L'homosexualité, c'était une chose à laquelle Jungkook n'avait vraiment jamais réfléchi. Il n'avait pas essayé de se trouver une identité sexuelle, une orientation, il n'avait pas essayé de se ranger dans ces cases qu'on dénonce mais qu'on adopte. 

Plutôt bite ou chatte ?

C'était la question type à laquelle il répondait en haussant les épaules. 

Qu'est-ce qu'il en avait vraiment à faire ? 

Jungkook avait eu des aventures avec des hommes plus âgés  -il semblait les attirer comme un aimant -, quelques filles de son année et une vieille veuve chez qui il gagnait son argent de poche comme jardinier. Puis il était resté quelques mois avec Hazel, une transgenre américaine, friande de relations libertines et sans attaches malheureusement repartie trop vite dans son pays natal. Elle avait proposé à Jungkook de la suivre, vivre leur vie de jeunes débauchés loin de Séoul et de ses mœurs fermées. Elle lui avait offert le goût du rêve américain sur la langue, lui promettant un envol, une liberté qui l'avait fait planer. Cependant, il ne pouvait quitter Séoul, sa famille, ses repères, il avait gentiment décliné et leur histoire avait pris soudainement fin.

Peut-être aurait-il dû la suivre finalement.

Bien sûr, toutes ces relations, ses parents n'en avaient pas su un mot. Si sa mère avait appris tout cela, elle aurait corrompu ce médecin bien plus tôt. Alors non, il avait fallu attendre sa foutue overdose pour qu'elle commence à tirer ses ficelles et noyer Jungkook dans un coma artificiel. Il se demande si le fait que son frère lui ait craché le morceau à propos d'Hazel plus tôt cette journée-là n'ait pas joué un rôle dans sa décision. 

Alors là, lorsque les mots cruels et crus de Naoko tombèrent dans le creux de son oreille, il s'avoua perdu.  

Il détailla le visage de Taehyung, tenta de déterminer chaque micro-expression qui l'animait et fut face à un corps illisible.

Ses lèvres gercées étaient entrouvertes ; ses yeux perçants, vifs et attentifs. Il respirait calmement, car ses narines se dilataient à peine et son teint cadavérique ne s'était pas empourpré. Le malade n'avait pas bougé d'un poil tandis que Naoko se redressait contre le dossier de sa chaise, fier de lui mais déglutissant bruyamment. 

Quand Jungkook crut que Taehyung n'allait rien répondre, balayer cette phrase qui sonnait comme accusation d'un simple battement de cil, il éclata de rire. 

Ce n'était pas la même sonorité que ceux qu'il avait lâchés, complètement saoul au Luna. Cependant, ce n'était pas non plus un rire noyé dans le cynisme et l'ironie comme il savait parfois offrir. 

Un violent frisson parcourut le dos du noiraud.

C'était un éclat si brutal, comme amusé mais dans un sens, froid et haineux. 

« - Ça t'intéresse Naoko ?, Taehyung lança. » 

Il garda un rictus enjoué au coin des lèvres, qui frémissait, tressautait nerveusement, perçant à jour son camouflage d'homme serein. 

« - Si j'aime toucher les queues, t'aimerais le savoir ? » 

Aux aguets, Jungkook pensa à tort qu'il fut le seul à remarquer la jambe de Taehyung s'étendre sous la table en bois. 

La tension était si dense qu'on pouvait la découper au couteau. Personne ne bougeait, personne ne parlait, bâillonnés par l'électricité du moment, ils observaient.  Alors le pied du convalescent remontant lentement contre le tibia de son adversaire, tout le monde l'avait surpris.

« - Une raison particulière Naoko ? » 

À l'étonnement général, ce dernier garda son calme. Il semblait plus réfléchi que son impulsif d'acolyte qui, grognant le prénom de Taehyung, se raidit sur sa chaise. 

