'empêchait d'illuminer ce qu'il y avait autour d'eux, Yoongi ne s'en privait pas. Il éclairait les façades de prochains magasins, pays de consommation fantôme, clos et protégé par la poussière.

Il y avait d'anciennes traces de sang au sol. De longues marbrures, comme si on avait trainé sur le sol, des corps ensanglantés et inertes.

« - J'ai l'impression qu'ils sont tous là-haut., chuchota Jimin. »

Yoongi éclaira la devanture d'un magasin de jeu vidéo. Toutes les consoles et les jeux étaient en place. À l'époque, c'était la toute dernière sortie d'un jeu de zombie et Jungkook faillit rire. Les chimères fictives sur les grands panneaux de publicité ne s'éloignaient pas tant de la réalité. En vrai, il y avait l'odeur, les yeux, et les muscles de leurs joues qui rompaient lorsqu'ils criaient.

« - Ne baisse pas ta garde. »

Jungkook se souvenait que lorsqu'ils avaient fait le plan, ils s'étaient dit qu'ils laisseraient un bon cinq mètres entre chacun. Que de cette manière, ils pourraient prévenir l'arrivée d'un rôdeur et deux d'entre eux ne pourraient se faire surprendre au même moment.

Et là, dans le froid mordant du bâtiment, c'était presque s'ils voulaient rester serrés les uns contre les autres et cédaient seulement un pauvre mètre entre eux.

Ils étaient ridicules. Pauvres humains pris d'effroi dans cette boîte à musique rayée.

Leurs pas résonnaient malgré tout l'effort pour les rendre feutrés.

Yoongi éclaira des plantes en plastique et découvrit une boutique de décoration un peu vintage. Il y avait de grands lustres poussiéreux suspendus, des bouddhas en ciment, des jardins zen grandeur miniature et des bibliothèques en bois massif. Il aurait pu se projeter ici, Jungkook. Acheter une connerie dont il n'aurait pas eu besoin parce qu'il aimait tant les objets qui avaient déjà eu une vie. Prendre des fleurs sur le chemin, si Hazel était restée à ses côtés. Il ne s'était rendu compte qu'après, à quel point leur rupture l'avait lancé dans une spirale d'horreur, interminable, à quel point il était minable.

Et puis l'auréole de lumière glissa sur une masse informe adossée à l'un des présentoirs.

Jungkook se tendit, blâma sa curiosité, découvrit un vieux corps, l'effroi se lisant toujours sur son visage presque momifié.

Yoongi sursauta lui aussi et sa lumière bondit au plafond.

« - Yoongi ? »

Namjoon se retourna et pris de frayeur, Yoongi braqua la lampe torche sur son visage. Jurant, l'alpha apporta sa main au visage et finit par trébucher et s'écraser au sol dans une plainte de douleur étouffée.

La batte accrochée dans son dos se fracassa au sol bruyamment et les quatre hommes se glacèrent. Le fracas fit écho dans le long couloir. Lentement, on pouvait presque suivre du regard ses rebonds, tandis que l'on apercevait au bout du corridor, le coeur du centre commercial.

Soudain, les cris à l'étage s'intensifièrent.

Lentement, Jungkook détacha l'arbalète de son épaule. Il entendit le métal de la machette de Jimin frotter son étui. Namjoon était toujours figé au sol, le son ne s'était toujours pas interrompu. Yoongi était hors d'haleine, les yeux écarquillés, les lèvres entrouvertes, un masque terrible d'horreur.

Un cri perça l'air.

Un corps surgit derrière Namjoon, pénétra le faisceau de la lampe de Yoongi.

Il hurla, son visage dévoré par la pourriture.

« - Nam' ! »

Jungkook n'hésita pas une seconde et l'une de ses flèches fila. La bête s'effondra aussitôt au sol, gargouillis, une munition entre les deux yeux. Ils restèrent figés, attendant presque la sentence, une vague d'horreur courir vers eux que des flèches et lames ne pourraient terrasser. Des sueurs froides coulaient le long de son dos et c'était presque si ses bras ne tremblaient pas, toujours gainés pour tenir l'arbalète à la hauteur de ses yeux.

Au bout de trois minutes sans signe de vie, Yoongi aida Namjoon à se relever. Ils n'échangèrent aucun mot, l'effroi toujours présent sur le visage de l'homme. L'expression de Yoongi n'avait jamais été aussi fermée, morte. Il finit par souffler une excuse, étouffée par leur masque à gaz et alors que Jungkook récupérait sa flèche dans un gargouillis visqueux, il s'assura que ce n'était pas lui.

