Flèches

Taehyung et Jungkook se sont unis dans un non-consentement imprononçable, leurs deux esprits trop loins et trop pourris pour être capable de réaliser tout ce que cela importait. Jungkook est blessé à vif, à fleur de peau, au bord de la folie, après un échange terrible avec DaeHo, la douleur l'emporte sur tout et il l'étrangle à mains nus. Taehyung, alerté par la disparition de sa victime d'une nuit, rongé par ce qui semblerait être des remords, accourt et porte le chapeau pour le crime qui vient de se passer. Il connait la politique de la ferme, sait que Jungkook ne survivra pas une seule seconde dehors, et finit par tirer une balle dans le crâne de DaeHo qui commence devenir autre.



La fibre s'allongea sous son pouce. Les gémissements familiers de l'arbalète retentirent comme des craquements d'os tandis que sa paupière se fermait.

La brise mordante s'enroula autour de son corps, brûlant la peau nue et humidifiant ses cornées sèches quand son souffle se rompit.

Quelques doux flocons s'écrasèrent sur son visage opalin et dans ces cheveux qui n'étouffaient plus son regard pâle, le mistral s'amusait.

Puis, une fine flèche siffla dans l'air brûlant de froid. Elle plana quelques secondes, belle et légère, vibrante et vive, si libre à travers les troncs d'arbres dévorés par le givre.

Elle dansa dans l'atmosphère avant de trouer un épiderme crevé par des larves grouillantes. Un écho visqueux se fracassa contre l'écorce et railla dans le creux des oreilles de l'archer. Des orbes marbrés de veines saignantes se figèrent puis roulèrent dans leurs orbites vides.

Et la carcasse de chair s'écrasa au sol.

L'hémoglobine pigmenta la neige pure et souilla le paysage vierge.

L'homme frémit, seulement à cause de la température qui valsait dans les négatifs, et jeta un dernier regard au corps.

Ce n'était pas ses traits.

Ce n'était pas son corps.

Il n'était pas encore mort.

Il soupira et cette fumée blanche qui s'échappait de ses lèvres lui rappela qu'il était vivant ; il progressa dans la neige.

Aujourd'hui encore, il n'avait rien trouvé. Aucune trace, aucun signe d'autre vie et la neige semblait avoir figé le décor. Les morts de la forêt étaient plus lents, son espoir se fanait comme les arbres et le noir de ses yeux était presque aussi maussade que leurs branches.

Il usa quelques de ses flèches, acheva un écureuil sur la route puis retrouva cet énorme portail qui ne lui apportait plus autant de sécurité. Il tapa trois coups familiers, posa son front contre le métal givré le temps que la porte s'ouvre. C'était un homme qui ne l'avait jamais vraiment regardé, ils se saluèrent, Jungkook traversa la cour.

Jimin était assis à la grande table de la cuisine, il avait des boîtes de conserve étendues devant lui et une feuille de papier griffonné. Il releva les yeux quand il entendit Jungkook. Son visage ne s'était pas décrispé depuis qu'il avait compris. Il suivit Jungkook du regard, presque haineux, le sonda déposer le petit animal raidit par le froid et la mort qui fit un bruit sourd déposé sur le bois.

Il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre que Jungkook était à l'origine de tout. Car il était évident que Taehyung n'était pas aussi stupide pour faire l'erreur que Jungkook avait commise. En fait, ce dernier pensait que toute la ferme le savait aujourd'hui mais que personne n'osait plus rien dire maintenant qu'il ne restait de Taehyung que les bouts de verre brisé dans sa chambre et les draps sales que personne n'avait osé toucher.

Jimin dormait dans son lit quelques soirs et Jungkook avait un dégoût nauséeux lorsqu'il y pensait.

