L'ode au Pardon
Les marches vieillis de l'escaliers craquaient sous mon léger poids alors que je regagnais ma chambre. Ce repas avait été des plus stressants, les regards jugeants me rendant tremblant et mal-à-l'aise. Malgré tout, je comprenais la réticence qu'ils entretenaient à me laisser joindre leur camp. J'étais faible, peureux, depuis peu sorti de ma convalescence et j'avais déjà quelques accrochages avec l'un des leurs. Ca me faisait mal de l'admettre, mais d'un côté, la réaction de Taehyung prenait de son sens.
Bref, ce repas avait été tendu.
Ils m'avaient tous posé des tonnes de questions, calculant mes réponses, examinant chacuns de mes faits et gestes. Quelques hommes bandaient leurs muscles dès que j'exerçais un mouvement plus brusque que la normale.
Cependant dès que l'attention s'était détachée de ma pauvre existence, ils avaient tous repris leurs petites habitudes, discutant joyeusement autour de la table. Les hommes et femmes se mélangeaient, ils n'étaient pas vraiment assis à table, certains se levaient ou grignotaient adossés au sofa. Ils se partageaient le maigre repas, débattaient, riaient.
Ma gorge s'était serrée. Cette ambiance chaleureuse, ce cocon presque familial était tellement indispensable, et tout me renvoyait à ma famille que je ne reverrai probablement jamais.
Mes parents avaient été dépassé par les événements, avant... tout ça. Ils avaient fait des choix stupides auxquels je vouerai toujours une rancune monstre, mais malgré tout, je les aimais.
En dépit du fait que je n'étais pas intégré dans cette joie collective, je profitais du doux réconfort qui s'en dégageait.
Comment, avec toutes les horreurs qui se déroulaient maintenant, ils pouvaient garder le sourire et manger en convivialité comme si, tout allait bien ?
Taehyung lui, me surveillait. Il gardait sans cesse un oeil mauvais sur moi qui me rendait plus mal à l'aise qu'autre chose. Parfois, il détournait son attention de ma personne pour poser un regard fraternel sur une jeune enfant. Elle ne devait même pas avoir atteint la dizaine. Une petite tête brune toute joyeuse, qui arborait un sourire étincelant et portait un regard d'admiration à Taehyung. J'avais vu cet idiot esquisser un grand sourire rectangulaire qui avait fait rire la fillette. C'était le premier sourire que je voyais étirer les magnifiques traits de Taehyung.
Il était beau. Le sourire.
Globalement, les personnes présentes étaient assez jeunes, le père de Taehyung étant le doyen. A mon étonnement, ce n'était pas ChinHo qui présidait le repas mais bien Namjoon. A ses côtés, se tenait un homme aux cheveux gris. C'était celui qui avait pris mon parti durant la réunion, me sauvant d'une question fatidique sur la raison de ma convalescence. Son visage ne montrait pas d'émotions particulières, ne restant qu'un masque impassible, une carapace plus ou moins solide.
Taehyung était comme cet homme, niant ses émotions, c'était flagrant. Mais il était tout autre avec la jeune fille. Il se comportait comme un frère à ses côtés, la reprenant lorsqu'elle n'arborait pas une attitude convenable d'un « Mina, tiens toi bien » ou encore lui faisant des grimaces pour la faire rire. C'était un Taehyung vivant.
Un léger rictus étira mes lèvres craquelées alors que je pénétrais ma nouvelle chambre. J'aimerais voir ce visage là plus souvent.
Je refermai la porte dernière moi et commençai à retirer mes vêtements pour dormir. Je les pliai et me glissai sous le fin drap. Les vieux ressorts du lit grincèrent désagréablement. La maison était silencieuse, beaucoup étaient déjà partis dormir. J'avais aidé à débarrasser et laver la cuisine avec Mei et ils s'étaient tous enfuit, échappant à la corvée.
J'étirai un sourire qui se transforma en une grimace incontrôlée. Un soupir tremblant s'échappa de mes lippes.