Ils continuèrent leur progression.

À l'étage, les morts étaient agités. Leurs cris étaient plus fréquents et Jungkook pensa que c'était un miracle qu'ils ne soient pas descendus.

Quand ils arrivèrent à la lisière de l'hypermarché, ils eurent un soupir. Le deuxième groupe les attendait, silencieux, en garde. La machette de Soo était humide. Le visage de Mei, tacheté.

« - Tout va bien ?, souffla Jimin quand il arriva à leur hauteur. »

Hojoo hocha la tête, murmura qu'ils avaient croisé quelques rôdeurs sur la route mais aucun dans le bâtiment.

Jungkook s'autorisa un regard dans le vaste hypermarché.

Bien que tout n'était pas intact, les étalages restaient partiellement remplis, dépouillés par quelques groupes au moins, mais pas vides. C'était presque pas croyable.

Ils s'étaient dit que, si les premiers rayons qu'ils voyaient étaient vides et que des morts les menaçaient, ils feraient demi-tour sans se préoccuper d'autre chose. Là, les morts étaient au-dessus de leur tête, fameuse Damoclès, et l'espoir était dans la boîte de nouille, entre deux rayons.

Jimin approcha Mei, déposa une main sur son épaule et leurs masques les rendaient tellement inconnus que son inquiétude ne passa qu'à travers ses gestes.

Ils discutèrent un instant, Namjoon réajustant sa batte, Yoongi passant ses doigts sur la petite vitre de son masque où des particules s'étaient déjà accumulées.

Hojoo, plus loin, était accroupi devant une plaque de mycètes épais. Jungkook l'observa. L'homme l'ignorait complètement depuis l'événement. Jungkook savait qu'il sifflait et répandait son venin derrière les portes et dans le creux d'oreilles attentives. 'Je vous l'avais bien dit qu'il nous apporterait que de la merde', 'Son compte va vite être réglé', et le corbeau riait doucement de sa lâcheté. Au moins, ChinHo avait la bonté de lui dire, son regard crevant le sien, un sourire cruel aux lèvres.

Quoiqu'il était reconnaissant qu'il n'y ait pas une nouvelle ombre, au pied de son lit, les yeux meurtriers et la lame scintillant au clair de lune.

Hojoo finit par se redresser, donna un coup de pied dans les excroissances jaunes et blanches et recula pour rejoindre le groupe.

« - Y'a tout un tas de champignons. C'est étrange. Beaucoup de spores.

- Ça doit venir des morts là haut. Faites gaffe à vos masques., rétorqua Mei. »

Jungkook s'avança.

« - Faisons ça vite. »

Soo acquiesça et s'écarta du passage. Jungkook passait devant.

La grande surface était un dédale de rayons et le corbeau ignorait tout ce qui pouvait s'y cacher. D'humain, de mort, d'autre, ses doigts convulsèrent autour de son pied-de-biche.

Ils s'étaient séparés. Jimin, Hojoo et Yoongi se dirigeaient vers le fond du magasin tandis que Mei et Namjoon s'occupaient de l'aile droite. Ils espéraient couvrir la plupart des rayons en un temps chrono. Il ne fallait pas traîner plus que nécessaire ici.

Les mots échangés autour du plan du centre le hantaient. Yoongi et son visage pâle, ses lèvres gercées, il les avait tous crevés de ses yeux perçants, fatigués, las et avait articulé avec lenteur.

S'il se passe quelque chose, quoi que ce soit, vous sortez directement. On aide pas, on cherche pas à comprendre, on court. Si vous entendez un cri et que c'est un rôdeur, il y a 90 pour cent de chance qu'il y ait morsure alors vous courrez sans risquer plus. Et si c'est autre chose, qu'un simple mort... vous ne voulez pas savoir.

Il avait continué en disant que s'ils étaient séparés, ils attendraient trois nuits dans le cinéma à quelques minutes de marche du centre. C'était leur point repère. Si tout virait au cauchemar. C'était trop risqué que de retourner directement aux voitures et secrètement, Yoongi avait peur que les premiers arrivés s'enfuient directement avec les deux véhicules, l'esprit engourdis par l'angoisse et la terreur.

Jungkook espérait qu'ils allaient tous rentrer les sacs pleins, dans quelques heures tout au plus.