C'était lui qui était descendu le premier lorsque les tirs avaient retenti dans la ferme. Il avait dévalé les escaliers comme si un de ses sens lui hurlait qu'il fallait protéger que c'était quelqu'un qu'il aimait et quand il surgit sur la terrasse et qu'il vit Taehyung, son 9 millimètres en main, Jungkook recroquevillé à ses pieds et le silence planant de la mort, il avait poussé un drôle de cri.

« - Qu'est-ce que t'as fait ?, avait-il ensuite soufflé. »

Il avait descendu avec lenteur les trois marches qui les séparaient, avait la pire des expressions sur son visage, les yeux fixés sur le cadavre de DaeHo.

« - Qu'est-ce que t'as fait Taehyung ? Non, non, non, non. Putain qu'est-ce que t'as fait ? »

Puis il s'était rué sur son ami, avec toute la tristesse et la colère d'amour qu'il pouvait emmagasiner dans son corps. Il l'avait frappé, lui avait hurlé dessus et Taehyung l'avait enlacé en murmurant des excuses étranglées.

Une semaine. Une semaine avait suffi pour que Jimin comprenne. Il avait d'abord confondus le côté abattu de Jungkook pour la même tristesse qu'il partageait, avait pensé que Jungkook souffrait de son départ comme un ami, un amant. Et puis il avait commencé à froncer les sourcils quand il surprenait Jungkook, debout et immobile devant la porte de la chambre de Taehyung. Il était souvent livide, silencieux, presque mort. Il ne sait pas exactement comment les liens se tissèrent dans l'esprit du jeune homme, mais un jour, il le coinça dans un coin de la maison.

« - C'est toi., avait-il sifflé. »

Et depuis, son visage n'avait jamais été aussi dur, aussi froid, aussi meurtrier.

« - J'ai rien trouvé., déclara-t-il. »

Jimin l'ignora, comme à chaque fois depuis trois mois mais Jungkook savait que ses mots finissaient toujours par l'atteindre. Chaque fois, son teint se ternissait un peu plus, il mangeait encore moins et quand il s'entraînait dehors, Jungkook savait que Jimin l'imaginait à la place du mannequin.

La feuille qui s'étalait face à lui était tristement vierge. Les conserves qu'ils avaient ramenées de chez Minhwan leur avaient duré 34 jours. Les deux derniers mois, ils s'étaient rabattus sur les ressources qui manquaient déjà, n'avaient alors mangé que très peu et on voyait les muscles fondre à vue d'œil. Au lendemain du coup de feu, personne n'avait eu le courage de partir dehors chercher de quoi vivre, d'autres vivres. Des mois après encore. Peut-être avaient-ils peur de croiser un rôdeur aux traits de quelqu'un qu'ils connaissaient car malgré tout, Taehyung était dans les esprits de tous.

Taehyung n'avait pas été cul et chemise avec chaque individu de la ferme mais il avait été là, et ça depuis les premiers jours de tueries. Il avait noué des liens, quoi qu'ils soient, avait parlé et regardé, échangé et laissé sa marque au fer rouge sur chacun des survivants.

Taehyung avait beau être parti, il n'avait jamais été autant là.

Il existait dans le fantôme de ChinHo dans les couloirs, glaçant le sang. Il existait dans les pleurs de Mina qui rendaient la ferme à fleur de peau. Il vibrait dans la haine de Jimin, cette colère qui saturait l'air mordant d'hiver. Il transpirait chez Jungkook, suintait des murs de sa chambre, dans les bouts de verre encore au sol, dégoulinait sur les marches du perron et c'était presque si tout le monde voyait encore, les longues traces de pneus ensevelies sous la neige.

Ils leur avaient donné une voiture, comme à Minhwan, trois jours de vivres, une machette et le neuf millimètres qui avait achevé le cadavre de Daeho. Et Jimin qui n'était même pas descendu à son départ ; lui avait donné des larmes depuis la fenêtre de l'étage.

Il l'avait détesté.

Car Taehyung avait voulu partir.

C'était tristement évident.