« - À quoi est-ce que tu joues ?, déclara Naoko, crachant calmement son venin. » 

Bourdonnant, le silence s'imposa. 

Jimin glissa sa main contre l'avant-bras de Taehyung, craintif d'une réaction impulsive.

Quant à Jungkook, il suffoquait, paniquait, atmosphère épaisse et mesquine, il voulait seulement que ça s'arrête, que les attaques animales cessent, que justement, non, ils n'étaient pas des bêtes sauvages et que bordel, ils n'en avaient pas tous marre ? 

Chair contre bois, le tapotement des doigts anguleux de Taehyung augmenta la pression.

Cuir contre coton, le frottement de son jeu de pied bourdonnait dans les oreilles du corbeau.

Finalement, dans cette ferme, chacun se la jouait un peu « perso ». Personne n'avait le courage de se mêler à ce combat de coqs qui se finirait sans doute mal. Personne n'avait le courage de les séparer, pas même ChinHo ou Jimin. Quant aux autres, ils n'étaient pas encore arrivés, vadrouillant dans ces champs dans lesquelles Jungkook ne se sentait toujours pas en sécurité. 

Mais d'un côté, personne ne saisissait vraiment ce qu'il se passait sous leurs yeux. Taehyung faisant du pied à Naoko, lui si calme et imperturbable. Il-Sung, fulminant à ses côtés, prêt à bondir à la gorge du rasé. 

Soudainement, la jambe de Taehyung voltigea. Un crissement retentit et dans un bruissement de tissus, craquement d'os et de bois, le talon de sa Rangers s'écrasa brutalement contre le pied de Naoko. Celui-ci poussa un cri de douleur, s'élançant vers l'arrière pour s'échapper et sa chaise se renversa. Jimin et Il-Sung bondirent brusquement, l'un se jetant vers Taehyung et l'autre s'interposant entre les deux. Et enfin Jungkook, qui sauta à son tour de son siège, ne sachant que faire, restant bêtement debout, les yeux écarquillés. Il contempla, impuissant, la manière dont Taehyung se saisit fermement des cheveux de Naoko, le hissant de nouveau contre la table où il fracassa sa joue mal rasée. 

Jungkook frémit quand la violence du geste fit trembler la table. 

De son côté, Jimin avait maîtrisé Il-Sung. Les deux bras pliés dans son dos, ce dernier ne faisait que rugir et gigoter dans tous les sens pour s'échapper. 

Alors que la paume de Taehyung blanchissait tant il la pressait contre le crâne de l'autre, son grognement menaçant retentit dans toute la pièce :

« - Ecoute-moi bien fils de pute, la prochaine fois que t'ouvres ta bouche pour vomir ta merde, je t'arrache ta putain langue en deux. Et si tu veux te faire sucer, demande à ton petit toutou juste là, j'suis sûr qu'il se fera un plaisir. »  

Sans même attendre l'écho de ses mots, Taehyung poussa le corps de Naoko qui retomba lourdement au sol. Jimin lâcha les bras d'Il-Sung qui se rua vers son acolyte, se laissant tomber à genoux. 

Puis, Taehyung réajusta son bonnet noir, renifla un bon coup et planta son regard dans celui de Jungkook.

 Ce dernier s'étouffa avec sa salive, rattrapant son cœur qui s'était échappé de sa poitrine. Il plaqua sa main contre son corps, attrapant le tissu de son vêtement entre ses doigts puis oublia comment respirer quand Taehyung le sonda plus fort encore. Il glissa ses yeux dans les rondeurs de ses mèches corbeau, le long de la courbe de sa taille, survola la délicatesse de ses mains rongées et ses lèvres arides. 

« - Fils de pute ! » 

Et puis soudain, Il-Sung bondit à la gorge de l'observateur. Il lâcha un grognement animal, se préparant à se jeter par-dessus la table. Sous l'exclamation de tout le monde, Il-Sung attaqua sa proie avec colère. 