« - T'aimes le Saint Emilion ?, souffla Soo, une bouteille de rouge à la main. »

Ils avaient commencé à dépouiller les rayons et le sac de Jungkook se remplissait déjà de serviettes hygiéniques et de lessive. Tout ce qui n'était pas périssable avait été placé dans les rayons avant l'ouverture et Jungkook était rassuré de ne pas avoir à supporter l'odeur des légumes pourris et des frigos champignons.

Il jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule, il pouvait imaginer le sourire de So derrière son masque. Elle avait déjà glissé quelques bouteilles d'alcool dans sa propre besace et dès qu'elle marchait, le verre s'entrechoquait. Jungkook leva les yeux au ciel et lui rappela :

« - Prends ce qui est nécessaire, on a pas le temps.

- Rabat-joie. »

Jungkook fit glisser le faisceau de sa lampe torche sur les pancartes qui nommaient les rayons.

« - Y'a la droguerie à côté, vient. »

Il détestait devoir porter le masque. Son champ de vision était réduit et plus trouble. Il avait la vague et terrible impression de voir des choses dans les recoins, des ombres vives qui disparaissaient en un coup d'oeil. Toutes les particules de poussières, les spores flottaient comme des cendres autour de lui et lui jouaient des tours. Il voulait sortir d'ici au plus vite.

Les étalages étaient presque vides. Le noiraud prit les dernières bouteilles d'alcool à 90, deux d'alcool à brûler et attrapa le dernier paquet de grosses éponges.

Peut-être que les autres ne trouvaient rien, que toute la nourriture avait été pillée jusqu'à la dernière conserve. Il espérait avoir quelque chose à se mettre sous la dent en rentrant, du réconfort, des sourires, quelque chose de plus séduisant que cette ferme vétuste aux cauchemars dans le bois, dans le matelas, dans la terre.

Juste au-dessous des éponges, le sol était couvert de sang sec. Il s'enfuyait sous le grand étalage et Jungkook eut un frisson. Il s'accroupit, curieux, c'était la première trace de quelque chose d'humain depuis quelque temps. Il se détesta car il pensa directement à lui et l'inquiétude et la haine le bercèrent pendant un moment.

Il y avait une main imprimée dans l'hémoglobine. Toutes ses lignes et son avenir s'y dessinaient et le garçon se demanda si c'était la longueur de celle entourant son pouce qui l'avait maudit. Il y posa la sienne ; joint ces doigts morts à la moiteur des siens.

Les doigts de Taehyung étaient très longs et délicats. Lorsque Mina insistait pour qu'il tienne ses petites mains, il pouvait les faire disparaître dans ses poings.

« - Jungkook. Viens voir. »

Il eut un spasme, comme si la marque l'avait brûlé. Et le corbeau chassa toute ressemblance, toute pensée qu'il lui soufflait comme ça aurait pu être la sienne.

Troublé, il quitta le rayon et suivit le son de la voix de Soo. Il la retrouva de dos, tournée vers un étalage rempli de console et de jeux vidéo. En entendant ses pas contre le carrelage, elle jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule, les yeux souriants derrière le plastique du masque. Arrivé à sa hauteur, Jungkook pouvait voir le jeu qu'elle tenait dans ses mains mutilées, la boîte d'un vieux Mario.

Elle y passa ses doigts restants, ils se gantèrent de poussière et à l'aide de ses ongles, elle gratta la mousse qui recouvrait le visage du personnage.

« - J'y jouais comme une folle plus jeune., fit-elle doucement. »

Il hocha la tête et releva le regard vers les dizaines d'autres boîtiers. Pointant du doigt l'un d'entre eux il souffla :

« - J'étais plus Zelda. Mon ex-copine les avait tous. »

Elle décrocha le boîtier que Jungkook avait désigné, l'essuya sur son pantalon et le tendit au garçon. Il arracha lui aussi les parasites de nature, les mêmes champignons coriaces qui dévoraient le supermarché.

Il pouvait encore se rappeler de ces séances où le temps ne comptait plus, Hazel avachie sur son lit, lui, l'observant jouer et se délectant de son air concentré, de ses moues insatisfaites. Ils pouvaient passer des heures comme ça. Et c'était d'un temps où tout semblait aller.

