Interlude

Dehors, l'orage grondait, comme toujours sur la planète DG004. À la lueur d'un éclair, la capitaine Olivia Lespina scruta de son regard expert la scène de chaos qui se présentait sous ses yeux : vitres brisées, pots de fleurs artificielles renversés, guichets criblés de balles... Les employés de la banque, choqués, attendaient sur le parvis à l'abri des trombes d'eau que déversait le ciel.

Elle baissa la tête sur le petit porte-clef en plastique aux couleurs passées par le temps et déchiffra les quelques mots qui y étaient gravés. « I♡Dublin ». Le coupable de ce carnage ne faisait aucun doute : Denis O'Hare, le braqueur du siècle, qui signait avec ce coup un nouveau record dans l'histoire. Trois milliards de dollars galactiques dérobés, plus que le casse de Strazilas36 et la fraude de l'ancien ministre des finances réunis. Le butin servirait sans aucun doute à acheter armes de pointes et munitions afin de réussir enfin là où il avait toujours échoué : le coup d'État de la présidence intergalactique.

Olivia devait faire vite. Le braquage n'avait eu lieu que quelques minutes auparavant, O'Hare devait encore se trouver dans les parages.

— Agent Noor, faites boucler la zone sur un rayon de dix kilomètres. Contrôlez tout ce qui en sort, ordonna-t-elle à son subordonné, occupé à bâiller aux corneilles face au désordre de la scène de crime.

Elle attraperait ce malfrat en premier. Elle redorerait son blason auprès de la hiérarchie et serait enfin débarrassée de cet ahuri de commissaire...

— Salut la compagnie ! Désolé, je suis en retard, j'étais en vacances !

Elle fit volte-face et toute son excitation se mua en colère.

Il se tenait là, tout sourire, en chemise à fleurs, short et tongs, chapeau en paille sur la tête. Elle avisa son bronzage en forme de lunettes et l'énorme chaîne métallique qui sortait d'une de ses poches.

— Et... exactement étiez-vous en vacances, commissaire ? demanda-t-elle, méfiante.

— Sur Terre ! Au XVIIIe siècle ! Je vous ai d'ailleurs ramené un petit quelque chose...

Il commença à farfouiller dans ses poches et un horrible mal de tête saisit la capitaine.

— Commissaire, dois-je vous rappeler que vos vacances violent absolument toutes les lois du Code Temporel ? Et que cette tenue n'est en rien adaptée au XVIIIe siècle ?

— Rien à foutre, j'étais en vacances, c'était dé-tente ! Plus de règles, plus de pression... enfin... un autre genre de pression. Ho ho ! Vous auriez goûté leur bière... Un délice !

Olivia lui tourna le dos et essaya tant bien que mal d'oublier sa présence. Elle devait se concentrer. Il fallait faire vite : la Direction Générale Temporelle était en route et s'ils arrivaient avant qu'elle n'attrape O'Hare, tout serait terminé. Soit ils l'appréhenderaient eux-mêmes et en tireraient toute la gloire, soit le criminel demeurerait introuvable et la faute retomberait sur le commissaire et elle, comme toujours.

— Bon, il se passe quoi, ici ? demanda l'abruti en s'approchant, tout guilleret.

Elle lui en aurait bien collé une, mais la situation demandait toute son attention. S'abîmer les phalanges sur son supérieur risquait d'en occuper une trop grande part.

— Un nouveau braquage de Denis O'Hare... soupira-t-elle. On pense qu'il a utilisé un remonteur temporel, la DGT a détecté une anomalie. Ils seront là bientôt.

— Denis O'Hare... Et la DGT se déplace pour ce type ?

Quand elle entendit sa nonchalance, Olivia ne retint pas son soupir exaspéré. Elle se retourna, prête à lui sortir une réplique cinglante et s'immobilisa. La silhouette sombre d'un homme se dessinait devant la porte, illuminée par les éclairs. Elle aurait bien juré. Comment avait-il pu arriver aussi vite ?

— Commissaire Pary, Capitaine Lespina... les salua le nouveau venu.

— Eh ! Si c'est pas ce cher Lloyd ! Tout va bien au siège ? s'exclama le commissaire.