Jungkook cria le prénom de Taehyung, s'apprêtant à bêtement s'interposer, lorsqu'une grosse voix rompit le fil de ses pensées et bloqua ses membres élancées : 

« - Il-Sung ! » 

Grondement sourd venant de l'entrée, il ne fallut pas plus d'une seconde pour que Jungkook reconnaisse le timbre autoritaire de Namjoon. Il-sung s'arrêta dans sa course, essoufflé, les yeux fous. 

« - Tiens tes chiens en laisse DaeHo., lâcha une voix plus caverneuse derrière le chef. » 

Pénétrèrent dans la pièce, Namjoon, DaeHo, Yoongi, Mei, ainsi que trois autres survivants. 

Et leur aura était si puissante qu'elle s'abattit avec force sur les épaules de Jungkook. Il flancha quelques secondes puis s'avachit sur sa chaise. 

DaeHo lui offrit un sourire faussement tendre perverti par son faciès répugnant et ne s'arrêta que lorsque ses pieds butèrent dans le corps de Naoko, toujours au sol. Son rictus s'effondra et d'une poigne un peu molle mais confiante, il se saisit de son col et le souleva avec facilité, le remontant sur ses pieds. 

« - Récupère ta dignité. » 

Il le lâcha ensuite et toujours un peu étourdi, Naoko manqua de retomber. Mais son second acolyte l'attrapa sous le bras, le soutenant alors qu'il observait son maître s'asseoir, nonchalant, sur le siège à côté de Jungkook. Il-Sung n'avait pas perdu son air bestial et son souffle entrecoupé mais il sembla prendre sur lui et se concentra sur son ami. 

Namjoon et les autres suivirent le mouvement et prirent place autour de la table, tous totalement détachés aux événements qui venaient de se dérouler. 

Ça mettait Jungkook en colère, tout ça, l'impassibilité des autres. Peut-être seulement car ça soulignait le fait que lui, non, il n'arrivait pas à prendre du recul par rapport à tout ce qu'il se passait, et qu'un simple cri pouvait le faire s'écrouler. Mais aussi parce que ça semblait normal pour les autres de s'attaquer, de s'insulter et de souhaiter la mort de quelqu'un si fort dans son crâne que cela résonnait dans la pièce.

Taehyung se rassit à son tour, le visage fermé, et le reste des spectateurs se recueillirent autour du meuble en bois massif. 

« - Tout le monde est là ? 

- Mina a préféré rester dormir., lâcha le père de Taehyung. » 

Namjoon hocha la tête puis se racla la gorge. 

« - Bon. Ce genre de conneries là, j'en veux plus. Si vous voulez vous taper dessus c'est en dehors de ces murs, compris ? » 

Son regard perçant vogua entre les concernés et personne ne tint tête. Alors il lança une oeillade appuyée à Jungkook, comme voulant lui dire qu'il était là maintenant et qu'il pouvait s'arrêter de trembler.  

Elle lui fit un peu de bien, cette flamme tendre. Il ne la recevait pas souvent voire jamais et la chaleur qu'elle lui produisit était exactement ce qu'il lui fallait à l'instant précis. Mais ce n'était pas pour autant que ses frémissements cessèrent. 

Il n'avait pas oublié la présence étouffante de Daeho, juste à côté de lui. 

Ce n'était pas un hasard qu'il ait choisi ce pauvre siège, que leurs cuisses se touchaient ainsi que leurs épaules même si Jungkook avait presque une fesse dans le vide. 

« - Yoongi., aboya Namjoon. » 

Le garçon aux cheveux d'argent se leva aussitôt, un air si inexpressif collé au visage et disparut de la pièce. Il revint quelques secondes après, six boîtes de conserve en main, plaqués contre son torse. Sous le regard indescriptible mais insistant de Namjoon, il fit le tour de la table pour les déposer au centre, à la vue de tout le monde. Puis, il se rassit. 

« - Merci. » 

Hochement de tête.