« - Putain... »
Les larmes coulèrent d'elles même. Ce faux bonheur était douloureux. J'avais rien demandé de tout ça. Je voulais voir ma mère et mon père. Rire avec mes amis, caresser les poils emmêlés de mon chien. Renifler l'odeur matinale des tartines grillées que me cuisinait ma mère. Réentendre le bruissement du journal qu'ouvrait mon père à l'heure du petit déjeuner, sa tasse de café à la main. Subir les longues plaintes de mon meilleur ami à propos des cours. Sortir en boîte et se bourrer la gueule. Coucher avec une nana que j'aurais branché 1 heure auparavant et se réveiller le lendemain avec une inconnue et une gueule de bois, pour reprendre le cycle incessant de ma routine que j'affectionnais.
Je caressais les cicatrices dans le creux de mon coude.
Je voulais juste me réveiller de ce cauchemar interminable.
Fermant les yeux, je laissais ce sommeil hanté me gagner.
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Je me réveillais en sursaut, la sueur coulant sur mes tempes et humidifiant les draps. La pièce était étouffante, j'avais chaud, je tremblotais et ma respiration était chaotique.
Je me redressais, posant une main sur mon torse, essayant par je ne sais quelle magie de calmer les battements de mon organe palpitant.
Après quelques minutes d'intense réflexion et un souffle acceptable, je me levais, chancelant. Je gagnais la salle de bain et m'appuyais contre le lavabo. J'aspergeai mon visage d'eau fraîche et me redressais. J'avais vraiment une sale tête. Mes joues étaient creusées, mon teint pâle et de grosses cernes soulignaient mes yeux fiévreux.
Piochant dans l'armoire, j'enfilais sur mon corps maigre un jogging et un long t-shirt laissant entrevoir ma clavicule saillante lorsque le tissu glissait sur mon épaule.
Je quittai la pièce étouffante, puant le stress et la transpiration. Me mouvant le plus silencieusement possible, j'évitais le grincement du vieux parquet. Au fond du couloir, une des portes était entre-ouverte. Un filet de lumière s'en échappait. Je devais passer devant cette porte pour atteindre l'escaliers qui me mènerait à l'extérieur, prendre l'air. Je ralentissais le pas quand j'arrivais à moins de quelques mètres. S'échappait de la pièce une voix enfantine. Je me collais contre le mur et atteignais le petit puit de lumière artificielle.
« - Oppa ! Viens dormir avec moi !
- Mina, tu dors pas encore ?, s'étonna une voix trop familière.
- J'arrive pas, viens me chanter quelque chose Oppa. »
Je distinguais le timbre si singulier de Taehyung et un long frisson fit dresser les poils de mes bras.
« - Mina...
- Tae ! S'il te plaît ! Et après je fais dodo !
- Bon, d'accord... Mais t'as intérêt à dormir sale gosse !
- Oui monsieur !, rit Mina »
J'approchais l'ouverture et jetais un coup d'oeil dans la chambre. Je n'apercevais presque rien, mis à part le visage fatigué de la petite fille et la grande main de Taehyung qui remontait le drap.
Je retenais un sursaut quand après un silence, la profonde voix de Taehyung s'éleva.
« - Douce nuit, douce enfant,
Ferme tes yeux et retiens ta larme.
Douce nuit, douce enfant
Cache tes yeux et n'écoute pas »
Je me redressais et quittais le visage de Mina luttant contre le sommeil.
Je fermais à mon tour les yeux et m'adossais contre le mur. La voix grave et rauque de Taehyung me berçait et faisait vibrer délicieusement l'air.
« - Tout ceci n'est pas pour toi.
Plonge dans ton sommeil et ignore moi
Quand je te confirai à quel point je suis désolé »
Une chair de poule intruse avait recouvert chaque parcelle de ma peau alors que ma gorge se noua douloureusement.
« - Douce nuit, douce enfant,
Rejoins tes rêves d'autrefois.
Douce nuit, douce enfant,
Clos tes paupières et enfuis-toi. »
Sous cette dernière phrase, je rouvris les yeux et quittai ma cachette. Je m'échappai rapidement dans les escaliers, exécutant inconsciemment les doux mots qu'il avait murmuré.
