Qui suis-je ? Où vais-je ? Dans quel état j'erre ?

Je m'appelle Sixtine, j'aurai 17 ans dans 4 mois. Le moins que l'on puisse dire sur moi, c'est que je n'ai pas de chance. Ou plutôt si. Je vis dans une maison avec jardin près du centre-ville. J'ai des parents aimants, un petit frère, un chat. Des amis. Une vie paisible, confortable, à l'abri des guerres et de la pauvreté. Alors où est le problème ?

Le Problème commence certainement dès ma petite enfance - et j'y reviendrai très probablement - mais il ne se révèle vraiment qu'en 2013. Je suis en Troisième. J'ai 14 ans, un nouveau groupe d'amis et même un copain. Enfin ce changement, cette bulle d'air dont j'avais tant besoin !

Mais ce que je ne savais pas, c'est que l'air était vicié... J'étouffe au lieu de respirer, je ne me sens pas à ma place, comme séparée du monde extérieur par une paroi de plexiglas. Et pour couronner le tout, je m'ennuie en cours, je n'écoute plus les explications des professeurs. Lassée de faire les mêmes exercices encore et encore, je fais mes devoirs au dernier moment, le soir à 22 heures ou bien pendant l'interclasse 5 minutes avant la sonnerie et je termine malgré tout l'année avec une moyenne générale très honorable de 16 et une mention "très bien" au Brevet des Collèges.

J'ai des réactions que je ne parviens pas à comprendre, des sautes d'humeur violentes. Heureuse, agréable et attentionnée un jour, farouche, agressive et à fleur de peau le lendemain. Mais qu'est-ce qu'il m'arrive bon sang ? Pourquoi moi ? Et pourquoi ne se rendent-ils compte de rien ? C'est leur faute. Ils ne veulent pas de moi. Ils ne m'aiment pas...

L'année passe lentement, puis s'achève, de même que ma relation. Un poids en moins sur mes épaules, comme si l'on me libérait de chaînes jusque là invisibles. De nouveau célibataire, je parviens enfin à anticiper (plus ou moins) mes émotions, sinon à les contrôler. Les deux mois qui me séparent du lycée semblent s'éterniser et pourtant un vent aux senteurs de liberté caresse déjà mon visage. Nouvelle école, nouveau contexte, nouvelles rencontres. Nouveau départ. Un départ que je ne saurais rater, sûre de moi que je suis d'avoir aussi bien choisi mon enseignement de spécialité. Bah oui ! Santé et Social pour une fille dont les principaux centres d'intérêts sont la littérature et les arts, ça paraît évident ! Non ?

Vous vous en doutez sûrement, mon année de Seconde ne s'accorde pas à merveille avec l'adjectif "génial" ou tout autre superlatif. Ayant un look un peu atypique, plus écossais qu'imprimé et plus Doc Martens que Bensimon, je me présente devant le lycée vêtue d'un slim en tissu écossais, d'un t-shirt noir dans lequel il est possible de faire rentrer toute une famille d'hippopotames et de mes inséparables Doc Martens, ou encore "Écrases merde de bûcheron", comme les surnomme si affectueusement mon père. Après tout, je trouverai bien UNE personne dans ma classe arborant un style similaire ! Une sur une trentaine, je ne demande pas la lune ! Et bien apparemment si. Non seulement ma classe n'est composée que d'inconnus à 99%, mais j'ai la chance et l'honneur de constater de mes propres yeux que toutes les filles, et donc les quatre cinquièmes de la classe, portent toutes la même chose. Un uniforme ? Dans un lycée publique ? On ne m'aurait rien dit ? Uniforme que l'on peut trouver à un prix parfaitement raisonnable chez Pimkie et autre Bershka : un débardeur de couleur flashy, un jean délavé et des chaussures en toiles. Ça fait rêver non ?

Mais les semaines passent et je fais des efforts désespérés pour être sociale, une tâche ardue pour l'anthropophobe que je suis. Je finis par trouver un groupe de filles - et d'un garçon - plutôt sympa. La chance pencherait-elle en ma faveur ? "Que nenni !" me répond le Destin à grands coups de tarte dans la gueule. Car oui, je souffre de Précocité Intellectuelle et - même si je ne le sais pas encore - il n'est pas question de l'oublier ! Malgré tout mon labeur pour apparaître "comme les autres", le zèbre n'est pas un caméléon et il me suffit d'avoir des notes au-dessus de 15, ou de savoir la réponse à des questions qui me semblent d'une facilité rudimentaire, pour faire sauter ma couverture. Et dans cette classe constitué à 97% de futurs S et ST2S oú le niveau me paraît extrêmement bas, malgré le fait que les professeurs répètent allègrement qu'il s'agit de la meilleure classe de Seconde et qu'on ne peut accélérer le mouvement, c'est à la façon de toute une colonie de rongeurs morts que je m'ennuie. Mes pseudo-amis ont fini par m'ignorer définitivement et mes devoirs sont expédiés en 2 minutes, ce qui me laisse tout mon temps libre pour poser des questions sans réponses à mon entourage. Questions insignifiantes, mais qui m'obsèdent, me paraissent vitales, existentielles :

- Les plantes souffrent-elles ?