Raclement de gorge. 

« - On va se restreindre à 6 boîtes le matin. » 

Namjoon l'annonça d'une voix claire et Jungkook sentit tout le monde se tendre autour de la table. Même s'il n'était descendu que quelques fois, le noiraud savait que non, il n'y avait pas seulement 6 conserves qui jonchaient la table auparavant. Ils étaient beaucoup dans cette foutue ferme, un peu plus de quinze. Alors des conserves, il y en avait une bonne dizaine.

Taehyung avait relevé la tête, fronçant les sourcils. Et alors qu'il fixait les six pauvres récipients de métal, ses yeux incrédules se plantèrent sur Namjoon. 

« - Quoi ?, il lança. Tu déconnes j'espère. »  

Une grimace ennuyée tira les traits du meneur. 

« - Parce que j'ai l'air de rigoler ? » 

Taehyung sembla piqué à vif et claqua sa langue contre son palais. 

« - Tu sais très bien que la moitié ici ne pourra pas bouffer, il rétorqua, agacé. Il n'y a pas assez, c'est quoi le problème.

- Le problème ? Le problème Taehyung, c'est qu'on n'a plus rien à manger. Tout est parti sans qu'on ne s'en préoccupe. On a déjà dévalisé toutes les maisons, les supermarchés, les épiceries des alentours et aller chercher plus loin ça serait dépasser la limite que l'on s'est donné. » 

Une des femmes prit la parole, elle retint l'attention de Jungkook car il lui manquait un index. 

« - Alors on décide qui mange et qui ne mange pas juste à temps que tu te décides à baisser cette limite de merde ?

- Soo., grogna Yoongi.

- Parce qu'il n'y a que moi que ça choque ? Qu'on soit obligé de crever de faim pour nourrir les autres juste parce que tu ne veux pas dépasser ta limite ?

- Tu sais très bien pourquoi c'est comme ça., conclut Namjoon et ladite Soo se renfrogna.  » 

Cette allusion là fit naître une expression de colère, de nervosité, de peur et parfois de tristesse sur le visage des autres et Jungkook ne comprit pas. 

Il demandera à Jimin. 

« - N'empêche que..-

- Soo, ne complique pas les choses. Je pense que Namjoon a déjà réfléchi à des alternatives., interrompit ChinHo d'une voix sage. 

- Si on n'acceptait pas aussi facilement une nouvelle bouche à nourrir aussi. » 

L'intervention de DaeHo fit lever toutes les têtes et le sang du corbeau se glaça. 

« - J'suis d'accord. » 

La voix d'un homme qu'il ne connaissait retentit pas retentit et le regard de Jungkook s'harponna à lui et à la femme à ses côtés qui hochait la tête. 

Il avait senti les mots de DaeHo vibrer dans tout son corps et l'acquiescement de quelques-uns lui faisait tourner la tête. 

« - Regardez-le. On pouvait compter ses côtes à travers ses vêtements avant qu'il arrive et maintenant il a du gras même dans les joues., cracha DaeHo, malicieux. » 

Jungkook savait que c'était faux, qu'il était encore squelettique malgré sa reprise d'appétit et Jimin le savait aussi. Que ces joues rebondies, il les avait toujours eues mais maintenant qu'on les mettait sous cette lumière là, c'était évident que c'était parce qu'il se gavait. 

« - Jungkook est la personne qui bouffe le moins ici., objecta Jimin. 

- Ferme-la un peu bordel. Regarde-le il s'engraisse un peu plus chaque jour et la seule chose que t'es capable de faire c'est l'applaudir., railla le même homme qui était inconnu aux yeux de Jungkook. » 

Et puis d'un seul coup, la culpabilité envahit notre protagoniste. C'était vrai, d'un côté. À la fin des repas, Jimin lui apportait toujours une boîte de conserve déjà entamée où stagnaient les trois quarts des aliments. C'était froid, fade et suspicieux mais Jungkook engloutissait tout en l'espace de quelques minutes.