Cette nuit-là, le reste des habitants était arrivé très rapidement après les coups de feu. Tout comme le soir où Jungkook avait crié sa peine et crissé ses dents sur le cadenas, ils s'étaient précipité, l'arme à la main, la panique au visage et un effroi qu'on se partageait. Cette fois-ci, même Yoongi était descendu et lui qui contrôlait si bien ses expressions était livide.

Jungkook pense qu'il y eut un bon silence de presque une minute. Une minute de trop longue quand un cadavre se vide dans le sable et que Taehyung se balance avec Jimin dans ses bras. Mais il se demande également s'il n'était pas devenu sourd après les hurlements de ce dernier, après l'avoir observé haïr Taehyung d'amour et que par-dessus son épaule, leurs regards s'étaient croisés.

Daeho était mort. Taehyung l'avait achevé. Jungkook faisait sans doute partie de l'équation mais on s'en foutait.

C'était à peu près ce qui traversa l'esprit de la ferme.

Et sans ce désintérêt pour la carcasse de Jungkook, peut-être qu'il n'aurait pas été aussi facile pour Taehyung de partir. On lui avait demandé de s'expliquer, de raconter ce qu'il s'était passé et Jungkook avait été certain que même si son excuse avait transpiré le mensonge, on l'aurait laissé rester. Mais il avait serré les dents, avait articulé mécaniquement quelque chose comme Je l'ai tué de sang-froid, sans aucune raison valable, sans légitime défense, je l'ai d'abord étranglé et puis je lui ai mis une balle dans le crâne.

Et même ça, ça avait suffi à faire hésiter Namjoon.

Mais c'était Taehyung même qui avait commencé à préparer un sac, à plier quelques affaires, à demander s'il pouvait emporter ceci ou cela sous le regard mort de son père et l'impuissance des autres. C'était à ce moment qu'ils avaient tous compris que l'homme avait fait un choix.

Il avait voulu partir.

Que cela soit par suicide, par amour, par maladie, par haine, par dégoût, par regrets, Taehyung avait voulu partir. Et personne n'avait trouvé les mots pour l'arrêter.

Jungkook l'avait pris pour lui d'abord, puis il avait pensé à leurs ébats, à Sami, au noir dans ses prunelles et à ses larmes se mêlant à l'eau du bain. À sa réalisation quand leurs regards s'étaient liés avant qu'il ne le pénètre.

Taehyung était tout aussi pourri de l'intérieur que ses propres entrailles.

Et c'était peut-être pourquoi, cette envie destructrice de partir, elle prenait un peu de sens parfois.

Mais s'ils avaient essayé de comprendre pourquoi Jungkook avait été retrouvé recroquevillé dans la terre, les joues sales, le regard vide et ses coups et blessures, ils auraient peut-être trouvé leur excuse toute prête pour stopper l'élan autodestructeur de l'homme. Jungkook était néanmoins rien dans les yeux des autres, dans ses propres yeux, sans doute un assassin maintenant -il ne regretta même pas une seule fois durant tous ces mois.

« - Jungkook. »

Namjoon entra dans la pièce, jeta un rapide regard à Jimin avant d'enlacer le noiraud en guise de bonjour.

« - Alors ?

- J'ai trouvé un écureuil. »

C'était tout. Namjoon hocha la tête.

« - Yoongi t'a attendu, pour l'entraînement.

- Je me suis laissé distraire. Désolé.

- C'est pas grave. Il traîne toujours dehors si tu veux aller le voir. Revenez avant neuf heures, j'aime pas vous savoir dans le froid comme ça. »

Jungkook acquiesça à son tour et Namjoon laissa enfin retomber la main protectrice sur son épaule.

L'alpha avait compris assez rapidement aussi. C'était un des plus intelligents ici, des plus malins mais son regard n'avait pas changé pour autant. C'était presque paternel, fraternel cette relation qu'ils entretenaient tous le deux, un regard toujours couvant, une main sur l'épaule, un fin sourire. De la pitié un peu aussi.