J'atteignais l'extérieur facilement et rapidement. L'air extérieur était frais comme une nuit d'été, les grillons chantaient, quelques lucioles se baladaient ridiculement et suivaient un parcours approximativement logique.
L'air s'engouffra dans mes poumons soulageant la boule qui me restait en travers de la gorge.
Cette berceuse était d'une tristesse accablante. Dire que j'avais été touché par ce chant serait un doux euphémisme.
C'était était un pardon détourné. Il s'excusait qu'elle ait à vivre cet enfer.
Je m'affalais sur le rocking-chair et l'engin commença à se balancer, me berçant lentement. La fatigue rongeait mon pauvre corps, faisant papillonner mes paupières. Je ne voulais pas dormir, je savais qu'ils m'y rejoindraient tous autant qu'ils sont. Me poursuivant, me dévorant, trainant leurs carcasse difforme et puante.
Malgré mon refus, la fatigue pris le dessus sur ma volonté et je m'endormais.
- - - - - ✵ - - - - -
J'ouvrais les yeux dans cette même chambre immaculée, puant le désinfectant et la mort. Un vase vert pomme supportant des orchidées était fraîchement déposé sur une commode, alors qu'une silhouette de femme était penchée sur un lit.
« - Maman ? »
Je m'approchai lentement du corps de la femme, découvrant avec horreur une scène qui ne m'étais que familière, sous un autre angle.
Ma mère se tenait près du lit où gisait ridiculement mon corps pâle et maigre. Elle me caressait la main, tenant son chapelet comme si sa vie en dépendait.
« Ca va aller mon chéri, ce n'est rien, tu es un battant, on va s'en sortir. »
Son visage déjà ridé était marqué de sillons rougis par ses précédentes larmes alors que sa voix était enrouée comme ce jour là.
«- Tu vas arrêter tout ça hein, on va t'aider, tu vas te faire aider mon chéri, tu verras que ça ne sera que du passé dans très peu de temps. On pourra discuter tranquillement mon chéri, tu pourras nous dire à ton père et moi qu'est-ce qui t'a pris hein ? , débita-t-elle d'une voix étrange, comme plongée dans une démence. Tu manques à ton frère, il est triste, mais c'est pour ton bien tout ça. On empêche ton diable de refaire surface. Quand tu auras combattu ton malin, tu supplieras Dieu de te laver de tes péchés, tu lui supplieras son pardon et tout ira mieux mon Jungkook. Tout ira mieux. Tout ira mieux. Tout ira mieux. »
Sous cette phrase qui me faisait froid dans le dos, la pièce se plongea violemment dans le noir, laissant ses derniers mots se fracasser dans mon crâne.
« - Maman ? »
Le vide autour de moi m'inquiétait et un frisson désagréable parcouru ma peau sensible.
Je retenais un sursaut quand un léger coup de vent caressa mon bras suivit d'autres touchés frôlants les différentes parties de mon corps. Une voix masculine me soufflait des mots à l'oreille mais je n'arrivais pas à en saisir le sens.
« - Qui êtes-vous ? »
Cette même voix ne s'arrêta pas de débiter des paroles incompréhensibles, rejointe par d'autres timbres différents qui eux aussi laissaient échouer leurs souffles sur la peau frissonnante de ma nuque.
« - Laissez-moi tranquille ! »
Une violente douleur me pris au creux de mon coude et je jetai un regard paniqué à mon bras. Des mains sans corps, rongées par les gerçures, pâles et tremblantes enfonçaient de longues et épaisses aiguilles dans mon pauvre membre. Elles poussaient les lames piquantes profondément dans mon corps, laissant s'écouler mon sang d'une couleur fade. Leurs extrémité se refermait en un moignon dégoutant et elles grouillaient sur mon bras comme des insectes, plantant leurs armes jusqu'à transpercer mon bras de part en part. Un cri étranglé et puissant râpa ma gorge, faisant écho dans le noir le plus vide.
Soudain, la lumière réapparut aussi vite qu'elle était partie, la douleur disparaissant presque instantanément. Je retenais une nausée soudaine et repris lentement mes esprits. Après quelques secondes, je relevais lentement la tête reconnaissant à nouveau la pièce blanche et la silhouette de ma mère. Une vague odeur de tabac flottait, comme intruse. Ma mère était penchée sur mon corps toujours étendu dans le lit, les orchidées était sèches et d'une couleur sombre. Les bruits parasites du store claquant perturbait le silence ambiant.