Aujourd'hui, prisonniers de ce bâtiment gargantuesque, sombre, métallique, bruyant, ils se laissaient envahir par cette mélancolie. C'était vain et cruel mais qu'est-ce que c'était bon de penser au passé. Jungkook voulait ignorer toute l'angoisse qui pulsait dans ses veines, cette impression horrible que des yeux les suivaient partout, qu'ils étaient partout, que les mains de Taehyung s'inscrivaient dans du sang et qu'il crissait peut-être encore sous des dents.

Jungkook se sentait épié et il aurait tout donné pour que ce soit le regard amoureux d'Hazel.

« - Tu crois que ces consoles marchent toujours ?, fit Soo. »

Il haussa les épaules, prêt à quitter le rayon et finir leur travail au plus vite, partir d'ici avant qu'ils ne restent d'eux aussi, que des empreintes.

« - Attends. Laisse-moi ce caprice. »

Elle ouvrit le grand sac du garçon et glissa les deux jeux ainsi qu'une console populaire qu'il pouvait imaginer dans le salon de sa copine. La sangle du sac s'enfonça un peu plus dans son épaule.

Il soupira doucement.

Ils s'étaient dit qu'ils prendraient le nécessaire et ne s'attarderaient pas plus dans ce tombeau. Et voilà que son sac s'alourdissait de futilités et que des ombres s'agitaient.

La femme eut un haussement d'épaules un peu coupable et déposa une main sur son épaule.

« - On sera content de- »

Comme des marionnettes, ils firent volte-face, les mots coincés dans leurs gorges, les doigts serrés sur l'arme blanche. Leurs regards papillonnèrent dans tous les sens, les recoins, les étalages et rien, sauf ces vivres inutiles qui resteront à jamais.

« - C'était quoi ?, souffla Jungkook. »

Quelque chose venait de passer derrière eux. Rapide. Ils ne l'avaient pas vu de leurs propres yeux mais tous ces entraînements, l'angoisse et la terreur leur avaient fait pousser des yeux à l'arrière du crâne.

Soo relâcha sa garde, murmura :

« - Sûrement un animal. Si c'était un mort, il nous aurait attaqués. »

Et puis c'était vif et intelligent et ChinHo n'avait pas utilisé ces mots pour l'effrayer, l'écume aux lèvres. Alors Jungkook hocha doucement la tête, soudain trop conscient de ces épines de regard, cette vilaine sensation d'être dévisagé. Le faisceau de leur lampe laissait tant d'obscur et de secret qu'il était presque certain qu'à chaque angle, il trouverait un corps, un cadavre, un amas de chair et d'os qui lui sauterait au visage dans un râle affamé.

Déglutissant, il accepta l'invitation de Soo à continuer.

Tout prenait maintenant forme humaine sous son regard de proie. L'angle d'un rayon, un sac de riz éventré, la silhouette de la femme qui progressait dans leur pillage.

Et puis il avait l'impression que tout bougeait partout, que des têtes se penchaient à l'extrémité d'un rayon pour l'observer dans un sourire, que quelque chose l'épiait dans les failles des étalages. Il pouvait voir le rayon d'à côté quand plus rien ne restait sur les étagères de métal et les ombres s'amusaient de lui.

Une main se glissa sur son coude. Il eut un sursaut quand il aperçut ces doigts mutilés, un souffle étranglé dans le déguisement de son masque. Soo l'a ramena rapidement le long de son corps.

« - Excuse-moi., fit-elle.

Non, c'est moi. Je suis un peu à cran., rétorqua-t-il en secouant la tête.

Je sais, tu regardes dans tous les sens depuis tout à l'heure j'ai l'impression que tu vas te dévisser la tête. »

Jungkook échappa un court rire. Elle questionna :

« - C'est mon doigt qui t'a fait flipper ?

- Tu... Tu m'as surpris.

- Reste concentré, c'est les derniers rayons. Mei et Namjoon ont fait ceux d'après., murmura-t-elle avec une certaine tendresse.

Désolé.

- T'excuse pas. On sera bientôt sorti de là et tu pourras me défoncer en 1V1 sur Mario Kart. Je peux plus drifter sans mon index. »

Le souffle amusé que Jungkook lâcha eut l'air d'un halètement à travers son masque. Soo rit, claqua sa main entre ses omoplates en lui soufflant qu'elle allait s'occuper des deux derniers rayons en le laissant finir ici.

Il hocha la tête et l'observa s'éloigner, ses genoux arqués qui lui faisait grincer des dents, sa démarche un peu chaloupée lui rappelant le rythme titubé des morts.