Yoongi, c'était différent, un détachement évident qu'il retrouvait dans la cour. Il le salua, l'homme lui dit qu'il l'attendait, Jungkook s'excusa, l'autre leva les yeux au ciel.

« - Tu as trouvé des choses ? »

Il ne parlait pas de l'écureuil. Il avait cerné ses petites sorties chasse, repérages de vivres et Jungkook était d'une transparence à faire peur sous ses yeux félins.

« - Rien, pas une trace. »

Il hoche la tête comme les dizaines de fois précédentes et aujourd'hui, Jungkook a le droit à une remarque sifflé entre les dents.

« - Où est-ce qu'il a bien pu se foutre ?

- Il est sûrement simplement mort. »

Yoongi lui lance un regard froid.

« - Ne prend pas cet air détaché, tu serais le plus misérable Jungkook.

- Je sais. J'aimerais juste savoir. Où il est et s'il est mort, j'aimerais le tuer une deuxième fois. »

Yoongi lâcha un rire qui sonnait faux et s'éloigna pour récupérer les conserves qu'il avait détruites à l'arbalète.

Il en avait récupéré trois il y a quelques semaines alors qu'il siphonnait le réservoir d'une voiture. Les arbalètes le narguaient sur la banquette arrière. Yoongi était revenu avec, en avait poussé une sur la poitrine de Jungkook et craché un 'je vais t'apprendre'.

Il avait compris lui aussi, Namjoon le lui avait peut-être dit. Plutôt que de le haïr, il avait voulu l'aider, l'avait poussé à devenir ce que survivait aujourd'hui. Machine de guerre, tireur d'élite, il tremblait encore le Glock dans la main, ne tremblera plus l'arbalète dans les deux. Il ne pouvait plus fléchir devant Yoongi, devait montrer tellement plus de lui, devait se prouver plus qu'il n'était réellement et, quel soulagement quand l'arc amélioré s'avoua être quelque chose pour lui.

Il les reposa sur les caisses un peu plus loin, s'éloigna de trois pas, coup de menton, 'tire'.

Les quatre flèches partirent avec rapidité et expérience. Pour une fois, Jungkook semblait savoir ce qu'il faisait. Yoongi n'était même plus surpris, impressionné, ça faisait un moment que Jungkook s'était prouvé.

Il récupéra les munitions, ne prit pas la peine de relever les boîtes de métal. Jungkook détesta les souvenirs avec l'homme à la veste en cuir. Ce prénom qui le hantait depuis.

Il s'avança jusqu'à lui, ne lâchant pas son regard et plaqua les trois flèches contre sa poitrine.

« - Quand est-ce que tu nous diras ce qui s'est passé cette nuit-là ? »

Le noiraud faillit lâcher un grognement mais ne s'autorisa qu'à s'écarter et récupérer les munitions dans sa paume.

« - Jamais Yoongi.

- J'espère que tu as conscience que c'est une erreur.

- Et je suis presque certain que personne ici n'a réellement envie de le savoir. Encore moins toi, Namjoon ou Jimin. Encore moins son père., affirma Jungkook. »

L'allusion à ChinHo fit naître quelque chose d'inconfortable entre eux. L'homme qui avait voulu suivre son fils dans un destin voué à la mort, qui avait été repoussée, retenu, qui avait tenté de partir sans même la silhouette de Taehyung pour le guider. Il sortait avant, partait une journée et revenait avec des cernes encore plus creux, le teint plus gris encore pour s'enfermer sans manger.

Mais il avait arrêté, au bout de quelques semaines, maintenant se suffisait d'attraper le bras de Jungkook quand il revenait et avec tout le désespoir au monde, une supplication qui suintait par tous les pores de sa peau, lui quémandait avec ses yeux : dis-moi qu'il n'est pas mort.