L'agent Conrad Lloyd fit la grimace et esquiva l'embrassade de l'homme. Il tira ensuite un appareil de sa veste noire et déploya l'antenne.

— Inutile de sortir tout l'arsenal, Conrad, grommela la capitaine. On le tient, il ne doit pas être loin.

— C'est à Denis O'Hare que nous avons affaire, Olivia. Nous devons mettre toutes les chances de notre côté. Si ce malfaiteur s'est procuré un remonteur temporel, le détecteur d'anomalies nous le dira...

Lorsque l'antenne se figea sur le commissaire, l'agent Lloyd fronça les sourcils.

— Dites-moi, commissaire ?

— Oui ?

— Qu'est-ce que vous avez dans votre poche ?

— Un remonteur temporel ! Pour mes vacances ! J'ai ramené quelques souvenirs, vous en voulez un ?

Olivia soupira à nouveau et se couvrit le front d'une main. Lloyd ouvrit la bouche. Puis la referma. Puis l'ouvrit à nouveau.

— Commissaire... Vous n'avez pas le droit de... Mais enfin, la capitaine Lespina et vous avez été écartés du siège de la DGT suite à vos infractions du Code Temporel, non ?

— C'est exact ! Nous avons été victimes de ce gouvernement qui cherche à museler ses citoyens ! Saviez-vous qu'ils interdisent les voyages temporels au grand public pour nous cacher des choses ? J'ai lu un très bon article à ce sujet sur l'astronet.

Lloyd sembla abasourdi. Il se tourna vers Olivia.

— Il n'a vraiment, vraiment pas changé, hein ?

— S'il te plaît, Conrad, sauve-moi...

C'est alors que l'agent Noor s'approcha du groupe à vive allure.

— Capitaine ! On a retrouvé la voiture d'O'Hare ! Il s'enfuit vers l'astroport ! Nos hommes le pourchassent et... Oh, bonjour, commissaire.

— Bonjour, Noor ! Comment va ?

— On n'a pas le temps ! les interrompit Olivia. En voiture !

Elle se précipita vers le véhicule garé devant la gare, actionna les gyrophares et, une fois Lloyd et le commissaire à l'intérieur, démarra en trombe en direction de l'astroport.

— Ici Lespina ! À toutes les unités, au rapport ! hurla-t-elle dans son talkie-walkie.

Seuls des grésillements lui répondirent. Foutu orage perpétuel !

— Mais du coup, je voulais vous demander... commença le commissaire.

— Conrad, ton détecteur d'anomalies ! Utilise-le pour trouver O'Hare.

L'agent sembla soudain se rappeler la raison de sa présence dans cette voiture qui roulait un peu trop vite pour lui. Blanc comme un linge, il régla l'appareil d'une main tremblante.

— J'ai un signal à quelques centaines de mètres... À droite au prochain carrefour...

Olivia braqua et faillit renverser un piéton. Si seulement les véhicules volants à suspensions magnétiques fonctionnaient sur cette fichue planète.

— À gauche... Encore à gauche... On y est !

Elle freina à côté d'une voiture encastrée dans un lampadaire et bondit hors de son véhicule, arme de service sortie.

— Police ! Denis O'Hare, sors de là ! Les mains en évidence !

Un petit homme aux cheveux gris s'extirpa difficilement de l'épave, paumes levées. Il afficha un sourire innocent.

— Je ne suis qu'un pauvre citoyen victime d'un accident de la circulation.

— Laisse tomber, on connaît tous ta tête dans le métier !

— Euh... Dites... fit le commissaire.

— Et n'essaye pas de me raconter des bobards. On sait que c'est toi, le braquage à la banque ! Peut-être que tu as réussi à griller les caméras de surveillance, mais ça, ça me suffit comme preuve !

Elle lui brandit le porte-clef sous le nez. O'Hare jeta un rapide coup d'œil à sa ceinture vide et blêmit. Le fameux porte-bonheur « I♡Dublin » de Denis O'Hare. Il en avait fait sa marque de fabrique. Le perdre sur la scène de crime avait été sa plus grande erreur. La dernière.

— Oh ! Vous avez déjà ce porte-clef ? Zut, j'en avais ramené pour tout le monde...