Il commençait à retrouver son appétit, un peu, parfois, souvent maintenant. 

Ils avaient tous eu droit à un vrai repas avec les légumes et fruits du potager, et là il n'y avait rien pour Jungkook. Mais récemment tout avait été rongé, dévoré par des parasites et ils devaient se contenter de conserves infâmes et nauséabondes. Sans surprise, il y avait davantage de restes. 

Alors le jeune ne se rendait pas compte. Peut-être qu'il mangeait comme quatre, peut-être que Jimin était heureux de le voir se nourrir de nouveau et que pour cela il lui donnait plus qu'il ne fallait. Plus que les autres. Et que dans ce cas là, ils avaient raison de le blâmer pour la pénurie. Il avait toujours ce sourire tendre lorsqu'il le voyait manger, lorsque la conserve qu'il récupérait était bien vide et qu'il restait de la sauce au coin des lèvres du noiraud. Ça devait être ça. C'était évident qu'il lui en donnait trop. 

Jungkook se recroquevilla un peu sur lui-même, lança un regard à Jimin. 

Ce dernier n'avait pas moufté, restant attentif et prêt à se défendre comme à défendre les autres. 

« - On crève tous la dalle ici., intervint Soo, la femme sans index. Pas de quoi s'en prendre au petit, je crois qu'il en voit déjà assez.

- Mais bordel, vous allez arrêter de le chouchouter !, s'exclama un homme dans la quarantaine que Jungkook voyait souvent avec Mina. » 

Il lui semblait que Jimin lui avait dit qu'il était professeur des écoles avant, et que maintenant il tentait d'apprendre quelques rudiments à la petite. Il avait un visage agréable, des traits doux et arrondis qui devaient lui offrir des surnoms affectueux de la part de ses anciens élèves. Son teint hâlé montrait qu'il passait beaucoup de temps à travailler au jardin. Il tentait sûrement de sauver les quelques plans survivants. 

Mais les mots qui sortaient de sa bouche contrastaient réellement avec l'image qu'il renvoyait. 

La magie d'aujourd'hui. 

On devenait plus cru, plus violent et égoïste. 

« - Il nous apporte que de la merde depuis qu'il est là. Il fait peur à tout le monde à trimballer sa carcasse comme tous ces morts, à s'arracher la peau des bras avec son regard... complètement fêlé., il lança un regard furtif en la direction du corbeau, presque craintif. Et puis..., je ne changerai pas d'avis sur ce qu'il s'est passé avec Taehyung, au bar. » 

Oh. 

En voilà un qui le jugeait coupable de la plaie qui se camouflait sous le bonnet du beau convalescent. Jungkook n'avait pas encore eu affaire à l'un d'entre eux, se fiant aux dires de Jimin et aux regards. Il devait maintenant se confronter aux mots. 

Que de merveilleux événements. 

Pourquoi est-ce qu'il était descendu déjà ? 

«  - Hojoo., rappela à l'ordre Namjoon. »

Ils en avaient déjà tous parlé de ça, de cette histoire, du cas « Jungkook ». Namjoon avait déjà conclut le sujet maintes et maintes fois, ne changeant pas de position. 

Jungkook resterait.

« - Non pas de « Hojoo » ! J'en ai franchement ras le cul de tout ça ! Il a foutu la merde ! Et je remets ça sur la table parce qu'il dédaigne enfin sortir de son trou ! » 

Il plongea son regard dans celui de Jungkook. 

« - Je suis désolé, mais je veux que tu dégages d'ici. » 

Le corbeau ne lui en voulait pas vraiment. Ledit Hojoo pensait d'abord à lui et puis à ceux qu'il aimait ici. Jungkook était un nid à problèmes, Jungkook ravivait les vices et la colère et Jungkook foutait si bien la merde. C'était logique tout ça. 

Mais bordel, non, lui il n'avait pas envie de partir.