Il ne lui demandait plus s'il avait aperçu des traces, il ne lui demandait plus s'il l'avait tout simplement aperçu, retrouvé, parlé, lui demandait seulement s'il ne s'était pas changé en ces monstres humains qui errent et se cachent dans les ombres les plus sombres.

Aujourd'hui, ils se suffirent d'un regard. À peine passé le seuil de la porte, Yoongi à ses talons, l'arbalète sanglée autour de son corps.

ChinHo avait pris la place de Jimin au bout de la table, il jouait avec le cadavre de l'écureuil du bout de son opinel.

Au départ, le noiraud ne savait pas vraiment si le père avait compris le rôle qu'il avait joué dans toute cette histoire, s'il avait préféré ignorer, jouer à l'aveugle car cela semblait beaucoup plus simple.

Et puis il s'était réveillé en pleine nuit, quelques semaines après le départ, et ChinHo raide dans la pénombre d'un minuit, au bord du lit, au-dessus de la tête du garçon, il l'observait dormir d'un faux paisible. Jungkook n'avait même pas hurlé, avait cru que ça allait être la fin mais ne s'était même pas autorisé à être effrayé. Il avait sondé ce visage lavé de tout autre sentiment que haine et douleur puis avait attendu.

ChinHo tenait le couteau qui lui servait à tailler ces figures dans le bois. Statuette de sa femme Ahreum, premier contact que Jungkook avait eu avec lui et l'Opinel allait en signer la fin. Il ne le serrait pas dans sa paume comme pour un crime où rage pulse dans les veines et blanchit la peau. Sa prise autour de l'arme était lâche, presque déjà résolue à trancher la gorge du garçon à l'origine de tout.

Puis les yeux injectés de sang de l'homme s'étaient agités d'un coup et il avait enfin semblé apercevoir le petit corps de Mina lové contre Jungkook. Il avait cligné des yeux alors et ce fut à ce moment que Jungkook se rendit compte que c'était la première fois en ce long moment de folie. Ils restèrent au moins une minute comme ça puis l'homme s'évada de la chambre en refermant la porte derrière lui.

Jungkook avait contemplé l'idée de fermer sa porte à double tour puis c'était dit que s'il devait finir égorgé comme un porc, c'est qu'il le méritait un peu. Sa porte restait entrebâillée tous les soirs.

Il ne savait pas s'il devait sa survie à la petite. Il ne pense pas vraiment puisque même les nuits où Mina avait préféré s'endormir entre les bras de Jimin, il n'avait pas retrouvé les deux yeux de ChinHo brillants d'envie meurtrière et l'étudiant dans sa vulnérabilité durement acquise.

Mina, Ô Mina, et ses grands yeux peinés à qui personne ne voulait raconter, l'horreur, la mort et la rancune qui planait dans la ferme. Elle avait essayé, s'accrochait aux vêtements de ses petits poings et quémandait qu'on lui parle, qu'on lui dise. Elle avait piqué une crise quand Jimin avait violemment repoussé Jungkook au croisement d'un couloir et elle avait hurlé Taehyung, lui avait demandé qu'il revienne car plus n'était pareil.

Plus rien n'était pareil.

« - Tu es prêt pour demain ? »

Yoongi frappa ses talons au sol pour en faire tomber la neige. Il accrocha l'arbalète au porte-manteau duquel pendaient déjà quelques armes.

« - Quelle question de merde. Qui serait prêt à se faire bouffer par des rôdeurs pour trois packs d'eau et un carton de conserves ? »

Yoongi pinça ses lèvres et passa une main dans ses cheveux qui commençaient à recouvrir ses yeux. Il ignora sa réponse cinglante et attrapa l'écureuil que Chinho torturait toujours. Ses longs doigts de pianiste tinrent les petites pattes du cadavre, l'apportèrent devant son visage, il l'étudia une seconde puis finit par le jeter sur le plan de travail de la cuisine.