Je m'approchais du corps de ma mère, tendant mon bras pour atteindre son épaule.
« - Maman ? »
D'une vitesse impressionnante elle tourna son visage ravagé vers moi, faisant remonter la nausée que j'avais réussi à maîtriser. Un grognement guttural longea sa gorge alors que j'exerçais un pas de recul. Son corps déchiqueté pivota, m'offrant la vision de mon propre cadavre dévoré. Mon visage exprimait le choc et la douleur, mes paupières encore ouvertes, et ma bouche mis-close, tout mon être, figé. Mon buste était déchiqueté, des bouts de chair pendants alors qu'une quantité affolante de sang jonchait les draps et la matelas. Mes boyaux s'échappait de mon corps éventré, et quelques morceaux étaient restés accrochés aux doigts de ma propre mère qui arborait cette expression inhumaine dont j'étais terrifié. Son chemisier blanc était en lambeau, laissant entrevoir son sein gauche et sa peau en putréfaction. Je tombai violemment au sol, reculant instinctivement en glissant. Je me penchais brutalement sur le côté, vomissant des glaires douloureux. Relevant presque aussitôt la tête, je ne quittai pas la vision de ma mère.
« - Maman, non, maman, maman... »
Mon dos rencontra le recoin de la pièce, alors que la femme qui m'avait mis au monde s'approchait lentement. Violemment, la porte de la pièce produit un choc sourd, suivit de plusieurs bruits de coups. Le pan vibrait sous les bourrades qu'on lui infligeait de l'extérieur. Les grincements de dents et le claquement des mâchoires se mélangeaient aux sons brutaux, me rendant sourd. Je n'entendais que ça, de plus en plus fort. J'apportais mes mains à mes oreilles priant pour que cette torture cesse.
L'odeur de tabac embaumait maintenant complètement la pièce.
Mes yeux grands ouverts, j'observais mon corps à moitié dévoré se remettre en mouvement et se lever lentement du lit rouge. Mes mouvements étaient lents et je croisais mon propre regard vide. Quand ma dépouille fut debout et dans un fracas presque liquide, mes organes s'échappèrent et s'écrasèrent au sol, laissant piétiner mon moi-mort, ses propres organes.
Un cri presque inaudible sortit de ma gorge, et il n'était même plus question d'une respiration régulière.
La porte close de la chambre sortit de ses gonds dans un fracas assourdissant et une masse difforme de plusieurs corps ravagés firent irruption grognant en une harmonie effroyable. Le cadavre dénudé de ma mère s'affaissa au sol, rampant jusqu'à mon corps tremblotant. Je restais pétrifié, observant l'avancée infernale de tous ces morts éveillés. Je poussais un petit cri quand une masse zombifiée tomba à mes pieds posant ses grandes mains déchiquetées sur mon corps. La chose releva la tête en un grognement épouvantable et je retenais un vomissement à la vision de son visage dévoré par la putréfaction et les blessures.
« - Taehyung... »
J'avais reconnu la douceur de ses traits saccagés par la mort, j'avais reconnu son regard blessé par la vie qui maintenant m'aspirait dans le vide. Il planta violemment ses dents dans mon mollet arrachant mes tendons et ma chair d'un coup de mâchoire vers l'arrière. Je poussai un hurlement de douleur, alors que ma mère se jetai à la base de mon cou, dévorant à son tour sa propre progéniture.
Les corps tombèrent un à un sur moi, croquant dans ma peau, crissant leurs dents sur mes os découverts, joignant leurs grognements à mes cris de douleur atroce.
Mon propre faciès apparut devant mes yeux, le visage masqué de sang et quelques bouts de muscles, il se rapprocha et ouvrit grand la bouche, déchirant ses propres joues en un son effroyable et une giclée de sang. Un grognement articulé longea le long de sa gorge avant que sa mâchoire ne se referme sur mon visage.
« - Meurt. »
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