Elle avait été indulgente Soo. Lui avait rappelé de manger quand il tanguait, lui avait fait faire quelques exercices physiques pour qu'il s'endurcisse et posait même parfois une main sur le bras de ChinHo pour qu'il l'épargne dans sa cruauté d'endeuillé.

Ils s'étaient aventurés ensemble plusieurs fois dehors et elle n'avait pas commenté ses yeux curieux, intéressés, ses explorations de maisons abandonnées dans l'espoir de signes de vie.

Elle l'avait poussé à tuer.

Bien qu'il avait déjà ces mains de meurtriers maintenant, la sensation des chairs et l'oesophage sous ses paumes de violé, il avait fallu qu'il tue son premier mort. Il en avait achevé avec une facilité relative, dans la sécurité de l'arbalète, la distance rassurante. Et un jour, Soo en avait laissé approcher, sans le lui dire, l'avait laissé dans sa naïveté de peureux, et lorsque le cadavre animé n'avait été qu'à quelques mètres, elle avait articulé son nom.

La machette posée contre sa hanche, il l'avait prise dans un mouvement d'instinct. Et sans y réfléchir, il avait massacré. Dans un silence terrible, il avait réduit ce visage en chair hachée et putride. S'était surpris à souhaiter que ce soit Taehyung sous ses coups, qu'il souffre et qu'il meure dans un gargouillis nauséabond.

Soo l'avait arrêté et ils étaient rentrés.

Il préférait toujours l'arbalète au couteau maintenant, avait des frissons d'horreur quand il voyait les restes de sang et de cheveux sur la tranche.

Dans ce tombeau de consommation, il détestait savoir son arc amélioré dans son dos, détestait l'idée que le pied-de-biche serait plus rapide et meurtrier. Il n'arrivait pas à comprendre qu'est-ce qui l'observait et bien qu'il étudiait et disséquait, il n'avait rien dans quoi planter ses flèches.

Alors qu'il finissait avec son rayon, sa lampe torche fit scintiller quelque chose au sol.

Les plaques de fer qui constituaient le dernier l'étalage étaient crevées de petits trous. Sans doute pour y laisser passer les liquides, l'huile d'autrefois, l'hémoglobine d'aujourd'hui, Jungkook n'était pas sûr. Il était presque certain qu'il trouverait quelque chose sous ces plaques. Il posa son sac près de lui, et se mit à plat ventre pour trouver l'objet.

C'était un collier à médaillon.

Il fit glisser le faisceau de sa lampe le long du rayon, pour être certain qu'il ne manquait pas d'autres secrets. Il jura voir quelque chose bouger à l'extrémité. Un mouvement de jambe rapide qui lui serra la poitrine d'angoisse et qui disparut comme un mirage.

Il dut glisser sa main sous le meuble pour récupérer le bijou. S'imagina des doigts d'animaux, près à lui saisir les siens et à les lui arracher, pensa à cette empreinte de main dans le sang. Il eut un frisson qui le fit trembler et très vite, se redressa pour s'adosser à l'étagère de métal. Il étudia le petit objet entre ses doigts intacts, c'était un médaillon qui n'avait rien de précieux, terni par le temps, ces temps. Et gravé dans l'acier, des signes qu'il ne reconnaissait pas.

« - L'Œil de la Libération... »

Les lettres encerclaient une gravure de paon, un dessin simple et facile à retracer, à mémoriser. La chaîne était intacte et sale, on pouvait en trouver une identique, au fond d'une vieille boîte à bijoux.

Jungkook fit tourner le pendentif entre ses doigts.

Heejin Chung, 000410.

Le matricule lui rappelait les plaques d'identité militaires. Il se demanda si tous ceux qui avaient fait leur service étaient avantagés dans ce monde. Peut-être que les maux d'esprit, les souvenirs encore frais et brûlants les avaient rendus amorphes et qu'ils auraient tout fait pour ne pas retrouver l'horreur de la guerre. Ils étaient peut-être morts en premier.

Est-ce qu'ils voyaient des cadavres partout eux aussi ?

Des cadavres vivants, affamés. Le corbeau releva le regard et eut l'impression d'entendre le bruit de pieds nus contre le carrelage. Une course joueuse et dangereuse.

Il se releva.