Non.

Alors il haleta. 

« - Je ne veux pas partir. » 

C'était les premiers mots qu'il avait lâchés depuis un bon moment. Étranglés, brisés et sonnant drôlement enfantin. Son regard à la lueur paniqué plongea dans ceux de Namjoon. Ce dernier semblait surpris, ne sachant comment réagir alors que le corps de Jungkook cédait à ses démons, que les images d'horreur se gravaient déjà sous ses paupières. Il ne fermait plus ses yeux. Injectés de sang, écarquillés. 

Il devait partir ? 

Il allait partir ? 

Il allait se retrouver tout seul dehors ? 

« - J-je ne... » 

Il secoua la tête dans tous les sens, sentant ses faiblesses lui brûler les orbes. 

Et sa respiration se bloqua dans sa gorge. 

Les prunelles de Yoongi plongées dans le vide depuis de longues minutes reprirent soudainement vie. Il analysa quelques secondes le comportement du jeune, bien trop familier à ce genre de sifflements dans le souffle, à ces sons gutturaux car sa trachée semblait convulser et rétrécir pour ne plus rien laisser passer. 

L'homme à la peau pâle bascula alors sur sa chaise, las et fatigué, et ses lèvres se retrouvèrent près du cou de l'alpha du groupe.

« - Il fait une crise de panique., souffla Yoongi près de son oreille. » 

Et il réappuya son dos endolori sur le dossier, croisant les bras en ignorant le soudain affolement dans l'attitude de l'autre.

« - Jungkook., lança immédiatement Namjoon d'un ton se voulant calme. » 

Il fallait que Jungkook se reprenne. 

Alors pour se ramener sur terre, le corbeau planta ses propres ongles dans la peau meurtrie de son bras, douleur vacillante qui l'empêcha de partir plus loin.

Et même la main calleuse de DaeHo se déposant comme des serres de rapaces sur sa cuisse lui fit du bien. Son bourreau l'aimait de toute manière trop pour le laisser le quitter, il était son petit jeu et malgré tout ce qu'il disait, il ne laisserait mourir ou partir que quand il en aurait marre. 

Et ce n'était que le début.

« - Jungkook, tu ne vas pas partir., déclara Namjoon qui commençait sérieusement à perdre de sa sérénité. Et Hojoo, on a déjà discuté de ça. Ici, je suis ouvert à la discussion, je suis pas un dictateur, mais il y a certaines choses qu'il faut que tu comprennes. Quand une décision est prise, elle est prise. J'ai mon dernier mot à dire et si tu adhères pas à ma façon de diriger les choses et ma façon de faire, tu sais ce qu'il te reste à faire. » 

Hojoo écarquilla les yeux. 

« - Tu me demandes à moi de dégager là ? » 

Il s'esclaffa, outré. 

« - À moi ? 

- Je ne te demande pas de partir Hojoo, tu as le choix. Seulement, c'est soit tu acceptes ce qu'il se passe, soit tu pars. Moi, je n'accepte pas ta petite rébellion alors que la décision a été prise à majorité, tous ensemble. 

- Je rêve. » 

Son poing se serra et sa mâchoire se contracta. Il fixa Jungook, Namjoon, chercha du soutien dans le regard d'autres mais les yeux se baissèrent et Daeho n'en rajouta pas, c'était qu'un jeu pour lui après tout. Alors le professeur ne fit rien de plus et quitta la pièce en emportant avec lui la panique du brun. 

Son départ plongea la pièce dans un silence pesant.

Si ça ce n'était pas la belle preuve que Jungkook foutait le bordel partout où il mettait les pieds.

 Namjoon se pinça l'arête du nez. Tout ça semblait l'épuiser plus qu'autre chose. Tous ces conflits, toute cette fatigue permanente. 

 « - Les règles et les décisions, on en discute et on les vote. » 

Yoongi avait pris la parole, de son calme olympien mais de son autorité frappante. 