Olivia et Lloyd fixèrent des yeux agacés sur le commissaire. Celui-ci ne les remarqua pas.

— Et du coup, c'est qui, ce type ? poursuivit-il.

L'énervement de la capitaine se transforma en ébahissement puis en horrible pressentiment. L'agent de la DGT était visiblement arrivé à la même conclusion qu'elle. Il pointa son détecteur sur O'Hare et grimaça.

— Il n'a pas de remonteur temporel. C'est lui, l'anomalie !

Elle aurait peut-être pu retenir le coup de poing qui suivit, mais c'était tellement jouissif... Le commissaire se retrouva le derrière dans une flaque. Il leva des yeux de chien battu sur elle.

— Qu'est-ce que vous avez foutu pendant vos vacances, enfin ? hurla-t-elle.

— Mais... Rien ! Je suis allé sur Terre au XVIIIe siècle... Bon, la première fois, je me suis planté, je l'ai vite compris aux dinosaures. Ah et vous vous souvenez du vieux truc qu'on avait trouvé en patrouille, avec ce Major qui chantait à l'aide ? Je me suis dit que je pouvais prévenir ses collègues de l'époque au passage, donc j'ai fait un saut au XXIe siècle. J'en ai profité pour faire un petit tour d'avion, et tout... J'ai rencontré des gens formidables ! Ensuite, je suis arrivé en 1771, dans une charmante petite ville au nord de Dublin...

— Abrégez !

— D'accord, d'accord... Avec des amis, on est allés au bar où on a rencontré un type très sympathique, on a bu quelques verres et puis c'est tout.

— C'est tout ? Attendez... « Dublin » ? Il s'appelait comment, ce « type » ?

— Euh... Je crois que c'était... Bri... Brick O'Hare ?

— Rick O'Hare ?

Olivia se tourna vers le braqueur. Il dévisageait le commissaire en fronçant les sourcils, surpris et un brin excité. La capitaine, énervée, fit du malfrat sa nouvelle cible.

— C'est qui ?

Denis bomba le torse et son visage se fendit en un sourire resplendissant.

— Mon ancêtre ! Le premier braqueur de la lignée ! D'après la légende, le jour où il devait faire ses débuts, il était ivre mort et n'a pas pu participer. Une chance, tous ses complices se sont fait tuer ce jour-là.

Olivia retint un juron. Elle brandit le porte-clef.

— C'est depuis ce jour que ce... truc est le porte-bonheur de ta famille, j'ai bon ?

— Exactement !

Il n'en fallut pas plus à la capitaine pour confirmer ses soupçons. Voilà pourquoi son supérieur ne connaissait pas le criminel : jusqu'à son départ en vacances, il n'existait pas. C'était en sauvant malencontreusement un braqueur terrien du XVIIIe siècle qu'il avait créé l'anomalie temporelle nommée Denis O'Hare.

Si elle trucidait le commissaire là, tout de suite, cela ne poserait pas de problème, si ? Les seuls témoins seraient un criminel et un agent de la DGT aussi remonté qu'elle. Que risquait-elle ?

— Oups, la bourde ! fit le commissaire en se relevant. Ne vous en faites pas, je vais arranger tout ça. Je reviens très vite !

Olivia lui hurla d'arrêter et bondit sur lui pour lui prendre le remonteur temporel des mains. Trop tard. Il avait disparu.

Après une minute, il était déjà de retour. Olivia observa la scène autour d'elle, méfiante... Rien n'avait changé... Heureusement, il n'avait pas réussi à détraquer davantage l'espace-temps, cette fois-ci.

— Désolé, je me suis encore trompé, je me suis retrouvé au début du XXe siècle dans un endroit appelé « États-Unis ». J'y ai rencontré un couple charmant, d'ailleurs et... Ah, oups...

Elle lui confisquerait ce remonteur temporel plus tard. Pour le moment, l'heure était à la victoire : ce soir-là, les célèbres malfaiteurs Denis O'Hare et Clyde Barrow junior, descendants de Rick O'Hare et des non moins légendaires Bonnie et Clyde, dormiraient derrière les barreaux. Une affaire rondement menée. Peut-être l'obtiendrait-elle enfin, cette mutation...

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