« - Tu veux bien rallumer la cheminée Jungkook ? »

Sans un mot, le noiraud s'accroupit devant les braises d'un feu que l'on avait pas eu la force de raviver puis tenta de lui redonner vie.

« - T'as raison, personne n'est prêt, mais personne n'a envie de crever de faim non plus. »

Ils ignorèrent tous les deux les joues qui se creusaient de ChinHo, son refus de prendre ne serait-ce qu'une bouchée la majorité des soirs.

« - On a fait le plein pour les trois pick-up ?, demanda Jungkook.

- Hm. On devrait faire l'aller-retour sans problèmes. J'espère seulement que les routes ne vont pas trop être condamnées.

- C'est la première fois que je vais sortir de la forêt... »

Yoongi interrompit le dépeçage du petit animal pour jeter un coup d'oeil au garçon. Jungkook pouvait sentir ses yeux le long de sa colonne.

« - Que je vais voir la ville. »

Un craquement d'os. Yoongi reprit sa cuisine.

« - Je ne sais pas à quoi m'attendre.

- Ne t'attends à rien., intervint ChinHo d'un timbre froid. Il n'y a rien à attendre d'un endroit pareil. »

Ça faisait longtemps qu'il ne lui avait pas adressé la parole. Qu'il n'avait parlé à personne tout court étant donné la rugosité de ses cordes vocales.

« - Là-bas tout est vivant et complément mort. Ça fourmille de partout entre ces grands buildings qui menacent de s'écrouler et les petits magasins qui paraissent inoffensifs. »

Depuis qu'il ne se rasait plus, sa barbe poivre et sel cachait le mouvement de ses lèvres et camouflait sa maigreur. Elle était sale, des particules de je ne sais quoi lui donnant des reflets et des espèces de boudins de crasse qui s'y suspendaient. Il lâcha un rire un peu méprisant.

« - C'est pire qu'ici. Ici on a encore l'illusion d'un paisible, on peut encore respirer et croire que tout ça c'est qu'une vaste blague. C'est impossible là-bas. C'est impossible une fois la ville traversée et que ces merdes t'aient couru après.

- Courir ? »

Le vieux lança un regard à Yoongi.

« - Vous lui avez rien dit ? »

L'homme pinça les lèvres.

« - J'allais le faire sur la route. Je voulais pas qu'il psychote toute la nuit et soit incapable de survivre demain. »

Puis comme si l'idée de lui tirer une balle dans le pied s'avérait délicieuse, ChinHo eut un sourire et se tourna de nouveau vers Jungkook. Les nouvelles flammes léchèrent la bûche et un craquement sinistre éclata quand ChinHo déclara :

« - Ils courent là-bas. L'espèce de virus a muté de différentes manières. En ville, t'as de tout, y'en a qui crient, qui courent, qui marchent avec des espèces d'excroissances partout sur le corps si bien que tu reconnais même plus qu'est-ce que c'était avant. Dans certains endroits t'as même des spores qui flottent dans l'air et si tu les respires trop longtemps c'est comme si on t'avait mordu et tu finis par crever comme ces monstres. »

Ça aurait été il y a quelques semaines, Jungkook aurait sûrement fini par faire une crise de panique et prier pour avoir de l'air sans s'étouffer. Mais aujourd'hui, il serra seulement la pince à bûche dans sa main et hocha la tête.

« - Tu aurais dû me le dire Yoongi. »

Il se tourna vers l'homme qui avait fini de torturer la bête mais n'avait pas redressé le menton.

« - J'aurais pu tenir, tu sais, l'espace d'une nuit, j'en ai vu tellement d'autres. »

Pourquoi aurait-il peur de quelque chose qu'il n'avait même pas vu ? Les mots, les paroles, les avertissements, ô, c'était si absurde aujourd'hui. Fais attention quand tu sors, reviens avant 7 heures ; ils étaient tous ridicules.

Jungkook eut un rictus, yeux vides.

Saule crevant sous le vol d'un Prométhée.

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