« - Soo. »

Il frotta le pendentif avec son pouce, essayant de dégager les mots et les gravures pour qu'on les saisisse mieux. Peut-être que la femme connaissait l'Œil de la Libération. Dans l'Ancien Monde, le garçon était certain de ne jamais en avoir entendu parler. Son père était un passionné d'histoire et malgré ses récits interminables, le noiraud n'arrivait pas à se remémorer ses lèvres de torturé articuler l'Œil. Et puis, le centre commercial était resté fermé, n'avait jamais ouvert, l'objet faisait forcément partie de cette apocalypse et la curiosité le rongeait.

Il avança dans le rayon, le regard rivé sur le médaillon. Il pouvait voir dans son champ trouble, le faisceau de la lumière de Soo, qui le rejoignait au bout du couloir.

« - Qu'est-ce qui se passe ?, appela-t-elle de plus loin. »

Le paon offrait la délicatesse et la beauté. À vrai dire, il était certain que l'animal renfermait tant d'autre mais toutes ses significations lui échappaient. Pour autant, ce n'était pas un dragon ou un tigre, un serpent ou une chimère et dans son inconscient d'innocent, Jungkook leur avait déjà fait confiance.

« - Rien, j'ai fini et j'ai trouvé un truc., rétorqua-t-il en arrivant à sa hauteur. »

Ses bottes noires entrèrent dans son champ de vision, elles étaient humides car la neige avait fondu depuis qu'ils étaient rentrés.

« - OK, j'ai fini ici aussi. On peut enfin se tirer de ce putain d'endroit, il me rend folle. Montre-moi. »

Sans arriver à le quitter des yeux, il tendit le collier devant lui pour que Soo le saisisse.

« - Qu'est-ce que c'est ? »

Il observa ses mains handicapées saisir le bijou. Il se balança un instant, Jungkook pensa au cadavre pendu, et Soo le stabilisa dans sa paume.

La femme se raidit.

« - Où est-ce que t'as trouvé ça ? »

Comme un enfant, il se tourna vers le couloir qu'il avait quitté et pointa du doigt l'étalage vide.

« - Juste ici. Sous le rayon.

- C'est un pendentif de l'Œil., souffla-t-elle. »

Jungkook releva le regard. Le masque la rendait sans visage et il lui était impossible de disséquer son expression.

Et puis ses yeux glissèrent sur la silhouette derrière elle.

Rien de ce qu'avait décrit ChinHo n'aurait pu le préparer pour l'horreur qui se tenait, immobile, derrière Soo.

Un corps difforme, parasité par des excroissances jaunâtres, brune, blanche, suintante, un crâne qui n'avait plus rien d'humain tant les champignons l'avaient dévoré. Il lui restait un œil, écarquillé et injecté de sang, roulant dans son orbite quand il vomit un cri sinistre.

En l'espace d'un battement de cil, ses dents noires de sang crevaient le cou de Soo.

Elle hurla de douleur, et Jungkook observa avec impuissance le mort tirer d'un coup sec ce qu'il tenait entre ses mâchoires, les muscles, tendons, encore chauds, vibrants, s'étirer pour se rompre dans une brume d'hémoglobine.

Jungkook tituba. Et quand Soo tomba au sol, l'abdomen crevé par des doigts puissants, il les vit. Tous. Tous ces yeux qui le sondaient. Ils accouraient dans tous les sens, râles gutturaux, monstrueux, déformés par ces plaques fongiques les faisant inhumains.

Ils couraient vers lui.

Le sac glissa de son épaule et tomba en un fracas étouffé par les cris.

Il courut lui aussi.






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dashi run run run

j'espère que le chapitre vous a plu, j'ai essayé de mettre moins de temps à publier ! 

j'espère aussi que vous allez tous bien, que la rentrée n'a pas été trop dure, je sais que ça l'est dans tous les cas et pour des milliers de raison mais vous êtes super forts et je vous admire !! 

je refais ma promo un peu redondante pour 410, mon autre fiction terminée que j'ai publié cet été, si vous pouvez lui lâcher du love je serais infiniment reconnaissante !!! voici un petit moodboard un peu naze hihi

#1 Billboard Charts, je suis si fière des gars !!! ça fait tellement chaud au cœur qu'on arrive à leur faire atteindre leurs rêve, petit à petit... La réaction de Jimin et Yoongi sur Twitter était vraiment touchante et ahhhh... ça donne du baume au cœur !! 

Merci à tous d'avoir lu jusqu'ici, je vous chéris <3 

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