Il planta ses yeux perçants dans chacune des personnes présentes. Soo regardait le bout de ses chaussures. ChinHo avait fermé ses paupières. Taehyung contractait la mâchoire avec tant de puissance qu'on pouvait croire qu'il allait se faire sauter les dents, mais il restait immobile et fixait ses doigts. Jimin gardait un oeil sur tout le monde, surtout Jungkook. Mei affichait une expression dure. Et enfin, Daeho caressait toujours, faussement distrait, la cuisse trop maigre du brun. 

« - Pour tous ceux qui ne les acceptent pas, la porte est ouverte. » 

Et sans pourtant vraiment le montrer, tout le monde comprit qu'il avait fini et qu'il ne réinterviendrait pas. 

Qu'il valait mieux qu'il ne réintervienne pas. 

Ses paroles semblèrent un peu avoir calmé Namjoon qui releva le menton et sonda la pièce. 

« - Bien. Maintenant, je propose que l'on garde à manger surtout pour Mina. Je vous laisse décider du reste. » 

Il se leva un peu brusquement de chaise et ça fit se tendre quelques personnes, dont Jungkook. Puis quand il quitta la pièce, les épaules s'affaissèrent. Personne n'osa rien dire. Personne ne se regardait dans les yeux. Et puis Yoongi soupira bruyamment, se levant sans force de sa chaise et suivit Namjoon. 

Et ce fut le tour de Taehyung. 

Ainsi que de Mei, Soo, et du reste des spectateurs.

Le brun ne sentit même pas le vautour se détacher de lui et quand il releva la tête, il ne restait plus que Jimin à table. 

Le garçon lui offrit un mince sourire et attrapa une des conserves qui était restée là, se mettant à jouer avec distraitement.

Pour une fois, il ne lui demanda pas comment ça allait. 

Il laissa ce silence nouveau prendre ses marques et laisser retomber toute cette tension qui collait encore aux épidermes. 

Puis, après quelques minutes où seuls les bruits parasites de son jeu nerveux et énervant tonnaient, il lâcha. 

« - Tu as faim ?

- Non, t'inquiètes. » 

Il lui lança un regard mais rapporta vite ses yeux sur ses petites mains. 

« - Il... Il faut pas que tu gardes à l'esprit ce qu'ils t'ont dit, ok ? Ils disent de la merde, nous on le sait, je le sais..., il fit une pause. Tu peux manger Kook'.  

 - Je sais aussi Jimin. Arrête de t'inquiéter. » 

Il hocha la tête, satisfait de sa réponse alors que même aux oreilles d'un sourd, elle sonnait fausse. 

Puis ce foutu faux calme revint.

Jimin hésita et ouvrit pour de bon la boîte. Une odeur désagréable emplit la pièce mais les deux hommes l'ignorèrent et Jimin attrapa une fourchette qui traînait pour commencer à manger. 

Jungkook savait qu'il se retiendrait de grimacer et de tout recracher par terre. Mais que pour faire bonne figure, il avalerait sans broncher.

Son premier dégluti aurait presque pu faire écho dans la pièce et il sonna si difficile, presque douloureux. Il reprit quand même une seconde fourchette, sa mâchoire moulinant de nouveau, bruyamment.  Et la bouche encore pleine, Jimin cacha la nourriture prémâchée du dos de sa main et articula :

« - On se disait avec Namjoon., il avala. Que, vu que tu semblais aller... un peu mieux, on pourrait peut-être reprendre les entraînements.  » 

Il fixait le corbeau, attentif à sa réponse. 

Reprendre les entraînements ? Pourquoi pas, il se sentait prêt. Il pouvait le faire après tout, il en avait déjà tué un, mort. 

Et puis s'il voulait survivre, autant à l'intérieur qu'à l'extérieur c'était une bonne idée, non ? 

Alors, il hocha la tête, sourit, et empoigna la seconde fourchette qui trainait sur la table.