- Les animaux ont-ils conscience d'exister ?

- Comment rêvent les aveugles de naissance ?

- Est-ce que, en l'an 666, le taux de criminalité a augmenté ?

- À la base, pourquoi la personne qui a nommé le chat "chat" l'a appelé comme ça ?

- Est-ce que, le rêve, ça ne serait pas la réalité et inversement ? Du coup, là je suis en train de rêver ?

- Qu'est-ce qu'il fait que, même proche de la mort, l'Homme et les animaux se raccrochent à la vie ? Pour l'Homme, c'est parce qu'il a peur de la mort ; mais est-ce que ça voudrait dire que les animaux aussi ?

Et grâce à cette formidable invention de Dame Nature qu'est la pensée en arborescence, une réponse entraîne une nouvelle question :

- Pourquoi la mer est-elle bleue ?

- À cause du reflet du ciel dans l'eau.

- D'accord. Pourquoi le ciel est-il bleu ?

Ou encore :

- Pourquoi un citron est-il jaune ?

- À cause de la lumière qu'il renvoie.

- Oui, ça je sais. Mais, pourquoi il renvoie le jaune et pas le bleu ? Est-ce que ça veut dire que tout est de la même couleur en fait ? Ou plutôt, de la même non-couleur ? Du coup, le racisme, c'est vraiment stupide non ?

Comme vous vous en doutez très certainement, ces questions exaspèrent considérablement mes parents, à tel point qu'il me suffit de prononcer cette formule magique : "J'ai une question." pour les rendre fous.

Et puis arrive le moment que je qualifierai de Terrible. Pour moi. Le "joli mois de mai", comme on l'appelle, fut, avec son grand frère avril, une période de réelle souffrance et de profond malêtre. Tout simplement parce que trop, c'est trop, et que une année passée à s'ennuyer, c'est vraiment beaucoup trop. Il suffit donc que le prof est perdu 15 minutes avant de commencer son cours ou alors que l'on se retrouve en AP anglais alors qu'on a 15 de moyenne dans cette matière sans travaillé pour renter chez soi en larmes et frôler la crise de nerfs plusieurs fois par jour. Ou pire, avoir réussi à contrôler ses glandes lacrymales toute la journée et exploser parce que son frère a fini le paquet de cookies. Et oui, c'est stupide, tu le sais, mais tu ne peux pas t'empêcher de hurler toute ta douleur sur ce pauvre emballage de gâteaux. Et puisque ça n'est pas normal de pleurer pour un rien, d'avoir des notes excellentes sans rien faire quand les autres s'accrochent pour obtenir la moyenne, des idées qui fusent dans tous les sens et de réussir plus facilement aux exercices durs qu'aux simples, j'arrive à la conclusion que je suis folle. Et puisque ça n'est pas normal et horrible de se dire qu'on est fou, j'arrive à la conclusion que je ne suis juste pas Humaine. Une Atlante ou une Extra-terrestre. Et puisque ça n'est vraiment pas normal de penser ça à propos de soi-même, je me dis que je suis vraiment folle, que je ne suis pas "normale".

Toute l'année, je me suis répétée : "Courage, plus que 3 mois. C'est rien 3 mois, ça va passer vite." "Courage, plus que 2 mois et 3 semaines." "Courage, plus qu'1 mois." "Plus que 3 semaines." "Plus que 2.". Enfin, le dernier jour de cours arrive et je quitte le lycée avec bonheur. Comme cette année est finie, je peux enfin parler à mes parents. Pourquoi je ne l'ai pas fait avant ? Tout simplement parce que je n'ai pas le droit, je ne DOIS PAS les embêter avec mes problèmes, avec ma supposée folie. Comment réagiraient-ils ? Est-ce qu'ils seraient triste ? Est-ce que je leur ferais peur ? Est-ce qu'ils me mettraient dans un institut ? Peut-être que ça serait préférable... Toujours est-il que je leur annonce en larmes que j'aimerais prendre rendez-vous avec un psychologue pour passer un test de QI. Pourquoi un test de QI ? Parce que les témoignages d'Enfants Intellectuellement Précoces et les description qu'en font les spécialistes ressemblent beaucoup trop à ce que je vis. Et surtout parce que pas être "comme les autres", ce n'est pas drôle. Parce que j'ai besoin de savoir qui je suis pour me construire, pour continuer à avancer. Pas de problème, on va appeler un psychologue. Le rendez-vous est pris pour le mois d'octobre.




Voilàààà ! Premier chapitre d'une petite histoire sans prétention pour briser les préjugés ? idées reçues ? sur l'Intellectualité Précoce. Si vous avez des réponses aux questions que se pose Sixtine, n'hésitez pas à le dire dans les commentaires ! J'espère que vous apprécierez !



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